Christiane Taubira répond aux question de Gérome Guitteau, et revient sur son passé des années 70 - 80 pour le comparer à la situation actuelle.
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00:00:00 Bonjour Madame la Ministre. Vous accueillez avec plaisir dans nos locaux. Ce qui nous intéresse dans cette époque d'évolution institutionnelle, de lutte pour l'autonomie, c'est un peu de revenir sur le passé.
00:00:19 Vous avez été avant le Premier ministre une activiste indépendantiste dans les années 70 en Guyane. Et ce qui nous intéresse, c'est ce bruyement des années 70, bruyant d'idées, d'actions.
00:00:30 Et on compte plus d'une dizaine de groupes indépendantistes, révolutionnaires, etc. Qu'est-ce que c'est que cette action Guyane aujourd'hui pour qu'on ait moins d'activités, de réflexions, d'idées ?
00:00:41 C'est vrai que ça c'est d'abord pour moi une souffrance personnelle. C'est un manque collectif. Et ça se traduit, je crois, par une très grande confusion dans les idées, dans les propos qui sont tenus, qui circulent dans l'espace public.
00:00:56 Donc une difficulté à saisir la réalité du Guyanaise à partir de repères historiques, à partir d'une compréhension, d'une lecture des engagements politiques passés, de leur sens, de leur enracinement aussi.
00:01:13 Et moi je pense qu'il faut qu'on y revienne parce que simplement je vois bien, maintenant que je suis plus souvent en Guyane, je vois bien que la demande est là, que la qualité de réflexion aussi est là, que le désir d'échanger, de penser ensemble, de se projeter, tout cela est là, mais nous vivons un peu séparément chacun.
00:01:34 Très concrètement, vous dans les années 70, comment vous vous rencontriez entre tous ces groupes, toutes ces personnes, tous ces militants ? Est-ce qu'il y avait un lieu ? Est-ce qu'il y avait des endroits ?
00:01:44 Alors les années 70 sont effectivement, comme vous le disiez, les années de la prise de conscience et du positionnement indépendantiste. C'est-à-dire que depuis la fin des années 50, c'est-à-dire, notez bien, la Guyane est département officiellement depuis 1946.
00:01:59 Depuis 1956-58, il y a des contestations lorsque le président Charles de Gaulle vient en Guyane. Il y a des contestations, il y a des revendications.
00:02:09 Et lui-même s'exprime sur la place des palmiers entre 58 et 62, parce que je crois qu'il vient deux fois, il s'exprime lui-même en disant que votre pays, avec ses conditions particulières, devrait pouvoir effectivement avoir un statut.
00:02:22 Donc lui-même, il ne peut pas fuir le sujet, il ne peut pas fuir la question et la question est vraiment dans l'air. Donc il y a une contestation, moins de dix ans après la départementalisation,
00:02:32 une contestation qui émane tout simplement du constat que le système de départementalisation ne répond pas aux problèmes de la Guyane, aux réalités de la Guyane, aux nécessités de la Guyane.
00:02:43 Donc cette revendication, elle est un peu informe au début, mais elle se précise au cours du temps. On pourrait presque dire selon le rythme des promotions d'élite.
00:02:57 C'est-à-dire que les étudiantes et les étudiants qui partent à Paris, qui entrent dans le bouillonnement de la grande capitale française, qui est quand même une capitale mondiale,
00:03:05 où toutes les luttes se croisent sous télescope. Moi j'ai vécu ça dans les années 70. Toutes les luttes, toutes les causes du monde se retrouvent à Paris,
00:03:16 reviennent avec des idées de plus en plus précises et des revendications de plus en plus claires. Donc après le statut spécial qui est un peu informe, va arriver la revendication d'autonomie de gestion.
00:03:28 - Avec M. Héder, il y en a 72. - Alors l'autonomie de gestion, ça va être plutôt les gens comme M. Passion, Mme Peset, M. Léonceau, etc.
00:03:38 Avant ça, M. Henriot, ces personnes-là. Avant ça, il y a effectivement M. Héder plutôt dans la mouvance statut spécial. Il était le suppléant de Justin Cataillé.
00:03:50 C'est vraiment ce courant-là. Et après l'autonomie de gestion, la prochaine élite qui va revenir d'études, de rencontres multinationales,
00:04:05 cette élite suivante va être d'un positionnement plus clair, plus déterminé. C'est la revendication indépendantiste qui commence au tout début des années 70.
00:04:15 En 1974, il y a la création du MAUGI, le Mouvement du Année de la Décolonisation. Il y a les arrestations de militants du MAUGI, de militants du FNLG.
00:04:25 - Alors les attentats entre guillemets de la cathédrale Saint-Sauveur notamment. C'était cette procédure ?
00:04:31 - Alors l'époque, c'était plutôt... En 1974, il ne semble que ce qu'il y a eu, c'était l'histoire d'un fusil rouillé.
00:04:35 C'était soi-disant un complot de Noël, que les indépendantistes avaient soi-disant prévu d'enlever les enfants de fonctionnaires, et puis sans doute de leur faire plein de misère.
00:04:48 C'était ça, soi-disant. Et puis, moi je me souviens que le présentier qui avait suivi, lui, c'était qu'en fait, ils avaient juste trouvé la seule clé à sa conduction,
00:04:57 c'était un fusil de collection sentimentale que l'un des militants, pour le nommer Michel Capel, Chaka Karibou, tenait de son père.
00:05:09 Voilà, que c'était la seule clé du dossier. Mais c'est le PNWAM, y compris en France. Donc moi, je suis étudiante à Paris.
00:05:15 Je me souviens du collectif d'avocats qui spontanément s'est constitué, dont Maître Leclerc, un des grands noms du barreau de Paris,
00:05:22 pour défendre les militants de l'UNF qui ont été embarqués dans un avion, expédiés en prison de la santé, sans que personne ne sache.
00:05:31 Alors, à l'époque, c'était légal. C'était pas démocratique, mais c'était légal. Il y avait les procédures d'exception, la Cour de Sûreté de l'État,
00:05:38 que François Mitterrand va supprimer en 1981. Mais voilà, c'était légal de procéder comme ça, garde à jus illimité, on n'appelle pas d'avocat,
00:05:46 on prévient pas la famille, on embarque les gens dans un avion, on les envoie en prison à 10 000 km, on n'a pas de pièces dans le dossier,
00:05:53 mais ça fait rien, etc. C'était quand même ça. Et donc moi, je suis solidaire à Paris, avec d'autres étudiantes et étudiants du PNW,
00:06:01 bien entendu, c'était l'UEG, nous étions membres de l'Union des étudiants du PNW. Et puis, quand je vais rentrer après mes études,
00:06:08 je vais adhérer au MAUGUI, au Mouvement du Hannes de décolonisation. – Ah, vous étiez membre du MAUGUI ? – Absolument.
00:06:15 – D'accord. – Alors, c'est une adhésion, c'est un mouvement politique qui n'est pas reconnu par la préfecture, etc.
00:06:23 Donc voilà, quand on adhère, ça veut dire qu'on dit "moi, je partage l'idée, je viens militer, je participe aux activités de l'organisation".
00:06:30 C'est ça que ça veut dire, adhérer. C'est pas aller prendre un butin, ce que le préfet a tamponné.
00:06:35 – Mais ce qui est étonnant, c'est quand on voit le futur qui va attendre les membres du MAUGUI, ils sont vraiment très disparates.
00:06:41 Vous allez avoir un parcours politique, tandis qu'on a d'autres personnes, comme M. Ouakabou, etc., qui vont rester.
00:06:49 M. Lafontaine, Raymond, j'oublie son nom d'un coup, c'est dommage. – Ah, oui, d'accord, Raymond Charlotte.
00:06:58 – Oui, Raymond Charlotte va rester, etc. – Et M. Elix Badd. Mais tout ça, Raymond Charlotte n'était pas au MAUGUI.
00:07:05 Il avait son parti qui s'appelait le FNLG, le Front National de Libération de la Guyard.
00:07:11 Et il y avait M. Badd, il avait un autre parti. Alors on parle souvent des coups de cul.
00:07:18 – C'est possible. – Et vous rencontrez comment tous ces gens-là, c'était, vous...
00:07:23 parce que quand même il y a une vraie effervescence. Et moi ce qui m'intéresse, c'est comment vous vous rencontrez.
00:07:28 Parce que nous, au MAUGUI, on est chacun de notre côté, comme vous dites, et on ne se rencontre pas, finalement.
00:07:32 – Oui, mais alors, ceci étant, ces organisations, qui étaient des organisations de masse, nous, par exemple, au MAUGUI,
00:07:39 nous avions choisi le mot d'ordre de l'indépendance, mais le mot d'ordre de l'indépendance avec l'éducation populaire.
00:07:44 Donc nous avions de nombreuses activités en direction de ce qu'on appelait dans le vocabulaire courant, les masses.
00:07:50 Les masses populaires, c'est-à-dire que nous avions d'abord des revues, beaucoup de supports écrits,
00:07:55 des bandes dessinées, des textes essentiels, des magazines mensuels, des... bon, toutes sortes de supports.
00:08:04 Nous faisions du théâtre de rue, nous faisions des cours de soutien.
00:08:07 Donc nous étions dans une démarche de soutien populaire.
00:08:11 Et puis il y avait d'autres qui étaient sur une démarche beaucoup plus, je veux dire, revendicative, disco-politique, etc.
00:08:19 Mais tout ça, ça s'additionnait. Et les relations étaient... elles étaient bonnes, elles étaient houleuses,
00:08:26 elles étaient... voilà, comme en politique, quand on croit un idéal, on a toujours de la ferveur, on a de la passion,
00:08:32 on a une énergie folle, donc voilà, on veut convaincre à longueur de temps.
00:08:38 Donc nous nous rencontrions, le MAUGUI avait ses réunions, mais il y avait des opérations sur lesquelles
00:08:44 il concernait la Lune tout entière et sur lesquelles, effectivement, nous faisions régulièrement des fronts, des espèces de fronts,
00:08:49 c'est-à-dire une action commune.
00:08:51 Et 40 ans, 50 ans après, quel est votre arbitrage, du coup, entre indépendance, autonomie et République ?
00:08:58 Est-ce qu'il y a une réflexion au bout de tout ce chemin-là que vous pouvez nous partager ? Parce qu'on l'a avant-tendu.
00:09:06 Alors, déjà, je ne mets pas sur le même plan indépendance, autonomie et République,
00:09:10 parce que l'indépendance est un processus politique qui peut aboutir à l'instauration d'une République.
00:09:14 Il n'y a pas de contradiction entre le fait de dire "nous venons de l'Empire colonial, nous considérons qu'il faut rompre les liens
00:09:20 et la société que nous allons organiser, ce sera une société démocratique sous la forme d'une République".
00:09:25 Oui, c'est possible.
00:09:27 Non, mais c'est même normalement un parcours normal.
00:09:30 D'ailleurs, c'est ce qui avait choqué, quand M. Monsieur, en 2017, dit "on essaie avec la République, on va faire autrement",
00:09:35 il y a beaucoup d'entre nous, on a écouté, on a dit "non, on ne va pas faire autrement, on va rester dans le cadre républicain,
00:09:39 après peut-être pas de la République française", mais effectivement, ça avait assez choqué.
00:09:43 Oui, non, c'est un processus, et il y a eu des indépendances qui ont abouti à des Républiques.
00:09:48 Il y a des indépendances qui ont abouti à des Républiques déguisées.
00:09:53 Bon, ceci étant, quand on prend, je parie que vous avez dit les classiques de la République,
00:09:59 enfin la République de Grand Mouelle, enfin il y a quelques expériences républicaines en Europe
00:10:04 dont on ne voudrait pas aujourd'hui, y compris l'Europe elle-même.
00:10:09 Donc, la République suppose une constitution dans laquelle on énonce très clairement les principes, les valeurs
00:10:16 et la façon dont on va vivre et organiser la société.
00:10:20 Donc, il n'y a pas de contradiction entre le fait d'être indépendantiste et de vouloir une démocratie et une République.
00:10:27 Et sur l'autonomie et l'indépendance, est-ce qu'il y a un choix à faire, et si oui, quel est le vôtre ?
00:10:34 Alors, pour moi, le choix, il est collectif.
00:10:37 Moi, je n'ai jamais renié d'avoir été une militante indépendante.
00:10:42 Je ne l'ai jamais renié en aucune circonstance.
00:10:44 La première élection à laquelle je me suis présentée, parce qu'il y a eu une pression dans la société Luanès
00:10:49 pour me demander d'être candidate à l'élection législative en 1993,
00:10:53 vers la fin de la campagne électorale, il y a quelqu'un qui a sorti de son chapeau
00:10:58 "Mais attention, c'est une indépendantiste, elle va nous mener à l'aventure."
00:11:02 Évidemment, les personnes sages autour de moi m'ont dit "Écoute, explique que c'est une erreur de jeunesse
00:11:07 et que tu ne vas mener personne à l'aventure."
00:11:09 Et là, non, j'ai pris le micro, caméra en face, en disant "Oui, j'étais une militante indépendantiste
00:11:15 et personne ne me fera renier ce combat."
00:11:17 Là, maintenant, je suis dans une élection législative à la demande des gens.
00:11:20 Il s'agit d'aller siéger à l'Assemblée nationale. C'est ce que je ferai.
00:11:23 Mais je ne renierai pas mes engagements indépendantistes.
00:11:26 Lorsque j'étais nommée garde des Sceaux, la première salve de la droite en France,
00:11:31 c'était "C'est une indépendantiste." J'ai été interrogée sur les médias.
00:11:34 Je dis absolument, non seulement je l'assume, mais en plus je l'ai même écrite,
00:11:38 je l'ai racontée dans mon livre "On m'aimait d'E.O.R.M."
00:11:40 Donc voilà, je n'ai aucune raison de renier ça.
00:11:43 L'année dernière, j'étais candidate à l'élection présidentielle, sur BFMTV,
00:11:47 personne ne me le demandait, mais j'ai rappelé que mes engagements en sont de longue date,
00:11:51 y compris mes engagements indépendantistes.
00:11:54 Donc personne n'a pas à me faire renier ça, il faut que ce soit très clair.
00:11:57 Maintenant, nos engagements indépendantistes, ils étaient liés justement à la réceptivité
00:12:02 de la population du Hanez, le désir collectif de nous émanciper ensemble
00:12:07 et de construire notre destin.
00:12:09 Donc aujourd'hui, collectivement, même à l'époque, nous, pourquoi on a nous avancé
00:12:13 c'est de militer, nous avons cessé de militer en 82, nous avons tenu un an encore,
00:12:18 parce qu'en 81, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, les gens, nous vendions nos journaux,
00:12:24 mais vraiment en deux, trois jours, les magazines, les magazines qui étaient un peu plus chers,
00:12:29 les gens qui étaient très réceptifs, là, au bout d'un mois, on n'avait pas vendu la moitié,
00:12:36 on a compris qu'il se passait quelque chose.
00:12:38 Et les gens nous disaient très clairement, ils nous disaient mais non, la gauche est arrivée au pouvoir,
00:12:42 la gauche ne colonise pas, il faut changer, l'indépendance n'a plus de sens.
00:12:48 C'est ça que nous avons entendu. Nous nous sommes obstinés pendant un an, jusqu'en 1982,
00:12:53 nous avons fini par comprendre que ça c'était notre choix.
00:12:56 Si nous nous étions perçus comme une espèce d'avant-garde éclairée,
00:13:00 qui mène le peuple à son destin, etc., on en connaît, il y a plusieurs continents
00:13:06 où il y a eu des avant-gardes éclairées comme ça, c'était pas notre choix.
00:13:10 Notre choix c'était, nous nous éloignons ensemble, nous choisissons ensemble notre destin,
00:13:14 nous le pensons, nous le rêvons ensemble, et nous le mettrons ensemble en œuvre.
00:13:18 Les gens nous disent mais non, écoutez, arrêtez, là, en plus la gauche, Mitterrand...
00:13:22 En plus Mitterrand a eu des gestes forts.
00:13:24 Un des premiers gestes ça a été justement de faire annuler la procédure,
00:13:29 les prisonniers ont été élargis.
00:13:32 Tout à fait.
00:13:33 Alors, personne n'a présenté d'excuses, personne n'a dit, on prend quand même une décision judiciaire de non-lieu,
00:13:39 peut-être qu'il y a eu une décision judiciaire de non-lieu, je suis pas pour mêler.
00:13:42 Je suis pas pour mêler.
00:13:43 Il y a eu une choc d'horreur.
00:13:44 Oui, je crois qu'il y a eu un non-lieu, personne n'a présenté d'excuses,
00:13:46 personne n'a dit on est désolé de vous avoir embarqué un soir sans dire à vos familles,
00:13:50 on est désolé pour le temps que vous avez passé à prison, moi je me souviens, on portait des vêtements, hein.
00:13:54 C'était en hiver, c'était en décembre, on apportait, on faisait des collettes,
00:13:59 le peu de sous qu'on avait on le mettait en commun, etc.,
00:14:02 on apportait des vêtements, des choses et des extraits pour les prisonniers guyanais au ministère.
00:14:09 À la prison de la santé.
00:14:12 Quand je suis allée pour les travaux de la prison de la santé quand j'étais ministre,
00:14:16 je leur ai dit, toi, c'est pas la première fois que je vois ça.
00:14:19 C'est vrai que c'est une réalité guyanaise, ce changement assez subi de,
00:14:27 on a l'impression que toute la population est avec nous,
00:14:31 a été dans une cause, on peut revenir 2007, 35 000 personnes dans les rues pour 42 homicides,
00:14:37 on est à 55 et d'un coup il n'y a personne, etc.,
00:14:41 il y avait une salle pleine de l'hôtel territorial pour le dernier congrès au mois de mai,
00:14:46 7 mois plus tard c'était vide.
00:14:49 Pourquoi il y a cette inconstance ?
00:14:51 Alors, on peut l'appeler inconstance, mais moi je, comment dire,
00:14:56 moi j'ai toujours fait de la politique avec la plus grande honnêteté,
00:14:58 au sens où je regarde quelles sont les idées, où elles mènent, d'où elles s'ancrent,
00:15:05 quelle est leur résonance, comment les gens les reçoivent, etc.
00:15:09 Et lorsque les gens désertent, avant de dire mais vous êtes inconstance,
00:15:15 on peut dire effectivement, à l'observation statistique,
00:15:19 on peut dire qu'est-ce qui s'est passé ?
00:15:23 Quelles étaient les attentes qui éventuellement n'ont pas été satisfaites ?
00:15:26 Quels sont les malentendus ?
00:15:28 Qu'est-ce qu'on n'a pas su dire ou expliquer ?
00:15:31 Moi la politique c'est d'abord la responsabilité de celles et ceux qui sont dans l'espace public.
00:15:36 Donc lorsque les gens sont infidèles ou inconstants, j'interroge.
00:15:41 Et je constate, en tout cas moi j'ai passé plus de 5 heures au congrès des élus la semaine dernière,
00:15:47 et moi je comprends, je comprends la désaffection.
00:15:51 D'ailleurs je s'y appuie beaucoup, vous savez je suis avec la vélo,
00:15:54 donc je suis très accessible, les gens me parlent beaucoup.
00:15:58 Je voyais bien qu'il y avait une désaffection, même un désintérêt,
00:16:01 ou une espèce de désenchantement.
00:16:05 On a l'impression que c'est la désunion, dès qu'il y a, on pourrait dire bain de neige,
00:16:10 mais ce n'est pas le cas parce que c'est vraiment sur des idées précises et importantes,
00:16:14 dès qu'il y a une discussion, dès qu'il y a une semblance de désunion,
00:16:17 les guenilles se rétractent.
00:16:19 On a l'impression qu'ils n'arrivent pas à s'entendre,
00:16:21 alors bon, parce que le congrès se passait plutôt bien,
00:16:23 et dès qu'il y a eu la question du Sénat bouchinabier,
00:16:27 là on a senti vraiment tout le monde se réveillir dans l'hémicycle,
00:16:31 c'était assez impressionnant, comme si on n'avait pas le droit de ne pas être d'accord.
00:16:35 Alors d'abord, mais c'est une question extrêmement pertinente,
00:16:40 parce que moi je l'ai vécu effectivement au congrès,
00:16:42 on a l'impression qu'il faut arriver à l'unanimité,
00:16:44 mais c'est une imbécillité totale, c'est une imbécillité totale.
00:16:48 Le propre des démocraties, c'est de prendre acte du fait qu'il y a des opinions différentes,
00:16:52 des opinions contradictoires, des opinions qui peuvent être antagoniques,
00:16:55 mais qu'on crée un espace où on peut se parler.
00:16:58 À la fin, on sort, on constate que bon, moi j'ai avancé de ça, toi t'as avancé de ça,
00:17:04 on a fait un petit bout de chemin, bon ça va,
00:17:08 on est passé d'une majorité cric-crac à une majorité relative,
00:17:12 ou bien on est passé, bon, mais il faut le poser,
00:17:15 c'est une chimère de courir après l'unanimité.
00:17:19 - Et qu'elle réclame pourtant l'État, parce que l'État, on a l'impression, réclame qu'on soit unanime,
00:17:23 réclame qu'on soit d'accord.
00:17:25 - Sur quel fondement ?
00:17:26 - Mais c'est ça !
00:17:27 - Bah oui, il faut répondre à l'État, sur quel fondement,
00:17:30 avec quels exemples dans l'hexagone, vous nous assénez qu'il nous faut être unanime.
00:17:36 Quel que soit le sujet, et puis si il y a un pays où on discute,
00:17:40 si il y a un pays où on se dispute,
00:17:42 si il y a un pays où on aime ça, c'est bien la France.
00:17:46 Donc il est inconcevable qu'on exige de l'unanimité sur des sujets qui sont des sujets difficiles,
00:17:51 sur des sujets qui touchent à des sensibilités, des intérêts,
00:17:56 des perceptions qui sont différentes, ça n'a pas de sens.
00:18:00 Donc moi je pense qu'il vaut mieux être clair, et avancer,
00:18:04 consolider des majorités, constater des majorités variables,
00:18:10 mais clarifier les choses au fur et à mesure,
00:18:14 que d'être dans le flou, l'imprécision, et brandir des unanimités.
00:18:19 Ce sont des unanimités de papier qui ne tiennent pas, qui ne tiendront pas.
00:18:24 Donc moi je pense, en tout cas ce que j'ai vécu là,
00:18:27 alors ça fait longtemps que je suis les travaux du Congrès,
00:18:30 j'ai vu tous les procédés à mot de copile, sur toutes sortes de sujets,
00:18:34 j'ai visionné des tas de vidéos en m'approchant en disant
00:18:38 "Tiens jusqu'au bout, tiens jusqu'au bout !"
00:18:41 Mais là j'ai vécu quand même plus de 5 heures du Congrès de samedi,
00:18:46 et la conclusion, je comprends, je comprends mieux
00:18:49 ce que j'entends, ce que les gens me disent dans la rue.
00:18:52 On a l'air d'avancer, moi ce que j'ai perçu, c'est qu'on a l'air d'avancer
00:18:59 sur une route, en tout cas de vouloir avancer sur une route,
00:19:03 avant d'avoir fait le premier pas.
00:19:06 C'est juste un cauchemar, c'est juste un cauchemar.
00:19:09 Comment peut-on avancer si on n'a pas encore fait le premier pas ?
00:19:12 Et le premier pas c'est "Qu'est-ce qu'on veut vraiment ?"
00:19:15 Là on parle d'autonomie, d'autonomie la plus large possible,
00:19:18 mais de quoi s'agit-il exactement ?
00:19:22 Il y a un peu plus d'une dizaine d'années, nous avons eu l'opportunité
00:19:25 de définir déjà un cadre un peu constitutionnel.
00:19:28 C'était pas la panacée, je l'ai dit, nous avons fait une campagne très active,
00:19:33 les jeunes ont été très mobilisés, ils ont sillonné tous les territoires.
00:19:38 Et finalement plus de 60% ont choisi le statut quo.
00:19:42 Avec une très faible participation.
00:19:45 Avec une très faible participation, voilà, il y a des gens massifs
00:19:50 où on ne veut rien savoir, on ne veut rien changer, on ne veut rien voir,
00:19:54 on ne veut rien comprendre, nous on peut comparer.
00:19:57 Ce qui est juste insupportable dans une société, quelle qu'elle soit,
00:20:02 et en particulier dans une société yuannaise où notre histoire tumultueuse
00:20:08 a conduit plusieurs générations à se battre avec des risques considérables.
00:20:14 Ce "nous" qu'on peut comparer, qui est en fait une décrédibilisation de soi-même,
00:20:19 un discrédit jeté sur soi, non pas sur soi individuellement,
00:20:23 mais sur soi, le "nous" collectif, est juste insupportable.
00:20:27 C'est une violence inouïe, c'est une violence inouïe.
00:20:31 Et donc, il y a un peu plus de 10 ans, nous avions cette opportunité,
00:20:36 mais dans la lignée de ce que nous disions au début de cet entretien.
00:20:40 - Une longue histoire.
00:20:42 Boris Lama, on publie une de ses interventions dans le journal de cette semaine,
00:20:48 parlent même, et il y a les mails cherchés, d'Alex Urseler,
00:20:52 fin 19e siècle, qui parle déjà d'autonomie.
00:20:55 Donc c'est une longue histoire.
00:20:57 - Oui absolument, les mots changent, et le contenu des mots change.
00:21:01 C'est pour ça que, même aujourd'hui, on ne peut pas se contenter de dire
00:21:04 "nous voulons l'autonomie la plus large possible".
00:21:06 - Alors vous, quelle est votre vision de la future entité politique guyanaise ?
00:21:11 De l'exécutif guyanais, on va dire, même plus précisément,
00:21:14 si vous voyez, il y a votre entité guyanaise.
00:21:16 Est-ce que vous avez quelque chose de clair dans votre esprit,
00:21:19 à partager sur ce que nous devrions aller vers ?
00:21:22 - Alors, il y a des tas de choses très claires dans la tête.
00:21:26 La première, c'est la géographie.
00:21:28 On n'a jamais définitivement raison contre la géographie.
00:21:32 La Guyane est en Amérique du Sud.
00:21:35 Deux fleuves nous séparent des pays voisins.
00:21:38 Ils ne nous séparent pas, ils nous relient aux pays voisins.
00:21:41 La circulation a toujours existé sur ces deux fleuves-là.
00:21:44 Donc l'histoire des frontières, les frontières qu'on ferme,
00:21:46 les frontières qu'on contrôle, les frontières de ci et de ça,
00:21:49 c'est juste une mauvaise plaisanterie.
00:21:51 On n'a jamais définitivement raison contre la géographie.
00:21:54 Ensuite, l'histoire nous enseigne des choses.
00:21:56 Parmi les choses qu'elle nous enseigne, la première,
00:21:58 c'est que la France en Amérique du Sud, ça relève de l'empire colonial.
00:22:03 Comment sortons de l'empire colonial ?
00:22:06 On a cru en 1946 qu'on en sortait par la départementalisation.
00:22:10 On a constaté que moins de dix ans après, l'insatisfaction est générale.
00:22:15 Et non seulement l'insatisfaction est générale,
00:22:17 mais elle est reconnue par tout le monde.
00:22:19 Je parlais de De Gaulle en 1958,
00:22:21 mais littéralement 30 ans après, c'est la même chose.
00:22:23 Tous les chefs d'État, tous ceux qui ont été assez responsables
00:22:26 pour regarder la réalité, essayer de comprendre,
00:22:29 et se dire que si les indicateurs économiques, sociaux restent aussi mauvais
00:22:34 pendant aussi longtemps, ce n'est pas parce qu'on est tous mauvais.
00:22:37 Ce n'est pas parce que tous les fonctionnaires, tous les hauts fonctionnaires
00:22:39 qui sont passés ici sont mauvais, nuls ou malveillants.
00:22:42 C'est qu'il y a un problème de fond.
00:22:44 Donc tous ceux qui ont regardé cela en face,
00:22:47 ont dit sous des formes différentes qu'on ne peut pas continuer comme ça.
00:22:52 Alors Mitterrand ne s'est pas contenté de le dire.
00:22:55 Il a essayé d'agir avec la première loi de décentralisation de 1982.
00:22:59 Il a décidé, il partage le pouvoir, il en remet à une partie.
00:23:02 Alors ça ne concernait pas que les "outre-mer",
00:23:06 mais il demeure que la première loi de décentralisation
00:23:10 va plus loin dans les outre-mer que dans le reste de la France hexagonale.
00:23:17 Donc ça veut dire qu'il y a quand même un constat, une tentative, une volonté.
00:23:22 Mais la France, son histoire, sa culture, son empreinte,
00:23:25 c'est l'État jacobin, c'est l'État centralisateur.
00:23:29 - Avec le convertissement.
00:23:32 - Absolument.
00:23:34 Et notamment l'empreinte sur les outre-mer, les anciennes colonies.
00:23:38 C'est en train de convertir.
00:23:40 Donc l'intelligence prend le dessus à un moment,
00:23:42 on dit "oui, non, ce n'est pas possible, on ne peut pas continuer comme ça,
00:23:44 on ne peut pas appliquer les mêmes règles, les mêmes normes,
00:23:46 ça ne marche pas, ça ne peut pas marcher.
00:23:48 L'architecture, ici chez vous, non, on ne peut pas avoir les mêmes normes.
00:23:50 Mais oui, non, quand même, les normes sont les mêmes.
00:23:53 Donc l'intelligence, l'honnêteté, la probité, ça conduit à dire
00:23:58 "ça ne peut pas marcher, ça ne peut pas continuer".
00:24:00 Et puis les réflexes décentralisation au point de pouvoir,
00:24:04 les rapports de force aussi, bien entendu,
00:24:06 les groupes d'intérêt aussi, qui est plus capable d'aller...
00:24:10 - Et on le voit là pour l'outre-mer, sur les rapports de force,
00:24:13 où toute une partie des ménages euphoriques est avec l'outre-mer,
00:24:16 et puis vous avez d'autres entrepreneurs qui arrivent et qui disent
00:24:19 "non, non, non, nous l'outre-mer, ça nous va très bien".
00:24:21 Il y a eu là aussi, sur l'outre-mer lors du Congrès des élus,
00:24:24 quelque chose de pas clair à la sortie.
00:24:26 - Absolument. - De flou.
00:24:27 - Absolument. Mais d'ailleurs, le rapport qui a été fait
00:24:30 sur la position du milieu économique était absolument édifiant.
00:24:35 Le milieu économique, quand on raisonne sérieusement,
00:24:38 quand personne n'a la peur de "ah, on va avoir l'indépendance autonomique",
00:24:42 quand on raisonne sérieusement, le milieu économique, ce qui le déstabilise,
00:24:45 c'est quand même deux choses principalement.
00:24:48 Une chose, c'est l'inconnu et l'incertitude.
00:24:51 L'autre chose, ce sont des normes inadaptées, des règles inadaptées.
00:24:54 D'accord ? On a les deux.
00:24:58 On a les deux. Donc, le milieu économique devrait pouvoir dire
00:25:02 "les règles et les normes, ça nous écrase, ça nous fait perdre du temps,
00:25:07 tout est trop cher, tout est trop lent, tout est trop long,
00:25:09 tout est trop compliqué, etc.
00:25:11 Comment on peut faire ensemble ?"
00:25:13 Les certitudes arrivent, se disent "oui, mais on ne voit pas,
00:25:16 ils ne nous expliquent pas exactement ce qu'ils veulent,
00:25:18 comment ils veulent faire, etc."
00:25:20 Donc, on comprend qu'ils aient peur.
00:25:21 Mais on ne peut pas rester entre deux mots.
00:25:23 Il y a un moment où il faut s'impliquer plus fortement
00:25:25 et dire "bon, voilà le cadre économique, voilà comment on le rêve,
00:25:29 voilà comment on le voudrait, voilà ce qui pèse le plus,
00:25:31 voilà ce qui nous contraint le plus, etc."
00:25:33 Mais avec un minimum de conscience collective.
00:25:35 Non pas simplement "mon entreprise est le bénéfice que je veux faire",
00:25:39 mais "comment moi je prends fait des causes dans ce territoire où je vis,
00:25:43 où mon entreprise vit, où mes salariés, mes employés vivent,
00:25:47 où mes enfants vont à l'école, comment je m'implique,
00:25:50 moi je ne suis pas que chef d'entreprise, je suis également citoyen."
00:25:54 Donc c'est à ça qu'on doit aboutir.
00:25:56 Mais j'admets que pour aboutir à ça,
00:25:58 il faut que le projet politique soit déjà énoncé plus clairement.
00:26:01 Or il n'est pas énoncé clairement.
00:26:03 L'autonomie la plus large possible, ça ne dit rien à personne,
00:26:06 y compris d'ailleurs probablement à ceux qui prononcent l'expression.
00:26:10 Donc il faut qu'on arrive à se poser,
00:26:12 c'est le fameux premier pas dont je parlais sur la route,
00:26:15 avant de vouloir continuer à obstinément avancer,
00:26:18 ce premier pas, qu'est-ce qu'on dit, qu'est-ce qu'on pose très clairement
00:26:22 sur les rapports, est-ce qu'on ne peut pas penser sérieusement
00:26:25 et sans pathos, les rapports avec la France,
00:26:27 mais en France même, dans les milieux politiques,
00:26:30 et les personnes suffisamment intelligentes et cultivées,
00:26:33 cultivées politiquement, pour entendre qu'on peut se poser,
00:26:37 se dire que de toute façon ça ne marche pas,
00:26:39 en Amérique du Sud, ça ne va pas marcher dans 50 ans.
00:26:42 Comme ça, ça ne va pas marcher non plus.
00:26:44 Qu'est-ce qu'on invente ensemble ?
00:26:46 On n'est plus dans la période de la rupture, sèche comme ça,
00:26:51 les grandes vagues de décolonisation, on n'est plus dans cette période-là,
00:26:54 les grands élans, les grandes dynamiques,
00:26:56 les grandes solidarités internationales des anciennes colonies,
00:27:01 les gens non alignés, le tiers-monde, etc.
00:27:04 On n'est plus...
00:27:05 Il y a actuellement quelques personnes qui veulent remettre la Guyane
00:27:09 sur la liste des pays à décoloniser, ça pour vous c'est archaïque ?
00:27:13 De toute façon, il y a des pays qui sont sur la liste
00:27:15 des pays à décoloniser depuis plus de 50 ans.
00:27:18 Donc on ne peut pas nous raconter que c'est une réponse.
00:27:21 Ça ne peut pas être une réponse.
00:27:22 Je serai en réponse peut-être dans 60 ans,
00:27:24 mais ça ne peut pas être une réponse aujourd'hui.
00:27:26 Donc moi, s'il y en a qui veulent faire ça,
00:27:28 je n'ai aucune raison de tenir au bout de ma bouche
00:27:30 pour dire de ne pas le faire.
00:27:32 Mais je dis que dans l'immédiat, puisqu'on réfléchit à notre présent
00:27:35 et à notre avenir, ça ne nous exonère pas.
00:27:39 En tout cas, ceux qui veulent faire ça,
00:27:41 moi je dis que ça n'exonère pas les autres de dire
00:27:45 qu'est-ce que nous faisons ensemble ?
00:27:47 Qu'est-ce que nous faisons ensemble ?
00:27:48 Au moins pour améliorer les indicateurs économiques et sociaux.
00:27:51 Enfin, le taux d'alphabetisation, le taux de non-scolarisation,
00:27:55 le taux de pauvreté, l'emprise de la fonction publique,
00:28:00 surtout le tissu économique, il y a des tas de choses.
00:28:02 On voit bien que ce sont des anomalies.
00:28:04 On ne sait même pas combien nous sommes.
00:28:06 L'INSEE même reconnaît que compte tenu de la réalité démographique,
00:28:10 leurs estimations sont des estimations.
00:28:13 Leurs recensements sont des estimations.
00:28:15 Donc, combien de temps on va rester dans ça ?
00:28:18 Tout le monde le sait.
00:28:20 Le mot que vous employez, c'est qu'il y a pendant que je suis d'inventé.
00:28:23 Il y a un système d'invention.
00:28:26 C'est pour ça que je suis revenu pour savoir comment vous faisiez dans les années 70.
00:28:29 Parce que pour inventer, il faut discuter, il faut échanger.
00:28:32 Et est-ce qu'il manque en guillemets ?
00:28:34 Non, je suis bien d'accord.
00:28:36 Moi, j'en souffre beaucoup depuis plusieurs années,
00:28:39 mais encore plus en ce moment, parce que les enjeux sont considérables.
00:28:42 La zone à laquelle nous appartenons, le sud des Amériques,
00:28:48 ça bouge beaucoup.
00:28:50 Le Moïse, notre voisin, bouge beaucoup.
00:28:52 Le souvenir de la Lugana, je ne sais pas dans quel sens ça va bouger,
00:28:56 mais c'est parti pour bouger, y compris pour être très secoué.
00:29:00 On est là.
00:29:02 Ce n'est pas parce qu'on fait la sourde oreille
00:29:04 qu'on va échapper aux bouleversements qui se font dans cette zone-là.
00:29:07 Donc oui, il faut inventer.
00:29:09 Il ne s'agit pas d'aller copier, d'aller prendre les schémas des années 60 ou des années 70.
00:29:13 Les dernières décolonisations, c'était les années 75.
00:29:16 Il ne s'agit pas d'aller prendre ces schémas-là.
00:29:18 On n'y est plus.
00:29:19 Jean-Marie Chibao, qui se battait quand même très fortement en Kanaki,
00:29:24 disait que l'indépendance, parce qu'il était indépendantiste,
00:29:28 très clairement, et puis ils se sont battus, ils ont perdu les vies humaines.
00:29:34 Il disait que l'indépendance, c'est la possibilité, le pouvoir de choisir ses interdépendances.
00:29:41 C'était dans les années 70, fin 70, début 80.
00:29:46 C'est déjà une période où le monde bascule, où les frontières s'abattent,
00:29:51 où la circulation des biens, des capitaux, des personnes, tout ça devient une nouvelle dynamique,
00:29:56 devient un nouveau mode de vie sur le plan mondial.
00:30:02 Et il dit que l'indépendance, ce n'est pas seulement la rupture.
00:30:06 C'est le pouvoir choisir ses interdépendances, avec qui je m'allie, avec qui je fais des choses.
00:30:11 La question n'est plus dans cette période de rupture sèche, parce que l'Empire ne veut rien entendre.
00:30:18 Je veux dire qu'en Algérie, l'Empire ne veut rien entendre.
00:30:21 Ça finit par la guerre.
00:30:23 Ailleurs, en Afrique francophone, mais pas que, le Commande Wall c'est une autre dynamique.
00:30:29 En Afrique francophone, l'Afrique lézophone c'est encore une autre dynamique, tierce.
00:30:34 Mais voilà, ne veut pas vraiment entendre, combine, arrange, monte des trucs, fait des sales coups,
00:30:44 a des cabinets secrets, des organisations privées, secrètes, en lien avec l'État, etc.
00:30:52 Bon, on n'est plus dans ça.
00:30:54 Est-ce qu'on ne peut pas, à visage découvert, intelligemment, honnêtement et sincèrement,
00:31:01 se dire "Ok, on prend acte que la présence française en Amérique du Sud,
00:31:06 comme la présence portugaise en Amérique du Sud, comme la présence espagnole en Amérique du Sud,
00:31:11 comme la présence néerlandaise en Amérique du Sud, comme la présence anglaise en Amérique du Sud,
00:31:16 toutes ces présences-là sont liées à l'Empire colonial, aux Empires coloniaux.
00:31:20 Les Empires ont été défaits, parce qu'eux-mêmes ont choisi, décidés ou l'ont fait de bonne grâce,
00:31:27 ou parce que des affrontements ont abouti à, mais les Empires ont été défaits.
00:31:32 Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ?
00:31:34 On ne peut pas continuer sans rien dire.
00:31:36 Parce que le problème de la guerre, c'est qu'on est dedans sans rien dire.
00:31:40 On papote l'autonomie, l'autonomie de gestion, le statut spécial, etc.
00:31:45 On papote, mais on ne dit pas l'essentiel.
00:31:50 Aujourd'hui, on est dans la réforme institutionnelle, on papote, mais on ne dit pas l'essentiel.
00:31:55 L'Empire colonial, ses dernières traces, c'est ça.
00:31:59 On est les seuls, en sujets.
00:32:01 Est-ce qu'il y a aussi des traces dans les mentalités ?
00:32:03 Parce qu'on le voit, il y a une sorte de débat un peu interne,
00:32:08 où il y a des personnes, on a l'impression, qui veulent une vie en autonome, mais jacobine,
00:32:12 c'est-à-dire lié au vote, au scrutin majoritaire, qui va donc mathématiquement écraser les minorités,
00:32:19 ou alors inventer un nouveau système qui est plus lié à l'identité guéanèse,
00:32:24 qui est une identité multiple, avec donc la prise en compte des choix des autochtones,
00:32:32 des bouchilinguiers, pourquoi pas des mongues, etc., des minorités.
00:32:37 Est-ce que là, cette persistance de l'Empire colonial est possible dans les mentalités ?
00:32:41 Alors, sans aucun doute, mais dans ce que vous venez de dire, il y a vraiment plusieurs choses
00:32:45 avec lesquelles je veux répondre. D'abord, pour moi, je ne considère pas les Amérindiens comme une minorité,
00:32:52 même si statistiquement, selon les statistiques officielles, ils seraient moins de 5% de la population,
00:32:58 je ne les considère pas comme une minorité, ils sont un des trois piliers du peuple guyanais.
00:33:02 Et je pose le mot, je pose le mot, très clairement.
00:33:06 Et il y a un troisième, que délibérément on oublie.
00:33:10 Alors, dans les années 80, il y a des spécialistes de sciences sociales, que moi j'appelle des tautologues,
00:33:16 qui sont arrivés ici et qui ont choisi leurs objectifs d'études, et qui ont décidé qu'il y a une catégorie de Guyanais
00:33:21 qui s'appelait Guyanais, et que dorénavant on va appeler créoles.
00:33:24 Mais ce pays a une histoire, qu'on décide de l'ignorer, qu'on décide de la déformer, qu'on décide de ne pas la connaître,
00:33:32 ce pays a une histoire. Et c'est cette histoire qui a formé, qui a composé, cette identité,
00:33:38 qui est effectivement composite.
00:33:41 Après, il y a d'autres moments de l'histoire, après ça, qui ont élargi le spectre d'expression culturelle.
00:33:51 Mais ça ne gomme pas l'histoire.
00:33:53 Ça ne gomme pas la présence des Amérindiens sur l'ensemble des Amériques et des Caraïbes,
00:33:59 ça ne gomme pas la présence des Mouchinègues sur tout le plateau des Guyans,
00:34:03 ça ne gomme pas la présence de celles et ceux qu'on se permet d'appeler créoles,
00:34:07 qui elles et eux s'appellent Guyanais, et qui ont nourri ce territoire.
00:34:11 Vous allez voir le mémorial des libérés au jardin botanique,
00:34:16 vous avez des noms sur les noms des Guyanais, on les regarde, on leur dit quoi ?
00:34:19 Ils n'existent pas. De temps en temps, on parle d'eux, les créoles, oui, et puis avec les mounes,
00:34:23 ils ont les mêmes revendications.
00:34:25 Pardon ? Pardon ?
00:34:27 Des siècles d'esclavage et de traite, des siècles de travail gratuit de la terre de ce pays,
00:34:32 des siècles de souffrance, des siècles de fouet, des siècles de mutilation.
00:34:38 On a l'impression qu'ils n'ont même pas le droit à la terre.
00:34:40 N'ont pas le droit à la terre, absolument, absolument, n'ont pas le droit à la terre,
00:34:45 et aujourd'hui, ça écorche la bouche des gens de dire que non, non, mais moi,
00:34:49 je menais les combats, je fais une université populaire en 1997,
00:34:53 je menais les combats depuis 1994, à l'Assemblée nationale sur la question foncière,
00:34:57 et l'université populaire en 1997, une famille, une terre, une famille, une terre.
00:35:03 Donc, tant qu'on ne pose pas ça, on continue dans la confusion, il faut que les choses soient claires,
00:35:08 et si on doit se disputer, qu'on se dispute sur des choses précises, sur des choses claires,
00:35:14 sur des choses exactes, pas sur des choses fumeuses.
00:35:18 Si on a des désaccords, on les constate.
00:35:20 Alors, la réalité quand même, oui, il y a des risques, le régime démocratique est un régime majoritaire, en général,
00:35:29 la majorité, ça ne veut pas dire la tyrannie de la majorité, la démocratie, ça veut dire
00:35:33 les règles adoptées à la majorité, mais une obligation de protéger les minorités.
00:35:38 Je répète que moi, je ne parle pas des américains, je parle des minorités, d'accord ?
00:35:42 Une obligation de... donc, les minorités, c'est les minorités de positionnement,
00:35:45 les minorités d'avis, de choix politiques, ça doit se respecter dans une démocratie.
00:35:51 Aujourd'hui, on est, objectivement, dans une démocratie, pas satisfaisante,
00:35:56 même en France, elle n'est pas satisfaisante, hein ?
00:35:58 Parce que les démocraties ont leur bière, ce n'est pas un système parfait.
00:36:02 Il faut s'assurer que les courants de pensée...
00:36:05 Bon, enfin, aujourd'hui, tout le monde part ici, aux institutions, tout le monde va aux élections,
00:36:12 et à des élus qui proviennent de toutes les parties du territoire,
00:36:16 de toutes les appartenances culturelles et identitaires du territoire.
00:36:21 Donc, alors, qu'on ait une vision d'une organisation plus structurée,
00:36:29 qui ne se contente pas de désinstitution, mais je constate qu'il y a des personnes
00:36:34 dans l'institution à des postes décisionnaires, à des postes d'exécutif,
00:36:39 et ça, ça vaut aussi bien pour la CTG que pour les municipalités.
00:36:44 Il y a des municipalités où c'est évident, compte tenu de la composition de la population,
00:36:48 mais il y a des municipalités où c'est pas évident.
00:36:50 Ou c'est pas évident, oui, c'est évident partout,
00:36:53 mais il y a des municipalités où ça aurait pu ne pas avoir lieu.
00:36:56 Bon, que je regarde Saint-Laurent-du-Marroni ou d'autres municipalités,
00:37:01 parmi les adjointes, adjoints de maires, il y a des Amérindiennes, des Bouchies, etc.
00:37:08 Ces personnes-là sont là.
00:37:09 -Mathurie a fait attention à ça aussi.
00:37:11 -Mathurie, bien sûr, bien sûr.
00:37:13 Donc voilà, ce sont des personnes qui participent au système institutionnel, démocratique, électoral.
00:37:19 Et puis il y a une autre question, c'est celle comment on préserve effectivement
00:37:23 des patrimoines culturels, rapports à l'environnement et à la nature,
00:37:28 modes de vie, pharmacopée, gastronomie, comment on préserve tout ça.
00:37:32 Et ça, ce sont des débats qui doivent pouvoir se faire.
00:37:35 -Moi, je pense à cette idée où la France refuse, c'est presque constitutionnel,
00:37:40 l'identité collective.
00:37:41 Pourtant, elle le fait.
00:37:43 Il y a des cas où elle le fait, mais elle refuse de manière globale l'identité collective.
00:37:47 Nous, en Guelph, on a des personnes qui veulent qu'on reconnaisse cette identité collective
00:37:52 via l'article 169 du BIT.
00:37:54 Est-ce que là, nous, on ne pourrait pas faire, comme vous dites, un pas en avant, clair, précis ?
00:37:59 On veut la reconnaissance de l'article 169,
00:38:01 on veut rentrer dans ce circuit international des droits autochtones.
00:38:07 Est-ce que ça, ça a été dit par quelques personnes,
00:38:11 mais ce n'est pas clairement établi dans ce processus d'autonomie ?
00:38:15 -Le processus d'autonomie n'est pas obligé de traiter de cette question-là.
00:38:20 Objectivement, si on parle d'autonomie dans un système démocratique,
00:38:23 on n'est pas obligé de traiter de cette question-là.
00:38:25 Il faut ontologiquement, donc c'est une obligation qui est supérieure
00:38:29 à la question institutionnelle, il faut ontologiquement traiter cette question-là.
00:38:34 Mais il ne faut pas la traiter de façon démagogique.
00:38:37 La convention 169 de l'OIT, l'Organisation Internationale du Travail,
00:38:42 de même que la convention de l'Organisation des Nations Unies sur les Peuples Autochtones,
00:38:47 ça a une histoire, ça a une localisation, ça a des auteurs, on sait bien qui sont.
00:38:53 C'est parti de Colombie, il me semble, principalement, avec Guatemala Tech, je crois,
00:38:58 principalement, enfin bon, c'est un travail qui a été élaboré, etc.
00:39:01 Donc, mais qui a des conséquences, et c'est pour ça que la France se crispe.
00:39:05 Parce que si c'est juste une reconnaissance, je pense que les différents gouvernements français
00:39:09 n'auraient pas de difficulté à le faire.
00:39:11 La question, c'est une fois qu'on a reconnu, qu'on vous reconnaisse une convention,
00:39:14 vous la signez, vous la ratifiez, vous vous engagez à appliquer les dispositions
00:39:20 que contient cette convention, et c'est ça tout le sujet.
00:39:22 Donc ces crispations, alors il y a eu des périodes où, par exemple,
00:39:26 il y a eu une période, M. Jacques Chirac, qui d'ailleurs était dans sa période,
00:39:29 de musée des arts premiers au Quai Branly, reconnaissant des peuples premiers,
00:39:35 que ce soit dans le Pacifique avec la Nouvelle-Calédonie, que ce soit ailleurs.
00:39:40 Moi je pense que les trois rois reconnus, Abou Edith et Foutouna, par exemple.
00:39:46 Oui, donc voilà, il y a eu ça, mais simplement, c'est pas allé loin.
00:39:49 C'est pas allé loin. Je crois, il me semble que le président Chirac, à l'époque,
00:39:54 avait même donné des consignes diplomatiques.
00:39:57 Mais c'est pas allé donner des consignes diplomatiques en termes de vocabulaire.
00:40:01 Mais c'est normal, si on utilise le vocabulaire, et qu'on dit "on va quand même pas signer la convention",
00:40:08 à quoi on joue ? A quoi on joue ? Donc moi je pense qu'il faut qu'on se pose sur ces questions-là.
00:40:14 Il faut qu'on arrête de jouer, parce qu'il y a des gens qui jouent un jeu dangereux.
00:40:18 Il faut qu'on arrête de jouer avec ces sujets-là. Il faut qu'on les pose, posément, intelligemment.
00:40:23 Il y a eu des tas de peurs de la Guyane, mais moi, même avant d'être députée,
00:40:27 je travaillais dans des secteurs d'activité économique, l'agriculture, la pêche.
00:40:32 Moi, j'ai sillonné le territoire. Ces questions-là étaient, quand on posait les questions économiques,
00:40:38 comment on s'organise, comment on fait les choses, comment on fait des complémentarités, etc.
00:40:43 J'ai pas connu de crispation. J'ai pas connu de crispation.
00:40:47 Et nous, on peut identifier très clairement comment ça a commencé, comment ça s'est fait, etc.
00:40:54 Donc, je répète, les tautologues des années 80 ont fait un travail qu'on peut disséquer,
00:41:00 donner des repères exacts et expliciter en plus. Mais c'est pas le sujet.
00:41:05 Le sujet, c'est comment on se met ensemble pour penser la Guyane, dans sa totalité, avec ses stigmates historiques.
00:41:12 Les stigmates historiques sont encore là. La loi de séparation des Unis a encore des effets.
00:41:19 La question de l'accès aux ressources naturelles, ça a encore des effets.
00:41:24 C'est encore, Antoine, une question d'actualité.
00:41:26 La question du rapport à la gestion de la forêt, c'est encore une question d'actualité.
00:41:31 Sur les ressources naturelles, vous avez aussi parlé de... C'était au début des années 90, vous étiez dans la pêche.
00:41:38 Vous aviez un rôle dans la pêche. On voit qu'il y a...
00:41:42 - 80. - 80 ?
00:41:44 - Jusqu'à... Non, non, parce que je suis... - Il me semble que j'ai eu un rapport de vous de 91 sur la pêche.
00:41:50 - Sur la pêche, j'ai dû écrire encore des choses en 91. Peut-être que ça devait être la fin.
00:41:56 Parce qu'en fait, avant d'être députée, j'étais directrice générale de l'Office de coopération et du commerce extérieur.
00:42:02 Donc c'est pour ça que je sais que 90, mais peut-être que 91, j'étais encore dans la pêche.
00:42:06 - Le Larivaud, 5e, 6e port en valeur de France. - Même 4e à un moment.
00:42:11 - 4e à un moment. Plus de 23 bateaux de pêche 20 ans plus tard.
00:42:16 C'est une calumnié, ça me fait penser à quelles sont les potentialités économiques de la Guyane.
00:42:21 Et on a vu poindre, personne n'a voulu le noter, mais une dichotomie entre une possibilité de rémunération de notre puits de carbone,
00:42:30 estimée à mon avis à 20 milliards d'euros, moi j'ai fait le calcul, c'est plus de 3,8 milliards,
00:42:36 ou le minier, retourner à la mine et à sortir des mines de rayes rares, etc.
00:42:43 Quelles sont les potentialités économiques futures d'après vous ?
00:42:47 - Alors justement, ça nous ramène à la question institutionnelle. Parce qu'on ne peut pas penser à la question institutionnelle
00:42:53 sans s'affaire à la bureaucratie, on ne peut pas penser à la question institutionnelle en ignorant, en occultant, en minimisant, en marginalisant
00:43:00 les questions économiques et les questions des ressources.
00:43:04 On a vu un congrès de plus de 5 heures, alors évidemment on va me dire, moi j'ai vu tous les rapports de Coplin,
00:43:10 donc je sais que ces questions étaient en équitrété, les questions de l'économie, les développements économiques, etc.
00:43:14 Mais pas de façon méthodique, pas de façon méthodique en disant quelles sont nos ressources,
00:43:19 quel est le potentiel de chacune de ces ressources, le sous-sol minier, l'or mais pas que,
00:43:24 l'espace maritime, la forêt elle-même et les services rendus par la forêt.
00:43:33 Moi j'ai participé à suffisamment de sommets internationaux depuis Copenhague, Kyoto, etc.
00:43:40 suffisamment pour savoir qu'il y a une tentative d'évaluation, il y a de plus de nombreuses années,
00:43:47 d'estimation des services rendus par la forêt.
00:43:51 Il faut poser quel est notre niveau de connaissance sur ces questions-là,
00:43:55 quel est notre degré de précision sur ces patrimoines-là, sur ces potentiels, etc.
00:44:01 Et à partir de là, comment on pense un développement équilibré de ce territoire,
00:44:06 en mettant en équation tous les paramètres, le paramètre démographique,
00:44:11 le paramètre de la fragilité de certaines zones, le paramètre des relations avec les pays voisins,
00:44:19 le paramètre des risques lorsqu'on protège de ne pas arriver à protéger.
00:44:24 On veut protéger, on n'arrive pas à protéger, c'est payé par d'autres, on perd sur tous les tableaux.
00:44:30 La réponse n'est pas d'aller payer comme tout le monde.
00:44:33 La réponse est, est-ce qu'on se donne les moyens, un, d'estimer, d'évaluer,
00:44:37 deux, de savoir ce qui ne va pas détruire, et trois, d'organiser l'exploitation sans détruire.
00:44:43 Concrètement, c'est les études.
00:44:45 Ah, il n'y a pas de plus concret que ça, hein ?
00:44:47 Oui, mais c'est l'université de Vienne qui doit mener ses études,
00:44:50 c'est le centre de cabinet indépendant, c'est l'État, qui court.
00:44:54 Parce que c'est vrai que tout le monde dit, il faudrait qu'on sache mais qui ?
00:44:57 Alors, j'ai presque envie de vous répondre toutes les compétences.
00:45:00 Pourquoi ? Parce qu'il y a incontestablement un problème de données ici.
00:45:03 Moi, je l'ai vécu lorsque j'étais dans mes activités professionnelles,
00:45:07 je l'ai vécu lorsque j'étais dans mes activités politiques, c'est-à-dire en tant que députée.
00:45:11 D'ailleurs, pendant un moment, je pensais vraiment,
00:45:14 et j'en ai même tiré des théories qui sont encore là, d'ailleurs,
00:45:18 je pensais qu'en fait, le fait d'être seulement député
00:45:22 ne pouvait pas permettre vraiment l'efficacité sur son propre territoire.
00:45:27 Parce que quand vous êtes député, vous n'êtes pas membre de cible,
00:45:31 de conseil d'administration, par-ci, par-là, etc.
00:45:33 Moi, quand j'étais députée, j'avais le plus grand mal à obtenir des informations
00:45:37 sur l'état du réseau de santé publique, sur l'immobilier, la construction...
00:45:43 C'est encore le cas, il y a eu des demandes des députés, on le sait,
00:45:47 auprès de l'État, sur certaines communes, sur certains financements, et c'est vrai que...
00:45:53 Ça, c'est un problème. Et moi, quand j'étais députée, je l'ai vu en me disant
00:45:56 "Mais comme je n'ai pas de mandat local, je ne suis pas membre des conseils d'administration locaux,
00:46:04 donc de l'hôpital public, de la société immobilière de construction, etc.
00:46:09 qu'être députée, ça me... Comment dire ?
00:46:14 On n'a pas accès aux sources d'informations.
00:46:17 Mais effectivement, vous avez raison, c'est pas que ça.
00:46:19 C'est pas que parce que je n'étais pas membre, je ne pouvais pas avoir les infos.
00:46:23 Donc je passais mon temps à supplier, à demander, etc.
00:46:26 à aller chercher, à interroger l'INSEE, à fouiller, etc.
00:46:29 Une perte considérable de temps, alors qu'il suffit de me dire
00:46:32 "L'éducation, c'est voilà les chiffres, la santé publique, voilà les chiffres,
00:46:35 la construction immobilière, voilà les chiffres, les logements sociaux, voilà les chiffres,
00:46:39 l'activité économique, voilà les chiffres, etc.
00:46:42 Les importations, les exportations, voilà les chiffres.
00:46:45 Les chiffres devraient être disponibles.
00:46:47 Mais aujourd'hui encore, on a un problème de données.
00:46:49 Aujourd'hui encore, on a un problème, vous le disiez d'ailleurs,
00:46:52 on a un problème d'accession aux données.
00:46:54 Mais je pense qu'il y a même un problème de fabrication des données.
00:46:57 Donc il faut qu'on mette en place, que ce soit des instruments publics,
00:47:02 ou que ce soit, pas des instruments, mais des institutions publiques,
00:47:05 des structures publiques, ou que ce soit des structures de compétences,
00:47:09 à caractère privé, contrôlée, il faut qu'on mette en place
00:47:13 une capacité de collecte des données, d'analyse des données,
00:47:17 et d'accompagnement pour l'exploitation de ces données.
00:47:20 Qu'est-ce qu'on peut en faire, qu'est-ce que ça veut dire,
00:47:23 déséquilibre du territoire sur ça, qu'est-ce que ça veut dire,
00:47:26 qu'est-ce que ça doit impliquer.
00:47:27 - Mais Franchant, quand on lit les derniers rapports intéressants
00:47:30 qui m'ont appris des choses sur le GUEN, ce sont des thèses.
00:47:32 D'ailleurs, c'est pas pour un nom, mais votre fille a fait un travail
00:47:36 sur le CIG, on apprend des choses.
00:47:38 Et ce sont des thèses.
00:47:39 Boris Lama, en histoire, vient de faire une thèse absolument brillante,
00:47:42 il vient de la publier, et ce sont des thèses.
00:47:44 Et moi je me dis, l'université de GUEN est peut-être l'outil à se saisir...
00:47:48 - Pas que, parce qu'une thèse, ça prend du temps.
00:47:51 Ça prend du temps, c'est dans un cadre précis,
00:47:54 donc les travaux sont brillants, mais n'empêche qu'on les a attendus
00:47:57 pendant 4-5 ans d'une part, et que d'autre part,
00:48:00 ils sont sectorisés, en tout cas ils sont limités dans leur champ d'études.
00:48:05 On ne peut pas faire reposer sur nos brillants et brillantes doctorantes
00:48:09 ou docteurs, on ne peut pas faire peser sur elles et sur eux,
00:48:13 la nécessaire collecte permanente, affinée, sophistiquée,
00:48:19 de données qui permettent de prendre des décisions
00:48:22 et d'élaborer des politiques publiques.
00:48:24 Parce qu'il s'agit de ça, les données dont on a besoin,
00:48:27 c'est le matériau de première nécessité, c'est la matière première
00:48:31 pour élaborer des politiques publiques, donc pour notre capacité d'agir.
00:48:35 Donc on doit accompagner effectivement les doctorantes et doctorants,
00:48:39 on doit même accompagner éventuellement l'université,
00:48:42 qui est en train de monter un laboratoire de collecte des données,
00:48:45 d'analyse des données, parce que ça, ça va plus vite que l'élaboration de thèses,
00:48:49 on doit accompagner, mais on ne peut pas faire reposer sur l'université,
00:48:52 elle est un partenaire essentiel, incontournable,
00:48:56 qu'il faut même vraiment favoriser, mais on ne peut pas faire peser
00:49:00 sur l'université le travail de l'INSEE et d'autres organismes
00:49:05 de collecte de données, d'analyse de données, de comparaison des données.
00:49:09 On compare avec qui ? On compare avec le souvenir de Guyana, avec le Brésil,
00:49:13 on compare avec les Antilles, on compare avec la France,
00:49:16 on compare avec l'Europe, le Portugal, même superficie, on compare avec qui ?
00:49:20 Après il me vient quand même ce souvenir, à posteriori assez drôle,
00:49:24 mais qui ne devait pas être son nom, vous savez quand le BRGM sort la carte
00:49:28 des minerais, etc., tout le monde les accuse d'avoir relancé
00:49:33 la filière clandestine de leur payage,
00:49:38 parce qu'ils avaient clairement dit où étaient les derniers gisements, etc.,
00:49:42 donc quand on a de la donnée en plus, malheureusement des fois on tombe sur eux
00:49:45 en disant "bah mais putain, c'est pas..."
00:49:48 C'est un peu pour la boutade que je dis ça, mais rappelez-vous de ça.
00:49:51 - Non mais c'est intéressant, moi je me souviens, quand j'étais élue,
00:49:54 j'ai lu, parce que l'or évidemment c'était un sujet,
00:49:57 j'ai voulu obtenir des cartes du BRGM, et on m'a dit "non, les cartes ne sont pas publiques,
00:50:01 c'est une information qui n'est pas publique". Je dis "ok, je suis députée de la République,
00:50:05 les cartes je vais les avoir". Et c'est comme ça que je me suis envoyée à Orléans,
00:50:08 il me semble que l'orcier devait être à Orléans, ou devait être à Orléans, etc.
00:50:11 Et j'ai acheté des cartes, j'en ai offert d'ailleurs un organisme de formation ici,
00:50:17 qui faisait des formations sur les questions minières, j'ai acheté des cartes,
00:50:21 j'ai acheté des livrets, parce qu'ils avaient fait un excellent travail, le BRGM,
00:50:25 donc il y avait des livrets par site, etc. Mais ce qui est intéressant, voyez-vous,
00:50:29 c'est que j'ai découvert en travaillant sur ce sujet-là pendant plusieurs années quand même,
00:50:32 j'ai découvert qu'en fait les cartes du BRGM, qui sont précises, qui sont des preuves,
00:50:37 un travail technique et scientifique incontestable, ces cartes-là se superposent exactement
00:50:43 à toutes les zones qui ont été explorées pendant le premier cycle de l'Ordre.
00:50:48 C'est-à-dire que ce que les gens ont fait est naturellement...
00:50:51 Il n'y a pas eu de découverte, il n'y a pratiquement pas eu de découverte.
00:50:54 Moi je me souviens, ça m'avait frappé, tous les sites qui étaient répertoriés par le BRGM
00:51:00 avaient un nom, parce que alors c'était "Adieu, va", c'était tout ce qu'on voulait comme nom,
00:51:06 mais "Dieu merci", etc. C'était tout ce qu'on voulait comme nom, mais ça avait été le BRGM.
00:51:12 Et on sait qu'il y a des repassages parce que la technologie s'améliore,
00:51:16 on trouve de l'or qu'on n'a pas pu cueillir à la première fête, etc.
00:51:19 Donc la question, effectivement, il ne s'agit pas de dire que la connaissance est un crime,
00:51:28 au contraire, la connaissance doit nous servir à penser une politique minière sur l'ensemble du territoire.
00:51:34 C'est à ça que ça doit servir, pas accuser celui qui a cherché.
00:51:38 Le médecin n'est pas coupable d'avoir diagnostiqué une maladie.
00:51:41 Bon, on attend qu'il la soigne parce qu'il est médecin.
00:51:44 On ne va pas demander au BRGM de décider de la politique,
00:51:47 mais il appartient à ceux qui ont la responsabilité des politiques publiques
00:51:50 de dire à partir des informations, voilà ce qu'on décide.
00:51:54 - C'est étonnant parce que j'ai relu votre rapport du 1er décembre 2000 sur l'or.
00:52:00 Et c'est vrai que, alors dedans, j'ai noté, vous disiez même que vous avez fait un travail sérieux,
00:52:05 même si pour vous, vous disiez que l'or n'exerce aucune fascination sur vous.
00:52:11 Et c'est vrai que là, on est en train de faire un dossier où on voit que tout le monde nous dit
00:52:15 "C'est fini, le règle du juillet d'air, maintenant il faudrait aller attaquer le primaire."
00:52:18 Est-ce que c'est quand même un avenir ?
00:52:20 Au-delà même si ça ne nous fascine pas, même si...
00:52:23 Ou est-ce que c'est le plus carbone, l'avenir ?
00:52:26 - Alors, moi je vois pas... Les sociétés européennes notamment sont mortes, en tout cas,
00:52:33 se sont considérablement fragilisées ou nécrosées même, de choisir un seul.
00:52:42 Ça a été vraiment la tarne, au sens technique et médical, je crois se que dire,
00:52:51 des sociétés d'avoir vu la monoculture dans les colonies, l'industrie, la sinérologie, la métallurgie, etc.
00:53:00 Un seul truc qui va nous sauver ? On sait bien que non.
00:53:02 Ça c'est mortifère. Ça explose un moment, et puis après ça écrase tout le reste.
00:53:07 Ça détruit des tas de choses avant, ça écrase des choses en s'épanouissant, et après ça désertifie.
00:53:15 Donc moi dans mon rapport de demi, je dis bien que ça ne me fascine pas,
00:53:18 je dis bien que je joue caquet sur table, moi je ne suis pas favorable à l'exploitation minière.
00:53:22 Cependant, je ne fais pas un pays, ça ne dépend pas de moi, de mes fantasmes et de mes goûts.
00:53:28 Je dis cependant, il existe des artisans miniers, il existe des TPE, des PME,
00:53:34 par contre il n'existe pas d'accompagnement bancaire.
00:53:37 Ou bien on veut une économie de sauvagerie, et à ce moment-là, on laisse les gens faire ce qu'ils peuvent,
00:53:43 comme ils peuvent, etc. On fait semblant de ne pas voir.
00:53:46 Si vous n'avez pas d'accompagnement bancaire, ça veut dire que forcément c'est avec l'or qu'on va payer des salaires,
00:53:51 forcément c'est avec l'or qu'on va payer du carburant, forcément c'est...
00:53:54 Vous n'avez pas d'ouverture de crédit qui vous permette d'être une entreprise normale,
00:53:59 qui a un crédit qui peut être contrôlé par l'État, on sait exactement quelle est votre production,
00:54:04 quelle est votre masse salariale, quels sont vos inputs, carburants, etc.
00:54:09 À l'époque de Mercure, j'ai dû batailler 6 ans encore après mon rapport pour obtenir l'interdiction de Mercure en Vian,
00:54:14 mais on sait que tout ça... Donc ça c'est une hypocrisie considérable, et ça je le dis dans le rapport.
00:54:20 Étant donné qu'on donne des autorisations d'exploitation, on doit accompagner le secteur,
00:54:25 et on doit l'accompagner y compris pour la réhabilitation des sites.
00:54:29 L'accompagner pour la réhabilitation des sites, ça veut dire qu'il faut des budgets, il faut des protocoles,
00:54:34 il faut donc que les scientifiques, les organismes de recherche accompagnent, disent comment on fait la revégétalisation,
00:54:41 qu'est-ce qu'il faut privilégier comme espèce, etc., comment on peut reconvertir certains sites, etc.
00:54:47 Il faut faire ça. Donc on dit, on donne des accompagnements, mais on veut pas voir parce que l'or c'est pas...
00:54:54 - C'est pas noble. - Voilà, c'est pas noble, donc on fait pas, et le résultat, l'or il sort du sous-sol.
00:55:00 Il sort du sous-sol, tout le monde sait. Il y a même des hommes qui perdent la vie, pour le savoir.
00:55:05 - Pour... On va bientôt vous... - Je parle des hommes qui perdent la vie, vous comprenez,
00:55:11 je parle des militaires qui partent en mission... - Les 3 militaires morts dans un puits, un autre qui vient de se faire tirer dessus,
00:55:18 à des masses d'armes à terre. C'est des vies... - Voilà, il y a des vies qui sont perdues parce que...
00:55:24 - Et plus, ce que nous disait le procureur général, M. Saulier, et ce que tout le monde commence à voir,
00:55:29 parce que ça commence à sortir aux yeux, une impunité, des gants qui commencent à se greffer dessus, etc.,
00:55:36 donc c'est un impact total sur la guerre. Pour venir plus à vous, quelle est votre actualité, madame Taubira ?
00:55:43 - Oui, parce que ça fait quand même un moment qu'on pose un... - Eh oui, c'est ça.
00:55:48 - Ben oui, ça fait une heure. Mon actualité, elle est multiple, parce que moi, je vis dans plusieurs endroits en même temps.
00:55:56 - Mais là, vous êtes beaucoup en Guyane, donc... - Je suis beaucoup en Guyane. Je suis rentrée, je suis revenue chez moi,
00:56:01 donc je suis réinstallée dans ma tête et dans ma maison, je suis réinstallée en Guyane, depuis... avant le Covid, quand même, hein.
00:56:08 Et puis... Mais bon, je repars, je repars, parce que j'ai des sollicitations qui viennent de tous les continents.
00:56:14 Intellectuellement, ça m'entretient, et puis ça a une utilité aussi politique sur plusieurs sujets, donc voilà, je pars.
00:56:22 Mais je rêve de faire chez moi. Je rêve. Je rêve de donner chez moi. Ça a toujours été mon élan premier.
00:56:30 - On a souvent dit de vous, effectivement, qu'en parlant de vous, madame Taubira, que vous n'étiez pas faite dans ce pays.
00:56:36 On sait qu'il y a eu des déboires électoraux locaux, et pourtant, là, je vous vois vraiment à peu près partout, sur tous les sujets qui comptent,
00:56:45 vous avez ce rôle de sage. Vous avez l'impression de référence. Donc ça y est, vous êtes devenue prophète dans votre pays.
00:56:52 Est-ce qu'il n'y a pas un avis politique pour madame Taubira, sur le plan local, enfin en Guyane ?
00:56:56 - Alors... Bon, vous êtes un très grand observateur de l'avis politique, donc vous avez noté que je fais alerte à toutes les élections locales.
00:57:05 Et ça signifie quelque chose. Je suis allée à toutes les élections locales, je les ai toutes perdues. Toutes perdues. Alors que j'ai gagné...
00:57:11 - Pas perdues. Il y en a 2, 3 où vous n'avez pas gagné, mais on peut pas dire que vous avez perdues non plus.
00:57:15 - Non, j'ai perdues. J'ai perdues. - Ah, pour vous, c'est...
00:57:17 - Quand j'ai été tête de... Si je suis tête de liste au municipal, même si je rentre 10 élus, j'ai pas gagné l'élection.
00:57:25 Moi, je ne me raconte pas de salade. Excusez-moi. Donc moi, j'estime que j'ai perdu l'élection, parce que je conduis une liste pour gagner l'élection.
00:57:32 Je fais une campagne avec un programme, je dis voilà ce que nous allons faire de la ville de Cayenne. C'est à Cayenne que je tiens les 3 fausses élections.
00:57:38 Voilà ce que nous allons faire, comment nous allons l'aménager, comment aujourd'hui on fait un TCSP.
00:57:43 OK, moi en 1995, ça veut dire il y a 30 ans de ça, voilà, je proposais un aménagement de la ville, parce que tout simplement,
00:57:52 on voyait bien que Matori, Rémy, Monjoly, Macouryard, c'était un bassin de population qui se déversait dans Cayenne,
00:58:02 parce que l'administration était dans Cayenne, etc. Il fallait penser l'aménagement du territoire, le penser au-delà de la ville de Cayenne,
00:58:08 le penser en grande agglomération. Donc voilà, moi je fais une campagne avec un programme, avec beaucoup d'enthousiasme.
00:58:14 Si j'ai pas gagné, je suis pas élu maire, je suis pas élu maire. Moi, je ne me raconte pas de salade.
00:58:18 D'autres des signes que j'ai perdus. J'ai perdu trois fois les municipales, j'ai perdu deux fois les régionales,
00:58:24 j'ai perdu aux départementales, et pourtant j'ai gagné toutes les législatives. Si j'avais perdu les législatives, ou même une,
00:58:32 c'est-à-dire que quels que soient les adversaires que j'avais en face aux législatives, je gagnais les législatives.
00:58:39 Quels que soient les adversaires que j'avais en face aux municipales ou ailleurs, je perdais.
00:58:44 Il y a quand même un message dans ça. Il y a un message dans ça. On peut le résumer comme "nul n'est prophète aujourd'hui".
00:58:51 On peut le résumer comme ça. Mais aujourd'hui, j'ai accumulé de l'expérience, j'ai mené des tas de combats.
00:58:56 Évidemment, je me suis pas contentée d'être une élue posée, calme, pondérée, raisonnable.
00:59:04 J'étais dans une très raisonnable, parce que quand on est élue, il faut se battre. Il faut se battre, il faut remporter des victoires.
00:59:10 Cette expérience, ces combats, cette expérience, cette connaissance de l'intérieur des institutions,
00:59:17 des institutions de pouvoir, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif,
00:59:21 cette connaissance, cette expérience, une vraie expérience, c'est-à-dire que je suis pas juste passée,
00:59:28 j'ai livré des batailles à l'intérieur. Donc j'ai vu les mécanismes de fonctionnement, les règles, les freins, les obstacles,
00:59:37 les empêchements inabriculturels. C'est-à-dire que, voilà, une femme luyanaise, avec son passé qu'elle assume en plus,
00:59:51 son passé politique qu'elle assume, ça suscite des obstacles. Et pour moi, c'est normal.
00:59:57 Comment les surmonter, comment les contourner, comment les combattre, comment les démolir, etc.
01:00:04 Bon, tout ça, j'ai vécu ça, je le porte en moi, je suis prête à le mettre à disposition.
01:00:09 Donc vous, vous parlez en termes d'avenir politique, moi je parle en termes de service.
01:00:14 C'est-à-dire que, par exemple, j'ai offert vraiment de travailler sur la réforme institutionnelle
01:00:20 et sur la décision de la luyana à la CARECOM, en disant, mes arguments, c'est que ce sont deux sujets d'intérêt général
01:00:28 qui tous les deux conditionnent notre avenir collectif. Et donc moi je suis prête à mettre mes connaissances,
01:00:35 mon savoir-faire, mes compétences, mes réseaux, parce que, et qu'hors de mes réseaux, ma notoriété,
01:00:42 ma notoriété fait que quand je prends mon téléphone ou que j'appelle, même si ce sont des gens que je n'ai pas rencontrés,
01:00:47 que je n'ai pas connus, etc., j'ai le contact. Donc voilà, je suis prête à mettre tout ça, vous savez, la luyane.
01:00:54 On ne prend pas, on ne prend pas, hein, je suis désolée.
01:00:58 Vous dites CARECOM, pourquoi pas Mercosur ? CARECOM parce que c'est plus des pays qui sont proches des nôtres, petits,
01:01:06 pas beaucoup d'habitants, alors que Mercosur, ce serait peut-être des gens où on ne pourrait pas exister, c'est ça le...
01:01:10 Non, ce n'est pas la seule raison, ce n'est pas la seule raison. D'abord parce qu'en Luyane, la dynamique et le désir collectif,
01:01:19 alors préstitutionnels d'abord, c'est des grands élus, genre Elie Castor, Georges Otilli, ce sont des personnes-là qui avaient une vision du territoire tout entier,
01:01:27 qui avaient une vision du territoire, là où il était situé géographiquement, ce sont ces élus-là qui ont pensé qu'on devrait se rapprocher du CARECOM, etc.
01:01:35 À l'époque, le gouvernement français essayait de dévier en disant "mais peut-être que l'OECS serait mieux",
01:01:40 mais non, CARECOM c'est mieux incontestablement, etc. Donc effectivement, on peut se dire qu'on n'est pas dans la Caraïbe,
01:01:45 même si on a un peu le haut de la mer du sud et que les autres pays sur les naves du Luyana se pensent un peu caribéens,
01:01:51 même les Vénézuélas, les Soudanois... - Les sièges du CARECOM et du CARECOM.
01:01:54 - Voilà, le Luyana, bien entendu, mais bon, pas Mercosur. Donc CARECOM, c'est plus de 20 ans, 25 ans de rêve luyanais d'adhérer.
01:02:04 Et c'est un rêve qui se justifie, se justifie institutionnellement, économiquement, politiquement.
01:02:09 Pourquoi CARECOM plutôt que Mercosur aujourd'hui ? En tout cas, moi, si on m'interrogeait comme vous le faites,
01:02:14 je plaiderais plus pour effectivement consolider cette dynamique CARECOM que Mercosur,
01:02:21 parce que Mercosur, c'est un autre type d'instance, c'est un autre type de convention et de relation avec l'Union européenne,
01:02:29 c'est une autre échelle qui rendrait plus compliquée des discussions pour tenter de concilier des intérêts divergents.
01:02:41 Je veux dire, avec le suivant du Luyana, on a des situations communes et des intérêts divergents.
01:02:47 Illustration, nous avons un littoral commun avec le Brésil aussi, nous avons un littoral commun,
01:02:53 donc nous avons des situations communes, la même mer, les mêmes ressources aviotiques, les mêmes ressources minérales,
01:03:01 nous avons ça en commun. Nous avons des divergences d'intérêts parce que le Suriname et le Luyana
01:03:07 sont membres des pays ACP, Afrique, Arène, Pacifique, qui ont une convention spécifique avec l'Union européenne.
01:03:13 Donc, eux, ils se battent pour toute une série d'avantages au titre des ACP.
01:03:18 Sauf qu'ils viennent dans nos eaux parce qu'ils peuvent y asser librement.
01:03:24 - Parce qu'il n'y a qu'un bateau pour surveiller quand il est pompade, enfin il y a deux bateaux quand ils sont pompades, voilà.
01:03:29 - Voilà, bon. Donc, dans Caricom, on peut, là c'est un espace où on prend langue.
01:03:35 Vous êtes ACP et nous on est en région ultra-périphérique, on arrête ces plaisanteries-là.
01:03:40 Comment on gère ensemble cet espace commun ? Parce qu'on a tous intérêt à préserver les ressources
01:03:46 dans cet espace commun et on a tous intérêt aussi à ce que nos activités économiques
01:03:52 permettent à nos populations de vivre. Donc, comment on monte ça ensemble ?
01:03:56 Comment on pense ensemble la gestion de l'Amazonie ? On a tous intérêt à arrêter les gares de Pérouse,
01:04:02 y compris le Brésil, il y a intérêt. Donc, comment on peut discuter de ça ?
01:04:07 Et Caricom me paraît un espace plus pertinent que Mercosur, qui est composé de grands pays
01:04:12 et qui est vraiment dans les relations d'union, bien sûr, une relation beaucoup plus mercantiliste
01:04:18 que Caricom qui est dans une relation plus institutionnelle.
01:04:22 - Pour revenir sur... - Ça suffit.
01:04:25 - Quel est l'avenir de votre parti, du coup, Walwari ? Parce que vous disiez, bon,
01:04:29 peut-être pas la dernière politique mais plutôt une mise en service de vos connaissances,
01:04:33 d'une zécone d'un parti qui existe toujours, qui est Walwari, qui a eu et rencontré
01:04:39 quelques mésaventures dans les élections récentes. Quel est l'avenir pour lui ?
01:04:43 - Alors, moi, je pense l'avenir politique du pays du Hane. Parce que c'est ce que nous disions,
01:04:50 en fait, c'est comme une boucle... - Est-ce qu'on est un peu comme en 82 ?
01:04:53 Si à un moment donné, ils ne veulent pas, on fait autre chose. C'est ça ce que vous allez nous dire
01:04:58 ou pas du tout ? - Non. C'est qui, ils ne veulent pas ?
01:05:00 - Les électeurs. S'ils ne votent pas pour nous, il faut penser à la...
01:05:05 - Ah oui, donc la dynamique après l'indépendance, enfin... - Voilà. Les 4.3, 4.2, voyez, vous avez fait autre chose.
01:05:11 - Nous, on s'est quand même un peu obstinés. On s'est quand même un peu obstinés, mais bon,
01:05:16 pas collectivement. Non, moi, ce que je pense, je pense que vraiment, nous avons besoin
01:05:21 collectivement de débats politiques. Je l'ai vécu, lorsque j'étais députée au Parlement européen,
01:05:26 j'organisais les universités populaires, l'engouement des gens pour les universités populaires.
01:05:31 Lorsque j'ai organisé sur le schéma minier, dans l'amphithéâtre de l'université de Luyane,
01:05:37 il y avait du monde partout et on a refusé du monde. Il y avait du monde dans les travées,
01:05:42 il y avait du monde partout. Il y avait un goût de savoir, de comprendre, d'avoir des informations, etc.
01:05:48 Et je pense que ce goût est là, ce désir de savoir. Lorsque j'organisais, c'était généralement
01:05:53 à la chambre de commerce, les mardis du savoir, avec des conférenciers, c'était ma prophetie,
01:05:59 j'avais dit que je ne voulais que des conférenciers. A l'époque, ce n'était pas encore la mode.
01:06:03 Donc, les mardis du savoir avec ça. Lorsque j'organisais les séminaires "Palo, Fon, Chod, Ero",
01:06:09 avec des femmes de tout le pays, des Amérindiennes, des Bouchies, etc. Et c'est parce que j'avais décidé
01:06:15 que je voulais des femmes de tout le pays que j'en ai trouvées. Ça veut dire qu'on est persuadé
01:06:18 qu'il n'y en a pas. Moi, dans les années 90, je dis "ben oui, moi j'en veux".
01:06:23 Et j'ai trouvé la première femme coutumière, chef coutumière. C'est parce que j'ai cherché
01:06:28 et j'ai découvert qu'il y avait une femme chef coutumière. Depuis, il y en a eu, mais c'était
01:06:32 la première femme chef coutumière. Donc, voilà. C'était un engouement phénoménal. Phénoménal.
01:06:39 C'était prévu de 8h à 12h30 à 16h, on était encore là, et je ne pouvais pas partir.
01:06:44 Donc, moi, je crois que cette grandisse, ce désir, cette envie et ce besoin d'échange sont encore là.
01:06:52 Donc, moi, ce que je souhaite, c'est que 3, 4 partis politiques en Guyane, y compris Walbury,
01:06:58 se revigorent, parce que les partis ne sont pas morts. Ils sont en sommeil, ils sont en reflux,
01:07:02 ils sont parfois à leur étiage même, mais ils ne sont pas morts. Que tous les partis politiques,
01:07:07 bon, pas des masses, mais 3, 4, pas des groupuscules, 2, 3 personnes, 3, 4 partis politiques reprennent
01:07:13 leur responsabilité, parce que c'est une responsabilité, de s'emparer des grands sujets du pays
01:07:18 et de clarifier les choses pour les gens, et qu'après les gens choisissent.
01:07:22 Perdre une élection, ce n'est pas dramatique. Or, vous voyez le parcours que j'ai fait là ?
01:07:26 J'ai perdu toutes les élections locales chez moi. Vous voyez le parcours que j'ai fait ?
01:07:29 Et que je peux continuer à faire si je veux. Je suis sollicitée aussi bien en France que dans d'autres pays.
01:07:35 Donc, ce n'est pas grave de perdre une élection, mais c'est grave de ne pas élever une voix publique
01:07:43 sur les grands sujets collectifs. Et nous sommes dans un moment où il faut ces débats politiques.
01:07:48 Des confrontations, arguments contre arguments, démonstrations contre démonstrations,
01:07:56 rêves contre rêves, volonté contre volonté, énergie contre énergie, voilà.
01:08:02 Penser ce pays, nous penser collectivement, être à la hauteur de celle de ceux qui nous ont précédés.
01:08:08 Les Amérindiens qui se sont battus, ils ne se sont pas tous battus, mais ils se sont battus.
01:08:15 Les Bouchidingués qui se sont battus, ils ne se sont pas tous battus, mais ils se sont battus.
01:08:19 Nous autres qu'on nous dit du Lidora, les Créoles, qui nous sommes battus,
01:08:24 on ne s'est pas tous battus, mais on s'est battus. Mais ne serait-ce que pour elles et pour eux,
01:08:30 on a le devoir. Et puis toutes celles et tous ceux qu'on accueille, à qui on doit dire
01:08:34 où ils sont arrivés, où elles sont arrivées, quel sens a d'arriver dans ce pays,
01:08:38 s'il n'y a pas des choses qui vous signalent l'histoire de ce pays, vous donnent quelques repères
01:08:43 pour que vous compreniez, mais c'est quoi la vie de ce pays, c'est quoi son histoire,
01:08:46 comment les gens ont vécu, qu'est-ce qu'ils ont inventé, qu'est-ce qu'ils ont traversé,
01:08:50 quelles batailles ils ont livrées, qu'est-ce qu'ils ont perdu, qu'est-ce qu'ils ont gagné, etc.
01:08:53 C'est là qu'on va entrer, et c'est à partir de cette entrée-là qu'on se dit,
01:08:58 bon, moi je viens d'Haïti, mais je veux rester haïtienne parce que je veux rentrer chez moi.
01:09:02 Moi je viens de Syrie, mais je veux rester syrien parce que je veux finir par rentrer chez moi.
01:09:06 Moi je viens de l'Inde, mais je veux rester indien parce que…
01:09:10 Ou alors on peut dire, bon, moi je suis arrivée là, je comprends, je découvre cette histoire,
01:09:15 je comprends, je découvre les gens, et puis c'est là que je me pose,
01:09:20 c'est là que je vais devenir et que je vais être.
01:09:24 Je vais conserver le bagage de mes parents, mes parents viennent d'ailleurs,
01:09:28 je vais le conserver, mais c'est là que je veux être.
01:09:32 Et comment j'y entre ? Mais si je ne sais pas qui c'est, je ne sais pas par où y entrer.
01:09:36 Donc ça on le doit y compris à celles et ceux qui nous rejoignent,
01:09:40 quelles que soient les raisons pour lesquelles elles et ils nous rejoignent.
01:09:43 La guerre, la misère, la persécution, juste le rêve d'une autre vie, etc.
01:09:48 Quelles que soient les raisons, elles et ils nous rejoignent,
01:09:51 il faut qu'elles et ils sachent où elles et ils sont arrivées
01:09:55 et comment elles et ils peuvent devenir,
01:09:58 si elles et ils choisissent de devenir luanaises et luanais.
01:10:02 Merci beaucoup Madame Turbine.
01:10:04 [Musique]