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Marie Portonalo reçoit Aurélia Devos, magistrate, ancienne chef du pôle "Crimes contre l'humanité" au parquet de Paris. Elle vient de publier "Crimes contre l'humanité Le combat d'une procureure". L'occasion de revenir sur la notion de crimes de guerre à l'heure où cette question occupe l'actualité en raison des conflits occupants la scène internationale. 

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Transcription
00:00 - Maria de Vos, merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:02 Vous êtes magistrate, vous êtes aussi l'ancienne responsable du pôle crime contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris.
00:08 Vous avez passé dix ans à enquêter sur les crimes de masse, notamment au Rwanda, en Syrie ou même en Ukraine.
00:14 Dix ans passés confrontés aux pires atrocités, est-ce qu'il y a déjà un conflit qui vous a marqué plus que les autres ?
00:20 - Alors bien évidemment le Rwanda, parce que c'est par cela que nous rentrons véritablement dans cette aventure judiciaire.
00:28 Rwanda qui bien sûr nous marque beaucoup parce qu'on se déplace sur le terrain, qu'on est au contact des victimes, des témoins, des rescapés,
00:38 des rares rescapés qui portent encore cette parole. Donc bien évidemment que c'est très marquant.
00:44 La Syrie a été évidemment un moment très marquant. Je le dis dans le livre, c'est vraiment l'histoire d'un basculement à la fois humain et professionnel.
00:55 Pourquoi ? Parce que nous sommes là face à un conflit qui est en cours et enquêter alors que les faits sont en train de se produire, c'est assez déroutant.
01:06 - Alors comment on enquête justement sur un conflit qui se produit actuellement ? Parce que d'habitude ce sont des conflits qui ont eu lieu.
01:12 - Alors la difficulté est différente selon que vous pouvez ou non accéder au territoire.
01:17 On voit bien la différence entre l'Ukraine et les enquêtes qui peuvent être actuellement menées et le conflit actuel dans la bande de Gaza.
01:26 L'accès au territoire va conditionner la manière d'enquêter. Alors soit on peut se rendre sur le territoire et on va pouvoir faire des constatations,
01:35 prélever éventuellement des munitions, rencontrer des témoins et des victimes sur le terrain. Soit on ne peut pas s'y rendre.
01:42 Mais là il faut trouver d'autres méthodes. - Alors comment on fait quand on ne peut pas s'y rendre ? Quelle méthode par exemple ?
01:47 - Alors quelle méthode ? Vous avez bien sûr les images qui sortent, qui doivent être crédibilisées, fiabilisées, l'image satellite,
01:54 les témoins ou les victimes qui sont sorties dans les pays limitrophes ou ailleurs, qui peuvent être déjà entendues.
02:01 Donc on ne peut pas tout mais on ne peut pas rien non plus. On l'a vu, des poursuites ont pu avoir lieu concernant le conflit en Syrie.
02:09 Pourtant nous ne nous sommes jamais déplacés sur les lieux. - Alors vous faites un métier très difficile. Je cite votre livre.
02:16 "Ce jour-là, je ferme ma porte, je m'effondre. Il n'est pas rare d'être touché, meurtri, perturbé, en silence et en secret."
02:24 - Absolument. Je crois que j'ai eu envie de dire que les professionnels que nous sommes, magistrats ou enquêteurs,
02:33 ne sommes pas insensibles bien sûr à ce que nous recevons et la violence de ces témoignages, il a fallu apprendre à la recevoir
02:43 et à l'intégrer pour pouvoir prendre ensuite suffisamment de distance pour prendre des décisions justes.
02:49 - Alors comment vous faites justement pour prendre cette distance ?
02:51 - Alors le travail en équipe, c'est très important. Pouvoir se parler et pouvoir admettre aussi qu'on n'est pas invulnérable.
02:58 J'ai voulu le partager parce qu'on a une image peut-être très glacée du magistrat, très lointain et en réalité, ce n'est pas du tout ça.
03:08 On s'est beaucoup appuyé sur des psychiatres, des psychologues pour apprendre à accepter qu'on avait aussi des émotions.
03:17 - Vous n'avez pas à un moment donné pensé tout arrêter en vous disant "c'est trop difficile" ?
03:21 - Bien sûr qu'il y a des jours où on y pense, évidemment, et puis en même temps, c'est notre travail et on sait pourquoi on le fait, donc on y retourne.
03:30 - Vous pensez que c'est important de nommer les choses, de nommer crime contre l'humanité, crime de guerre, c'est important de nommer ce qui se passe ?
03:37 - C'est important de nommer ce qui se passe, ne serait-ce que pour remettre les choses dans l'ordre si vous voulez.
03:42 Les victimes ont besoin qu'on nomme les choses pour s'entendre reconnues et puis il faut remettre les choses en ordre.
03:50 Dans les crimes de masse, notamment les crimes contre l'humanité ou les crimes de génocide, les auteurs sont persuadés de la légitimité de leurs actions criminelles.
03:59 Donc nommer les choses, c'est aussi leur dire "non, là vous avez agi non pas en fonction d'une loi légitime mais en fonction de réels crimes".
04:10 - Est-ce que vous sauriez nommer ce qui se passe actuellement au Proche-Orient ? Est-ce que c'est un crime de guerre, crime contre l'humanité, c'est du terrorisme ? Comment vous appelez ça ?
04:18 - Je crois qu'il est trop tôt pour tirer des conclusions juridiques sur les qualifications, qu'on évoque les notions et qu'on recherche si elles sont caractérisées.
04:28 S'il s'agit de crimes de guerre, de conflits armés, d'actes qui sont en violation du droit international humanitaire, c'est évidemment très important déjà de collecter les éléments pour pouvoir ensuite l'analyser.
04:39 Conclure très précisément à des qualifications, je crois que vraiment il est trop tôt pour le faire.
04:45 - Une vidéo de 48 minutes montrant les atrocités commises par le Hamas a été diffusée à l'Assemblée nationale, à des journalistes, à des députés.
04:52 C'est important pour vous que les images soient montrées aussi violentes soient-elles ?
04:57 - Alors ça peut être effectivement important de le montrer parce que vous savez il y a beaucoup de négations.
05:06 Les crimes de masse sont d'abord aussi des histoires de grands négationnismes et montrer c'est aussi faire exister et faire perdurer dans le temps cette connaissance.
05:18 Ce n'est pas la première fois que des images aussi violentes sont montrées puisque le fichier César qui était ce fichier qui est sorti de Syrie avec un officier de la police militaire
05:30 qui a montré les dizaines de milliers de cadavres torturés par le régime avait été montré en grand dans les couloirs des Nations Unies.
05:37 Et c'est vrai que ça avait aidé en même temps évidemment c'était très choquant.
05:42 - Vladimir Poutine est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale depuis mars 2023.
05:47 La justice française vient d'émettre cette semaine un mandat d'arrêt international contre le président syrien Bachar al-Assad.
05:52 Est-ce que c'est la fin de l'impunité ?
05:55 - Alors la fin de l'impunité on aimerait bien. Maintenant effectivement ce sont des étapes que ce soit devant la Cour pénale internationale
06:04 ou que ce soit dans le travail des magistrats français sur les attaques chimiques.
06:07 Des étapes pour montrer que où qu'on se trouve on peut avoir affaire à la justice.
06:12 - Aurélia De Vosges j'ai une dernière question. Est-ce que vous pensez que l'humanité va survivre ?
06:16 - Bien sûr.
06:17 - Vous avez foi en l'humanité malgré tout ce que vous avez vu pendant toutes ces années.
06:20 - Absolument. J'ai jamais perdu foi en l'humanité bien au contraire.
06:25 Et c'est bien pour ça que la justice oeuvre pour remettre de l'humanité là où on l'avait un peu perdue de vue.
06:31 - Merci beaucoup. Je rappelle que votre livre "Crimes contre l'humanité et le combat d'une procureure"
06:35 est publié chez Calmen Levy et en ce moment dans les librairies. Merci beaucoup Aurélia De Vosges.

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