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00:00 [Musique]
00:05 M. Dominique Vian, bonjour.
00:07 Bonjour.
00:08 Alors, pour ceux que votre visage acquit, ça dirait quelque chose, puis votre nom également, vous avez été préfet de la Réunion en 2004.
00:20 Vous êtes resté combien de temps à la Réunion ?
00:22 Oh, assez peu de temps, je suis resté de moins de 2 ans à cheval sur 2 années, et après j'ai été appelé à Paris pour le cabinet de François Barouat.
00:36 On peut dire, alors vous venez de prendre votre retraite, mais vous êtes un préfet qui avait fait beaucoup d'outre-mer.
00:42 J'ai vu dans votre CV que vous aviez commencé au Zafarissa.
00:45 Oui, absolument.
00:47 C'était il y a quelques temps.
00:49 Même aujourd'hui, je ne suis pas certain que les gens sachent où c'est des Zafarissas, c'était un ancien territoire français.
00:55 Du côté de Djibouti, par là, c'est ça ?
00:57 Oui, c'est Djibouti en fait, maintenant ça s'appelle République de Djibouti.
01:00 C'est ça.
01:01 Vous venez régulièrement à la Réunion ?
01:04 Oui.
01:05 Parce que vous avez des intérêts, comme on dit, vous avez...
01:07 Familiaux.
01:08 Familiaux.
01:09 Vous passez une bonne partie de votre temps à la Réunion, que vous partagez avec Fréjus, c'est ça ?
01:14 C'est ça, oui.
01:15 Quand vous venez ici, quel est votre sentiment ? La Réunion a énormément changé.
01:22 Le monde a beaucoup changé.
01:25 La première fois que j'ai connu la Réunion, c'est lorsque j'étais en poste à Mayotte en 82-84.
01:31 Oui, vous avez fait Mayotte.
01:32 C'est la base qui n'avait rien à voir avec le Mayotte d'aujourd'hui.
01:35 Et la Réunion était la base arrière de Mayotte, où on est un peu ressourcés.
01:41 Donc, ça a été le moment où j'ai découvert la Réunion.
01:47 Alors, si vous venez aussi souvent à la Réunion, j'imagine que c'est parce que vous l'appréciez.
01:51 Comment est-ce que vous analysez son évolution positive, négative ?
01:56 C'est bien ? Vous regrettez certaines choses ?
02:00 Moi, je crois qu'on a un peu trop tendance à toujours dire que c'était mieux avant.
02:05 Je crois que c'est peut-être aussi l'âge qui fait ça, parce qu'on était jeunes.
02:08 Moi, ce n'est pas du tout le retard que je porte sur la Réunion,
02:12 qui je trouve s'est énormément développé depuis que je l'ai connue,
02:17 il y a une quarantaine d'années, la première fois.
02:21 Et dans la continuité, depuis le temps où j'ai été préfet ici,
02:26 j'étais parti sur de bonnes assises, et ça se développe.
02:29 Après, on se retrouve sur la problématique générale des départements d'outre-mer,
02:33 des quatre vieilles, peut-être plus que des collectivités d'outre-mer,
02:37 c'est un autre sujet.
02:39 Vous avez été à Mayotte, surtout en Guadeloupe.
02:44 Comment vous positionnez la Réunion par rapport aux autres DOM ?
02:48 Lorsque j'ai retrouvé François Baroin au ministère de l'Outre-mer,
02:53 il m'a dit "parlez-moi des Outre-mer".
02:55 J'ai dit "L'Outre-mer, ça n'existe pas, il y a des Outre-mer".
02:58 Et depuis, on appelle le ministère des Outre-mer.
03:02 La France oublie un petit peu trop, d'ailleurs, me semble-t-il,
03:06 toute sa position ultramarine et sa place dans un monde global
03:13 qui l'amène en proximité avec tout ce grand village qui est le monde.
03:18 Mais chaque collectivité d'outre-mer a sa propre identité,
03:23 son propre caractère, ses propres caractéristiques,
03:26 et dans un espace-monde qui est différent.
03:29 Les Antilles, on est sur l'arc arabe, c'est 50 millions d'habitants,
03:33 avec une culture d'origine espagnole, anglaise, assez différente.
03:38 Avec les Etats-Unis à côté.
03:41 L'Amérique centrale de l'autre côté, la Guyane,
03:45 j'étais en Guyane, à la plus longue frontière terrestre de la France,
03:51 avec le Brésil, elle est en Amérique latine, en Amérique du Sud.
03:56 Ici, on est dans l'océan Indien,
03:58 et l'océan Indien c'est un autre espace-monde, avec d'autres proximités,
04:03 d'autres voies de communication, d'autres cultures tout autour.
04:07 Même si on retrouve un peu partout la francophonie qui était quand même très présente.
04:11 Et puis il y a le Pacifique, ce grand pot au feu, avec un peu d'os,
04:16 et un petit peu de viande autour, si je peux avoir cette expression un petit peu triviale.
04:21 Ce grand espace, le monde du Pacifique, c'est encore un autre monde, il y a tout ça.
04:26 Mais il y a quand même un trait commun, c'est cet attachement à la France,
04:30 cette communauté de destin, cette histoire qui a été faite d'ombre et de lumière,
04:36 et qui est quand même très ancienne.
04:38 On oublie un peu partout, c'est une chose qui me frappe dans les départements d'outre-mer,
04:42 qu'elles s'appellent les quatre vieilles.
04:44 Je pense à la Réunion, je pense à la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique.
04:48 Pourquoi les quatre vieilles ?
04:50 C'est les quatre plus vieilles présences que nous avons outre-mer.
04:54 Bien avant, mon pays natal, Nice, les territoires de Belfort, la Savoie, etc.
05:01 Là-dessus, c'est un profond attachement.
05:05 Et puis, un attachement extrêmement profond, qui est instinctif.
05:10 Si elles sont devenues des départements d'outre-mer, c'est parce qu'elles avaient choisi la France libre.
05:16 La Réunion a rejoint la France libre en 1942.
05:20 Elle a exigé de faire partie consubstantielle de la France,
05:25 et par voie de conséquence, de l'Union Européenne.
05:28 C'est quelque chose d'important.
05:30 Il y a eu des étapes capitales dans l'évolution des départements d'outre-mer.
05:35 La plus importante, ça a été la départementalisation.
05:38 Oui, assurément.
05:40 Qui a été un boost phénoménal, aussi bien économiquement que pour l'éducation, que pour tout.
05:48 Il y a eu ensuite les lois de décentralisation.
05:52 Aujourd'hui, on évoque la nécessité d'avoir encore plus de décentralisation.
05:56 On n'ose pas prononcer le nom d'autonomie, mais c'est quasiment ça.
06:00 Comment est-ce que vous analysez, vous maintenant à la retraite, vous avez retrouvé votre liberté de parole,
06:04 comment est-ce que vous analysez cette évolution, et comment voyez-vous notre avenir ?
06:08 Je crois que c'est un petit peu plus complexe que ça.
06:10 Quand on se retrouve le lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
06:14 le rêve, c'est la foi dans la République.
06:17 On se libère dans les valeurs de la République.
06:20 On ne veut plus de la loi coloniale, sa spécificité, etc.
06:26 On veut être des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes obligations.
06:30 Il y avait déjà eu le service militaire obligatoire avant la guerre de 1914-1918,
06:37 qui a été réclamé là-dedans.
06:39 Donc c'est quelque chose de fort.
06:41 Et on prend le modèle français, avec la départementalisation,
06:45 le même droit qu'en métropole,
06:48 avec quelques adaptations quand même,
06:50 pour éviter qu'on impose le chasse-neige ou des bêtises comme ça.
06:54 Très peu d'adaptations.
06:55 Le chauffage de la classe.
06:56 Le chauffage de la classe.
06:58 Et je me rappelle une petite anecdote où on continuait à construire,
07:02 comme si on était dans l'hémisphère nord, du côté de l'ombre,
07:05 avec le contre-sens que cela avait à La Réunion.
07:07 Des petites choses comme cela.
07:09 Et donc c'était ce modèle-là que l'on a voulu, avec l'égalité.
07:13 Et puis après il y a eu toute la politique de l'État,
07:15 du rattrapage sur les standards métropolitains.
07:18 Ça a mis du temps.
07:20 Mais ça a quand même été réussi.
07:21 Et ce n'est pas encore totalement terminé encore.
07:22 Et ce n'est pas encore totalement terminé,
07:24 mais peut-être qu'il faut voir autre chose,
07:26 de mon point de vue, que les standards purement européens.
07:29 Et donc c'était une récite.
07:32 Mais paradoxalement, on n'a pas fait évoluer.
07:36 La décentralisation est arrivée.
07:39 On l'a appliquée telle qu'elle est en métropole.
07:41 Et je prends le dernier acte de la décentralisation,
07:43 la réforme territoriale,
07:45 avec les communautés d'agglomération,
07:47 les syndicats de communes.
07:49 On a copié telle qu'elle,
07:51 sur les outre-mer,
07:53 alors qu'on n'a pas 36 000 communes,
07:55 comme en France, métropolitaine.
07:57 Donc il y a eu quelques erreurs.
08:00 Et peut-être quelque part,
08:02 une espèce de déresponsabilisation à l'échelon local,
08:05 où il y a d'un côté la compétence de l'État,
08:07 et de l'autre côté, la compétence décentralisée.
08:12 Avec ce mille-feuille administratif,
08:15 la région n'est pas dans l'intercommunalité.
08:21 Est-ce que vous pensez qu'il y a trop de strates ?
08:25 Moi, ça m'apparaît évident.
08:27 Je reviendrai un petit peu.
08:29 La France est un pays terroir, finalement.
08:31 Y compris sur sa partie européenne, continentale.
08:36 Donc chaque terroir a son histoire, son attachement.
08:39 Et c'est probablement ce qui fait le charme de la France dans son ensemble,
08:43 y compris avec ses outre-mer.
08:45 C'est la première destination touristique du monde,
08:47 la France, dans son ensemble.
08:49 Et on est bien obligé d'en tenir compte.
08:51 Pardonnez-moi de citer saint Thomas d'Aquin,
08:54 mais c'est la verita serrurum.
08:56 C'est la réalité de cette vie en commun,
08:58 de cette histoire qui s'est construite,
09:00 de cette communauté de destin.
09:02 On ne peut pas aller trop loin.
09:04 On peut estimer les communes qui sont trop nombreuses.
09:07 On l'a abandonnée.
09:09 C'est comme ça qu'on est venu sur les idées d'intercommunalité et autres.
09:14 Donc c'est un peu compliqué.
09:17 La décentralisation remonte à 1982.
09:20 Rien n'est parfait dans ce bas monde.
09:23 Tout doit évoluer.
09:25 Moi, je suis convaincu qu'il faut que notre organisation territoriale,
09:28 l'organisation d'exercice des compétences,
09:31 évolue également aussi pour peut-être un peu plus de responsabilité
09:35 au niveau territorial,
09:37 le destin, le futur.
09:40 La politique, c'est quoi finalement ?
09:42 C'est bâtir du futur.
09:44 Et pour bâtir du futur, il faut d'abord le rêver.
09:47 Après, il y a l'idée.
09:49 Puis, il y a le programme et on le met en exécution.
09:51 Ce qui veut dire que chaque entité qui constitue cette unité de vie
09:54 doit prendre en main également son propre destin,
09:58 pour pouvoir s'ensuguer avec les autres,
10:00 pour arriver à enrichir l'ensemble.
10:02 Je pense qu'on est à un moment où il faut un peu changer.
10:05 D'ailleurs, on en parle beaucoup en ce moment.
10:07 Ce qui est assez complexe.
10:09 Comment vous imagineriez cette évolution dans le futur pour la Réunion ?
10:12 Je pense qu'il y a deux choses.
10:14 Il y a les Outre-mer et la France hexagonale.
10:18 On n'administre pas, c'est ce que j'ai appris dans mon métier,
10:21 de la même façon un espace insulaire et un espace continental.
10:25 La France a peut-être un peu trop oublié qu'elle a aussi des espaces insulaires.
10:31 C'est différent des espaces insulaires.
10:33 Ils ont leur propre histoire.
10:35 On le voit bien en Corse.
10:37 On le voit bien en Corse, on le voit de partout.
10:39 Je constate par exemple une chose, c'est que tous les territoires,
10:41 il n'y a pas que la France qui a des territoires d'Outre-mer,
10:43 il y en a de partout.
10:45 Même l'Italie avec la Sicile, l'Espagne, le Portugal.
10:49 Tous ont des statuts un peu particuliers.
10:52 On a bien été obligé de faire la même chose pour la Corse,
10:55 qui pourtant est très proche de la France.
10:57 Donc je crois qu'il faut prendre ça en compte
10:59 et qu'on arrête peut-être un peu trop de trop copier systématiquement
11:04 les modèles européens ou les modèles hexagonaux,
11:07 y compris de la part des responsables politiques locaux ou Outre-mer.
11:12 Il faut imaginer, on en est à un domaine d'imagination.
11:16 Je constate d'ailleurs que notre pays, au niveau national, global,
11:20 traverse quand même une grande crise politique.
11:23 Il y a un défaut d'imagination, un défaut de rêve.
11:27 On voit beaucoup d'opposition, tout le monde s'oppose les uns aux autres.
11:30 Mais quoi ?
11:32 Je trouve qu'il y a de plus en plus un divorce entre la population
11:37 et l'organisation générale, la technostructure là-dedans.
11:41 Je ne crois pas du tout que ce soit un désintérêt de la chose publique
11:45 et de la chose politique.
11:46 On n'a pas la réponse à une attente qui est mal exprimée
11:50 et il n'y a plus cette volonté de créer.
11:53 C'est un peu particulier.
11:55 Donc il y a tout ça à imaginer.
11:56 Les imaginations, il faut qu'elles soient collectives.
11:59 Chacun a sa part de vérité et on est plus fort quand on additionne les parts de vérité
12:03 et pas quand on les oppose.
12:05 C'est ma conviction, c'est peut-être un peu trop philosophique.
12:07 Non mais c'est vrai, mais en même temps,
12:09 peut-être qu'on manque de grands hommes avec de grandes visions peut-être aussi.
12:13 Les grands hommes, nous sommes une démocratie.
12:16 Le plus grand homme en France, c'est le peuple.
12:18 C'est lui qui a le pouvoir et la souveraineté.
12:20 Et ce qu'on appelle les grands hommes, les leaders,
12:23 on a besoin de leaders.
12:25 Mais pour qu'il y ait un leadership, il faut qu'il y ait des idées.
12:28 Et c'est au service d'une idée, d'une doctrine,
12:32 je préfèrerais appeler ça le rêve,
12:34 plutôt que des doctrines qui s'opposent les unes aux autres, d'un projet.
12:37 C'est là où peut émerger un leader qui porte ça
12:40 et qui fait partager ce projet ou ces projets
12:43 à l'ensemble des citoyens qui seront les seuls souverains.
12:47 Et je pense que si on peut dire qu'il manque de grands hommes,
12:50 ce n'est pas qu'il manque de grands hommes.
12:52 Après tout, De Gaulle, qu'est-ce qu'il a fabriqué ?
12:54 C'était les circonstances aussi.
12:56 Ce n'était qu'un colonel à la fin de la guerre.
12:58 Donc il faut la rencontre entre des circonstances, des idées, etc.
13:01 Une étincelle qui fait que ça marche.
13:04 Et c'est là où on a besoin un peu de ce pétillement d'étincelle.
13:09 Vous avez laissé l'image d'un préfet
13:13 qui disait les choses de vérité.
13:17 On a discuté un tout petit peu avant de commencer cette interview
13:21 et vous m'avez raconté une anecdote qui m'a bien fait sourire.
13:24 Vous avez été préfet de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Mayotte.
13:28 Secrétaire général à Mayotte.
13:30 Et pas de Martinique.
13:33 Oui.
13:34 Racontez-moi ça.
13:35 C'est une petite anecdote, c'est une petite boutade.
13:38 Je sortais simplement une plaisanterie.
13:40 Vous savez que Guadeloupe et Martinique,
13:43 ce sont deux sœurs qui s'adorent à se haïr.
13:46 Une grande rivalité.
13:48 Je rappelle que Fort-de-France a été la capitale des Antilles françaises,
13:52 des petites Antilles.
13:54 Je ne parle pas de Saint-Domingue, Antilles, etc.
13:57 Donc il y a une rivalité entre ces deux îles.
14:00 Et le développement de la Guadeloupe est arrivé après celui de la Martinique.
14:05 Il y a le problème des béquets et des bons pays,
14:08 où ce n'est pas la même chose, etc.
14:10 Il y a une certaine jalousie là-dedans.
14:12 Et je fais une petite bêtise, comme tous les provençaux,
14:16 on me parle parfois un peu trop.
14:18 J'étais en Guadeloupe quand les femmes guadeloupéennes
14:22 ont littéralement explosé.
14:24 Elles étaient championnes de tout, championnes olympiques,
14:26 la course, José Pérec, etc.
14:28 J'ai rien trouvé de mieux que de dire à la radio,
14:30 "Pouf, les guadeloupéennes c'est quand même autre chose que le martiniquais."
14:34 Elles ne me parlaient plus de martiniquaises.
14:36 Et quand je suis revenu comme préfet, on me dit,
14:38 "Monsieur le préfet, dans votre programme, c'est quoi votre ambition ?"
14:41 "C'est trop petit, Guadeloupe et Martinique."
14:44 "C'est faire un grand département de la Guadeloupe."
14:46 "C'est prendre la Martinique pour en faire l'arrondissement sud de la Martinique."
14:50 Il n'y a plus un martiniquais qui m'a parlé.
14:53 Et donc plus possible d'aller en Martinique après comme préfet.
14:56 Racontez-nous quelques anecdotes sur la Réunion qui vous ont marqué.
15:00 Des hommes, des événements...
15:03 Ce qui m'a marqué sur la Réunion,
15:06 moi j'arrivais directement de la Guadeloupe.
15:09 J'étais quasiment muté, je ne dirais pas disciplinaire, n'exagérons pas,
15:13 mais on avait voulu à tout prix que je vienne ici.
15:16 Et c'est quand même deux pays très très différents.
15:22 Les Réunionnais sont, si je force le trait,
15:29 je ne dirais pas "trovertis", le terme est trop fort,
15:33 mais autant réservés et courtois que les Antillais sont extravagants.
15:40 Extravertis.
15:41 Extravertis et extravagants aussi.
15:44 Pour vous donner une petite anecdote,
15:47 juste avant de partir, je me prenais avec ma femme en Guadeloupe
15:50 pour regarder le coucher de soleil sur un cap, etc.
15:53 Il y avait un Lolo, une bande de zeuglasses, une Guadeloupienne.
15:57 Je lui ai dit "Monsieur, tu n'es pas le préfet ?"
16:01 Elle me dit "Non, je ne suis pas le préfet."
16:03 Ma femme me dit "Tu vois bien que ça lui ferait plaisir quand même d'avoir le préfet."
16:07 Je lui ai dit "Non, je ne suis pas le préfet aujourd'hui, c'est dimanche,
16:10 et demain je suis le préfet."
16:11 "Ah, je t'ai reconnu madame !"
16:13 Elle prend l'appareil photo et elle le donne à ma femme
16:16 pour qu'elle me photographie tous les jours.
16:18 Il n'y avait pas encore les selfies à l'époque.
16:20 Voilà, il n'y avait pas les selfies.
16:21 Et après elle me tourne la tête et elle me claque un baiser.
16:24 Je lui dis "Mais pourquoi ?"
16:26 Elle me dit "Je n'ai jamais embrassé un préfet."
16:28 Bon, 4-5 jours, 3 semaines après, on se promène avec ma femme
16:32 dans un truc, sur une promenade un peu facile en campagne.
16:38 Et il y a des gens qui nous passent devant,
16:41 on s'était assis à un endroit.
16:43 Et puis bon, on continue notre promenade,
16:46 on tombe sur des gamins.
16:48 "Monsieur, vous n'êtes pas le préfet ?"
16:50 "Si, monsieur."
16:52 Et puis on va partir.
16:54 Et après ils vont voir leurs parents.
16:56 "Bonjour monsieur le préfet."
16:58 Voilà, pour citer cette anecdote.
17:00 Et même les créoles sont différents.
17:02 Là vous êtes à La Réunion.
17:04 Là je suis à La Réunion.
17:06 Même les créoles sont différents.
17:08 Les expressions, le la-di, la-fé, ça n'existe pas dans le créole de Ventigny.
17:10 Mais j'aime beaucoup le caractère réunionnais.
17:12 Et ce côté montaignard aussi.
17:14 Oui, parce que à La Réunion c'est pareil.
17:16 Le créole de Saint-Denis n'est pas le même que chez la pleine des quatre.
17:20 Voilà.
17:22 Et puis il y a...
17:24 Moi ce qui m'a frappé, ce que je retiens beaucoup,
17:26 et c'est peut-être pour ça que je suis très attaché à La Réunion,
17:28 on a tous des pépites,
17:30 mais on les oublie.
17:32 Et la pépite de La Réunion,
17:34 c'est le vivre ensemble.
17:36 Qui n'est pas simplement quelque chose de vécu,
17:40 mais qui est quelque chose aussi de voulu.
17:42 On y est attaché.
17:44 Et on a peur que ce soit atteint.
17:46 Quand on voit un petit peu
17:48 les désordres qu'il y a en métropole,
17:50 toutes ces hésitations,
17:52 ce qui me frappe quand je vois mes amis réunionnais,
17:54 on a peur que ça vienne ici.
17:56 Et quand je suis venu m'installer,
17:58 puisque maintenant je suis installé ici,
18:00 ce qui m'a frappé c'était la paix
18:02 et le rapport respectueux qu'il y a entre les uns et les autres.
18:04 Et ça c'est vraiment...
18:06 Et c'est ce qui a fait que tu as une église...
18:08 Voilà.
18:10 Avec un évêque qui était extraordinaire.
18:12 Là-dedans,
18:14 ces relations qu'il y avait entre l'église romaine,
18:16 catholique,
18:18 l'islam,
18:20 qui est quand même très intégré ici.
18:22 La mosquée,
18:24 quand elle s'est faite, c'était après la loi sur
18:26 la laïcité,
18:28 conformément aux doctrines
18:30 de la république.
18:32 Puis,
18:34 toute la religion,
18:36 enfin, je ne sais pas si on peut dire,
18:38 les hindous aussi,
18:40 tout ça il y a un concrétisme qui se fait,
18:42 qui va dans un sens de l'humain.
18:44 Si je dis qu'à la Réunion,
18:46 la chance de la Réunion,
18:48 c'est le métissage,
18:50 alors qu'aux Antilles,
18:52 c'est plutôt bloc contre bloc,
18:54 blanc d'un côté,
18:56 noir de l'autre,
18:58 je me trompe de beaucoup ?
19:00 C'est un peu trop fort.
19:02 C'est un peu réducteur,
19:04 mais la tendance quand même...
19:06 Non, c'est différent.
19:08 D'abord, je crois qu'il y a quelque chose de fondamental.
19:10 Je n'ai pas vu à la Réunion
19:12 une façon de nationalisme,
19:14 d'indépendance.
19:16 Je ne dis pas qu'il n'y a pas
19:18 quelques gens qui pensent à l'indépendance,
19:20 mais je n'en ai pas rencontré personnellement,
19:22 nulle part.
19:24 Ce que j'ai rencontré le plus,
19:26 c'est la peur du langage d'être séparé de la métropole.
19:28 Aux Antilles, il y a quand même
19:30 tout l'arc-en-tier,
19:32 il y a cette chose-là aussi.
19:34 Et puis, l'esclavage a été quand même, je crois,
19:36 beaucoup plus dur, beaucoup plus douloureux
19:38 aux Antilles qu'à la Réunion.
19:40 Aux Antilles, dès le début,
19:42 très rapidement, on a eu
19:44 l'agro-industrie avec la canne à sucre,
19:46 etc.
19:48 A la Réunion, la canne à sucre,
19:50 elle est arrivée quasiment après l'esclavage.
19:52 L'esclavage reste aussi dur aux Antilles ?
19:54 Non, mais
19:56 je ne sais pas si vous avez lu "Les Codes Noires".
19:58 Moi, je regarde
20:00 "Les Codes Noires" de la Guyane.
20:02 J'étais préfet. Et celui des Antilles,
20:04 ça n'a rien à voir.
20:06 Et j'étais choqué
20:08 dans les archives
20:10 de la Guadoupe, de voir des actes
20:12 d'achat et de vente
20:14 entre des ordres religieux de propriété,
20:16 où le gamin
20:18 avait moins de valeur qu'un chevreau.
20:20 Ça ne comptait
20:22 pour rien.
20:24 C'est horrible, là-dedans.
20:26 Si je prends "Les Codes Noires", je ne dis pas qu'ils étaient bien.
20:28 "Les Codes Noires" de la Guyane,
20:30 les esclaves,
20:32 on ne pouvait pas les séparer, on ne pouvait pas séparer les familles.
20:34 Ils avaient un patrimoine,
20:36 ils pouvaient aller vendre leurs légumes, etc.
20:38 et garder l'argent, ce qui n'était pas du tout le cas.
20:40 Mais il y avait le grand nombre
20:42 sur l'Amérique
20:44 et sur les Antilles
20:46 avec la canne à sucre, cette culture industrielle.
20:48 Il n'y avait pas les tracteurs à l'époque.
20:50 Et ici,
20:52 il a fallu attendre que l'île devienne
20:54 anglaise, l'île Bourbon,
20:56 pour qu'on plante
20:58 de la canne à sucre. C'était quand même
21:00 un peu une époque finie, à ce moment-là.
21:02 Donc, ça a été plus réduit.
21:04 Et l'esclavage,
21:06 si j'ai bien compris,
21:08 l'esclavage que l'on a connu ici,
21:10 c'est vrai qu'on a connu,
21:12 c'était de l'esclavage qui était
21:14 importé de l'esclavage qui était pratiqué à Madagascar
21:16 avant la présidence française.
21:18 Quasiment, là-dedans.
21:20 Donc, je crois que c'est un peu différent, quand même.
21:22 -A votre séjour, est-ce que vous avez connu de grands événements,
21:26 des cyclones qui vous ont marqué, quelque chose comme ça ?
21:28 -A la Réunion ? -Oui.
21:30 -Je suis pas resté assez longtemps
21:32 pour voir la fin du monde, ou à peu près.
21:34 Alors, ce qui m'a énormément marqué,
21:36 c'est quand je suis arrivé,
21:38 il y a le volcan
21:40 qui avait décidé de me saluer,
21:42 paraît-il, il paraît que c'était un signe de bonheur.
21:44 Il s'est mis à cracher, etc.
21:46 Et il y avait un gros débat,
21:48 à l'époque, entre l'ONF,
21:50 qui était très présente, très, très, très active,
21:52 c'était avant que le parc existe,
21:54 et qui trouvait
21:56 un peu ridicule qu'on interdise aux gens
21:58 d'aller voir
22:00 les coulées de lave.
22:02 Et ça divise un peu les administrations.
22:04 Bon, moi, ça faisait peut-être
22:06 15 jours, 3 semaines que j'étais là,
22:08 et un week-end, le sous-préfet de permanence,
22:10 le SGAR, me téléphone en me disant
22:12 "Il y a la lave qui arrive sur
22:14 la route,
22:16 qui va arriver sur la route.
22:18 Qu'est-ce qu'on fait ? On interdit tout."
22:20 Alors, il y avait un dispositif, etc.
22:22 Je lui dis "Qu'est-ce que vous en pensez ?"
22:24 Il devait arriver
22:26 deux jours après, je sais pas quoi.
22:28 Il me dit
22:30 "Je trouve que c'est un peu dur, moi aussi."
22:32 Bon, on va dire à l'ONF,
22:34 puisqu'ils veulent à tout prix
22:36 s'engager là-dessus, d'organiser toutes ces choses-là.
22:38 Bon, on le fait,
22:40 et le
22:42 comsup venait d'arriver.
22:44 Il me téléphone en me disant
22:46 "J'ai un hélicoptère pour aller voir les laves."
22:48 - C'est pour prendre des phases d'oeil.
22:50 - Voilà.
22:52 "Est-ce que vous voulez venir avec moi ?"
22:54 "Avec plaisir."
22:56 Je me suis dit "Bon, je vais aller voir, c'était magnifique."
22:58 Et puis, on s'approche
23:00 vers... Comment s'appelle ?
23:02 - Saint-Philippe.
23:04 - Il y avait un monde.
23:06 On se pose.
23:08 La terreur !
23:10 Le général me dit "On rentre ?"
23:12 "Oui, on rentre."
23:14 Et lui était tout à fait partisan
23:16 qu'on laisse les gens les voir.
23:18 Mais je ne connaissais pas des outre-mer
23:20 avec autant de monde.
23:22 Et ça se gère.
23:24 On réquisitionnait les phases d'oeil
23:26 pour faire des petits trucs
23:28 au niveau local
23:30 pour encadrer tous les visiteurs.
23:32 Et puis, il y avait cette radio extraordinaire
23:34 - Radio Freedom.
23:36 - Freedom.
23:38 Ce matroservice passait des messages
23:40 qu'on organisait ensemble.
23:42 Et puis, le dispositif s'est mis comme ça.
23:44 Et puis, après, c'est resté.
23:46 Ça, c'était ma grande peur.
23:48 - Et aujourd'hui, c'est interdit.
23:50 - Je ne sais plus.
23:52 Mais on a vu les éruptions
23:54 selon ce dispositif
23:56 qui marchait assez bien.
23:58 - Au niveau des hommes politiques
24:00 qui vont s'en marquer,
24:02 vous avez connu Paul Vergès ?
24:04 - Oui.
24:06 - Avec du recul, maintenant,
24:08 il était vraiment aussi brillant ?
24:10 Il avait l'oreille de Paris,
24:12 comme on le disait ?
24:14 - L'oreille de Paris...
24:16 Moi, je trouve que c'était un homme de qualité.
24:18 Très honnêtement.
24:20 Il avait une vision.
24:22 Je pense à la route du Tamarin.
24:24 - Oui, c'est lui.
24:26 - On a eu la route du littoral.
24:28 On a dû travailler ensemble
24:30 sur la route du littoral.
24:32 Il y avait le débat de savoir
24:34 si on l'avait fait passer en haut,
24:36 ce qui était un peu son idée,
24:38 ou en bas.
24:40 On avait deux idées qu'on partageait,
24:42 mais on était à peu près les seuls.
24:44 C'était d'avoir une voie ferrée.
24:46 Après tout, elle avait existé.
24:48 On ne l'avait pas.
24:50 Donc, on était partis sur un tram-train.
24:52 Peut-être un peu trop en avance à l'époque.
24:54 C'est un peu compliqué, les tram-trains.
24:56 Mais je crois que c'est une bonne idée
24:58 d'avoir quelque chose en site propre.
25:00 - On y revient, là.
25:02 - On y reviendra peut-être, là-dedans.
25:04 Donc, il y a eu ces choses-là.
25:06 C'était quand même...
25:08 Chirac l'avait nommé Olgiec.
25:10 Il était très actif sur Olgiec.
25:12 - Oui.
25:14 C'est un visionnaire dans ce domaine-là.
25:16 - C'est le premier à avoir parlé
25:18 de son monde automatique.
25:20 - Sur toutes ces choses-là.
25:22 Je ne sais pas s'il avait toutes les compétences.
25:24 Ce n'est pas scientifique.
25:26 Moi, je ne les ai pas.
25:28 Donc, chacun a sa pensée là-dessus.
25:30 Je trouvais que c'était quelqu'un de très intéressant.
25:32 Il y avait Jean-Paul Virapoulé, aussi.
25:34 Moi, j'ai été frappé quand
25:36 je suis passé au Sénat.
25:38 J'étais conseiller de Gérard Larcher.
25:40 Jean-Paul Virapoulé
25:42 était écouté au Sénat.
25:44 Et pas simplement sur les affaires d'outre-mer.
25:46 C'était un grand énorme.
25:48 La sénatrice
25:54 comment elle s'appelle ?
25:56 Au secours.
25:58 - Je ne sais pas de quoi.
26:00 - Qui était présidente du conseil départemental.
26:02 - Ah, Nassima Dendar.
26:04 - Nassima Dendar, aussi.
26:06 Je trouve qu'elle avait pas mal de qualités.
26:08 Sur ceux que j'ai connus,
26:10 là-dedans, et Hugues Pellaud.
26:12 Il y a un caractère,
26:14 une personnalité,
26:16 un attachement à son pays.
26:18 Des gens généreux.
26:20 Et puis, il y a le Grand Sud.
26:22 Avec le maire
26:24 de Saint-Pierre,
26:26 Tiana Koun.
26:28 C'est pas pour rien s'ils sont toujours
26:30 à la tête de leur collectivité. Ils ont fait beaucoup.
26:32 C'est vrai que vous me disiez
26:36 est-ce que la Réunion a changé ?
26:38 On avait presque deux Réunions quand j'étais en poste.
26:40 Le Grand Sud, c'était...
26:42 Pour aller là-bas, on mettait du temps.
26:44 Je crois que certains avaient même émis
26:46 l'idée de faire deux départements.
26:48 - Bidep.
26:50 - Bon, maintenant, avec cette autoroute,
26:52 la route des Tamarins, c'est fabuleux.
26:54 Là-dedans,
26:56 tout a changé.
26:58 Et Saint-Pierre a énormément changé.
27:00 Une chose qui m'a énormément frappé aussi,
27:02 - Herbillard.
27:04 - dont on parle peu,
27:06 c'est tout cet espace entre
27:08 l'école et la possession.
27:10 Cette immense
27:12 zone d'activité...
27:14 - À Cambay.
27:16 - Mais pas simplement
27:18 à Cambay. On parle toujours de Cambay.
27:20 Il y a encore de l'espace pour développer.
27:22 Mais j'ai l'impression que c'est
27:24 un espace économique
27:26 qui s'est énormément développé.
27:28 D'ailleurs, visiblement, ceux qui ont succédé
27:30 à la D2 ont quelques problèmes pour arriver
27:32 à trouver la solution routière
27:34 pour ce machin qui ferme
27:36 à chaque heure de pointe.
27:38 Je trouvais que c'était assez extraordinaire
27:40 le développement de cette zone.
27:42 Et Saint-Paul s'est bien développé.
27:44 Un attachement aussi
27:46 au patrimoine historique
27:48 qui est bien mis en valeur.
27:50 C'est bien.
27:52 - Très bien. C'était un plaisir pour moi de discuter avec vous.
27:54 - Je vous en prie. - Et puis, bon séjour
27:56 chez nous. - Merci.
27:58 [Musique]