Patrice Douret, président des Restos du Cœur et Françoise, retraitée bénévole, étaient les invités de BFMTV, alors que s'ouvre la 39e saison des Restos du Cœur, avec toujours plus de nouveaux bénéficiaires. Une situation qui contraint l’association à resserrer ses critères d’éligibilité et à restreindre ses paniers.
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00:00 Bonjour Patrice Douré, vous êtes le président des Restos du Cœur et bonjour Françoise.
00:04 Vous êtes retraitée, bénévole aux Restos du Cœur.
00:06 Danyer, sur scène, vous allez nous raconter le quotidien en ce moment du côté des Restos du Cœur.
00:12 Avant, les éclaireurs avec François Gapillan.
00:15 François, les Restos lancent donc leur 39e campagne de distribution alimentaire
00:22 et c'est peut-être la plus difficile qu'ait connue l'association.
00:26 Absolument, et pour bien comprendre l'ampleur de ce qu'il faut bien appeler une catastrophe humaine,
00:30 remontons au 9 novembre 1985.
00:33 Ce jour-là, à Lille, Coluche ouvre, inaugure le premier Restos du Cœur de France.
00:40 Ça va durer pendant les trois mois de l'hiver et on va essayer de fournir 200 000 repas aux gens les plus nécessiteux.
00:47 Parce qu'on s'est dit que ce n'était pas normal que dans un pays de bouffe comme la France,
00:55 des gens manquent de nourriture.
00:57 Quand il dit 200 000, c'est 200 000 repas par jour pendant trois mois, soit 18 millions sur l'hiver.
01:01 C'était l'ambition à l'époque.
01:03 38 ans plus tard, les Restos en servent quasiment 10 fois plus.
01:07 171 millions de repas servis entre novembre 2022 et novembre 2023.
01:12 C'était 30 millions de moins durant la période précédente.
01:16 En nombre de personnes accueillies, ça donne 1 300 000 entre novembre 2022 et novembre 2023,
01:24 soit 200 000 de plus qu'un an auparavant seulement.
01:28 Bref, ça explose de partout.
01:30 Conséquence, l'association, par ailleurs elle-même victime de l'inflation,
01:33 est obligée aujourd'hui de réduire le nombre de bénéficiaires.
01:36 Pour cela, elle a pris une décision très difficile.
01:39 Pour la première fois de leur histoire, les Restos baissent le plafond de "Reste à vivre",
01:44 c'est-à-dire ce qu'il vous reste après les charges, en dessous duquel on a droit à l'aide alimentaire.
01:48 Et on ne parle pas d'une petite baisse, de l'ordre de 40 %, avec de lourdes conséquences,
01:53 environ 150 000 personnes inscrites l'an dernier ne pourront pas, en théorie, revenir cette année.
01:59 Des personnes dont le profil évolue, disons les choses autrement,
02:03 le nombre de bénéficiaires des Restos augmente dans toutes les catégories, les jeunes, les actifs, les retraités.
02:08 Prenons deux exemples, vous les voyez ici, 50 % des personnes accueillies cette année ont moins de 25 ans.
02:14 Et l'association insiste énormément également sur le fait qu'elle aide de plus en plus de tout petits.
02:18 Le nombre d'enfants de moins de 3 ans bénéficiaires des Restos a bondi de 16 % en un an.
02:25 Merci, merci beaucoup François. Ces chiffres, ils sont affolants.
02:28 On va les décrypter ensemble parce que derrière les chiffres, ce sont des vies, ce sont des personnes.
02:34 150 000 personnes qui étaient inscrites l'an passé,
02:37 qui cette année ne pourront pas bénéficier de l'aide alimentaire des Restos du Cœur.
02:41 C'était impossible de faire autrement ?
02:45 Non, ce n'était pas possible pour des raisons financières, vous l'avez évoqué.
02:49 C'est qu'effectivement, ce que l'on a constaté, c'est une augmentation très forte, très rapide du nombre de personnes accueillies,
02:56 qui s'est conjugué à une augmentation très forte également de nos charges, notamment de négoces alimentaires.
03:01 Il faut rappeler que nous achetons plus du tiers de ce que l'on distribue gratuitement et cette gratuité, nous y tenons.
03:08 Aujourd'hui, la situation est la même, c'est-à-dire que cette vague de précarité, elle n'a pas faibli.
03:14 Après un été où l'on a observé un nombre inédit aussi de personnes accueillies,
03:19 1 million de personnes cet été, ce qui est un chiffre qu'on n'a jamais atteint non plus,
03:23 ce que l'on voit aujourd'hui, c'est qu'on doit effectivement, et on a dû refuser des personnes à qui on disait non d'habitude,
03:29 les refuser à l'aide alimentaire, mais pouvoir aussi continuer à les accompagner sur toutes les activités d'aide à la personne et d'accompagnement.
03:35 Françoise, vous avez été confrontée à ça, des personnes qui viennent renouveler leur inscription,
03:41 et là vous leur dites non, cette année on ne peut pas vous prendre en charge.
03:44 C'est arrivé cette année, j'ai eu à gérer déjà quelques refus, et c'est vrai que c'est très difficile pour les personnes accueillies.
03:51 C'est un crève-cœur pour nous aussi, pour les bénévoles, de dire non à des gens qu'on connaît, qu'on voit régulièrement, avec qui on a tissé des liens.
03:59 Et en fait, quand on leur dit non, mais qu'on leur explique les raisons pour lesquelles on ne peut pas continuer,
04:05 on leur explique qu'il y a des gens qui sont encore plus nécessiteux et qu'on ne peut pas accueillir tout le monde cette année, ils le comprennent.
04:12 Les personnes le comprennent alors qu'elles sont elles-mêmes en situation de rentrée carrière.
04:15 Les personnes le comprennent très bien, elles acceptent les choses vraiment de façon, je dirais même incroyable.
04:22 En revanche, nous on voit bien dans leur regard, dans leur expression du visage, la détresse qu'on génère.
04:28 Alors c'est vrai qu'on leur dit, surtout, continuez à venir nous voir, on a des ateliers tricot, on a des ateliers couture, on a la recherche et le soutien à l'emploi.
04:38 Et vous les redirigez vers d'autres associations qui concernent les alimentaires ?
04:43 On les a toujours fait, parce qu'en fait l'aide alimentaire des Restos du Cœur n'est pas une aide complète qui suffit pour toute la semaine.
04:52 Auparavant on donnait 6 repas pour une personne, maintenant on n'en donne plus que 4.
04:56 On a toujours indiqué les associations autour de notre association dans un même périmètre géographique pour qu'elles puissent compléter ce qu'on leur donne.
05:05 Qu'on se rende compte, puisque le niveau du reste à vivre a été abaissé cette année pour pouvoir bénéficier de l'aide alimentaire.
05:14 Il s'établit à quel niveau ?
05:17 Oui, il est au même niveau que ce que l'on appelle habituellement le barème d'été, c'est-à-dire à peu près 30% de ce que l'on a l'hiver.
05:24 Et notre inquiétude aujourd'hui, elle est multiple, on a des véritables incertitudes sur les prochaines semaines.
05:31 Quel sera le niveau de personnes qui rentreront dans le barème qui aujourd'hui est un peu plus bas, sachant que
05:37 beaucoup de personnes que l'on a accueillies l'hiver dernier ont vu leur situation encore se dégrader, c'est-à-dire qu'elles seront peut-être mécaniquement admises.
05:44 Donc là on est 200 000 personnes de plus en un an, mais comme là on est dans la période d'inscription, ça se trouve ce sera beaucoup plus dans les mois ?
05:51 On aura des chiffres fiables qu'au début de l'année 2024.
05:56 Et aujourd'hui on voit beaucoup de personnes nouvelles venir au Resto du Coeur qui sont dans une situation où elles sont admises à l'aide alimentaire.
06:04 Il faut juste quand même préciser que 38% des personnes que l'on accueille, lorsqu'elles ont payé leur loyer et leur charge de logement,
06:11 elles n'ont plus 1 euro pour finir le mois.
06:13 Ce sont des situations d'extrême précarité, 60% des personnes que l'on accueille vivent sous la moitié du seuil de pauvreté, c'est-à-dire à peu près avec 551 euros par mois.
06:25 Donc on a des personnes qui sont dans des situations extrêmement compliquées.
06:28 Je reviens au niveau du barème de ce revenu de reste à vivre.
06:33 Vous avez dû l'abaisser, ça veut dire que quelqu'un qui aujourd'hui a 600 euros, il ne peut pas bénéficier de l'aide alimentaire ?
06:40 Dès l'instant où son reste à vivre est légèrement au-dessus de ce barème qui a été défini, on va analyser sa situation.
06:47 On fait du cas par cas ?
06:49 On fait aussi du cas par cas.
06:50 Il est hors de question aujourd'hui de ne pas aider quelqu'un qui est dans une situation qui est légèrement autour de ce barème-là,
06:56 ne serait-ce que parce qu'elle traverse peut-être une période un peu plus difficile, une facture d'électricité qui est plus forte que d'habitude, une réparation de voiture, ce sera analysé.
07:04 Et ce que disait Françoise est très important, il est hors de question aujourd'hui de laisser les gens sans une solution.
07:11 C'est-à-dire que le lien social est important et on encourage toutes les personnes à qui on est obligé, malheureusement de dire non,
07:17 de rester en contact avec nos équipes pour pouvoir être accompagnés sur toutes les zones d'accueil.
07:21 On va revenir sur la situation critique des restos du Tucker, cet appel au secours que vous aviez lancé en septembre et cet appel aux dons,
07:29 voir si ça a permis de renflouer un petit peu les caisses, bon visiblement non, mais on va s'y arrêter dans un instant juste avant.
07:34 J'aimerais avec vous, Françoise, évoquer l'autre effet de cette situation.
07:39 On a dit qu'il y avait des personnes qui allaient être refusées de l'aide alimentaire, mais vous êtes aussi obligés de restreindre les colis ?
07:46 Nous sommes obligés de restreindre les colis, effectivement.
07:49 Là où on donnait six portions l'année dernière, six repas par semaine, on descend à quatre repas par semaine.
07:55 Donc en gros, on supprime un tiers des aliments qu'on distribuait l'année dernière.
07:59 On distribue deux tiers de la dotation de l'année.
08:03 Et par exemple, une famille de quatre personnes à qui on donnait l'année dernière quatre litres de lait par semaine,
08:08 cette année, au maximum, elle aura deux litres de lait par semaine.
08:12 Donc vous, quand vous gérez les stocks, vous le voyez, vous êtes obligés de faire des comptes de manière à pouvoir distribuer à tout le monde ?
08:18 De toute façon, on voit bien que la situation est très, très difficile.
08:20 Cet été, sur le centre d'Anières, on a eu une semaine où on n'a pas eu suffisamment de dotation en produits laitiers.
08:27 On avait déjà été obligés sur une semaine de réduire les portions distribuées.
08:31 C'est le lait ?
08:32 Non, c'était les yaourts et le fromage.
08:36 Je voulais revenir sur cet appel que vous aviez lancé en septembre.
08:42 On s'en souvient tous, vous aviez dit que si ça continue comme ça, dans trois ans, les Rasteaux du Coeur mettent la clé sous la porte.
08:47 Cet appel, il a été entendu.
08:48 Vous me dites, si je me trompe, 32 millions d'euros de dons sont arrivés entre les aides de l'État et les dons privés ?
08:53 Oui, même aujourd'hui, on est proche des 35 millions.
08:56 C'est-à-dire que l'appel a été entendu.
08:57 Je crois qu'on a pu, effectivement, créer un choc.
09:00 Même les Restaux du Coeur, effectivement, on a l'impression qu'on est installé dans les murs, que c'est une institution.
09:04 Mais non, si l'on n'y fait rien, j'insiste sur le "si l'on n'y fait rien", oui, même les Restaux du Coeur pourraient fermer d'ici à trois ans.
09:10 Même encore aujourd'hui, parce que là, on se dit avec 35 millions, ça paraît beaucoup, mais ce n'est pas assez.
09:15 Mais non, il faut se rendre compte de l'échelle aujourd'hui.
09:17 Un tiers de ce que l'on distribue gratuitement est acheté.
09:20 Et acheté avec les hausses de prix que l'on a pu constater tous les uns et les autres.
09:24 Mais également sur toutes nos charges de fonctionnement.
09:27 Et je rappelle cette échelle terrible, 1,3 million de personnes qui sont aidées et accompagnées par les Restos du Coeur.
09:33 C'est un chiffre terrible.
09:35 Je vais prendre un exemple très significatif.
09:37 On parlait tout à l'heure du lait.
09:39 Rien que le lait, aujourd'hui, c'est 19 millions d'euros d'achats pour les Restos du Coeur.
09:43 C'est énorme à transporter, à stocker, etc.
09:46 - Mais il faudrait quoi de plus pour aider les Restos du Coeur aujourd'hui ?
09:49 Il faudrait que les Français soient plus généreux, que les industriels soient plus généreux,
09:52 que les grands patrons soient plus généreux ?
09:54 Ou il y a un problème de pauvreté en France qu'on n'arrive pas à traiter, un problème politique ?
09:57 - Il y a de toute façon quelque chose qui est insupportable, c'est chaque année dégrainer des chiffres en augmentation
10:02 et de constater que ça paraît normal que la pauvreté augmente.
10:05 Non, ce n'est pas une fatalité.
10:07 La pauvreté, il n'y a pas de raison que chaque année, on se dise "ça va augmenter, on a de plus en plus de pauvres, ce n'est pas normal".
10:13 Oui, on en a appelé à toutes les forces politiques.
10:15 L'État a fait un effort supplémentaire d'un peu plus de 10 millions d'euros de ce qui était prévu.
10:19 C'est très bien, mais il faut continuer.
10:20 Et on a appelé avec nos amis des banques alimentaires à ce que le budget d'aide alimentaire,
10:25 le programme 304 sur le projet de loi de finances, soit porté à 200 millions d'euros au lieu des 150 actuels.
10:31 Et cela bénéficierait à toutes les associations d'aide alimentaire, y compris au niveau local.
10:36 - Oui. Non, non, allez-y.
10:37 - Le deuxième sujet, c'est effectivement, ça a été l'appel aux forces économiques.
10:40 Et un certain nombre de partenaires d'entreprises sont venus nous rejoindre,
10:43 que ce soit sur des dons financiers ou des dons en nature.
10:46 Et on aura besoin encore d'être soutenus.
10:48 - Donc vous lancez un nouvel appel aux dons vis-à-vis de ces grands patrons, notamment ?
10:51 - Pour que très rapidement, très rapidement, on puisse rétablir un niveau d'activité normal.
10:55 Parce que je vous assure qu'on se bat et on va se battre pour que les Restos du Coeur
10:59 puissent retrouver toutes les personnes à qui on dit non aujourd'hui.
11:01 - Ils vous foudraient combien aujourd'hui ? Vous avez une idée ?
11:03 - C'est difficile à estimer.
11:04 La période actuelle est celle pour 60% des dons qui correspondent à la collecte de fonds.
11:11 - Parce que la plupart des dons sont faits en ce moment ?
11:13 - C'est novembre-décembre, 60%.
11:14 On a une incertitude, vous l'avez dit, c'est la question du nombre de personnes
11:18 qu'on va accueillir sur la prochaine campagne.
11:21 C'est la deuxième incertitude.
11:22 La troisième, c'est comment nos équipes, nos 73 000 bénévoles,
11:26 vont pouvoir continuer à accueillir dignement les personnes qui viennent chez nous.
11:29 Il n'est pas question qu'on distribue de la nourriture sans pouvoir les écouter, les entendre.
11:34 Et les accompagner tout au long de l'année.
11:36 - On rappelle juste que tous les petits dons comptent.
11:39 Il y a une déduction fiscale, elle est de combien ?
11:41 - Oui, le plafond de la loi Coluche va jusqu'à 1000 euros.
11:44 Et jusqu'à 1000 euros, pour un particulier, c'est 75% qui sont défiscalisés.
11:49 Et je le rappelle, c'est de l'argent public.
11:51 Mais un euro d'argent public donné au resto du cœur, c'est 4 euros déployés sur le terrain.
11:55 - Un dernier mot, Françoise, l'appel aux dons qui est très important.
11:58 L'appel aux bénévoles aussi, est-ce que vous manquez de bras ?
12:02 - Parfois nous manquons aussi de bénévoles.
12:04 Et là, avec l'augmentation du nombre de personnes accueillies,
12:08 on a besoin de passer du temps avec les personnes que nous accueillons.
12:13 Il ne suffit pas juste de donner des aliments, il faut parler avec ces personnes.
12:17 Il faut prendre le temps de les écouter.
12:18 - C'est ce que vous me disiez tout à l'heure, c'est pas l'usine.
12:20 - C'est pour ça, on a besoin aussi de bénévoles pour ça.
12:23 Et moi, je compléterais quelque chose que disait Patrice tout à l'heure.
12:26 On a ce que nous appelons les ramasses.
12:28 On va dans des magasins pour récupérer les produits à date courte.
12:32 On en récupère de moins en moins.
12:33 Parce que les magasins ont lancé des produits qui sont un peu...
12:39 Avec des réductions de 25-50%.
12:42 - C'est-à-dire les grandes supermarches ?
12:45 - C'est pas qu'elles ne jouent pas le jeu, mais elles ont lancé quelque chose qui est bien,
12:49 puisqu'elles baissent les prix sur des produits qui sont à date courte.
12:52 Mais c'est des produits que les Restos du Coeur récupéraient auparavant,
12:55 que nous ne récupérons plus.
12:57 - Alors c'est vrai que ça fait du bien aux consommateurs, effectivement,
12:59 parce qu'ils peuvent payer 50% leur viande ou autre produit alimentaire,
13:02 mais du coup, vous...
13:03 - Plus on aura de bénévoles, plus on pourra multiplier les points de collecte,
13:06 plus on pourra ouvrir sur des nouveaux créneaux
13:09 qui permettront d'accueillir plus facilement et dignement les personnes qui viennent chez nous.
13:12 - Merci. Merci beaucoup à tous les deux.
13:14 J'invite tous nos téléspectateurs à se rendre sur votre site, bien évidemment,
13:17 lesrestosducoeur.org,
13:22 et bon courage pour cette campagne d'hiver qui s'annonce particulièrement difficile.