De l'Etat d'urgence sanitaire aux 49.3 en passant par les vicissitudes de la loi immigration, la Vème République qui paraissait faire consensus est de nouveau contestée.
Dictatoriale pour les uns, redevenue instable pour les autres, la constitution du Général de Gaulle mérite-t-elle ces critiques et doit-elle être changée ?
Pour en débattre, dans une émission intitulée : "La France est-elle encore gouvernable ?", Denis Olivennes reçoit un praticien et une universitaire, Manuel Valls, ancien Premier Ministre et Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, maître de conférences en droit public.
Année de Production : 2023
Dictatoriale pour les uns, redevenue instable pour les autres, la constitution du Général de Gaulle mérite-t-elle ces critiques et doit-elle être changée ?
Pour en débattre, dans une émission intitulée : "La France est-elle encore gouvernable ?", Denis Olivennes reçoit un praticien et une universitaire, Manuel Valls, ancien Premier Ministre et Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, maître de conférences en droit public.
Année de Production : 2023
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00:15 – Bonsoir et bienvenue dans "Élémentaire", l'émission de Public Sénat
00:18 qui cherche à mettre en perspective les éléments de l'actualité
00:21 et à leur donner de la profondeur de champ.
00:23 La Ve République a 66 ans, c'est-à-dire qu'elle va bientôt égaler
00:27 le record de longévité de la 3ème République
00:30 qui pourtant paraissait une exception
00:32 dans la proverbiale instabilité institutionnelle française.
00:36 Songez que nous avons changé de constitution tous les 15 ans depuis 1789
00:41 alors que les États-Unis, dont la constitution date de 1788,
00:44 n'en ont jamais changé.
00:45 Certes, ils l'ont amendée 27 fois.
00:48 Cette constitution a souvent été critiquée à ses débuts,
00:51 rappelons-nous le coup d'État permanent,
00:53 l'expression célèbre de François Mitterrand,
00:55 et puis elle a paru faire consensus.
00:58 Mais voilà que depuis une dizaine d'années,
01:00 elle est à nouveau sur la sellette, les critiques se multiplient.
01:05 On l'accuse d'être dictatoriale ou au contraire d'être instable.
01:10 On l'a vu récemment avec les contestations des états d'urgence,
01:15 avec les Gilets jaunes, avec la contestation au moment de la retraite
01:19 de l'usage du 49-3 ou bien avec les vicissitudes de la loi sur l'immigration.
01:24 Qu'en est-il réellement ?
01:26 Est-ce que c'est une constitution usée, vieillie ?
01:28 Est-ce qu'au contraire elle est solide ?
01:31 Est-ce qu'elle doit être transformée ou est-ce qu'elle doit être confortée ?
01:34 C'est cela dont nous allons débattre dans cette émission.
01:36 Et pour nous aider dans cette tâche,
01:38 une universitaire est un praticien du droit constitutionnel.
01:43 L'universitaire, c'est Anne-Charlène Bézina, bonsoir.
01:46 – Bonsoir.
01:46 – Vous êtes maître de conférences à Rouen et à Sciences Po Paris
01:49 en sciences politiques et en droit constitutionnel.
01:52 Vous venez de publier "Textes constitutionnels et politiques" au PUF.
01:57 Et le praticien c'est Manuel Valls, bonsoir M. le Premier ministre.
02:00 – Bonsoir.
02:01 – Ai-je besoin de vous présenter ?
02:03 Vous avez été ministre, vous avez été Premier ministre,
02:05 vous avez été député, vous avez été maire,
02:06 mais je souligne un point, c'est que vous avez été trois fois à Matignon.
02:10 Vous l'avez été avec Michel Rocard de 88 à 91,
02:14 une expérience de la majorité relative.
02:16 Vous l'avez été avec Lionel Jospin de 1997 à 2001,
02:20 une expérience de la cohabitation.
02:22 Et puis enfin, vous avez été vous-même le titulaire du poste de 2014 à 2016.
02:27 Donc vous avez expérimenté de près le fonctionnement de nos institutions.
02:31 Nous allons, si vous le voulez bien, d'abord essayer de rappeler brièvement
02:35 ce que sont les traits de ces institutions, de cette constitution.
02:38 Ensuite, de voir qu'est-ce qui motive les critiques actuelles.
02:40 Et enfin, de voir qu'est-ce qu'on doit changer,
02:43 si on doit changer quelque chose à cette constitution.
02:45 Je vais commencer avec vous, Anne-Charlène.
02:48 Si je résume les choses en disant cela,
02:51 vous allez me dire si je me trompe ou pas,
02:53 le général de Gaulle et Michel Dobré ont souhaité rompre
02:57 avec l'instabilité de la 4ème République.
02:59 Et pour ça, ils ont pris trois mesures majeures.
03:01 La première, c'est un système qui n'est ni parlementaire comme au Royaume-Uni,
03:05 ni présidentiel comme aux États-Unis, qui est un mixte des deux,
03:09 puisque certes, le gouvernement est responsable devant l'Assemblée,
03:12 devant le Parlement, mais l'exécutif peut dissoudre l'Assemblée.
03:18 Deuxième point, ils ont institué toujours,
03:20 dans cet objectif de stabilité, le parlementarisme rationalisé,
03:23 c'est-à-dire qu'en fait, l'exécutif a la main,
03:25 pour partie, sur le fonctionnement du Parlement,
03:28 son ordre du jour, la manière dont il vote, etc.
03:31 Et puis, troisième chose, qui n'est pas dans la constitution,
03:33 mais qui est liée aux ordonnances de 1958, à la loi, disons,
03:37 qui est un scrutin majoritaire uninominal à deux tours,
03:41 qui assure une majorité au Parlement.
03:43 Est-ce que je résume utilement
03:46 les traits caractéristiques de notre constitution ?
03:48 – On retrouve tout son caractère hybride,
03:51 parce que c'est vrai que cette Vème République, dès la naissance,
03:54 et c'est la loi constitutionnelle du 3 juin 1958
03:56 qui donne en fait un guide au général de Gaulle,
03:59 qui est empli de cette ambiguïté, on a un vrai régime parlementaire.
04:02 Ça, il faut le rappeler, c'est un régime parlementaire,
04:04 parce qu'il y a cette responsabilité du gouvernement devant le Parlement,
04:08 et cette possibilité de dissoudre, qui existe aussi en Grande-Bretagne.
04:10 Donc, on est vraiment dans un régime parlementaire.
04:12 Mais la touche d'originalité, c'est la touche gaulliste,
04:15 c'est le président qui reste l'arbitre,
04:17 c'est le terme auquel il est attaché.
04:19 Et c'est encore dans l'article 5 de notre constitution,
04:21 c'est-à-dire que le président doit être en quelque sorte
04:24 celui qui va donner le cap intellectuel.
04:25 Et c'est là qu'on va rompre avec la tradition.
04:28 Le scrutin majoritaire est aussi quelque chose
04:30 auquel le général de Gaulle tient beaucoup,
04:32 pour rompre avec l'instabilité de la 4ème
04:34 et pour installer des majorités qui tiennent
04:37 et qui permettent à un gouvernement de tenir sur une législature,
04:40 d'être en tout cas probant.
04:42 L'idée était d'arriver à ce que cet équilibre instable
04:45 tienne sur deux têtes de l'exécutif,
04:47 le président et le Premier ministre.
04:49 Néanmoins, on verra que la pratique des institutions
04:51 a beaucoup affaibli le Premier ministre.
04:53 – Vous me tendez une perche pour interroger Manuel Valls
04:56 sur un deuxième point qui est deux mesures.
04:59 La première en 1962, l'élection au suffrage universel
05:02 du président de la République.
05:04 Et puis la seconde qui a été prise par accord
05:07 entre Jacques Chirac et Lionel Jospin en 2000,
05:09 avec la réduction à 5 ans du mandat présidentiel.
05:12 Est-ce que ces deux mesures n'ont pas déséquilibré le rapport
05:16 entre le président de la République et le Premier ministre
05:18 au profit du Premier en fabriquant un hyper-président
05:22 qui est l'une des sources de contestation aujourd'hui,
05:25 peut-être, du fonctionnement de nos institutions ?
05:28 – Déséquilibré, renforcé, les pouvoirs au profit
05:32 du président de la République en 1962, c'est incontestable,
05:35 même si l'autorité du général de Gaulle depuis 1958 était totale.
05:41 Mais en effet pour ses successeurs, c'est sans doute vrai,
05:44 la légitimité c'est le président de la République qu'il a
05:47 et c'est pour cela que les Français sont très attachés,
05:49 me semble-t-il, à l'élection au suffrage direct
05:52 et universel du président de la République.
05:54 Quant au quinquennat qui ont fait dire beaucoup de choses,
05:57 parce que je crois que beaucoup est dans la pratique,
05:59 dans la pratique politique, notamment entre les deux têtes
06:02 de l'exécutif, selon la composition du couple, du haut,
06:07 je crois que cela correspondait au temps aujourd'hui démocratique,
06:12 la communication, aux États-Unis c'est 4 ans,
06:15 dans la plupart des démocraties parlementaires c'est maximum 5 ans,
06:19 mais c'est en général 4 ans, parfois c'est même 3 ans,
06:22 donc cela correspond, je crois, à ce qu'il fallait,
06:25 des mandats de 7 ans avec une réélection possible,
06:28 je crois, poserait, me semble-t-il, de toute façon, les mêmes problèmes.
06:33 – Alors dans les critiques aussi, c'est pour vous la question Anne Scherlen,
06:36 dans les critiques aussi qu'on fait à la Constitution,
06:38 il y a la montée progressive du gouvernement des juges,
06:41 parce que certes, entre guillemets,
06:43 parce que certes la Constitution initialement a prévu l'existence
06:48 d'un contrôle de constitutionnalité,
06:50 mais le Conseil constitutionnel s'est lui-même renforcé
06:53 au fur et à mesure des années, au point qu'aujourd'hui,
06:56 on l'a vu avec la loi sur l'immigration dont on va faire l'arbitre,
06:59 dont il va être l'arbitre, au point qu'aujourd'hui,
07:02 certains contestent le fait qu'une autorité non élue
07:06 ait ses prérogatives.
07:08 – En effet, au départ, le général De Gaulle répond aux questions
07:12 en annonçant que la seule cour suprême qui existe
07:14 dans la Constitution de 58, c'est le peuple.
07:16 Et il n'a pas tort, c'est encore lui qui a le dernier mot aujourd'hui.
07:19 La montée en puissance du Conseil constitutionnel,
07:21 je ne suis pas sûre qu'elle soit complètement contre Alleghem,
07:23 parce qu'au fond, c'est vrai que les rédacteurs n'ont pas cette idée au départ,
07:27 mais dans le concert des nations, des démocraties européennes,
07:30 un Conseil constitutionnel diminué nous amènerait quand même
07:33 à avoir du mal avec notre titre de patrie des droits de l'homme.
07:36 Donc, ce Conseil constitutionnel qui garantit nos pactes fondamentaux,
07:39 nos droits fondamentaux, toute l'intégrité de la Constitution,
07:42 je crois profondément qu'il est nécessaire, qu'il est légitime.
07:45 Alors, les juges ne sont pas élus, mais ce sont eux qui gardent la Constitution.
07:49 D'ailleurs, la figure à l'entrée du Conseil constitutionnel du Sphinx,
07:52 c'est cette idée d'être le gardien.
07:53 Donc, je crois vraiment qu'il est légitime.
07:56 L'idée est d'essayer d'éviter de mettre, à mon avis, dans un mauvais match
08:01 la légitimité élective du Parlement et les juges.
08:03 Les deux ne font pas la même chose,
08:05 mais attention à ce que nos droits fondamentaux soient conservés,
08:07 c'est la volonté profonde du peuple.
08:10 – Une critique qu'on a adressée aussi à ces institutions,
08:13 et vous l'avez vécue de l'intérieur, récemment,
08:15 enfin certains disent que ce n'est pas le texte de 58,
08:19 ce sont ces réformes ultérieures qui l'ont déséquilibré,
08:21 et notamment deux réformes qui sont liées à…
08:25 qui ont été initiées par le président Sarkozy.
08:28 La limitation de l'usage du 49-3, c'est ce que je vais dire, est paradoxale.
08:32 Et le fait qu'on ait rendu le mandat du président de la République,
08:38 qu'on l'ait limité à deux mandats, rendant impossible sa réélection.
08:42 Autrement dit, on aurait affaibli la capacité de l'exécutif
08:46 à mener sa politique ou à imposer son autorité par la combinaison,
08:52 et c'est ça qui expliquerait les difficultés que nous rencontrons.
08:54 – Et vous, vous avez connu une majorité relative avec Michel Rocard,
08:58 et puis vous êtes le spectateur des événements actuels.
09:02 – Oui, j'ai connu une majorité relative avec Michel Rocard
09:06 au cours du second septennat de François Mitterrand,
09:10 progressivement entraîné par la maladie, par des affaires,
09:15 et puis par la fin d'une époque, tout simplement.
09:18 Et puis, comme Premier ministre,
09:21 les difficultés d'un président de la République
09:24 face aussi à sa propre majorité et les frondeurs,
09:28 j'en ai fait évidemment l'expérience.
09:30 La réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy de 2008 est importante,
09:33 peut-être pas aller jusqu'au bout des préconisations
09:35 de ce qu'on a appelé la commission Balladur,
09:38 mais encore une fois, il me semble que la limitation
09:41 à deux quinquennats du président de la République,
09:45 de ces réformes importantes, ou la limitation du 49-3,
09:48 ne change pas fondamentalement la pratique et l'exercice du pouvoir.
09:53 Je crois qu'il y a un problème,
09:55 c'est qu'on critique la Ve République, cette constitution,
10:01 alors que les problèmes auxquels nous faisons face
10:03 sont ceux de la crise démocratique
10:05 que connaissent toutes les grandes nations modernes et occidentales,
10:09 la perte des idéologies, la fin des grands partis,
10:13 le rôle de la globalisation, le rôle évidemment de l'Europe,
10:17 c'est ça parfois qui entrave l'action politique,
10:20 mais la Ve République, c'est la stabilité,
10:22 et comme le disait mon vieil ami Guy Carcassonne,
10:24 avec qui j'ai travaillé quand j'étais avec Michel Rocard
10:27 dans les relations avec le Parlement, elle est extrêmement plastique.
10:30 Et puis très souvent, le Parlement,
10:33 et notamment l'Assemblée nationale et les députés,
10:35 ne se rendent pas compte du pouvoir qu'ils ont,
10:37 la capacité d'exercer, ils ne l'exercent pas jusqu'au bout.
10:39 Eux-mêmes intègrent parfois la force, la puissance du président de la République
10:45 d'une manière qui, d'une certaine manière, les entrave.
10:48 – Quand on entend un certain nombre de critiques,
10:50 alors elles sont exagérées, quand on parle d'illibéralisme,
10:53 ou quand on a parlé de dictature, c'était à l'époque des Gilets jaunes,
10:56 on pointe quand même du doigt,
10:58 je reviens au sujet précédent, l'hyper-présidence.
11:00 Est-ce que, vous dites la crise démocratique,
11:02 mais est-ce que l'hyper-présidence que la Constitution
11:06 et ses réformes successives ont organisée,
11:08 est-ce qu'elle est raccord avec l'idéal horizontal des sociétés modernes ?
11:13 – Les sociétés modernes demandent deux choses contradictoires,
11:17 l'autorité et l'horizontalité en même temps, c'est un autre…
11:21 En même temps, étant né en Espagne,
11:23 ayant vu voter mon père pour la première fois en 1977,
11:27 quand on parle de dictature nous concernant, je souris et je suis accablé.
11:32 Et enfin, troisième remarque, sur l'hyper-présidence,
11:35 alors peut-être c'est une des conséquences du quinquennat,
11:39 de présidents élus pour la première fois,
11:41 qui veulent tout de suite répondre à l'attente populaire,
11:45 mais je pense que c'est une question de pratique.
11:47 Je considère que le président de la République,
11:49 notamment au cours de ce deuxième quinquennat,
11:51 je veux parler d'Emmanuel Macron,
11:52 se trompe dans la gestion qui est la sienne des rapports
11:57 avec le Premier ministre, son rôle d'arbitre,
12:00 celui qui donne le sens intellectuel, pour reprendre votre expression,
12:04 ne laisse pas suffisamment de place au Premier ministre.
12:06 François Hollande m'a laissé cet espace.
12:09 C'est la pratique, donc c'est moins la lettre des institutions que la pratique.
12:13 De ce point de vue d'ailleurs,
12:14 par rapport à l'esprit gaullien de la responsabilité,
12:17 c'est vrai qu'on a vu au cours des décennies précédentes,
12:20 on a vu qu'un président pouvait avoir élu une chambre
12:26 qui lui était hostile à cohabitation, sans juger qu'il devait démissionner.
12:30 On a vu, c'était François Mitterrand, et puis ensuite c'était Jacques Chirac.
12:34 On a vu un président qui perdait un référendum,
12:37 c'était Jacques Chirac avec le traité constitutionnel,
12:41 sans considérer que ça devait engager sa responsabilité.
12:46 J'ai entendu que l'actuel Premier ministre n'était pas déterminé
12:50 à engager sa responsabilité devant le Parlement.
12:53 Est-ce qu'on ne s'est pas éloigné de l'esprit de responsabilité des institutions
12:59 au risque de donner le sentiment au peuple
13:01 que le fonctionnement démocratique n'est pas complet ?
13:05 Profondément, je crois que la carence de la pratique politique
13:08 de la Ve République aujourd'hui se situe sur le terrain de la responsabilité.
13:12 En effet, parce que si en 58 le texte peut apparaître équilibré,
13:16 c'est notamment parce qu'il y a cette responsabilité informelle
13:19 du président, du général de Gaulle, qui à chaque scrutin,
13:22 à chaque référendum, engage finalement son avenir dans l'opinion.
13:27 Il estimait qu'on ne pouvait présider qu'à partir du moment
13:30 où on était connecté avec sa base.
13:31 Et ça, c'est quelque chose qui s'est aujourd'hui profondément perdu.
13:34 J'ajoute quelque chose d'un peu sucré-salé dans ce débat,
13:37 mais je ne crois pas que l'hyper-présidence fasse partie du texte
13:40 de la Constitution de la Ve République.
13:42 Aujourd'hui, rien n'oblige un président de la République
13:45 à intervenir dans une commission mixte paritaire.
13:48 Rien n'oblige le président de la République à imposer des noms
13:51 à son Premier ministre pour composer le gouvernement.
13:53 L'espace politique, c'est au président de la République de le donner.
13:57 Et en ce sens, la pratique institutionnelle est aujourd'hui intégrée,
14:01 a aujourd'hui intégré tellement cette hyper-présidence
14:04 qu'elle déresponsabilise le Premier ministre,
14:06 qu'elle déresponsabilise l'Assemblée nationale,
14:08 dans un sens qui déplait au peuple,
14:10 puisque ça nous donne l'impression que cette Constitution est déséquilibrée,
14:13 là où elle pourrait tout à fait, à mon avis, permettre une autre pratique.
14:16 – Vous voyez Manuel Valls opiner,
14:17 je ne sais pas s'il existe un club des Premiers ministres,
14:19 mais s'il existe, c'est quand vous échangez vos expériences.
14:22 – Il est secret.
14:23 – Il est secret.
14:24 Mais est-ce qu'en échangeant vos expériences avec vos prédécesseurs,
14:27 est-ce que vous avez le sentiment, en effet,
14:29 que la pratique des institutions s'est détériorée,
14:33 qu'au fond c'est plutôt elle qui est en cause
14:35 que la lettre de la Constitution elle-même ?
14:37 – Oui, je le crois.
14:38 Moi, je pense qu'il faut revenir peut-être aux origines de la Ve République.
14:41 L'idée de changer, ça c'est très français.
14:43 On a une Constitution extrêmement plastique, souple, solide.
14:49 Je pense que nous avons résisté avec France et Hollande
14:51 alors que nous étions face aux frondeurs, avec une crise économique,
14:54 et évidemment face à une crise terroriste majeure.
14:56 Je pense que dans une autre démocratie, dans un autre régime,
14:59 plus tôt, nous aurions volé en éclats.
15:01 Cela a permis de gouverner, stabiliser.
15:03 Cette stabilité qu'a voulu, c'est le génie du général de Gaulle.
15:06 Il sait parfaitement ce que nous sommes, nous, ce peuple de Gaulois réfractaires.
15:11 J'aurais aimé échanger avec Michel Debré ou avec Georges Pompidou
15:14 sur notamment le début de la pratique de la Ve République.
15:18 C'est d'ailleurs très étonnant, en lisant les mémoires,
15:21 les carnets d'Alain Perfit,
15:23 on voit qu'il y a un débat au sein du Conseil des ministres,
15:25 notamment sur la guerre d'Algérie.
15:27 Alors il est vrai que le gouvernement repose plutôt sur une coalition.
15:30 Il y a des socialistes aussi qui sont présents dans ces premiers Conseils des ministres.
15:35 Mais je crois en effet que c'est une question de pratique et de responsabilité.
15:38 De ce point de vue-là, l'usage du référendum
15:41 pourrait être davantage mis en œuvre au nom de cette responsabilité
15:47 et de cet appel au peuple.
15:48 Alors pas à chaque fois de manière tragique,
15:50 pas avec l'idée de rester ou de partir,
15:53 mais parce que dans l'idée du général de Gaulle
15:56 et dans les bases de la Ve République,
15:57 dans ses fondements, dans son ADN,
15:59 il y a en effet et cette responsabilité
16:01 et cet appel constant au peuple qui fait partie de notre démocratie.
16:06 – Mais on a vu récemment que parmi les modifications de la Constitution
16:10 qui auraient pu viser à la moderniser,
16:13 il y avait l'idée d'étendre le champ du référendum,
16:16 mais la crainte que cet usage ne devienne un mésusage
16:20 et qu'on en profite pour violer la Constitution
16:23 à travers l'expression directe du suffrage universel,
16:25 apparemment a retenu les partis politiques.
16:29 Vous pensez l'un et l'autre que c'est une réforme
16:32 qui aurait dû être menée à son terme ?
16:34 – À force d'avoir peur du peuple,
16:36 c'est ce dernier qui à un moment ou l'autre vous emporte.
16:39 Donc je pense que cette pratique me paraît importante
16:41 et ce qui a été dit aussi me paraît très important,
16:43 je le répète, il faut que le président de la République soit,
16:47 je ne parle pas que d'Emmanuel Macron, mais soit à sa place
16:50 et qu'il laisse le gouvernement gouverner
16:53 et qu'il laisse sa majorité aussi exercer ses compétences,
16:55 sinon on étouffe le débat politique.
16:57 – Je ne crois pas nécessairement que cette réforme du champ du référendum
17:00 aurait renforcé le référendum,
17:02 c'est son usage qui pourrait renforcer ce référendum.
17:05 Il faut, le texte de notre article 11 est assez large,
17:08 il pourrait permettre au peuple de se prononcer sur des réformes sociales,
17:12 économiques, environnementales, institutionnelles
17:14 et toutes ces questions-là, on les a finalement très peu utilisées
17:17 sous la Ve République où ce sont essentiellement des traités européens
17:19 qui ont permis au peuple de se prononcer.
17:22 Donc je crois nécessairement qu'il suffit,
17:24 c'est un pouvoir propre du président,
17:25 donc il suffit d'appuyer sur le bouton pour que ça démarre.
17:28 Donc si le président de la République l'utilise plus régulièrement,
17:31 si on installe la culture référendaire,
17:33 peut-être qu'on pourrait arriver à une pratique plus équilibrée de nos institutions.
17:38 – Une autre critique qu'on fait à nos institutions,
17:40 pas seulement en France, mais aussi en France et peut-être plus en France,
17:43 c'est qu'elles sont trop "représentatives"
17:47 et qu'elles ne correspondent plus aux besoins d'expression directe du peuple
17:53 que les sociétés d'opinion renforcent et accentuent.
17:57 Alors on a cherché, notamment par les débats citoyens,
18:01 les conférences de consensus,
18:04 est-ce que c'est une voie d'amélioration des institutions françaises
18:10 ou est-ce que ça vous paraît, vous à la lumière de la théorie
18:13 et vous, M. le Premier ministre, à la lumière de la pratique,
18:16 un pisalet qui est subalterne
18:18 par rapport à l'expression centrale du suffrage universel ?
18:22 – Moi je crois, ce que disaient nos constituants en 1795,
18:25 qu'une constitution doit s'adapter aux générations futures
18:28 et que finalement elle doit non seulement être plastique
18:30 mais adapter avec son temps.
18:31 Et l'appel du peuple à plus de participation
18:36 est en effet très fort dans les démocraties modernes,
18:38 ça renforcerait la société de la confiance.
18:40 Donc je crois que des démocraties comme l'Italie
18:43 qui utilisent le référendum abrogatif
18:45 ou qui utilisent le référendum sous forme de pétition
18:47 avec ce que nous avons nous comme référendum d'initiative partagée
18:50 qui est très verrouillé, nous montre qu'on pourrait, à mon avis,
18:53 lâcher des verrous, libérer cette expression populaire.
18:55 Je crois que c'est vraiment quelque chose qui pourrait permettre
18:58 à la Ve République de s'adapter à son temps.
19:00 Et donc je ne suis pas sûre que ce soit purement une réforme cosmétique en effet.
19:03 – Le référendum d'initiative citoyenne ?
19:06 – Alors le référendum d'initiative citoyenne en effet
19:08 était appelé des vœux des Gilets jaunes,
19:10 je pense qu'en fait c'est un type de pétition.
19:12 Il y a quatre types de référendum,
19:14 le référendum pour rappeler des gouvernants,
19:15 ce qu'on appelle le "recall" qui existe aux États-Unis,
19:17 qui là vous permet de rappeler un gouvernant,
19:19 qui est quand même une forme très extrême
19:20 que peu de démocratie occidentale connaisse.
19:22 – Vous voulez dire rappeler des gouvernants ?
19:23 – Le rappeler c'est-à-dire tout simplement dire qu'il n'est plus élu,
19:26 que le peuple ne veut plus connecter avec lui.
19:27 Le référendum abrogatif où vous abrogez une loi du Parlement,
19:31 le référendum que nous connaissons ou nous ratifions une question
19:33 et le référendum sur participation.
19:35 Ça serait bien que nous essayions au moins de combiner
19:38 plusieurs formes de référendum dans notre Constitution,
19:40 ça lui permettrait à mon avis une belle capacité d'adaptabilité.
19:43 – Vous ne vous parez pas trop dangereux pour la démocratie représentative ?
19:46 – Mais le souci d'horizontalité, de participation,
19:49 le rôle des réseaux sociaux, la critique de l'impuissance du politique,
19:54 à l'heure je le répète de la globalisation et de l'Europe
19:56 pour ce qui concerne notre continent,
19:58 ce sont des sentiments partagés dans toutes les démocraties,
20:01 elles sont toutes en crise, donc plutôt que de changer
20:04 notre texte fondamental qui, encore une fois,
20:07 correspond beaucoup à ce que nous sommes,
20:09 il faut faire appel en effet à d'autres pratiques.
20:12 J'étais maire, vous l'avez rappelé, les élus locaux aussi,
20:15 entre conseils de quartier, comités de quartier, consultations,
20:18 rôle de l'Internet et des réseaux sociaux,
20:22 chacun s'adapte à cette attente forte des gens
20:28 de participer davantage à la décision politique.
20:33 Et puis ensuite, il peut y avoir d'autres réflexions,
20:35 de modifications, d'évolutions,
20:37 vous avez dit quelque chose de très juste au début de notre conversation,
20:40 c'est le rôle essentiel du scrutin majoritaire
20:43 qui n'est pas inscrit dans la Constitution,
20:45 mais qui a changé énormément avec l'élection
20:48 au souverain général et direct du président de la République,
20:51 bien évidemment, qui a changé la stratégie de tous les partis politiques,
20:53 a commencé la stratégie personnelle de François Mitterrand,
20:57 qui a vu là une occasion un jour d'arriver au pouvoir.
21:01 Bon, donc, mais sur les fondements des institutions de la Vème République,
21:05 elles sont solides à ceux qui les pratiquent,
21:08 d'être intelligents à l'écoute et de les faire évoluer,
21:11 mais dans leur pratique et pas dans leur fondement.
21:15 – Je reviens d'un mot sur la réélection du président de la République,
21:18 vous, vous considérez que le fait qu'on limite à deux mandats
21:22 sa possibilité d'élection ne l'affaiblit pas dans son second mandat ?
21:27 – Par une analyse, alors je prends du recul par rapport aux praticiens que j'ai été,
21:31 mais en regardant l'histoire des démocraties qui nous entourent,
21:35 nos propres pratiques, 10 ans, à tous les niveaux, c'est beaucoup.
21:40 Il y a une forme de jure, il peut y avoir des cas exceptionnels,
21:43 je veux bien le croire, mais au fond, 10 ans dans un pouvoir qui use,
21:47 vous êtes très isolé, soumis à beaucoup de pression,
21:51 cela me semble être, maximum bien évidemment, la bonne durée.
21:57 – Anne Scherlin, sur votre point de vue aussi ?
21:59 – Je ne sais pas si j'aurais systématisé cela dans la Constitution,
22:02 puisque c'est vrai que si on remonte dans notre histoire,
22:04 on se serait privé de Clemenceau, de Gambetta, etc.
22:06 Donc parfois, des grands hommes peuvent permettre à une nation de tenir,
22:09 et il peut y avoir des besoins exceptionnels que la Constitution ménageait.
22:13 Néanmoins, c'est vrai qu'il y a là encore une Constitution qui s'adapte avec son temps.
22:18 Il est dans l'opinion très important de changer les têtes.
22:22 Emmanuel Macron avait compris ça d'ailleurs en arrivant au pouvoir,
22:24 en voulant limiter la succession des mandats dans le temps,
22:27 même pour les parlementaires, parce qu'au fond,
22:29 l'idée de faire confiance aussi longtemps aux mêmes têtes
22:33 affaiblit un petit peu la démocratie, les institutions.
22:36 Donc je crois que même si systématiser cela n'est pas forcément nécessaire dans le texte,
22:41 en tout cas l'idée est que le texte soit adapté à une volonté de l'opinion,
22:45 et en ce sens je pense que 10 ans c'est en effet assez équilibré.
22:49 – Et on pourrait vous rétorquer que le suffrage universel a déjà manifesté
22:53 qu'il était capable d'éviter que des présidentes soient réélues pour 10 ans.
22:57 Il a sanctionné plusieurs d'entre eux, donc l'élection est le moment,
23:00 sans qu'on ait à légiférer sur la durée du mandat,
23:04 où le peuple s'exprime pour mettre un terme ou pas au mandat
23:07 s'il le juge nécessaire. Enfin, bon, c'est un débat.
23:10 – Vous savez, Clémenceau a gouverné 2 fois 3 ans, un peu plus pour la deuxième fois,
23:15 Blum 11 mois et puis ensuite peu de temps, Mendes France…
23:19 – Mendes France quelques semaines, enfin…
23:21 – 11 mois, ils sont restés dans l'histoire, d'où la force de la Ve République
23:27 qui a permis cette stabilité, qui a permis l'alternance,
23:29 qui a permis à la gauche de gouverner longtemps aussi.
23:32 Donc ceux qui, notamment à gauche, veulent des grands soirs concernant la Constitution
23:36 oublient l'histoire et cette stabilité.
23:40 – Est-ce que finalement, au fond, les critiques qui sont faites à la Constitution
23:44 ne soulignent pas le fait qu'elle tient bien l'épreuve du temps ?
23:50 Par exemple, la majorité relative, vous l'avez vécue avec Michel Rocart
23:55 et d'une certaine manière avec vos frondeurs internes,
23:58 donc vous les aviez, c'était une majorité relative innommée,
24:02 au fond c'est ce que vivent des démocraties parlementaires
24:05 qui cherchent des compromis, alors ce n'est pas l'habitude.
24:07 Ce qu'on a vécu au moment de la loi sur l'immigration,
24:10 est-ce que ça n'est pas une pratique qui est assez visuelle
24:14 dans d'autres démocraties parlementaires ?
24:16 – Oui, mais Michel Rocart en 88, au nom d'ailleurs du slogan de François Mitterrand,
24:20 qui a emporté largement cette élection présidentielle, la France unie,
24:23 a mis en place une pratique, grâce à l'agilité intellectuelle de Guy Carcassonne,
24:27 je le rappelle une deuxième fois, avec un ministre de relations au Parlement,
24:31 personne ne s'en rappelle mais qui était un grand politique,
24:33 qui était Jean Poprène, a trouvé des majorités,
24:37 ici avec le parti communiste, là avec les centristes,
24:40 là avec les députés ultramarins, et ce qui se passe aujourd'hui,
24:43 c'est précisément qu'Emmanuel Macron,
24:45 au lendemain des élections législatives qui ne lui ont donné qu'une majorité relative,
24:49 mais une majorité cependant, n'a pas tenu compte,
24:52 n'a pas intégré les leçons de cela,
24:54 et lui-même n'a pas cherché les coalitions nécessaires,
24:57 sinon plutôt à imposer, voire à déstabiliser ces dites oppositions.
25:00 Et là il s'est trompé aussi sur la manière de gérer les éléments de la majorité relative.
25:06 – C'est votre point de vue aussi, au fond, quand on regarde
25:08 les démocraties parlementaires qu'on citait en exemple,
25:10 je pense au Royaume-Uni, elles ont été capables de faire le Brexit,
25:14 donc ce n'est pas forcément qu'elles soient plus sages que nos propres institutions,
25:19 je ne sais pas quel est votre point de vue ?
25:20 – Moi j'ai le sentiment qu'on peut citer la Grande-Bretagne,
25:23 on peut citer l'Espagne, l'Allemagne,
25:25 beaucoup de grandes démocraties arrivent à gouverner
25:29 carrément dans des systèmes de coalition,
25:31 c'est-à-dire avec des gouvernements de projet,
25:34 donc si le gouvernement représente aujourd'hui sous la Ve République son président,
25:38 en tout cas la majorité relative, elle peut permettre
25:40 une extrêmement belle diversité d'opinions sur laquelle, à mon avis,
25:44 il y a un manque, qui est encore celui de la pratique politique,
25:46 et je rejoins ce qui a été dit, un manque en amont,
25:49 les textes se travaillaient en amont en 88,
25:51 c'est-à-dire qu'on allait chercher les majorités avant de présenter les textes.
25:55 Aujourd'hui on fonctionne de manière totalement inverse,
25:58 on concilie, on essaye de concerter sur des avant-projets
26:01 dont on n'a pas encore l'articulation globale et puis on impose ensuite.
26:05 Ce n'est pas comme ça qu'on peut gouverner dans une majorité relative,
26:07 mais c'est un beau défi que le peuple a lancé aux institutions
26:10 et surtout à ceux qui la pratiquent.
26:12 – Bon, cette émission s'achève, si je comprends bien,
26:14 on est plutôt dans 5e République encore,
26:17 que dans 5e République, stop, pour prendre le titre qu'on avait retenu.
26:21 Guy Carcassonne que vous avez cité, monsieur le Premier ministre,
26:24 et qui était en effet l'un des plus brillants constitutionnalistes français
26:28 dont l'absence se fait sentir, Guy Carcassonne avait écrit
26:34 "La 5e République est plus forte que les hommes qui la font vivre,
26:38 elle les soumet à ses lois et n'entend pas se soumettre aux leurs".
26:42 – Tout à dit.
26:43 – On va voir dans les semaines et les mois qui viennent
26:45 si Guy Carcassonne avait raison.
26:47 En tout cas je vous remercie de nous avoir éclairés de vos lumières.
26:50 Merci à vous qui nous avez écoutés,
26:53 vous pouvez revoir cette émission sur le site de publicsenat.fr
26:58 et nous nous retrouvons pour la prochaine émission.
26:59 Merci et bonsoir.
27:01 [Musique]