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00:00 Le problème dans le cinéma français d'une certaine époque,
00:02 c'est que non seulement ils filmaient les jeunes femmes,
00:05 et d'ailleurs les jeunes hommes sûrement, mais ils couchaient avec aussi.
00:10 À 14 ans, Judith Godrej commence à se faire connaître en tant qu'actrice par le grand public.
00:15 À cette époque, le cinéma français adore raconter des histoires de jeunes adolescentes avec des hommes plus âgés.
00:21 Elle-même, à 16 ans, aura une relation avec un réalisateur de 41 ans.
00:26 Sa série, Icon of French Cinema, raconte l'histoire d'une Judith Godrej,
00:31 tous les autres noms sont modifiés, aujourd'hui à 51 ans,
00:35 mais aussi parfois à 14 ans, où ce qu'elle n'a vécu n'était peut-être pas si normal.
00:40 L'époque presque validait ça.
00:54 L'art était un passe-droit, même quand on me pose des questions sur mes parents.
00:59 Honnêtement, je crois que cette génération-là avait un rapport à la paternité, à la maternité,
01:08 le côté post-68, et puis il se trouve que j'ai une fille et qu'elle a eu 15 ans.
01:13 Tout d'un coup, j'ai eu une sorte de choc et je me suis dit...
01:16 Je sais pas, c'était presque physique.
01:18 Je me suis dit, mais c'est ça, une fille de 15 ans, c'est ça, le corps d'une fille de 15 ans.
01:25 Le besoin de la protéger, le besoin viscéral de la protéger,
01:29 m'a renvoyée à une partie de moi-même et à mon enfance,
01:33 et tout à coup, j'ai pris conscience de ce que j'avais vécu.
01:37 T'as 16 ans, il en a 35.
01:39 Oui, mais c'est une spécialité française, comme le skingo.
01:41 Non.
01:43 C'est illégal.
01:44 Quand la personne âgée se présente comme un protecteur,
01:48 ce qui est très souvent le cas, et utilise dans le fond cette emprise qu'il a sur vous,
01:53 qui part d'un besoin que vous avez vous, jeune personne, de vous sentir protégée,
01:58 et utilise ça pour profiter de vous.
02:02 On a tous, adultes, il se trouve que j'en suis une,
02:05 à un moment donné eu un rapport avec une personne plus jeune
02:08 où on sentait bien qu'on avait, qu'il y a une possibilité de manipulation, d'emprise,
02:14 et que dans le fond, la limite ne peut être fixée que par nous,
02:17 nous autres adultes.
02:20 C'est pas à la jeune personne de savoir, il faut qu'elle sache qu'elle a le droit de dire non.
02:25 Maintenant, c'est super dur.
02:27 J'ai presque peur de désavouer la petite fille que j'étais,
02:30 ou la jeune fille que j'étais, qui même si elle était sous influence,
02:34 et à 14 ans n'était pas encadrée,
02:37 ou n'avait pas les moyens de savoir ce qu'elle était en train de vivre,
02:40 ou de comprendre ce qu'elle était en train de vivre,
02:42 si d'une certaine manière je dénonce
02:47 les hommes ou l'homme avec qui j'étais quand j'avais 14 ans,
02:50 est-ce qu'il n'y a pas une part de moi-même que j'attaque ?
02:52 Moi, j'ai cet espèce de truc de ne pas vouloir faire de mal, en fait.
02:57 De culpabilité même à l'idée d'oser dire des choses qui pourraient avoir des conséquences.
03:03 Une culpabilité féminine,
03:05 des fois je me demande si c'est parce qu'on est amené à être mère,
03:07 ou conditionné pour être mère.
03:09 Même Weinstein, je me souviens que quand j'ai parlé de lui,
03:12 quand j'ai raconté ce qui m'était arrivé,
03:15 pourtant je n'ai aucune amitié pour lui,
03:19 mais il y avait ce truc de dire "mais qu'est-ce que je vais faire à cet homme ?"
03:23 Ça ne te dérange pas de montrer ta peau comme ça ?
03:27 À 14 ans, évoluant dans le cinéma français des années 90, 2000,
03:34 dans mon esprit, moi en tant que jeune actrice,
03:36 ce que je voulais c'est que le metteur en scène soit content,
03:38 c'était que les adultes me valident.
03:41 Il n'y avait aucun adulte autour de moi,
03:44 pas plus un assistant,
03:46 je ne sais pas, une script,
03:49 que la maquilleuse qui soit venue me dire
03:52 "tu sais, est-ce que tu es sûre que tu as envie de refaire une 40e prise de cette scène
03:57 où tu es torse nu et où cet adulte de 45 ans est en train de te rouler des pelles ?"
04:04 Ça ne me venait même pas à l'esprit que j'aurais pu dire non.
04:07 J'étais une jeune fille au milieu d'adultes
04:10 en train de tourner une scène d'amour avec un adulte.
04:13 Je reproduis cette scène dans ma série
04:15 avec une jeune actrice, Alma Sturff, qui me joue enfant.
04:18 Je me retrouvais à filmer une scène que j'ai vécue moi en tant qu'actrice à 15 ans
04:24 avec une jeune fille qui avait quelqu'un à qui elle pouvait dire
04:27 "je ne veux pas que Loïc Corbery, qui joue le metteur en scène,
04:30 s'approche à plus de ça de moi."
04:32 Être réalisateur, on a un sentiment de toute puissance
04:35 parce qu'on vous donne les moyens de faire ce que vous voulez
04:37 même si c'est difficile et tout.
04:39 Et j'ai dû réinventer le plan,
04:42 trouver des solutions pour m'adapter à elle
04:45 plutôt qu'elle se soumettre à moi.
04:47 Je dois dire que rien que pour ça, je suis contente d'avoir réalisé cette série.
04:51 C'est difficile de trouver en soi,
04:55 de se sentir légitime de raconter nos histoires.
04:58 Cette série, je ne l'ai pas écrite pour l'utiliser
05:02 comme une sorte de pamphlet anti-quelqu'un ou pour dénoncer.
05:08 L'art, maintenant, il me sert à moi.
05:10 Je n'en suis plus les géries,
05:11 je n'en suis plus la jeune fille filmée sous tous les angles.
05:15 Je suis malgré tout très fière
05:20 et d'une certaine façon soulagée d'avoir raconté mon histoire
05:24 à travers cette série et mon enfance.
05:26 Parce que s'il y a bien quelques-unes pour qui je l'ai écrite,
05:31 c'est les jeunes filles d'aujourd'hui.
05:33 Ça me donne même les larmes aux yeux quand quelqu'un me dit
05:36 « tu as eu raison » ou « bravo ».
05:38 Il y a un espèce de truc de solidarité féminine,
05:40 ça paraît peut-être cucul de dire ça,
05:42 mais qui est super important pour moi.

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