• il y a 10 mois
Niger : L’Ambassade de France ferme

Category

📺
TV
Transcription
00:00 On retrouve Louis-Magouar Kemahyou, spécialiste de l'Afrique, journaliste, président du club de l'information africaine.
00:06 Bonjour.
00:07 Ce départ des troupes françaises du Niger, c'est une page qui se tourne dans les relations entre Paris et Niamé.
00:13 Il n'y a plus de relation visiblement avec la Junte, mais y a-t-il encore des contacts avec le président démocratiquement élu nigérien Mohamed Bazoum, toujours séquestré ?
00:24 Il est difficile de le savoir parce que ce sont généralement des tractations de coulisses qui se font très loin des lumières, des projecteurs et surtout des caméras et des micros de médias.
00:35 Mais ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, les chefs d'État de la CDAO, la Communauté économique et de développement des États de l'Afrique de l'Ouest,
00:42 ainsi que les partenaires multilatéraux et bilatéraux, essaient d'obtenir cette libération à la fois du président Bazoum, mais également de sa femme et de son fils.
00:51 Selon les ONG internationales, plus de 4 millions de personnes ont actuellement besoin d'une assistance urgente au Niger. Quelle est la situation humanitaire dans le pays ?
01:00 Elle commence à être relativement normalisée parce que le principal port d'alimentation du Niger, c'était le Bénin.
01:10 Le Bénin avait fermé ses frontières, comme la plupart des pays voisins du Niger, en raison de la décision qu'avait adoptée la CDAO.
01:19 Cette frontière commence à être ouverte. Le Bénin, le président Benignois a demandé la réouverture de la frontière.
01:26 Je pense que les Nations unies également ont demandé que sur le plan humanitaire, des gestes soient faits.
01:32 La dernière réunion des chefs d'État de la CDAO allait également dans ce sens.
01:36 Et l'un des pays médiateurs, qu'est le Togo, fait partie également des partenaires qui permettent de mettre de l'huile dans les rouages
01:44 pour que les relations, au moins sur le plan humanitaire, que les lignes bougent en faveur des populations
01:52 et pour desserrer les taux de dépression qui ont été mis sur les autorités actuellement au pouvoir au Niger.
01:58 Mais justement, les sanctions de la CDAO, la Comité économique des États d'Afrique de l'Ouest, imposées après le coup d'État, ne devraient-elles pas être levées ?
02:04 Est-ce qu'elles sont efficaces ? Est-ce qu'elles sont utiles ?
02:07 Elles font beaucoup de mal à la population et à l'économie.
02:12 Elles sont sur le point d'être levées, mais elles ne le seront pas de façon unilatérale.
02:17 C'est vrai que dans un espace intégré comme celui de la CDAO, les pays dépendent entre eux,
02:23 sont très dépendants les uns des autres par rapport à leur santé économique.
02:27 Donc si un pays se porte mal, cela impacte la vie économique des autres pays.
02:32 Et ce n'est pas n'importe quel pays, c'est le Niger. La crise de la COVID est passée par là.
02:37 La guerre en Ukraine a amplifié la situation de crise.
02:40 Et puis de façon plus générale, les pays sont aujourd'hui dans une situation de croissance qui n'est pas toujours très favorable.
02:47 Et donc, plus ils sont malades, plus ils sont limités par les sanctions, moins l'ensemble des pays se portent bien.
02:53 Donc je pense qu'on ira inéluctablement vers la levée des sanctions.
02:57 Mais il y a des conditions qui ont été posées et elles ont été rappelées aux dirigeants militaires du Niger.
03:02 Il s'agit notamment de la libération du président Basoum ainsi que de sa femme.
03:07 L'ordre constitutionnel fera partie des conditions à respecter pour qu'une levée soit envisagée de façon plus amplifiée.
03:16 Et Louis Magloire, qu'en est-il de la lutte contre le djihadisme au Niger ?
03:20 Aujourd'hui, avec le départ des soldats français, qui était inéluctable,
03:27 parce que de toute façon, les soldats qui doivent assurer la sécurité du Niger,
03:32 des populations, des biens et des personnes, ce sont d'abord les soldats nigériens.
03:36 Aujourd'hui, il y a une rupture de la relation diplomatique et de la coopération militaire avec la France.
03:42 Cela dit, il y a cette alliance des États du Sahel qui a été constituée.
03:46 Il y a de nouveaux partenaires qui entrent en ligne de compte, qui feront que probablement,
03:50 il y aura un autre angle qui sera donné à la lutte contre le terrorisme.
03:54 Les premières victoires ne seront pas visibles de sitôt, mais je crois qu'à terme,
03:59 avec les différentes coopérations qui ont été nouées, nouvellement ou anciennement,
04:04 les militaires ont l'expérience. Cela fait une dizaine d'années qu'ils se battent contre le terrorisme.
04:09 Ils finiront bien par trouver les voies et moyens, soit de réduire, soit d'éradiquer la menace terroriste.
04:14 Et ce sont les Russes qui ont pris le relais ?
04:17 Pas que les Russes, les Américains ne sont jamais partis.
04:20 Ils ont installé de nombreux appareils pour à la fois surveiller le Sahel et accompagner les militaires sur place.
04:29 Ils accompagnaient notamment la force française, qu'ils appuyaient sur le plan logistique.
04:34 Les Allemands sont revenus. Il y a d'autres partenaires, la Turquie, voire d'autres,
04:39 qui probablement s'associeront aux efforts des pays des États du Sahel, l'Alliance des États du Sahel,
04:45 afin de permettre à ces pays de sortir de cette menace terroriste qui s'est implantée depuis une dizaine d'années aujourd'hui.
04:54 Et comment est-ce perçu par les Nigériens ?
04:57 Pour le moment, ce sont les premières victimes, les Nigériens.
05:00 C'est-à-dire que pour eux, le jeu d'alliance n'a pas de grande importance, tant que cela ne change pas leur quotidien.
05:06 Et pour eux, aujourd'hui, que ce soit avec les Français, avec les Russes ou avec n'importe quel autre partenaire,
05:12 l'idée c'est de retourner à une vie normale, d'arriver à vivre sans la peur du terrorisme
05:18 ou sans les séquelles du terrorisme qui font qu'aujourd'hui le développement du pays est hypothéqué,
05:24 la vie sociale est hypothéquée et ces populations n'ont rien demandé.
05:28 Tout ce qu'elles demandent, c'est d'arriver à vivre normalement, à profiter des richesses de leur pays
05:33 et de pouvoir se déplacer aussi librement qu'elles le peuvent sur leur territoire et autour.
05:39 Le Mali, le Burkina Faso, la Guinée-Conakry ont connu une série de putsch militaires.
05:44 Est-ce que la France, d'après vous, ne doit pas changer radicalement sa politique africaine ?
05:48 Je pense qu'elle doit la changer, qu'elle aurait dû la changer depuis longtemps.
05:52 Et très honnêtement, je crois que le président Macron a énormément fait bouger les lignes,
05:57 que ce soit sur la question du franc CFA, que ce soit sur la question de la restitution des biens
06:03 qui étaient dans les musées français et sur lesquels depuis plus d'une soixantaine d'années,
06:10 on n'arrivait pas à obtenir de résultats. De vrais résultats ont été obtenus.
06:14 Cependant, il y a également une très grande illisibilité de cette politique
06:18 qui s'est traduite notamment par des escalades verbales entre l'ancienne ministre Florence Parly
06:25 ou encore Jean-Yves Le Drian, pour ne pas citer également aujourd'hui d'autres dirigeants
06:30 qui ont eu des attitudes, le président Macron lui-même, quand il était à Ouagadougou
06:34 pour son discours de politique africaine, politique française en direction de l'Afrique.
06:39 Il y a eu beaucoup de ratés, il y a eu des moments où on avait l'impression que le partenaire français
06:44 se comportait comme un terrain conquis. Et donc, cela est venu un peu jeter un flou,
06:49 jeter une illisibilité sur le discours et les attitudes.
06:53 Mais je pense qu'aujourd'hui, le moment est venu peut-être de digérer le fait
06:58 que la relation n'est plus à son plus haut niveau et de faire comme avec le Rwanda,
07:03 c'est-à-dire observer une période pendant laquelle on essaiera de comprendre ce qui n'a pas marché
07:07 et puis de trouver des solutions pour que ça reparte, exactement à l'instar de ce qui a été fait
07:11 avec le Rwanda après le génocide des Tutsis de 1994.
07:17 Aujourd'hui, on est 30 ans après et la situation n'est plus exactement la même.
07:21 La normalisation a commencé avec le président Sarkozy,
07:24 elle a été parachevée avec le président Macron à travers la normalisation que l'on a vue
07:29 et la proposition de la secrétaire générale de la francophonie,
07:34 qui est l'ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda.
07:37 Donc, je pense que ce sont des moments qui sont liés à la hauteur d'esprit des hommes d'État,
07:43 au caractère des personnes et que, comme on le dit, les pays ne meurent pas,
07:48 ce sont les personnes qui passent et par moments, quand elles passent,
07:51 les attitudes changent et on peut passer de tout à rien, voire vice-versa.
07:56 Rapidement, l'historien Achille Bembé parle quand même d'une défaite morale et intellectuelle infligée à la France.
08:02 Comment renouer un partenariat équilibré ?
08:05 Il faudrait aujourd'hui partir d'abord de l'idée que les pays africains ont certes été,
08:11 pour certains, des colonies françaises, mais qu'aujourd'hui, on doit être dans un rapport d'égal à égal
08:16 et que l'exploitation, notamment sur le plan économique, ne doit pas être bénéfique uniquement pour l'une des parties.
08:22 Et ici, beaucoup d'Africains ont considéré que, non seulement sur la question du français,
08:26 sur la question des bases militaires et même sur d'autres sujets, c'était gagnant-perdant.
08:31 Donc, aujourd'hui, il faudrait qu'on soit déjà dans cette relation gagnant-gagnant
08:34 et qu'ensuite, le fait que l'Afrique s'ouvre à d'autres partenaires ne soit pas considéré comme une gifle pour la France.
08:41 C'est une marche normale de l'histoire.
08:44 La France, elle-même, a de nombreux partenaires et que ces partenaires africains agissent d'eux-mêmes
08:49 n'est ni une défiance, ni un refus du passé.
08:52 C'est simplement la marche de l'histoire.
08:54 L'Afrique est devenue aujourd'hui un carrefour diplomatique où se croise tout le monde.
08:58 Et si la France peut rester partenaire et amplifier ce mouvement, je pense que tout le monde y gagnera.
09:04 Merci beaucoup, Louis Magloire Kemayu, d'avoir été avec nous sur France 24.
09:07 Merci pour votre décryptage.
09:08 Merci.

Recommandations