Taxe sur les plateformes d'écoute de musique en ligne : "Un coup dur porté au secteur", dénonce le DG France de Spotify

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Antoine Monin, DG de Spotify France, le 14 décembre 2023 sur franceinfo.

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00:00 le directeur général de Spotify en France et au Benelux. Bonjour Antoine Monin.
00:03 Bonjour.
00:03 Un coup de théâtre hier soir, on l'a pensé enterré, la taxe sur la musique en ligne
00:08 verra bien le jour l'an prochain, c'est ce qu'a annoncé le gouvernement.
00:11 Vous y étiez opposé, vous étiez plutôt confiant ces derniers temps et vous avez été pris par surprise.
00:16 Absolument, oui. La France se réveille en Startup Nation et se réveille aujourd'hui en Tax Up Nation.
00:22 L'adoption de cette taxe est vraiment un coup dur porté au secteur de la musique,
00:26 à l'innovation et aux plateformes indépendantes européennes comme Spotify ou Deezer.
00:30 Et c'est par ailleurs une monumentale erreur stratégique à notre goût qui va à l'encontre des enjeux de souveraineté
00:36 économique, culturelle et technologique européenne.
00:38 Mais comment vous l'avez appris ? Vous aviez des contacts pourtant avec le ministère de la Culture.
00:42 On a travaillé depuis des mois avec le ministère de la Culture, avec le ministère des Finances
00:46 pour obtenir un accord suite à l'appel du président de la République.
00:50 On avait obtenu cet accord de branche mais il semble que le gouvernement ait cédé à la pression
00:56 du lobby du spectacle vivant et de certains parlementaires.
00:59 C'est ça qui explique selon vous le revirement ?
01:01 Absolument. Aujourd'hui le gouvernement indirectement fait le jeu des GAFA
01:05 puisqu'il va affaiblir des plateformes comme Deezer et Spotify.
01:08 Alors ça il faut nous expliquer parce qu'on n'a pas encore eu idée des montants ni des modalités
01:12 mais pendant les discussions l'idée c'était de taxer non seulement les plateformes payantes
01:16 comme Spotify, Deezer, Apple Music que les diffuseurs gratuits
01:20 c'est-à-dire YouTube, Google ou Meta, Facebook.
01:23 Oui mais Deezer et Spotify c'est des sociétés européennes et indépendantes.
01:26 Nous on ne fait que de la musique et on est les leaders sur notre marché.
01:30 Nos concurrents, les YouTube, les Apple et notamment les Amazon
01:33 ils ont tout à fait les moyens d'absorber cette taxe.
01:35 Vous n'avez pas les moyens ?
01:36 On n'est pas encore rentable, ni Deezer ni Spotify et nous on n'a pas d'argent magique.
01:41 Je crois que vous aviez fait des bénéfices au troisième trimestre.
01:43 Spotify a fait des bénéfices pour la première fois au dernier trimestre
01:48 mais pour l'instant nous sommes dans un équilibre financier fragile.
01:51 Nous n'avons pas d'argent magique, pour nous un euro est un euro.
01:54 Nous versons 70% de nos revenus aux ayants droit de la musique.
01:57 Vous ajoutez à ça une TVA à 20%, une taxe sur les services numériques à 3%,
02:02 une taxe sur les services vidéo à 5% et maintenant une taxe streaming à 1,75%.
02:06 Comment voulez-vous que nous puissions opérer sur un marché comme la France ?
02:09 Comment voulez-vous que les dirigeants de Spotify voient aujourd'hui comment opère le marché français
02:14 et disent "est-ce que j'investis en France ou est-ce que j'investis au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Suède ?"
02:18 Un 75% ça représente sur un forfait d'entrée 17 centimes par mois,
02:22 c'est impossible à absorber pour vous ?
02:24 Ce n'est pas seulement 17 centimes parce qu'encore une fois nous on reverse 70% de ce qu'on gagne aux ayants droit de la musique.
02:31 Donc il va falloir qu'on répercute ça sur les 30% qui nous restent.
02:34 Donc c'est plutôt une augmentation aux alentours de 10% qu'il va falloir faire
02:37 ou alors moins rémunérer les artistes.
02:39 Donc si c'est ça in fine que le gouvernement veut obtenir,
02:42 c'est une moindre rémunération des artistes français,
02:45 honnêtement Spotify aura, si la taxe reste sur la France, aura les moyens d'absorber cette taxe.
02:50 Mais Spotify désinvestira la France, investira sur d'autres marchés.
02:54 La France est un marché qui n'encourage pas l'innovation et l'investissement.
02:57 Cette taxe, vous comptez la répercuter ? Vous envisagez de la répercuter ou pas ?
03:01 Pour l'instant on n'a pas encore pris de décision sur la façon dont on va répercuter cette taxe et pouvoir l'absorber.
03:06 Je suis beaucoup plus inquiet honnêtement pour Deezer,
03:08 dont l'essentiel de l'activité repose sur la France et qui n'a vraiment pas les moyens financiers d'absorber cette taxe.
03:13 Pour Spotify on se réserve encore les suites à donner à cette décision,
03:17 mais ce qui est sûr, encore une fois je vous le dis,
03:19 c'est qu'aujourd'hui les dirigeants de Spotify vont regarder l'ensemble des marchés qui opèrent dans le monde.
03:23 La France n'est pas un pays qui est moteur pour l'innovation et l'investissement,
03:27 donc ils choisiront, et c'est logique, d'investir sur des marchés qui sont d'ailleurs
03:31 plus en avance que la France sur le streaming et avec des marchés de la musique en forte croissance.
03:36 Le marché de la musique en France ralentit, il est en retard sur le Royaume-Uni et l'Allemagne par exemple,
03:42 et avec cette décision, la France vient d'acter que la France ne rattrapera pas son retard.
03:46 - Antoine Bonheur, on vous sent en colère et en même temps on se dit que 17 centimes pour un abonné,
03:51 ça ne change pas forcément grand chose. Ça peut avoir un impact sur le nombre d'abonnements ?
03:55 - Non, non, 17 centimes, pardon, mais le sénateur Bargeton ne sait pas compter,
03:58 le gouvernement n'a toujours pas compris qu'on a reversé 70% de nos revenus aux ayants droit.
04:03 Donc il va falloir que sur les 30% qui restent, on récupère ces 175%.
04:07 Il faut juste faire un tout petit peu de calcul et de mathématiques,
04:09 et c'est plutôt 10% d'augmentation des abonnements qu'il faudra faire.
04:14 - Cette colère, elle va se traduire comment ? Vous allez contester cette décision ?
04:17 En ce moment, quand il y a des taxes, parfois il y a des contestations en justice.
04:21 - Encore une fois, on se réserve les suites à donner à cette décision,
04:24 mais ce qui est sûr, c'est que Spotify investira moins en France que dans d'autres pays européens ou mondiaux.
04:29 Ce que vous aviez, vous, proposé, c'est une contribution volontaire,
04:34 qui était soumise en quelque sorte, non pas à votre bon vouloir, mais enfin c'est vous qui décidiez un petit peu.
04:38 Ça n'est plus du tout sur la table, évidemment.
04:41 - Évidemment, le gouvernement vient de l'enterrer, et c'est des mois de travail.
04:44 Mais c'est aussi parce que cette taxe, elle est inéquitable parce qu'elle porte uniquement sur le streaming.
04:48 Elle ne porte pas sur les ventes physiques, qui reprennent, tu vois, les ventes de CD, les ventes de vinyles,
04:52 qui reprennent de la vigueur. Elle ne porte pas sur les radios musicales.
04:55 On fait souvent la comparaison avec l'audiovisuel et le CNC, mais comment est financé le CNC ?
04:59 - Le Centre National du Cinéma, oui.
05:00 - Est-ce qu'il faut quand même dire à nos auditeurs que cette taxe, elle est destinée à financer le Centre National de la Musique, donc la création ?
05:06 - Oui, mais enfin, excusez-moi, DJ Snake, qui vient de vendre 100 000 billets en quelques minutes,
05:11 il n'a pas attendu le CNM pour avoir du succès en France et à l'étranger, et pour vendre des billets.
05:14 Donc aujourd'hui, la musique en France se porte très bien, le secteur musical se porte très bien,
05:19 et je pense que d'empiler les taxes, les subventions, les aides et les établissements publics,
05:23 ça n'est pas vraiment une politique d'avenir.
05:25 - Mais vous contestez donc le principe de cette taxe, mais pas forcément sa destination ?
05:29 - Non, je pense que financer le CNM, ça s'entend, ça fait sens,
05:32 mais encore une fois, si on veut faire l'analogie avec le CNC et l'audiovisuel,
05:35 c'est l'ensemble de la filière qui doit contribuer, pas uniquement le streaming.
05:39 Donc ça veut dire que les ventes physiques, les ventes de vinyles, les ventes de CD,
05:42 ça veut dire que les radios musicales, l'ensemble de la filière doit contribuer.
05:45 D'ailleurs, la proposition d'accord que nous avions obtenue et que nous proposions au gouvernement,
05:50 elle mettait autour de la table les producteurs, les organismes de gestion collective comme l'ASSASEM et les plateformes.
05:54 Donc c'était un vrai accord de filière, ce que demandait le Président de la République.
05:58 Aujourd'hui, le gouvernement et les parlementaires ont choisi une voie inéquitable, injuste et dangereuse.
06:03 - Vous n'allez pas passer un coup de fil à la ministre de la Culture ?
06:06 - Non, franchement, je pense que les choses sont faites maintenant,
06:08 donc on se réserve les suites qu'on donnera à cette mesure,
06:12 mais c'est sûr que la France ne sera plus une priorité pour Spotify.

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