Jaleh Bradea reçoit Frédérique Martz Sutter, directrice générale de l’institut WomenSafe & Children et Violaine de Filippis Abate, avocate et écrivaine. Women Safe & Children alerte et accompagne les femmes et les mineurs victimes de violences. L'Institut agit partout en France, forme la population à repérer et comprendre les violences, prend en charge les victimes avec des spécialistes et surtout informe sur ce fléau d’actualité. Violaine de Filippis Abate, figure du féminisme en France, participe à cette prévention via son expérience personnelle et son livre Classées sans suite.
Florence Foresti, marraine de l’association, lance un message de soutien à toutes ces femmes victimes de violences domestiques et continue de lutter pour éradiquer ces comportements via les actions de Woman Safe & Children.
Florence Foresti, marraine de l’association, lance un message de soutien à toutes ces femmes victimes de violences domestiques et continue de lutter pour éradiquer ces comportements via les actions de Woman Safe & Children.
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00:07 -Bonjour et bienvenue dans "Envie d'agir",
00:09 où je suis très heureuse d'accueillir aujourd'hui
00:12 Frédérique Martz et Violaine De Filippi,
00:14 au lendemain de la journée internationale de lutte
00:17 contre les violences faites aux femmes.
00:20 Bonjour à toutes les deux. -Bonjour.
00:22 -Merci d'être avec nous. Je vais commencer par quelques chiffres
00:25 de l'Observatoire national des violences faites aux femmes,
00:29 qui sont des indices longs.
00:30 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire
00:34 en une année.
00:35 97 féminicides depuis le début de cette année,
00:40 ce qui équivaut à un féminicide tous les trois jours.
00:43 En moyenne par an, alors ce chiffre-là,
00:47 il est incroyable, 213 000 femmes entre 18 et 75 ans
00:51 qui sont victimes de violences physiques ou sexuelles
00:55 par leur conjoint ou ex-conjoint.
00:58 Frédérique, c'est incroyable, ces chiffres.
01:00 -Oui, effectivement, c'est incroyable.
01:02 Vous avez donné le chiffre des femmes qui meurent tous les deux jours
01:06 sous le coup des violences du conjoint,
01:09 mais je rajouterai un chiffre important,
01:11 c'est parler des enfants, parce qu'un enfant, aujourd'hui,
01:14 meurt dans un contexte de violence intrafamiliale
01:17 tous les cinq jours, donc c'est important.
01:20 -C'est énorme aussi, effectivement.
01:22 Vous, vous avez donc créé, il y a 10 ans déjà,
01:26 Women Safe and Children, effectivement, femmes et enfants,
01:30 où se retrouvent gynécologues, psychologues, médecins,
01:34 juristes, avocats, pour venir de façon concrète en aide
01:37 aux femmes et aux mineurs victimes de violences.
01:40 Donc, déjà 10 ans, pourquoi être allée dans cet engagement ?
01:44 -Alors, c'est un engagement qui est effectivement
01:47 extrêmement personnel, puisqu'on parle d'engagement.
01:50 Pourquoi cet engagement ? C'est une association, effectivement,
01:54 qui répond à une problématique de santé publique,
01:57 qui est importante, puisque les victimes
01:59 reconnaissent qu'il faut absolument les prendre en charge
02:03 de manière pluridisciplinaire, vous l'avez cité,
02:05 et éviter d'avoir un parcours qui est morcelé.
02:10 Elle est pionnière dans cette organisation.
02:13 En 2014, il n'y avait pas de lieu
02:14 qui réunissait l'ensemble des professionnels.
02:17 On a choisi de mettre la santé et la justice dans un même lieu.
02:21 Utiliser, ce qui est important pour nous,
02:23 pour que ces femmes n'aillent pas, n'errent pas
02:26 dans un parcours qui leur paraissait insurmontable
02:29 au vu de ce qui leur a été proposé à l'époque.
02:32 -Violaine, vous aussi, vous êtes très engagée
02:34 pour les droits des femmes.
02:36 Vous avez d'ailleurs écrit un livre qui s'appelle "Classé sans suite",
02:40 où, assez clairement, en trois parties,
02:43 vous montrez que ni l'Etat, ni l'éducation
02:47 et ni même la justice n'arrivent aujourd'hui
02:50 à tout à fait répondre aux problématiques
02:53 de violences faites aux femmes. Pourquoi ce livre ?
02:56 -J'ai écrit ce livre pour expliquer et analyser
02:59 et également dénoncer ce qui se passe vraiment
03:02 quand on va déposer plainte pour violences faites aux femmes.
03:06 Dans 8 cas sur 10, la plainte va être classée sans suite.
03:09 Comme le rappelle l'Inspection générale de la justice
03:13 pour les féminicides, quand la femme avait déposé plainte
03:16 avant de décéder, on retrouve ce chiffre.
03:18 Dans 8 cas sur 10, la plainte avait été classée
03:21 sans suite pour les féminicides.
03:23 -Effectivement, ça n'aboutit pas.
03:25 "Classé sans suite", c'est ça que ça raconte.
03:28 Vous dites que c'est 8 cas sur 10. -Exactement.
03:31 -Ca peut décourager. -Tout à fait.
03:33 -Il y a aussi du personnel dans votre livre.
03:36 Vous l'avez écrit, donc je me permets de lire un extrait,
03:39 page 108, où vous dites...
03:41 "Voici une typologie des réactions que j'ai eues autour de moi
03:45 "lorsque j'ai raconté mon viol."
03:47 Je vais vous donner déjà la première typologie dont vous parlez.
03:51 Certains de vos amis vous disaient
03:53 "Je ne prendrai pas parti, je connais des amis à lui
03:56 "et il a l'air normal."
03:58 Vous mettez "traduction, je ne te crois pas."
04:01 -Exactement.
04:02 Finalement, ces réactions se retrouvent
04:05 à travers différents acteurs, par exemple la médecine universitaire,
04:08 la psychologue, qui m'avait répondu à l'époque
04:11 "Vous ne mettez pas le mot 'viol', est-ce que vous êtes certaine
04:15 "que c'est un viol ?" On sait que, après une agression ou un viol,
04:18 on a du mal à mettre ces termes et que c'est au contraire
04:21 aux acteurs formés de nous aider à avancer et à les mettre.
04:25 -Justement, parce que je vois cette difficulté
04:28 qui peut être, même dans un cas de viol, le dire,
04:31 bien sûr qu'on est sans doute traumatisés,
04:33 et une difficulté avec les mots qu'il faut employer,
04:36 et c'est là où les psys peuvent aider.
04:39 Frédérique, les violences, d'ailleurs,
04:41 ne sont pas que physiques. -Absolument.
04:43 C'est marrant, je voudrais rebondir sur deux termes
04:46 que vous avez utilisés, qui étaient "je ne te crois pas".
04:49 Cette notion-là est très importante pour nous.
04:52 Notre dispositif pluridisciplinaire,
04:54 c'est de très rapidement rentrer dans un lien
04:57 et une relation de confiance avec la personne
05:00 qui vient nous confier son histoire.
05:02 C'est une phrase clé qui dit "je te crois".
05:04 Ca, c'est extrêmement important. -Ca doit être soulageant.
05:08 -Et très émouvant pour elle.
05:09 Les victimes sont confrontées à ce jugement permanent
05:14 de la société, et c'est important pour nous
05:16 de le reposer dans ce contexte-là.
05:18 On la croit, et c'est là qu'on va l'accompagner,
05:21 et on va pouvoir mieux accompagner.
05:23 Il n'y a pas que du psy chez nous,
05:25 puisqu'il y a une partie santé et une partie justice
05:28 qui va être très globale pour que les acteurs, en fait,
05:31 aient de manière consensuelle une action positive
05:34 par rapport aux bénéficiaires.
05:36 -Je voudrais revenir sur une des réactions.
05:39 Ca va vous parler, Frédérique.
05:41 Un médecin que vous avez vu à ce moment-là,
05:43 votre médecin, vous dit "mais foutu comme vous êtes,
05:47 "vous pensiez quoi en allant chez lui ?"
05:49 -Tout à fait. La médecin qui me suivait depuis que j'avais 16 ans,
05:53 qui m'avait prescrit ma première contraception,
05:56 en qui j'avais confiance, et donc ça, ça m'arrive en 2011,
06:00 et quand je réussis à lui en parler plusieurs mois après,
06:03 elle a cette réaction-là, et elle ajoute même,
06:06 et en plus, il est interne, donc il n'a pas pu faire ça,
06:09 puisque les médecins ne font pas ça.
06:11 -C'est ce stigmate qui tourne autour de ce que serait
06:14 une vraie agression ou une vraie victime,
06:16 et qui se retrouve en nous, en tant que femmes,
06:19 on nous a appris à quoi devait ressembler une vraie agression,
06:23 et donc ce n'est pas ça, finalement,
06:25 c'est forcément dans les mentalités,
06:27 l'homme non asserré au coin d'une rue la nuit
06:30 qui va vous agresser, alors que dans 9 cas sur 10,
06:33 le viol est perpétré par un proche.
06:35 -Je voudrais qu'on écoute, Frédérique,
06:37 vous avez une marraine de choix pour Women, Safe and Children,
06:41 et je vous présente son message engagé.
06:43 -J'ai choisi cette photo, parce que ce sont les fondateurs
06:46 de l'association Women, Safe and Children,
06:49 dont je suis la marraine, Pierre Foldès et Frédérique Marx.
06:52 J'ai rencontré Pierre Foldès, chirurgien, sur un plateau télé,
06:56 j'ai été absolument abasourdie par ses convictions et son combat.
07:00 Il n'y a pas une seule réponse aux violences conjugales
07:03 et aux violences globales faites aux femmes.
07:05 Il y a tout un tas d'aspects qui doivent être englobés.
07:08 On doit aider la victime, bien sûr la reconstruire,
07:11 la soigner, l'écouter, mettre en sécurité ses enfants,
07:14 la rendre capable de travailler à nouveau,
07:17 l'aider à formuler une plainte,
07:19 l'aider à aller en justice,
07:21 l'aider parfois à devoir se mettre à l'abri,
07:25 à trouver un centre d'hébergement.
07:27 On va mettre en relation la victime avec des avocats,
07:30 des psychologues, des infirmiers,
07:33 mais on va mettre en place des choses plus concrètes,
07:36 des massages, des cours de yoga, des choses plus ludiques,
07:39 qui vont lui permettre de retrouver la force de se battre.
07:43 Il faut être sacrément en forme pour attaquer le mur
07:47 que peut représenter la justice pour une victime.
07:51 Se rendre compte qu'on n'est pas la seule dans cette situation,
07:54 c'est important pour ces victimes qui sont très dévalorisées,
07:57 qui n'ont plus aucune estime d'elles-mêmes.
07:59 Ce sont des personnes qui ont l'impression d'être isolées,
08:02 d'être les seules dans leurs problèmes,
08:04 et d'être plus que des merdes, d'être incomprises.
08:07 Les groupes de parole permettent de partager leurs expériences,
08:11 et ça fait revenir l'estime.
08:12 "Cette dame m'a l'air pourtant géniale, elle aussi, ça lui arrive."
08:16 "Je ne dois pas être si... Je ne dois pas manquer de valeur."
08:21 Women's Safe attache beaucoup d'importance
08:23 à former les professionnels de santé, les juristes, les policiers,
08:27 à être capables de détecter, recueillir la parole des victimes,
08:32 et d'aiguiller la victime vers soit un centre, soit une démarche,
08:37 soit d'avoir une première parole accueillante.
08:40 La prévention, c'est aussi simple que d'expliquer à quelqu'un
08:44 qui ne se croit pas victime de violence qu'en fait, si.
08:46 Il y a des gens qui ont un seuil de tolérance
08:48 qui est complètement... Comment dire ? Faussé, quoi.
08:51 Soit par l'amour, parce que c'est ça qui est très complexe dans la violence.
08:55 Parfois, c'est maquillé, tout ça.
08:58 Et plus on est prévenu, mieux on lutte, évidemment.
09:02 -Violaine, d'abord. Qu'est-ce que ça vous inspire ?
09:04 -Ces mots sont très justes et finalement réconfortants aussi,
09:08 puisqu'elles reviennent aussi sur l'idée que les victimes, parfois,
09:11 n'arrivent pas à se décrire comme victimes,
09:13 puisqu'elles reviennent sur la relation, parfois, d'amour
09:15 qu'elles pensent avoir avec leur conjoint.
09:17 Et donc, ça les empêche de mettre les mots.
09:20 Il y a notamment le violentomètre qui est fait sur ce sujet,
09:24 qui permet de voir...
09:25 -Qui a été lancé par les pouvoirs publics et qui aide les personnes,
09:29 un curseur qui vous permet de déterminer si, oui ou non,
09:32 vous êtes effectivement victime,
09:34 parce que parfois, c'est difficile de se le dire soi-même.
09:36 -Exactement, et ça permet de graduer, finalement,
09:39 en voyant de façon assez claire.
09:42 Quand la relation est saine, c'est vert.
09:44 Après, on voit que certains comportements sont dans le orange
09:47 et puis on arrive dans le rouge.
09:48 Et finalement, ça peut avoir un effet déclic pour certaines femmes
09:52 de se dire "Ah, effectivement, peut-être que j'en parle".
09:56 Voilà.
09:57 -Je voudrais, parce que c'est important,
09:59 j'entends parler beaucoup des victimes,
10:01 et j'ai entendu, Violaine, parler aussi d'un sujet
10:04 qui, pour nous, est prégnant, puisque je vais vous parler
10:06 de la prévention et de la formation.
10:09 On s'est rendu compte que la plupart du temps,
10:11 les professionnels ne savent pas ce qu'est une victime.
10:14 Vous avez parlé d'un médecin qui n'arrive pas à analyser
10:17 et avoir un bon comportement, comme on pourrait le reprocher
10:20 aux policiers qui ne prennent pas les dépôts de plainte.
10:23 La plupart du temps, ces professionnels
10:25 ne sont pas formés pour identifier, finalement,
10:28 lire mieux une victime aujourd'hui.
10:30 Qu'est-ce qu'une victime ? Pourquoi elle n'est pas factuelle ?
10:33 Pourquoi sa chronologie n'est pas claire ?
10:35 -Effectivement, un travail de sensibilisation
10:37 et de pédagogie au niveau de toute la société
10:40 pour que les gens comprennent et que la parole se libère
10:44 aussi plus facilement.
10:45 Très vite, je voudrais vous demander
10:47 votre envie d'agir dans les cinq prochaines années.
10:50 Vous d'abord, Violaine.
10:52 -Je pense que, pour ma part, c'est m'accrocher
10:55 au terrain, puisque, pour moi, le plaidoyer politique
10:58 est indissociable de la vie privée et de mes engagements.
11:01 Là, par exemple, je tiens une permanence
11:03 une fois par semaine gratuite pour l'accès aux droits des femmes
11:07 à la maison des associations de Paris.
11:09 -Très bien. Et vous, Frédérique ?
11:11 -C'est la prévention. Vous avez compris
11:13 que la formation, on a identifié,
11:15 puisqu'on a formé plus de 5 000 personnes l'année dernière,
11:18 c'est des professionnels, voire... -Partout en France.
11:21 -Partout en France. Notre enjeu, c'est de former,
11:24 d'aller vers la prévention.
11:26 Nous allons lancer l'Académie Women's Safe
11:28 dès janvier 2024,
11:31 pour embarquer le plus grand nombre possible
11:34 de l'école à l'entreprise.
11:36 Il faut que les gens puissent, aujourd'hui,
11:38 repérer les victimes, savoir les orienter,
11:41 parce qu'il ne faut pas se professionnaliser
11:43 comme ça, de manière anarchique.
11:46 Il faut absolument que la personne qui entend
11:49 les premières déclarations de violence
11:51 puisse être proactif.
11:53 Donc, accompagner les victimes.
11:55 -Très bien. Merci beaucoup à toutes les deux.
11:58 Bonne continuation, bien sûr, pour ce combat si important.
12:01 Je voudrais rappeler, à nouveau, le livre de Violenne,
12:04 classé sans suite "Les femmes victimes de violences
12:08 "face à la justice",
12:09 aux éditions Payot.
12:11 Je vous montre le livre.
12:13 Sans aucune transition, mardi prochain,
12:16 c'est le Giving Tuesday,
12:18 le dernier mardi du mois de novembre.
12:20 Donc, n'hésitez pas, c'est de la générosité pour tout le monde,
12:23 particuliers, entreprises, organisations.
12:26 Et puis, très important, un podcast que je vous invite
12:29 à écouter, puisqu'il est en relation avec l'émission,
12:32 c'est l'histoire de Nina, une femme victime de violences,
12:36 une femme résiliente.
12:37 Vraiment, une histoire touchante.
12:39 N'hésitez pas, nos podcasts sont sur Apple, Deezer et Spotify.
12:44 Et je vous dis à très vite sur C8 pour plus d'envie d'agir.
12:48 Merci.