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00:00 Face à rage, présenté par Valère Coréard
00:03 Peut-on réussir en politique en étant issu de deux minorités en France ?
00:12 Certains parcours peuvent servir de démonstration alors que la question de la lutte contre les discriminations
00:18 liées à l'origine ethnique est au cœur de la société.
00:20 La place du handicap, elle, n'est pas moins présente.
00:24 Notre invité a su se frayer un chemin, et pas des moindres, en associant les deux.
00:28 Amou Bouakaz, bonjour.
00:30 Bonjour.
00:31 Bienvenue Face à rage.
00:32 Vous êtes adjoint au maire de Paris pour la démocratie locale et la vie associative depuis 2008.
00:37 Auteur de « Aveugles, arabes et hommes politiques, ça vous étonne » paru en 2011 aux éditions DDB.
00:45 Je vous propose de commencer par trois dates que nous avons relevées et que nous considérons comme clés dans votre parcours.
00:51 1988, vous êtes diplômé de l'École nationale supérieure des télécommunications.
00:56 2001, vous rejoignez l'équipe de Bertrand Delannoy comme conseiller en charge de l'inclusion des personnes handicapées
01:02 à la vie de la cité et des relations avec le culte musulman.
01:06 Et en 2012, vous êtes élevé au grade de la Légion d'honneur.
01:10 Vous êtes chevalier de la Légion d'honneur, exactement.
01:12 Est-ce que, pour commencer, vous rajouteriez une date ? Ou est-ce qu'il y en a une qui est erronée ?
01:17 Non, ces dates sont importantes.
01:19 Peut-être rajouterais-je le 10 novembre 1993, la naissance de mon premier enfant,
01:26 pour situer un peu le bonhomme dans un parcours qui n'est pas que professionnel,
01:32 qui est aussi un parcours privé fondé sur une forme de joie de vivre et de découverte un peu boulimique et émerveillée
01:42 de ce monde auquel je me réjouis tous les jours d'avoir la chance d'appartenir.
01:49 En 2011, vous avez publié le livre d'entretien "Aveugles, Arabes et Hommes politiques, ça vous étonne".
01:54 Pourquoi ce titre ? C'est de la provocation ?
01:58 Non, c'est une façon de me caractériser en faisant un peu marrer le lecteur et en le poussant à s'interroger, effectivement.
02:06 Est-ce qu'on peut être, dans ce pays, Arabes, aveugles et hommes politiques ?
02:12 C'est suffisamment rare pour interroger.
02:15 Donc l'éditeur trouvait que ce titre était sympathique.
02:19 Moi, je n'aurais pas mis ça comme ça.
02:20 J'aurais dit "Aveugles, Arabes et Hommes politiques, trois handicaps et toujours optimistes".
02:24 Mais c'était un peu long.
02:26 Lorsque vous dites justement dans ce titre "ça vous étonne",
02:30 alors est-ce que ça étonne justement les gens que vous rencontrez depuis cet engagement ?
02:35 Écoutez, il me semble qu'il y a parmi les chances de ma vie
02:43 le fait que j'étonne toujours,
02:46 puisque a priori, les gens s'imaginent extrêmement diminués lorsqu'ils mettent leurs yeux au vestiaire.
02:56 Et donc, quand ils me regardent, ils se projettent eux-mêmes comme non-voyants.
03:02 Et là, ils s'imaginent faisant mon parcours et ils se disent "ce n'est pas faisable".
03:08 Donc, il y a une sorte d'étonnement lié à un côté, je dirais, bête de cirque et volontiers un peu exhibé que j'affiche.
03:17 Moi, je considère que mon handicap, c'est un argument marketing comme un autre.
03:22 Et qu'est-ce que vous avez à marketer alors ?
03:24 Ce que j'ai à marketer, c'est une approche un peu différente de la réponse aux questions centrales de la vie.
03:31 C'est finalement que je me balade dans la vie comme une sorte de valide fainéant
03:38 qui voudrait faire la même chose que les autres avec un sens en moins
03:42 et qui donc est obligé de solliciter des ressources en termes d'innovation, de recherche,
03:51 de façon de contourner l'utilisation des yeux, qui d'ailleurs ont beaucoup progressé ces dernières années.
03:59 Je ne pourrais évidemment pas avoir la même vie s'il n'y avait pas les nouvelles technologies,
04:04 si je ne vivais pas dans ce pays merveilleux qu'est la France.
04:08 La France qui est, et on l'oublie un peu trop souvent par ces temps, le pays des lumières,
04:13 le pays où on s'est posé pour la première fois la question de l'utilité des personnes handicapées.
04:18 La lettre sur les aveugles et l'usage de ce qu'ils voient de Diderot, c'est de 1752.
04:24 Et je suis le fruit aussi de cette histoire-là et de ce défi que la France a lancé au monde.
04:30 La France a lancé au monde le défi de l'utilité de chaque être humain et de son potentiel apport à la société.
04:40 Et donc je me sens le fils de Diderot, de Louis Braille et de Graham Bell qui a inventé le téléphone
04:47 et de tous ceux qui ont jeté des ponts entre les êtres humains.
04:51 — Vous vous êtes engagé très jeune en politique. Vous décrivez très bien votre parcours dans votre dernier ouvrage.
04:58 Pourquoi cet engagement ? Et quelles conclusions vous tirez aujourd'hui de cet engagement ?
05:03 Vous déclarez notamment « je suis génétiquement de gauche ».
05:06 — Oui, mais je pense que c'est parce que je pouvais pas jouer au foot. J'aurais peut-être été supporter d'une grande équipe.
05:10 — Oui, mais il y aurait eu d'autres activités possibles.
05:12 — En fait, parce que j'ai toujours été intéressé par l'interaction avec mon prochain.
05:18 Et puis j'ai senti très vite que le monde était une sorte de course et que les règles étaient posées de telle sorte
05:29 que je n'avais aucune chance à la compétition. Et que donc il fallait que je m'inscrive dans un changement des règles
05:38 qui me permette à moi aussi de pouvoir jouer ma carte et offrir ce dont j'étais capable.
05:45 Et effectivement, je suis né en 1964. Donc dans les années 1975-1980, nous sommes en plein dans le questionnement
05:56 qui va nous mener à l'alternance. Les gens qui sont trop jeunes ne peuvent pas se souvenir de ce que c'était que la France discardienne.
06:04 Mais c'était une France extrêmement sclérosée, fermée, comme une sorte de bouilloire qui ne demandait qu'à exploser.
06:11 Et j'ai été formé par des maîtres et des éducateurs qui m'ont très vite ouvert à l'autre, au battement du cœur du monde.
06:20 Vous savez, la révolution des œillets m'a beaucoup marqué, la révolution chilienne. Bref, tous ces soubresauts
06:26 qui ont fait passer ce monde d'un monde – je dirais – de confrontation entre un système capitaliste et un système socialiste
06:36 qui était quasiment à jeu égal à un monde aujourd'hui où le libéralisme semble être roi.
06:43 — Est-ce que vous avez le sentiment d'avoir changé les choses en un mandat – ça fait quasiment un mandat complet, là –
06:49 que vous faites en étant aux Affaires, c'est ce qu'on dit, adjoint à la première ville de France ? Vous avez des satisfactions ?
06:55 Parce qu'on dit qu'après, il y a ce qu'on appelle l'exercice de l'État, pour pas citer le nom d'un film.
06:59 — Oui. Alors c'est intéressant. Vous avez commencé votre interview en parlant de réussite en politique. On ne réussit jamais en politique.
07:06 Parce qu'en politique, on mesure toujours le chemin qui reste à parcourir. Et c'est une fonction dans laquelle...
07:15 D'abord, une fonction, c'est pas un métier. C'est un service qu'on donne à la nation pour lequel on est éventuellement rétribué, indemnisé.
07:22 Mais c'est un moment d'engagement et d'offre à son pays ou à sa ville. Et oui, j'ai des satisfactions à chaque fois que mon action
07:37 contribue à catalyser des forces au service du vivre-ensemble. Chaque fois qu'une association, grâce à moi, grâce à mes services,
07:47 et grâce aux subventions, peut réaliser son objet, j'ai une satisfaction. À chaque fois qu'un conseil de quartier organise une animation,
07:58 crée du lien, fait une fête, le Français en partage, ou bien fait circuler des livres dans les quartiers défavorisés, oui, j'ai des satisfactions.
08:08 — En ce moment, le gouvernement travaille sur une réforme des rythmes scolaires. Lors d'une réunion publique cette semaine,
08:14 Bertrand Delanoë, maire de Paris, a défendu le projet de la ville sur la mise en œuvre de la semaine de 4 jours et demi.
08:20 Dans un climat de tension, il a notamment déclaré au syndicat d'enseignants « Je me fiche des insultes et des sifflets ».
08:26 Vous savez, je me tape toute la droite depuis des années. Fin de citation. Y a-t-il eu dérapage ? Vous qui êtes adjoint au maire de Paris.
08:33 — Non. Ce que dit Bertrand, c'est la réalité. C'est que Bertrand, aujourd'hui, avec la maturité politique qui est la sienne,
08:41 avec la vision qui est la sienne, est déjà dans autre chose. C'est un homme qui voit pour les 10 prochaines années et qui dit en quelque sorte
08:50 au syndicat « Plutôt que les colibés, venons-en aux fêtes et travaillons à 10 ans », plutôt que d'être dans la posture
08:58 et dans l'envie de se voir capté par les caméras de télévision présentes. La vie des enfants, ce n'est pas les gladiateurs.
09:08 La vie des enfants du futur, c'est quelque chose qui réclame de la vision. Et on peut tout reprocher à Bertrand Delanoë,
09:15 sauf de ne pas avoir une vision pour sa ville et de ne pas avoir cette espèce d'avance sur son temps qui lui permet d'avoir l'intuition
09:27 et de rester un moteur à rêve 13 ans après avoir pris les commandes de cette ville. C'est ça qui le rend éminemment sympathique
09:37 et qui en fait un leader dont je continue de me réclamer, parce que c'est un homme qui a une façon d'exercer le pouvoir
09:44 et une façon de penser l'avenir qui est, à mon sens, en avance – si j'étais méchant, je dirais même en décalage – sur la classe politique de son temps.
09:57 – Anne Hidalgo, c'est la bonne candidate, la bonne continuité ? – C'est notre candidate. Et il lui appartient de...
10:03 – C'est pas celle du PS encore ? – Non mais c'est notre candidate à nous, puisqu'on l'a vu travailler depuis 2001.
10:08 Et on sait qu'elle doit maintenant montrer aux Parisiens que c'est effectivement la candidate à la fois de la continuité,
10:19 mais aussi d'ouverture sur d'autres réalités, sur d'autres façons de faire, sur un enrichissement sur la base des deux premières mandatures
10:32 de l'exercice, comme vous dites, de la gestion de la ville. Et donc Anne est aujourd'hui lancée dans une rencontre avec toutes les singularités des Parisiens.
10:47 Et il lui appartient de réussir cette rencontre. Et évidemment, je l'aiderai du mieux que je pourrais.
10:53 – Si vous aviez un conseil à donner à une personne qui aujourd'hui se trouve...
10:59 qui a le sentiment de se trouver en embuscade en raison de son handicap, de son origine ethnique, ou peut-être des deux,
11:05 quel conseil lui donneriez-vous, vous, qui pouvez constituer un exemple ?
11:10 – Oui, enfin un exemple, il faut pas trop se hausser du col. – Un exemple positif, en tout cas.
11:15 – Je suis un bonhomme qui a essayé de rêver ma vie et de la vivre de manière intense.
11:20 Je dirais ce que disait Bonaparte. Nous sommes 5, ils sont 5 000, encerclons-les. Ne vous refusez rien, n'est-ce pas ?
11:29 Moi, c'est ce que mes parents m'ont toujours dit. Si tu montes, on te pousse, si tu tombes, on te porte.
11:35 Mais ne te refuse rien. Tu as le droit d'être tout ce que tu veux.
11:42 Et c'est ça, je crois, mon viatic, c'est cette rencontre avec la France, cette rencontre avec des parents qui étaient, certes,
11:49 analfabètes, mais qui m'ont donné un amour absolu et qui ont cru en moi.
11:54 Donc croyez en vous, croyez en votre singularité, croyez en votre capacité d'apporter à votre ville, à votre pays.
12:02 Soyez humbles, parce que votre singularité, elle vaut toutes les autres et elle vaut pas plus.
12:08 Mais ne vous refusez rien, effoncez.
12:10 – Amou Boikaz, merci d'avoir accepté notre invitation face à RAJ.
12:15 Je le rappelle pour nos auditeurs. – Merci à vous d'avoir reçu.
12:17 Cette émission est en multimédia sur RAJ, 8h05 chaque vendredi, en vidéo sur le RAJ.fr dès 10h.
12:25 Si d'ailleurs vous avez une réaction sur une émission ou une proposition d'invité,
12:30 participez à ce programme en envoyant un courriel à face@raj.fr. À la semaine prochaine.
12:36 [Musique]
12:48 [SILENCE]