Le 7 janvier 2015 les frères Kouachi attaquaient la rédaction de Charlie Hebdo. Neuf ans plus tard, le directeur de la publication de l'hebdomadaire, Riss, répond aux questions de Jean-Rémi Baudot.
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00:00 C'était il y a 9 ans, 7 janvier 2015, l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo.
00:05 Deux islamistes, les frères Kouachi, vont semer la terreur.
00:08 12 morts, 8 collaborateurs de Charlie Hebdo, un invité du journal, un agent d'entretien et deux policiers.
00:14 Bonjour Riss.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes directeur de la publication de Charlie Hebdo, vous étiez vous-même ce 7 janvier 2015 dans cette conférence de rédaction du magazine.
00:22 Vous avez été blessé à l'épaule à l'époque. Est-ce qu'en 9 ans, on guérit ?
00:28 Bah guérir, guérir de quoi ? Je ne sais pas. Non, je crois qu'on ne guérit pas vraiment.
00:34 J'avais tendance à penser il y a quelques années qu'avec le temps, les choses s'effaceraient un peu.
00:38 Et en fait non, ça reste toujours présent.
00:40 Je pense que c'est comme ça pour tous les gens qui sont victimes d'attentats terroristes et même de violences tout court.
00:46 Le temps ne fait pas forcément son oeuvre en tout cas ?
00:48 Pas complètement, non.
00:51 Aujourd'hui donc, 9 ans après, vous vivez toujours sous protection.
00:54 Oui, parce que la menace, elle existe toujours. Le terrorisme est toujours présent en France.
00:59 Le professeur Darras, Dominique Bernard, encore récemment, l'attentat de Birakem, encore aujourd'hui en France, on tue pour la religion.
01:05 Malheureusement, c'est un constat qu'on fait un peu comme tout le monde.
01:09 Mais c'est ce qu'on pouvait craindre dès 2015.
01:12 Nous, on n'a jamais été très optimiste.
01:14 On a toujours eu l'impression que ce qui s'était passé le 7 janvier inaugurait quelque chose de nouveau.
01:21 Ça fait sauter des digues.
01:24 Je crois qu'il y a des gens qui se sont retrouvés un peu désinhibés par l'attentat du 7 janvier,
01:29 qui se sont cru autorisés à commettre eux aussi des violences.
01:33 C'est presque devenu un attentat de référence pour certains.
01:36 On a d'ailleurs l'impression que ceux qui se réclament du djihadisme islamiste aujourd'hui restent vraiment obnubilés par Charlie Hebdo et ses caricatures.
01:43 Oui, parce que c'est un acte définitif, irréversible.
01:48 Et quoi que vous fassiez après, c'est des vengeances éternelles.
01:52 On est dans le domaine de Dieu et du spirituel.
01:55 Les choses sont éternelles pour eux.
01:57 Au moment de l'attentat de Charlie, la prise de conscience semblait grande.
02:00 En France, elle fut aussi internationale.
02:02 Neuf ans après, on débat de savoir par exemple si l'attaque du Hamas est terroriste.
02:06 Est-ce que cette lutte contre l'idéologie islamiste, est-ce qu'elle recule ?
02:10 Elle est toujours aussi difficile, je dirais.
02:14 Et c'est vrai qu'il ne faut pas céder de terrain devant des facilités comme ce que vous évoquez avec l'attaque d'octobre à Gaza.
02:24 En Israël.
02:28 Et donc, c'est vrai qu'il y a toujours cette tentation d'intégrer ça comme légitime,
02:34 parce que c'est plus facile de se dire que c'est légitime que de dire que ce n'est pas légitime,
02:39 parce que ça veut dire qu'il faut l'affronter.
02:40 Et l'affronter, c'est difficile.
02:42 C'est une épreuve, ça demande de la détermination, ça demande du temps.
02:47 Et c'est presque un peu par paresse aussi qu'on a tendance, que peut-être certains ont tendance à vouloir accepter ça en fait.
02:54 Vous notez une forme de complaisance en fait, plus que de...
02:57 Il y a de la complaisance, parce qu'on voit bien aussi que sur l'échiquier politique,
03:00 il y a des formations politiques qui traditionnellement sont fascinées par ce qu'on appelle la radicalité.
03:06 Et comme si la radicalité était un programme politique, ça ne veut rien dire la radicalité.
03:11 Donc il y a une espèce de fascination pour une violence de rupture,
03:16 qui rompt des équilibres politiques et qui, c'est ce qu'espèrent ceux qui pensent ça,
03:22 vont créer de nouvelles conditions politiques.
03:25 C'est un vieux truc qu'il y a à l'extrême gauche.
03:29 Et donc par calcul politique, de certaine manière, plus que par vraiment...
03:32 Il y a du calcul politique, puis je pense même culturellement,
03:35 il y a une fascination pour la violence politique,
03:37 parce qu'il y a peut-être l'espoir, enfin 20 à mon avis,
03:41 que ça va créer de nouvelles perspectives politiques.
03:46 - Vous pensez à la France insoumise en disant ça ?
03:48 - À ces formations politiques qui traditionnellement,
03:52 ne se sont jamais vraiment éloignées de la logique terroriste,
03:58 même d'extrême gauche des années 70.
04:00 - Le discours laïque, il est porté par la France, ou je dirais par une grande partie des Français.
04:05 Est-ce qu'il est encore audible aujourd'hui pour les jeunes générations ?
04:09 - Il est audible quand on prend le temps d'expliquer ce que c'est.
04:13 En fait, on s'aperçoit qu'il y a une méconnaissance chez ce qu'on appelle justement la jeune génération.
04:17 D'abord, une méconnaissance de l'histoire aussi, parce que ça vient de loin.
04:20 La législative en France, ce n'est pas quelque chose d'artificiel qui a été décidé il y a 15 jours.
04:23 On ne va pas refaire l'histoire des guerres de religion,
04:26 mais parfois on se dit que ce ne serait peut-être pas inutile de rappeler d'où ça vient.
04:30 Il y a une histoire propre à la France sur ces questions-là.
04:33 Mais ce qui est assez curieux, c'est que quand vous allez à l'étranger,
04:37 on nous dit souvent qu'à l'étranger, les gens ne comprennent pas la laïcité à la française, mais ce n'est pas vrai.
04:41 Vous rencontrez des Iraniens ou des Iraniennes, ils comprennent très bien ce que c'est que la laïcité
04:45 et la séparation de l'Église et de l'État et de la vie publique.
04:49 Il y a même, je pense, une demande de ça dans beaucoup de pays.
04:53 - Mais vous pensez, en disant ça, qu'il y a une forme de recul de la laïcité ?
04:57 - Recul, je ne sais pas, mais...
05:01 Il y a un manque de... Peut-être qu'il y a un manque de pédagogie.
05:05 - Parce que ce combat, il est porté notamment par les profs.
05:07 On voit que certains ont parfois peur, parce qu'il y a eu Pathy,
05:11 parce qu'il y a eu Dominique Bernard dont je parlais.
05:15 Est-ce que vous, au fond, vous comprenez cette peur ou vous dites "il faut quand même y aller" ?
05:19 Parce que c'est important pour notre société.
05:21 - C'est-à-dire que les profs, dans le cadre de l'école publique,
05:24 ne peuvent faire leur travail qu'en étant protégés par la laïcité.
05:28 Il ne faut pas qu'ils enseignent à tous les élèves de toute confession.
05:34 Donc la laïcité, c'est le cadre préliminaire à un enseignement transmis de manière correcte et apaisée.
05:41 Mais si déjà ils se mettent à douter, s'ils sont assaillis par des revendications communautaristes,
05:46 ils ne peuvent pas faire leur enseignement l'esprit tranquille.
05:49 Donc la laïcité, c'est un préalable indispensable à l'enseignement dans une école publique, dans une démocratie.
05:53 - Les membres de Charlie Hebdo qui vont notamment dans les écoles, dans les collèges et les lycées pour parler à la jeunesse,
05:59 une partie de la jeunesse qui parfois se laisse séduire par des discours radicaux,
06:03 des discours qui peuvent aller jusqu'à l'enfermement, jusqu'à l'intolérance, jusqu'à un discours totalitaire,
06:08 ça vous l'observez dans les débats ?
06:10 - Alors oui, il y a parfois des jeunes qui ont du mal à comprendre dans un premier temps,
06:16 qui sont dans une logique de rejet,
06:19 mais c'est un peu à l'image du comportement de ces jeunes dans l'affaire de Samuel Paty,
06:24 qui comprenaient, qui acceptaient l'idée que M. Paty n'aurait pas dû faire ça.
06:31 Donc il y a quand même une espèce d'adhésion de certains jeunes à cette idéologie,
06:39 mais ils ne s'en rendent même pas compte.
06:41 - Ce qui est peut-être encore pire.
06:43 - Oui, mais il y a un rôle aussi de pédagogie,
06:46 je dirais qu'à chaque génération, ils font reformer chaque génération.
06:49 Là on a une nouvelle génération qui arrive, et elles sont à mon avis dans une ignorance de beaucoup de choses.
06:56 - Mais ça veut dire que vous disiez tout à l'heure qu'en 2015 vous étiez déjà sur le fond pessimiste,
07:00 est-ce que vous avez l'impression que sur toutes ces questions-là, on a reculé aujourd'hui en France ?
07:05 - Je ne sais pas si on a reculé, je ne sais pas si on a stagné,
07:09 mais c'est vrai qu'on a parfois un peu, on pouvait avoir en 2015, après les événements,
07:14 avoir l'espoir un peu naïf que tout allait se résorber de lui-même.
07:19 Et en fait rien ne se résorbe par l'opération du Saint-Esprit, si je puis dire.
07:24 C'est vraiment l'action humaine, l'action politique, l'action militante,
07:27 qui fait que ces idées-là peuvent se maintenir.
07:30 Mais c'est vrai que si on ne fait rien, oui, des valeurs comme la laïcité vont se déliter,
07:35 parce qu'elles doivent être défendues tout le temps.
07:37 C'est quelque chose qui n'est jamais terminé, ça ne sera jamais terminé.
07:40 - Et vous n'avez pas l'impression qu'aujourd'hui les politiques au sens large
07:43 s'emparent suffisamment avec puissance de cette question contre la radicalisation, pour la laïcité ?
07:50 - Sur le plan politique c'est encore plus compliqué,
07:52 parce qu'on voit bien qu'il y a des enjeux électoralistes,
07:54 il y a aussi des enjeux idéologiques.
07:56 Certains se réclament de la laïcité, mais on voit bien que derrière la laïcité qu'il revendique,
08:00 il y a aussi des enjeux sur la question de l'immigration.
08:04 Donc c'est perverti aussi par des enjeux électoralistes.
08:07 - Un dernier Maurice, vous signez une exposition au mémorial de la Shoah,
08:10 une exposition sur le procès Papon, un procès que vous avez couvert en tant que journaliste en 1997.
08:15 Il résonne encore aujourd'hui, toutes ces problématiques de persécution des juifs,
08:18 en réalité ça résonne encore aujourd'hui ?
08:20 - Malheureusement oui.
08:22 On aimerait que ça appartienne à l'histoire,
08:24 et que ce soit définitivement rangé sur les rayons de l'histoire.
08:27 Et malheureusement on s'aperçoit qu'on l'a vu après les attaques d'octobre en Israël,
08:32 que l'antisémitisme est encore malheureusement extrêmement vigoureux.
08:37 - Reis, directeur de la publication de Charlie Hebdo, merci.
08:40 - Merci, merci beaucoup.