"C’est infiniment douloureux d’être invisibilisé." Emmanuelle Piquet est psychopraticienne, spécialisée dans les souffrances en milieu scolaire. Pour neo et Lou, elle explique comment réagir concrètement au harcèlement par l'isolement.
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00:00 qui ne sont pas invités aux anniversaires,
00:01 ils mangent tout seuls au self,
00:03 ils sont seuls dans la cour.
00:04 C'est infiniment douloureux.
00:06 C'est infiniment douloureux d'être invisibilisé.
00:08 Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Piquet
00:10 et je suis thérapeute spécialisée
00:11 dans les souffrances en milieu scolaire.
00:12 Il y a plusieurs modalités, en effet,
00:14 au harcèlement au milieu scolaire.
00:15 La modalité qu'ils utilisent beaucoup en ce moment,
00:17 je dirais 40% à peu près des consultations,
00:19 c'est l'isolement.
00:20 C'est-à-dire des enfants qui, finalement,
00:22 sont invisibilisés.
00:24 Ce sont des enfants qui, souvent,
00:25 restent accrochés à un groupe qui les maltraite.
00:28 C'est très féminin comme façon de procéder.
00:30 Les jeunes filles vont dire "tu peux nous laisser
00:32 parce qu'on a une réunion, s'il te plaît ?"
00:33 La jeune fille en question dit "mais combien de temps
00:35 vous avez votre réunion ?"
00:36 Et elles disent "je ne sais pas, un quart d'heure environ."
00:38 Et puis, en fait, ça ne dure pas un quart d'heure,
00:39 ça dure une heure, tout le temps de l'interclasse.
00:41 Parfois, quand elles arrivent au portail,
00:44 le groupe de copines fait comme si
00:47 elles ne la connaissaient pas
00:49 et décident de ne plus lui parler pendant trois jours,
00:51 trois jours d'exclusion, en fait, du groupe.
00:53 Mais elles, quand on vient les rechercher,
00:54 elles reviennent parce qu'en fait,
00:55 elles ont une peur panique à l'idée d'être seules
00:57 et donc potentiellement harcelées.
00:58 C'est infiniment douloureux.
01:00 C'est infiniment douloureux d'être invisibilisé.
01:02 C'est comme si, au fond, il y avait dans un château,
01:04 très beau château, un banquet absolument magnifique.
01:06 Toi, tu aimerais bien être à ce banquet
01:08 parce qu'à ce banquet, il y a tout le groupe de tes amis,
01:11 mais tu n'y es pas.
01:11 En fait, toi, tu es dans une cage,
01:13 comme un peu un rossignol, au-dessus du banquet.
01:16 Et puis, parfois, on te donne quelques miettes,
01:17 mais c'est relativement rare.
01:19 La plupart du temps, on te remet à chaque fois dans la cage.
01:22 Et au fond, peut-être ce dont tu ne te rends pas compte,
01:24 c'est que cette cage dans laquelle tu te trouves,
01:26 elle est ouverte et qu'à tout moment, tu peux quitter cette cage.
01:29 Mais si tu quittes cette cage, alors ça veut dire que tu quittes le banquet et le château.
01:33 Et dehors, il fait froid.
01:34 Il fait noir et on ne sait pas ce qui peut se passer.
01:36 Et tu peux aussi décider de rester dans la cage
01:39 parce que quand tu restes dans la cage,
01:41 tu restes au banquet et tu peux en avoir quelques miettes.
01:43 Mais au fond, ce qui est sûr,
01:45 c'est que tu n'iras jamais t'asseoir au banquet de façon définitive
01:50 parce que telles sont les lois édictées par la reine de ce royaume.
01:53 Donc tu as le choix.
01:54 Si tu décides de sortir, évidemment, je t'aiderai
01:56 à faire en sorte que ça soit moins inconfortable.
01:59 Mais je comprendrai parfaitement que tu as envie de rester.
02:01 Quand elles y renoncent totalement,
02:03 ce que nous avons mis en place, c'est vraiment cette idée
02:05 qu'on a appelée le cordon sanitaire.
02:06 Est-ce qu'il y a une dizaine de prénoms que tu peux me donner d'enfants
02:09 qui sont dans la cour, dans ta classe, pour la moitié d'entre eux,
02:11 qui sont totalement inoffensifs ?
02:13 Vous avez bien compris que ça veut dire que ce ne sont pas les plus populaires.
02:16 Donc très souvent, ils me disent "ben oui, il y a lui, mais enfin, il est un peu chelou".
02:18 Je dis "d'accord, mais peu importe, ce n'est pas grave".
02:20 Ce que je veux, c'est vraiment dix personnes
02:23 individuellement identifiées comme étant non dangereuses.
02:26 Et je vais leur proposer de passer une à trois minutes
02:30 avec chacune de ces personnes pendant chaque récréation
02:33 pour créer, au fond, des relations qui sont juste des relations de courtoisie,
02:38 mais qui font que cet enfant peut à tout moment parler, sourire,
02:41 croiser le regard de dix enfants qui vont, en retour,
02:45 lui sourire ou lui parler.
02:47 Et ça, c'est infiniment protecteur parce qu'on n'attaque pas un enfant
02:50 qui est capable de rigoler comme ça avec dix autres enfants.
02:54 [Sonnerie de fin]
02:56 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]