Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, une discrète équipe d’archivistes fouille, colle et assemble sans relâche les documents déchirés par la Stasi, la police secrète est-allemande. Un défi digne du mythe de Sisyphe pour ces gardiennes de la mémoire collective, car la quantité de documents abimés, dont certains ne sont pas plus grands qu’un ongle ou qui se détériorent avec le temps, est immense et les archivistes ne sont pas assez nombreuses. On les surnomme les "Puzzle Women", des héroïnes de l'ombre. Reportage de Niagara Tonolli.
En 1989, le régime communiste est-allemand s'effondre avec la chute du mur de Berlin, censé le protéger. Dans la panique et l'urgence, au QG berlinois de la Stasi, la toute-puissante police secrète, l'ordre est donné de détruire sans attendre les millions de fiches et dossiers qui consignent des décennies de surveillance policière. Quand la foule des révoltés pénètre enfin au siège de la Stasi, 111 kilomètres d'archives en tout genre et 16 000 sacs emplis de bandelettes de papier, reliques de millions de dossiers déchirés, sont sauvés par les citoyens. À l'aube de la réunification, une équipe d'archivistes est alors mise en place pour tenter de donner sens à ce gigantesque puzzle de papier. Des femmes, essentiellement, qui se consacrent depuis une trentaine d’années à cette tâche titanesque. Avec la volonté et l’abnégation des moines copistes du Moyen-Âge, elles assemblent patiemment les fragments de dossiers, reconstituant ainsi l'histoire de leurs concitoyens.En venant lire leur dossier aux lettres jaunies, les victimes viennent recherch... Lire la suite sur notre site web.
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En 1989, le régime communiste est-allemand s'effondre avec la chute du mur de Berlin, censé le protéger. Dans la panique et l'urgence, au QG berlinois de la Stasi, la toute-puissante police secrète, l'ordre est donné de détruire sans attendre les millions de fiches et dossiers qui consignent des décennies de surveillance policière. Quand la foule des révoltés pénètre enfin au siège de la Stasi, 111 kilomètres d'archives en tout genre et 16 000 sacs emplis de bandelettes de papier, reliques de millions de dossiers déchirés, sont sauvés par les citoyens. À l'aube de la réunification, une équipe d'archivistes est alors mise en place pour tenter de donner sens à ce gigantesque puzzle de papier. Des femmes, essentiellement, qui se consacrent depuis une trentaine d’années à cette tâche titanesque. Avec la volonté et l’abnégation des moines copistes du Moyen-Âge, elles assemblent patiemment les fragments de dossiers, reconstituant ainsi l'histoire de leurs concitoyens.En venant lire leur dossier aux lettres jaunies, les victimes viennent recherch... Lire la suite sur notre site web.
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NewsTranscription
00:00 Nouveau numéro de Reporter +, le magazine de reportage long format de France 24.
00:07 Direction l'Allemagne où, depuis la chute du mur en 89,
00:10 une équipe d'archivistes, des femmes principalement,
00:13 tente de recoller les morceaux de l'histoire.
00:15 Et lorsque je dis "recoller", il s'agit littéralement de cela.
00:19 Au moment de la chute du mur, la Stasi,
00:21 la tristement célèbre police politique de l'Allemagne de l'Est,
00:25 cherche à se débarrasser de ces encombrantes archives
00:28 qui recensent notamment tous ceux qui travaillent pour elle.
00:31 Dans l'urgence, on détruit, on déchire des tonnes de documents
00:35 témoignant d'un espionnage à l'échelle du pays tout entier.
00:39 Depuis plus de 30 ans, armés de rubans adhésifs et de beaucoup de patience,
00:43 ces archivistes reconstituent les dossiers comme un puzzle.
00:48 Des dossiers que près de 2 millions d'Allemands de l'Est ont déjà consultés,
00:51 découvrant ainsi, rétrospectivement,
00:54 comment ils avaient été espionnés par leur propre famille
00:57 ou dénoncés par un ami ou un collègue au nom de l'idéologie communiste.
01:02 Puzzle Woman, les confettis de la mémoire, c'est un film de Niagara Tonelli.
01:08 [Générique]
01:30 [Musique]
01:46 Je n'aurais jamais pensé qu'on pouvait assembler tous ces dossiers.
01:52 [Musique]
01:58 C'est comme si on assemblait un puzzle.
02:01 [Musique]
02:07 C'est une grande responsabilité.
02:09 [Musique]
02:13 Ces confettis de papier collés vont contribuer à se rendre à la vie.
02:20 [Musique]
02:25 [Musique]
02:30 À l'ancien siège de la Stasi, la police secrète est allemande,
02:34 depuis 30 ans, une discrète équipe d'archivistes tente de donner vie à un incroyable puzzle.
02:40 Des femmes en majorité, qui trient et collent sans relâche le contenu de 16 000 sacs emplis de lambeaux de papier.
02:48 Derniers vestiges déchirés que la Stasi voulait oublier.
02:52 On les surnomme les Puzzle Women, des héroïnes de l'ombre.
02:57 [Musique]
03:00 J'ai ici un ruban adhésif très spécial qui adhère au papier grâce à la température du fer
03:05 et qui n'abîme pas le papier, de sorte que les documents peuvent être bien conservés pour la recherche et pour une utilisation ultérieure.
03:15 Je peux voir que lorsque je prends ceci avec mes pincettes, ça colle et grâce à cette adhérence,
03:22 je peux déterminer qu'elle fasse écollante.
03:25 Je la place ensuite en dessous, je dois travailler avec précision.
03:30 [Bruits de la machine]
03:36 Il est difficile d'estimer le temps nécessaire.
03:40 Je ne peux pas vous dire combien de documents je peux reconstituer par mois.
03:44 Cela dépend toujours des documents, du papier et aussi de mes yeux.
03:50 [Bruits de la machine]
03:55 Au début, nous recevons toujours un sac comme celui-ci.
03:58 Puis nous devons retirer délicatement les documents par couches successives.
04:04 Comme ça.
04:07 Ensuite, nous les posons sur la table et examinons les bords déchirés.
04:10 Et nous trions les documents selon le type de déchirure.
04:13 Par exemple, ici, quelque chose correspond déjà.
04:21 Maintenant, j'ai pris quelques documents de mon sac en papier.
04:26 Non, nous avons sélectionné spécialement des documents que vous pouvez filmer.
04:30 Ah oui.
04:31 Ce matériel est pratiquement neuf, sorti du sac.
04:34 Et s'il y a des noms que nous devons protéger, donc ils ne peuvent pas.
04:38 Nous ne sommes pas autorisés à... D'accord.
04:40 Malheureusement non, parce qu'il y a des noms de personnes qui ont été victimes de la stasie.
04:43 Excusez-moi, j'ai fait ça, c'est de ma faute.
04:45 Non, non, tout va bien.
04:48 Difficile d'approcher, de filmer les Puzzle Women.
04:51 Un responsable veille, tout ne peut être montré.
04:55 Car chaque lambeau de papier manié porte un lourd secret, une histoire, une vie.
05:04 L'héritage d'un état policier qui a laissé des cicatrices profondes dans la mémoire collective.
05:15 Ces dossiers racontent la peur, la délation, la trahison, la prison.
05:31 J'ai été condamné à 10 mois de prison pour préparation à la fuite de la République démocratique allemande.
05:36 J'ai été amené à Cottbus et j'y suis resté d'octobre 81 jusqu'en mars 1982.
05:50 Nous sommes en juillet 1981, quand la tentative de fuite en train de Peter
05:54 prend fin à la frontière tchécoslovaque lors d'un contrôle de police.
06:02 Quatre hommes sont arrivés dans le train, armés de mitraillettes et en uniforme gris.
06:07 Peter n'a pas de biais de retour et les policiers qui le fouillent trouvent sur lui boussole et jumelles.
06:13 Les accessoires type du transfuge en fuite vers l'ouest.
06:18 J'ai été interrogé pendant plus de 30 heures.
06:21 Cette silhouette d'une personne dont je ne peux pas voir le visage
06:25 et cette façon monotone de poser toujours la même question.
06:32 Chaque fois que je m'endormais, on me jetait de l'eau au visage.
06:36 Et à la question de savoir si je voulais quitter illégalement la RDA, je répondais toujours non.
06:43 Et à un moment donné, après de nombreuses heures, j'ai dit oui, je veux quitter la RDA.
06:49 C'était comme une libération.
06:56 La stasie, l'épée et le bouclier de la RDA n'est plus,
07:00 mais son fantôme continue à hanter les esprits de l'Allemagne réunifiée.
07:04 100 000 policiers accompagnés de 250 000 informateurs officieux.
07:09 Pendant 40 années, ils ont espionné, écouté.
07:13 Une pieuvre géante qui a embrassé toute la population de la RDA de ses tentacules.
07:19 J'ai alors rejoint le parti. Personne ne m'a recruté.
07:40 C'était un choix personnel en tant que jeune communiste convaincu, plein d'espoir, je dirais même d'espérance.
07:46 J'ai essayé de convaincre tout le monde autour de moi.
07:50 Par la présente, moi, Wolfgang Templin, m'engage volontairement à collaborer avec les organes du MFS.
07:59 J'ai été informé du fait qu'il m'est interdit de parler de cette collaboration, même à mon entourage le plus proche.
08:05 Pour la signature des rapports rédigés par moi-même, je choisis le nom de code "Petter".
08:10 Pendant 4 ans, le jeune Wolfgang va fournir des rapports sur ses camarades étudiants à ses agents traitants de l'Astasie.
08:20 En 1975, révolté par la brutalité du régime, il se rapproche des dissidents et s'affirme comme un des plus farouches opposants au pouvoir communiste.
08:32 La répression et la surveillance ont commencé dans les années 80 et sont devenues de plus en plus violentes.
08:38 Et dans la foulée, nous avons créé nos propres groupes d'opposition et cette initiative "Paix, droit de l'homme".
08:45 L'ancien mouchard est devenu une nouvelle cible pour l'Astasie.
08:52 Ennemie d'Etat, son appartement est régulièrement fouillé et de nombreux informateurs secrets infiltrent sa vie.
08:59 J'ai été arrêté des dizaines de fois, pendant 24 heures, 48 heures, c'était en 1983.
09:05 C'est à partir de là que commence le nouveau dossier, ce dossier a pour nom de code "Ferrater", "traître".
09:15 Le traître pour eux, c'était moi, le traître pour nous, c'était l'autre.
09:23 Wolfgang et son épouse sont arrêtés en janvier 1988, accusés de haute trahison.
09:28 Ils sont contraints à l'exil.
09:30 Une histoire parmi des milliers d'autres, tristement identiques.
09:34 Pour qu'elle ne soit pas oubliée, perdue, quelques hommes et femmes ont décidé de réunir ces morceaux de vie.
09:40 Rüdiger a pendant 30 années dirigé les travaux de l'agence des archives de l'Astasie à Frankfurt-Oder.
09:47 Régulièrement, il a été en charge de la réunion des membres de l'Astasie.
09:52 Regina, gardienne des archives de Leipzig, a consacré sa vie à recoller les fragments de la vie des autres.
09:59 Son amie Renate a été parmi les premières petites mains, les premières "puzzle women" à scruter ses archives.
10:05 Les "puzzle women" n'existent pas vraiment, mais ce sont des femmes qui ont sécurisé les dossiers de l'Astasie au sein du comité des citoyens.
10:14 Nous, les femmes, on était plus patientes avec ce collage de bribes.
10:18 Les hommes, eux, préféraient la représentation.
10:21 Ces actions de reconstitution de puzzles ont été très précieuses et importantes pour les gens.
10:27 Nous pouvions maintenant montrer que chaque confetti recollé était en fait une petite victoire contre ceux qui voulaient en réalité détruire toutes ces preuves.
10:44 Reconstituer les archives de l'Astasie, un défi digne du mythe de Sisyphe.
10:49 Un travail ingrat que des femmes et des deux quelques hommes se sont appropriées sans attendre ni recevoir reconnaissance.
10:56 L'engagement d'une vie pour préserver cette montagne de mémoire déchirée.
11:10 A l'été 89, dans la foulée de la perestroïka initiée par l'URSS de Mikhaïl Gorbatchev, une vague de manifestations secoue l'Allemagne de l'Est.
11:19 On demande réforme politique et ouverture des frontières.
11:23 - Je me rendais souvent très tôt en ville à l'église Saint Nicolas de Leipzig pour voir ce qu'il s'y passait.
11:52 Certains disaient qu'on allait se faire tirer dessus à Leipzig si on allait aux manifestations du lundi.
12:00 Épicentre de la révolte, les manifestations du lundi à Leipzig rassemblent des dizaines de milliers de personnes au cri de "Wir sind das Volk", "Nous sommes le peuple".
12:12 La répression est violente et la Volkspolizei multiplie passage à tabac et arrestation.
12:19 - J'ai vu quand ils sont sortis, alors qu'il n'y avait pas encore beaucoup de monde dans l'église, comment les soldats ont pris les jeunes et les ont jetés dans les camions.
12:31 Ensuite, ils les ont emmenés.
12:34 - On savait que l'opposition se réunissait ici et qu'il s'y passait quelque chose.
12:44 Il y avait toujours des prières pour la paix lors desquelles on lisait les noms des détruits.
12:49 Le 9 octobre 1989, 70 000 personnes se rassemblent devant l'église Saint Nicolas.
12:55 - Il y avait une telle émotion.
12:58 - Nous avons réussi, ils ne peuvent pas ouvrir le feu avec autant de personnes, ils ne peuvent pas tirer.
13:04 8 000 policiers et soldats sont mobilisés, mais il est déjà trop tard pour la dictature communiste.
13:13 La foule n'a plus peur, on entonne même l'international.
13:18 Un ironique détournement révolutionnaire.
13:22 Un vent de liberté souffle sur la République démocratique allemande.
13:26 La toute puissante Stasi perd son équilibre, le monstre vacille.
13:31 Face à l'ampleur du mouvement, Eric Mielke, chef tout puissant de la Stasi,
13:41 ordonne dans l'urgence la destruction des millions de dossiers, d'informations collectées sur ses citoyens.
13:46 Il est temps d'effacer la mémoire noire de la police secrète.
13:50 - Pour comprendre la destruction, il faut se replonger à l'automne 1989,
13:56 lorsque la Stasi a réalisé qu'elle ne pouvait plus continuer à travailler ainsi
14:00 et que la RDA allait peut-être toucher à sa fin.
14:04 A Berlin-Lichtenberg et dans toutes les antennes régionales, les broyeurs, les déchiqueteuses tournent à plein régime.
14:12 - On va faire un tour de la Stasi.
14:16 - Nous avons remarqué que de nombreux camions se rendaient régulièrement dans les locaux de la Stasi.
14:32 Et les gens ont commencé à soupçonner que des dossiers allaient être récupérés,
14:37 qu'ils étaient transportés quelque part pour être détruits.
14:42 - La Stasi a réussi, de l'automne jusqu'au printemps 1990, à détruire les dossiers d'une manière très variée.
14:51 Ils ont été brûlés, pulvérisés, emmenés dans des usines de recyclage de papier et broyés sur place.
14:59 A la fin, il n'y avait plus de déchiqueteuses en état de marche à la Stasi,
15:03 alors ils ont commencé à déchirer à la main.
15:07 - Ils ont traité les cas les plus explosifs.
15:13 Ils devaient garantir à leurs principaux espions, qu'il s'agisse de théologiens, d'intellectuels ou de personnes de nos propres rangs,
15:21 qu'ils seraient protégés. Notre lien ne sera jamais révélé.
15:31 - Par la présente, je m'engage volontairement à collaborer avec la Stasi.
15:35 - Par la présente, je m'engage volontairement à collaborer avec la Stasi.
15:39 - Par la présente, je m'engage volontairement à collaborer avec la Stasi.
15:42 - Je m'engage volontairement à collaborer avec la Stasi.
15:45 - Zilke. - Jürgen.
15:47 - Le nom de code ? - Claudia.
15:49 - Wolfgang.
15:59 - Et soudain, en 89, le mur est tombé. Notre vie a alors totalement changé.
16:05 - Nous l'avons vu à la télévision. Et je n'ai pas pu aller me coucher ce soir-là.
16:10 - J'ai regardé l'émission en boucle pour m'assurer que c'était bien réel.
16:14 - Nous avons traversé un pont et on s'est retrouvés à l'ouest. Et nous avons pleuré.
16:39 - Et les enfants disaient « Pourquoi est-ce que vous pleurez ? »
16:43 - C'est pas possible. Je suis très mauvaise. Je ne peux pas m'y mettre. Je suis en inutile.
16:49 - Lors d'une manifestation du lundi 4 décembre 1989, le bâtiment de la Stasi a été occupé à Leipzig.
17:06 Au lendemain de la chute du mur, à l'appel des militants des droits civiques du nouveau forum,
17:10 une foule de manifestants que plus personne ne peut arrêter
17:13 prend d'assaut les bureaux et antennes de la Stasi à travers toute la RDA.
17:17 - On voyait parfois la lumière vaciller. Ils avaient des rideaux noirs.
17:27 On avait presque l'impression qu'il n'y avait personne à l'intérieur,
17:30 mais ils étaient assis ou debout derrière les rideaux et ils regardaient.
17:35 - Aller, aller, aller !
17:38 - Tous clament « Stasi raus ! » dehors la Stasi et mettent à sac les bureaux de la police secrète.
17:44 - La prise d'assaut ressemble à la prise de la Bastille. Aucun coup de feu n'a été tiré.
17:58 Nous voulions savoir où était le quartier général,
18:02 où se trouvait personnellement le chef de la sécurité d'Etat.
18:06 Et puis à un moment, au bout d'un de ces couloirs sombres,
18:10 il y avait de la lumière et quelqu'un est apparu.
18:13 C'était le dernier adjoint de Mielke.
18:16 - Alors je me suis assis à son bureau et j'ai décroché le téléphone pour appeler ma femme.
18:25 Elle était assez surprise et m'a dit « Eh bien j'espère que vous en ressortirez sains et saufs ».
18:30 Je lui ai répondu « Ce n'est pas si dangereux ».
18:33 - Pour moi, ce service secret de la RDA, cette Stasi,
18:40 était un instrument de pouvoir si puissant que je pensais que si nous l'avions vaincu,
18:45 alors nous avions vraiment réussi.
18:48 C'est la fin du règne de la Stasi, l'organisation d'espionnage la plus élaborée de l'Histoire.
18:53 Rapports de surveillance, documents politiques accumulés, regroupés depuis 40 ans.
18:58 Le comité citoyen sécurise les millions de dossiers
19:01 et les quelques 16 000 sacs de documents déchiquetés que la Stasi pensait avoir rendus indéchiffrables.
19:06 - J'ai retrouvé des amis, Réna était là et elle m'a dit « Tu sais, je me suis inscrite au comité citoyen ».
19:15 J'ai répondu « Moi aussi ».
19:18 - Il y avait des montagnes de confettis dans les sacs
19:24 et nous étions curieux de savoir ce qu'il y avait dedans.
19:27 Pourquoi ils avaient tout détruit.
19:30 C'est là que nous avons commencé à assembler ces bribes.
19:33 - Voici par exemple comment nous avons fait des puzzles.
19:40 Dans la salle de bowling au début,
19:43 ou voici Réna Teux dans son bureau en train de préparer l'inspection des dossiers.
19:48 La Stasi a pensé que nous ne pourrions jamais traiter tous ces morceaux déchirés dans les sacs.
19:57 Rien qu'à Leipzig, nous avions 2400 sacs de documents déchirés.
20:02 - 6 millions de citoyens de RDA sont encore fichés ici à la Stasi de Berlin-Est.
20:08 Dossiers compromettants qui dans moins de 3 semaines avec la réunification vont passer sous l'autorité de l'Allemagne fédérale.
20:14 - Nous avons fait une grève de la faim à Leipzig
20:19 pour qu'il y ait une loi spécifique pour ces dossiers
20:23 et que cela reste sur le territoire de l'ancienne RDA.
20:27 - Et fin 1991, en décembre, la loi a été votée.
20:34 Si bien qu'en janvier 1992, il y avait des files d'attente devant les portes
20:40 parce que pour la première fois, la loi permettait aux gens de demander à consulter leurs dossiers.
20:47 - Pour Rüdiger et ses compagnons de lutte, il est vital que les documents soient conservés pour être rendus accessibles à tous.
20:53 - Les slogans disaient "à chacun son dossier". Cela n'est pas possible.
20:58 Nous ne pouvons pas trouver tous les dossiers et encore moins les reconstituer.
21:02 - Les documents sont un objectif de la RDA.
21:08 - Les documents sont un objectif de la RDA.
21:11 Nous ne pouvons pas trouver tous les dossiers et encore moins les reconstituer.
21:16 - Après la révolution, après la réunification,
21:29 il était controversé de savoir s'il fallait même ouvrir les dossiers car on craignait de rouvrir des plaies,
21:35 qu'il y ait des querelles entre les gens et même des meurtres ou des assassinats.
21:41 - À la lecture de leurs dossiers, les victimes viennent rechercher ce que l'astasie a volé de leur vie.
21:46 Une lecture violente, douloureuse quand on découvre avoir été trahi par un proche,
21:50 un collègue de travail, un ami ou pire, un membre de sa propre famille.
21:55 Si les coupables se taisent, les dossiers, eux, parlent.
22:01 - J'ai découvert dans mon dossier que ma soeur m'avait espionné pendant 20 ans.
22:08 Mon mari a divulgué les détails de nos conversations les plus intimes de la stesse.
22:12 J'avais environ 15 000 feuilles devant moi, il y avait des plans de mon appartement.
22:16 Des années plus tard, j'ai découvert qu'il était un Roméo de la stesse.
22:19 J'étais amoureux d'elle. Cela m'a brisé le cœur.
22:22 Que ma soeur m'espionnait, cela m'a brisé le cœur.
22:33 J'ai fait partie du groupe des premiers, peut-être plusieurs dizaines de personnes,
22:38 qui ont pu consulter leur dossier. C'était donc au printemps 92.
22:42 Et là, j'avais environ 15 000 feuilles devant moi, pas seulement mon histoire individuelle,
22:49 mais aussi celle de mon groupe.
22:51 Dans les dossiers, il y a les plans de mon appartement, chaque pièce.
22:56 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
22:59 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:02 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:05 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:08 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:11 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:14 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:17 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:20 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:23 J'ai fini par me dire qu'il fallait bien que je me confronte à cela.
23:26 J'ai donc demandé mon dossier.
23:29 En 1999, je l'ai enfin reçu, mais je n'ai reçu que mon dossier de détention.
23:35 Voici le billet de train que j'avais à l'époque, le 16 juillet 1981,
23:40 mais il n'y avait pas de billet retour.
23:43 On a ici une signature, une copie originale de M. Erich Mielke.
23:51 Tout cela peut être retracé dans mon dossier de la Stasi.
23:55 Et puis plus tard, j'ai obtenu le dossier de la Stasi de mon frère.
24:02 J'ai simplement découvert que mon frère était un IM,
24:05 c'est-à-dire un collaborateur non officiel.
24:07 Il devait faire des rapports sur moi.
24:10 C'était vraiment une surprise.
24:20 Je ne m'y attendais pas.
24:22 L'ouverture des dossiers est un acte symbolique
24:29 qui donne aux citoyens la possibilité de décider eux-mêmes
24:32 ce qu'ils veulent savoir et ce qu'ils ne veulent pas savoir.
24:35 La vérité issue des dossiers est toujours meilleure que l'ignorance.
24:38 On peut composer avec la vérité, mais pas avec l'ignorance.
24:43 (Bruit de cloche)
24:46 Des histoires que l'on raconte, mais que l'on ne peut ni vérifier ni prouver.
24:56 Un héritage infernal, éparpillé en millions de confettis.
25:00 Nous sommes ici dans le sous-sol du bâtiment des archives.
25:07 Et c'est l'une des nombreuses caves où se trouvent les sacres
25:10 qui, pendant les années, ont fait partie des documents.
25:13 Les archivistes ont pris chaque sac en main
25:16 et ont d'abord regardé ce qu'il contenait.
25:19 Ensuite, ils ont dressé une liste.
25:22 Et dans la liste, ils ont aussi noté à quel point les papiers étaient déchirés.
25:26 Ont-ils été déchirés une ou deux fois ?
25:29 Ou sont-ils de très petits morceaux ?
25:32 S'ils ne sont déchirés qu'une ou deux fois, on peut les assembler à la main.
25:35 Seul le contenu de 500 sacs sur les 16 000 abandonnés par la stasie
25:39 a pu être traité manuellement au cours des 30 dernières années.
25:42 Près de 600 millions de fragments
25:44 attendent toujours de livrer leur lourd secret.
25:47 Le papier se détériore.
25:49 Le temps pourrait effacer à jamais ces confettis de mémoire.
25:52 Il est tout à fait clair que tout ne peut être assemblé manuellement.
25:57 Le degré de destruction est trop important à certains endroits,
26:00 ce qui rend la reconstitution impossible.
26:03 Cela prendrait quelques centaines d'années, c'est inacceptable.
26:08 Et cela va à l'encontre de la loi.
26:10 Cette loi stipule que l'Etat, c'est-à-dire l'autorité des archives,
26:13 est tenu de rendre ces documents utilisables
26:16 afin qu'ils puissent être consultés par les citoyens.
26:19 C'est pour cela qu'on a essayé ces dernières années
26:25 d'utiliser ce que l'on appelle l'e-puzzler,
26:28 c'est-à-dire des procédés électroniques de numérisation
26:32 et d'assemblage par le biais de logiciels.
26:36 En 2007, l'e-puzzler vient renforcer le travail manuel des Puzzle Women.
26:40 Unique au monde, le scanner suscite tous les espoirs.
26:44 La stasie a parfois pris plusieurs feuilles et les a déchirées ensemble.
26:50 Et les morceaux se ressemblaient tellement
26:52 que le scanner et le logiciel ne pouvaient déterminer
26:55 quelles pièces allaient ensemble.
26:57 Il fallait donc prendre ces morceaux,
27:03 les lisser et les placer sur le scanner.
27:06 La reconstitution virtuelle a fonctionné,
27:09 mais la préparation des morceaux était tout simplement trop laborieuse.
27:13 Du côté de l'État, on dit que le scanner n'est pas assez efficace,
27:19 qu'il coûte trop cher,
27:21 et que les dossiers qui sont reconstitués
27:23 ne sont pas si nouveaux ni importants que cela.
27:26 Le gouvernement fédéral considère le logiciel pilote comme un échec
27:31 et met fin au contrat en 2014.
27:34 Faute d'une technique numérique plus performante et de nouveaux financements,
27:38 le projet de reconstitution virtuelle est toujours en suspens.
27:42 Un arrêt brutal et traumatisant pour les victimes
27:45 qui voudraient tirer un trait sur l'histoire.
27:48 Comme des millions de citoyens de l'ex-RDA,
27:59 Thorsten Föster souhaite aujourd'hui savoir
28:01 s'il existe un dossier à son nom aux archives de l'Astasie.
28:04 L'Astasie était un sujet très important
28:10 pour la génération de mes parents et de mes aînés.
28:13 Quand tu découvres après des années
28:16 que ton oncle, ta tante, ton collègue de travail,
28:19 ton meilleur ami, ton espionné, ça peut te faire perdre pied.
28:27 J'ai donc fait ma demande le 15 mars.
28:30 Et on m'a dit que l'on reçoit une confirmation par courrier
28:33 dans les deux semaines,
28:35 qui indique que la demande a bien été enregistrée.
28:38 J'ai trouvé le délai étonnamment long.
28:45 Je pensais qu'en deux mois, j'obtiendrais mes documents.
28:49 Et lorsque l'homme m'a dit,
28:51 eh bien, six mois si vous avez de la chance,
28:54 mais en réalité, de un à deux ans,
28:57 j'ai pensé, mais comment est-ce possible ?
29:00 Si plus de 7 millions de personnes,
29:04 soit près de la moitié de la population d'Axerdea,
29:07 ont demandé l'accès aux archives,
29:09 seuls 2 millions ont pu consulter leur dossier.
29:12 Pire, après 30 ans d'existence,
29:14 l'office fédéral chargé des archives de l'Astasie est dissous.
29:17 Les milliers de sacs et dossiers rejoignent Berlin, la capitale.
29:22 L'Ouest reprend la main sur l'Est.
29:24 On craint une mise sous tutelle.
29:26 Il s'agit bien sûr d'une décision politique,
29:33 mais il s'agit plutôt d'argent, de ressources humaines.
29:36 Je ne pense pas qu'il s'agisse de vouloir garder ces documents secrets.
29:41 Ce qui est dommage, c'est que ça ne paraisse plus si important.
29:45 C'est un fonds d'archives qui a été sauvegardé
29:49 grâce à l'action révolutionnaire de la population de la RDA.
29:52 Et de ce fait, c'est aussi un symbole de la révolution.
29:57 Nous nous sommes battus pour cette agence.
30:02 Et elle a été supprimée d'un trait de plume.
30:05 C'était une grande blessure pour moi.
30:18 Il y a une histoire qui me donne encore la chair de poule aujourd'hui,
30:22 qui ne m'a pas seulement affectée, mais qui me hante aussi.
30:27 Une femme voulait faire une tentative d'évasion de la RDA.
30:35 Cette tentative a échoué parce qu'elle a été trahie.
30:41 Et son fils a été placé dans un foyer pour enfants pendant sa détention,
30:47 puis donné à l'adoption.
30:49 Et cette femme a enregistré des cassettes pour son enfant depuis la prison.
30:58 Et je devais écouter ces cassettes.
31:02 "Mon cher enfant, je t'aime, je veux que tu reviennes."
31:11 L'enfant n'a finalement jamais reçu ces cassettes.
31:17 Je trouvais cette histoire tellement effrayante,
31:21 perdre un enfant alors qu'il ne cherchait en fait que la liberté.
31:26 Et cette histoire, elles l'ont vécue.
31:42 Et c'est ce qui est décisif.
31:45 Assembler le papier, c'est facile.
31:47 Mais l'histoire, c'est comme un grand puzzle.
31:51 Et oui, on peut dire qu'elles sont des héroïnes.
31:55 Ces héroïnes, ces pionnières, sont aujourd'hui bien solitaires.
32:03 Le prix d'une difficile réconciliation entre les deux Allemagnes,
32:07 d'un passé qu'il faudrait nettoyer.
32:09 Les victimes de ce gigantesque espionnage collectif vieillissent, disparaissent.
32:15 Aujourd'hui, leurs enfants et petits-enfants réclament leur part de vérité.
32:19 Elles sommeillent encore dans ces confettis de mémoire,
32:22 qui un jour peut-être seront assemblées.
32:40 Je suis fière de mes anciens collègues, de leur engagement, de leur travail.
32:44 Car je pense que c'est une mission très importante pour la société.
32:48 C'est contagieux, c'est passionnant.
32:53 Et quand on éprouve ce sentiment de réussite, alors oui, on se remet à l'ouvrage.
32:57 J'aimerais bien retourner aux archives.
33:01 Mais je ne sais pas si on en aura l'autorisation.
33:08 Et voilà pour ce document signé Niagara Tonnelli,
33:11 qui a obtenu au FIGRA, Festival international du grand reportage d'actualité,
33:15 le prix coup de pouce en partenariat avec France 24.
33:19 C'est la fin de ce magazine, merci à vous de l'avoir suivi.
33:22 On se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro de Reporters sur France 24.
33:26 [Musique]
33:30 Sous-titrage Société Radio-Canada