Vidéos de replay des assises de la bioéconomie en Bourgogne-Franche-Comté :
16 octobre 2023 : 6 tables rondes thématiques
17 octobre 2023 : Scénarios et perspectives régionaux
16 octobre 2023 : 6 tables rondes thématiques
17 octobre 2023 : Scénarios et perspectives régionaux
Category
🗞
NewsTranscription
00:00:00 [Générique]
00:00:14 Mesdames, Messieurs, si vous nous rejoignez, rebonsoir, rebonjour.
00:00:20 J'entame ma sixième heure de débat.
00:00:23 Cela se voit peut-être à mon phrasé, mon intonation, voire les cernes
00:00:27 qui commencent à tomber sous les yeux, mais je suis fidèle au poste.
00:00:31 Et pour ceux qui nous rejoignent seulement maintenant,
00:00:34 sachez que ce sixième débat est issu, vient terminer,
00:00:38 avec la journée de demain à Beaune, 18 mois de discussions,
00:00:43 de débats organisés par l'ADEME et quatre bureaux d'études.
00:00:49 Débats dans la région Bourgogne-Franche-Comté,
00:00:52 débats locaux, débats avec les usagers du territoire,
00:00:55 comme on dit aujourd'hui, débats desquels ont émergé six sujets
00:00:59 que nous avons traités depuis ce matin.
00:01:02 Le puits de carbone forestier est-il éternel ?
00:01:05 L'autonomie énergétique des territoires, idéal ou nécessité ?
00:01:08 La résilience alimentaire des territoires ?
00:01:10 L'arbre est là ? Et tout à l'heure, comment gérer l'eau et les sols agricoles demain ?
00:01:16 Des débats produits aujourd'hui par l'ADEME
00:01:20 avec les moyens techniques de Studio Webcast.
00:01:23 Dans cette journée assez remarquable, assez triste,
00:01:27 où on rend hommage à Dominique Bernard et Samuel Paty.
00:01:31 Merci d'être là, merci, si vous le voulez bien,
00:01:34 de poser des questions qui vont apparaître, pouf, juste à côté de moi.
00:01:38 Donc n'hésitez pas.
00:01:40 Le débat qui vient de terminer, qui va peut-être tout résumer,
00:01:44 jusqu'à 17h30, qu'est-ce qui changera nos assiettes en 2050 ?
00:01:48 Donc ce n'est pas seulement qu'est-ce qui va changer dans nos assiettes,
00:01:51 mais quels sont les facteurs qui vont modifier ce que nous allons trouver dans nos assiettes en 2050 ?
00:01:58 On a un peu abordé ces sujets depuis ce matin.
00:02:01 On voit bien que réfléchir à l'évolution d'un territoire d'ici 2050
00:02:05 oblige à tout convoquer, tous les savoirs, toutes les sciences,
00:02:11 tous les secteurs du savoir, et à aller discuter entre eux.
00:02:15 Qu'est-ce qui changera nos assiettes en 2050 ?
00:02:17 On voit ça tout de suite avec vous, Franck Lebedé.
00:02:20 Bonjour, vous êtes directeur d'études et de recherches au CREDOC.
00:02:23 Vous nous déroulerez cet acronyme tout à l'heure.
00:02:26 Gilles Bien, vous êtes directeur de recherches en biogéochimie territoriale au CNRS.
00:02:31 Alice de Bazelaire, vous êtes consultante d'un des quatre bureaux d'études
00:02:35 qui a travaillé avec la DEME depuis 18 mois.
00:02:39 Ceresco, Franck Lebedé, qu'est-ce que...
00:02:43 Alors le CREDOC, pour nos amis qui ne connaîtraient pas,
00:02:46 ce qui m'étonnerait, le CREDOC a une certaine réputation.
00:02:48 Dites-nous ce que vous y faites.
00:02:50 Alors c'est le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.
00:02:54 C'est une association loi 1901.
00:02:57 Nous sommes sous la tutelle du ministère de l'économie via la DGCCRF
00:03:02 et la direction du commerce, de l'artisanat, des entreprises.
00:03:07 Et notre objectif est de travailler sur les modes de vie,
00:03:09 les modes de consommation des Français,
00:03:12 pour les imaginer dans l'avenir, pour les mesurer aujourd'hui,
00:03:16 en essayant de voir quels sont les déterminants de ces modes de vie et de mode de consommation.
00:03:20 Alors qu'est-ce que vous voyez ?
00:03:22 Quels attracteurs plus ou moins faibles voyez-vous
00:03:25 qui pourraient nous indiquer ce qu'on mangera dans nos assiettes en 2050 ?
00:03:30 Quand on part sur un horizon temporel assez long,
00:03:34 la première chose c'est de regarder ce qui s'est passé dans le passé.
00:03:36 C'est une bonne idée.
00:03:37 Donc on pourrait peut-être avoir six tendances
00:03:40 qui sont des tendances lourdes depuis l'arrivée de la société de consommation.
00:03:45 Donc depuis les années 50.
00:03:47 La baisse du poids des dépenses alimentaires
00:03:50 dans la part de ces dépenses alimentaires dans le budget des Français.
00:03:54 On était à quoi ? 30-40% dans les années 50 ?
00:03:56 Oui, à peine. On était autour de 28-30%.
00:04:00 Et on est aujourd'hui à 13% en fait.
00:04:03 En ne comptant que ce qui est consommé à domicile.
00:04:07 Sur la restauration, il y a eu des variations,
00:04:11 mais on est autour de 4% à peu près en permanence sur la période.
00:04:15 Le budget qu'est ménage consacre à la restauration en domicile.
00:04:18 Exactement.
00:04:19 La deuxième tendance qu'il faut avoir en tête je pense,
00:04:22 c'est la modification de régime alimentaire.
00:04:25 Avec une diminution des quantités consommées de produits carnés,
00:04:29 notamment de viande rouge.
00:04:31 Mais c'est vrai aussi pour la viande aux vignes.
00:04:34 Il n'y a que le poulet qui lui s'en sort bien là-dessus.
00:04:38 La croissance de l'alimentation transformée,
00:04:41 donc les plats cuisinés, c'est vraiment une tendance de fond aussi.
00:04:44 Et une tendance à une variété plus importante en matière alimentaire
00:04:48 que ce que l'on connaissait dans les années 50 ou les années 60.
00:04:51 Troisième tendance,
00:04:53 l'affaiblissement du modèle alimentaire français.
00:04:58 On a une idée que le modèle alimentaire français
00:05:01 est constitué autour de trois dimensions.
00:05:05 On mange ensemble la même chose au même moment.
00:05:10 La grande liturgie laïque, comme l'a défini Gilles Fumet,
00:05:13 géographe de l'alimentation.
00:05:15 Et donc cet élément-là, on le voit grignoter,
00:05:18 s'affaiblir petit à petit de par les évolutions de nos modes de vie,
00:05:22 notamment le temps de travail,
00:05:25 la manière dont s'organisent nos différentes activités,
00:05:28 de par l'individualisme qui croît aussi dans la société,
00:05:32 de par le fait qu'on vit aussi plus souvent seul
00:05:35 ou en tout cas avec moins d'individus dans le foyer.
00:05:37 Tous ces éléments-là ont affaibli ce modèle.
00:05:40 Ensuite, il y a encore trois tendances que je voudrais mettre en avant.
00:05:44 La croissance des préoccupations santé,
00:05:47 très clairement à travers toutes ces décennies.
00:05:51 Aujourd'hui, trois quarts des Français pensent qu'il y a un lien
00:05:54 entre l'alimentation et la santé.
00:05:56 Et ce lien est vraiment très fort
00:05:59 et nourrit une certaine inquiétude et des préoccupations dans ce domaine-là.
00:06:03 Clairement, sur les dix dernières années,
00:06:05 l'apparition d'une inquiétude en matière environnementale
00:06:09 et d'un lien entre l'alimentation et l'environnement.
00:06:12 L'environnement, malgré ce que l'on peut connaître aujourd'hui
00:06:16 avec la guerre en Ukraine, avec l'inflation,
00:06:20 pour 30% des Français, c'est l'une des deux principales préoccupations
00:06:25 qu'ils ont au quotidien.
00:06:27 Et puis, dernière dimension,
00:06:30 une dimension d'inégalité avec, d'un côté, je dirais,
00:06:34 une tendance à la surconsommation,
00:06:37 peut-être un peu exagérée dans mon discours,
00:06:40 mais en tout cas, une consommation qui amène à ce que,
00:06:42 en quantité, on consomme trop,
00:06:44 et donc qu'il y ait une question d'obésité, de surpoids
00:06:47 qui se développent en France.
00:06:50 Et de l'autre côté, une partie de la population française
00:06:53 qui n'a jamais été aussi importante,
00:06:56 elle se trouve, ou le déclare en tout cas en situation de précarité alimentaire,
00:07:00 - 10 millions de personnes à peu près.
00:07:01 - Voilà, 11% des Français qui, en 2023, dans nos enquêtes,
00:07:05 disent qu'au moins de temps en temps,
00:07:07 ils n'ont pas les quantités nécessaires pour consommer en matière alimentaire.
00:07:10 - Ce qui paraît aberrant dans un pays d'abondance comme le nôtre.
00:07:14 Effectivement, il y a une étude qui a été faite à Dunkerque
00:07:17 par le Secours Populaire, et qui montre que de plus en plus de Français,
00:07:21 à partir du 15 du mois, loupent un repas,
00:07:24 et puis deux, et puis trois, et puis quatre,
00:07:26 et qu'il y en a de plus en plus,
00:07:27 c'est souvent corrélé avec la précarité énergétique.
00:07:29 Alice de Bazelaire, vous êtes consultante chez Ceresco, bureau d'études,
00:07:33 vous observez aussi les tendances de la société,
00:07:36 vous avez vu les mêmes ou vous avez vu autre chose ?
00:07:39 - Non, globalement, on partage effectivement le constat du Crédoc,
00:07:44 on a déjà eu l'occasion de travailler à plusieurs reprises ensemble.
00:07:47 J'ajouterais effectivement que dans les tendances de consommation,
00:07:51 il y a aussi, vous le disiez, une baisse du temps allouée aussi à la cuisine,
00:07:55 une augmentation des plats transformés,
00:07:58 qui sont utilisés par les foyers français dans une recherche de praticité.
00:08:02 Et il y a un point sur lequel j'aimerais aussi insister,
00:08:05 c'est cette dimension de plaisir qui est quand même très recherchée
00:08:08 dans la consommation française, c'est-à-dire,
00:08:10 on veut à la fois manger bon pour notre santé, bon pour notre planète,
00:08:15 mais les compromis à faire sur le plaisir sont difficiles
00:08:20 dans les arbitrages des français.
00:08:22 - On veut tout, on veut tout faire, on veut tout avoir en même temps.
00:08:24 - On veut tout avoir en même temps, et ça c'est un point que j'ai pas mal traité
00:08:29 dans mon ancienne vie en institut d'études également,
00:08:32 où effectivement, même les foyers qui sont dans des situations
00:08:35 parfois de précarité alimentaire, qui font des arbitrages très forts,
00:08:39 notamment dans des contextes inflationnistes,
00:08:41 je pense qu'on reparlera peut-être de l'inflation,
00:08:44 sont certes contraints, ils vont faire des arbitrages en termes de...
00:08:49 ils vont déclasser, c'est-à-dire qu'ils vont tendance à aller
00:08:51 vers des marques de distributeurs, ils vont aller fréquenter
00:08:53 des enseignes low cost comme Lidl, etc.
00:08:56 Mais dans leur panier, ils accorderont quand même
00:08:59 une part importante de leurs achats à des produits
00:09:02 plaisirs, réconfortants, comme une valeur refuge en fait quelque part.
00:09:05 - Et puis peut-être aussi pour pas avouer sa situation économique,
00:09:08 sa pauvreté, on va acheter un bout de viande alors qu'on devrait pas,
00:09:11 une pâte à tartiner d'une marque célèbre...
00:09:13 - Et faire plaisir aux enfants.
00:09:15 - Et faire plaisir aux enfants.
00:09:17 M. Bien, est-ce que...
00:09:19 Alors vous êtes bio... Pardon.
00:09:21 Excusez-moi. Oui c'est ça, bio-géochimiste,
00:09:24 dont vous travaillez sur les grands cycles de matière
00:09:27 à l'échelle du globe.
00:09:29 Excusez-moi, j'ai l'esprit déscalé, je pensais à autre chose.
00:09:35 Qu'est-ce que... Enfin voilà, comment vous réagissez par rapport à ça ?
00:09:38 Est-ce que la bio-géochimie, est-ce que ces grands cycles de matière
00:09:41 vont impulser les choix que nous aurons à faire en 2050 ?
00:09:44 Impulsez la composition de nos assiettes et comment ?
00:09:47 - Alors, ce ne sont pas les grands cycles de matière à l'échelle du monde qui font ça.
00:09:54 La bio-géochimie c'est d'abord un type de regard.
00:09:58 C'est un regard sur la société en termes de flux.
00:10:03 Le bio-géochimiste, il voit des flux partout.
00:10:06 Il voit le fonctionnement de la société à travers les transferts de matière
00:10:10 qui conditionnent le fonctionnement de cette société.
00:10:14 Alors, appliqué à l'alimentation, si vous voulez,
00:10:18 c'est le constat que l'assiette, qui est le sujet de ce débat,
00:10:22 c'est seulement un tout petit aspect, un morceau de cette longue chaîne
00:10:28 qui va de l'agriculture, et même avant de la fourniture des engrais,
00:10:34 des pesticides, des semences, puis vers les transformateurs,
00:10:39 puis vers les distributeurs, et puis enfin vers le consommateur.
00:10:42 Regarder isolément le consommateur comme un objet en soi,
00:10:47 dont on étudie le comportement ou les motivations,
00:10:50 c'est très insuffisant pour le bio-géochimiste que je suis.
00:10:53 Il faut regarder le système dans son ensemble.
00:10:56 Il faut regarder cette chaîne.
00:10:57 Il faut regarder comment ces flux ont évolué au cours du temps.
00:11:00 - Comment ils ont évolué ?
00:11:01 - Alors, comment ils ont évolué ?
00:11:03 Les tendances lourdes de notre consommation, que vous avez rappelées,
00:11:08 si on les regarde d'ailleurs, non pas en termes de pouvoir d'achat,
00:11:14 en termes monétaires, mais en termes de matière,
00:11:18 de ce qui constitue véritablement notre alimentation,
00:11:21 ce n'est pas tout à fait la même chose qu'on voit.
00:11:23 Si on regarde ça sur une période un peu longue,
00:11:25 qui est celle des grands bouleversements de l'agriculture,
00:11:28 depuis l'après-guerre, la consommation de produits animaux,
00:11:33 puis en délai, a doublé par rapport à ce qu'elle était dans les années 50 aujourd'hui.
00:11:39 Et ça, c'est vraiment un changement majeur
00:11:44 qui s'est fait d'une manière tout à fait concomitante
00:11:46 avec la réorganisation de l'agriculture, l'agrandissement des parcelles,
00:11:51 la spécialisation territoriale de l'agriculture,
00:11:54 la chimisation de cette agriculture,
00:11:56 la segmentation aussi de l'ensemble de la chaîne
00:11:59 avec une importance croissante des agro-fournitures,
00:12:04 de la transformation, de la distribution.
00:12:07 Tout ça n'est pas indépendant.
00:12:09 Et je pense qu'il est un petit peu naïf de penser
00:12:13 que la composition de notre assiette est simplement la résultante
00:12:18 de la volonté des consommateurs, de leur désir collectif,
00:12:23 de la satisfaction de leurs envies ou de leur peur.
00:12:31 - Vous voulez dire que nos désirs, on les travaille ?
00:12:33 Le marketing les travaille ? On nous dit un peu ce qu'on achète ?
00:12:36 - Mais absolument !
00:12:37 Je veux dire, il est tout de même assez frappant de voir
00:12:40 que c'est au fur et à mesure de la production d'excédents de céréales
00:12:48 au début des années 60,
00:12:50 que tout à coup l'élevage s'industrialise,
00:12:54 que l'élevage devient un débouché majeur pour ces céréales,
00:12:58 alors que ce n'était pas du tout le cas avant.
00:13:00 C'est frappant de voir que l'essor de la grande distribution
00:13:04 va de paire avec des changements massifs de la consommation
00:13:10 vers des produits transformés.
00:13:12 Les déterminants sont davantage dans le mode d'organisation
00:13:17 de cette grande chaîne agroalimentaire
00:13:20 que dans strictement le comportement individuel des consommateurs.
00:13:25 C'est intéressant de regarder ces motivations.
00:13:28 - Mais ce n'est pas suffisant.
00:13:29 - Mais ce n'est pas du tout là que sont les leviers de changement.
00:13:33 - Donc les leviers sont à un niveau plus haut,
00:13:35 mais à prendre vos propos de façon à ne prendre que quelques mots,
00:13:39 ou l'écume de vos propos, on pourrait croire que ça nous a été imposé,
00:13:42 qu'il y a un grand tout qui nous imposerait un grand lobby,
00:13:45 qui nous considérait juste comme des ventres des consommateurs
00:13:48 pour écouler des produits que l'industrie fabrique.
00:13:51 - Il n'y a pas de théorie du complot dans ce que je dis.
00:13:56 - Ça pourrait être perçu comme ça.
00:13:58 - Oui, je comprends bien.
00:13:59 Mais il y a simplement la reconnaissance que l'agriculture,
00:14:03 la transformation, la distribution, la consommation,
00:14:07 ça forme un tout et que c'est un système.
00:14:09 Et que ne pas regarder cette chaîne de manière systémique,
00:14:13 c'est passer à côté de l'essentiel.
00:14:15 - Certes, mais si on regarde ça d'un point de vue systémique,
00:14:17 on est un peu désespéré parce qu'on se demande sur quoi agir.
00:14:20 Les systèmes sont interconnectés à l'échelle du monde.
00:14:23 Il n'y a pas un agriculteur qui ne dépend pas de la bourse de Chicago,
00:14:27 qui ne dépendait pas des engrais fabriqués grâce au gaz russe.
00:14:32 Alors effectivement, la part du consommateur, elle est faible,
00:14:35 mais où sont les leviers et où sont les tendances ?
00:14:39 Et sur quoi on va pouvoir agir pour avoir, ou espérer au moins,
00:14:42 avoir l'impression d'agir sur le système ?
00:14:45 - Je dirais, ne faut-il pas d'abord essayer de s'affranchir,
00:14:49 autant que faire se peut,
00:14:51 de ces interdépendances extrêmement vastes
00:14:54 qui nous enlèvent tout moyen d'agir.
00:14:56 - C'est-à-dire on démondialise, on régionalise, on localise ?
00:15:00 - Absolument, oui, dans la mesure du possible et d'une manière progressive.
00:15:05 Mais effectivement, il y a des tas de leviers à cet égard-là.
00:15:09 Des leviers d'ailleurs qui font partie du discours politique qu'on entend.
00:15:13 Quand on parle de souveraineté alimentaire, d'autonomie alimentaire,
00:15:18 on ne parle pas d'autre chose que de cela.
00:15:20 Et la nécessité de reconquérir, en tout cas une part d'autonomie,
00:15:25 une part de souveraineté, c'est quelque chose qui n'est plus,
00:15:30 en tout cas, un gros mot dans le débat politique.
00:15:33 - C'est vrai, vous passiez pour fasciste avant, quand vous entendiez ce mot.
00:15:36 - Et aujourd'hui, je travaille pour le magazine Marianne aussi.
00:15:40 A Marianne, il y a quelques années, Marianne était vécue comme étant un magazine de fascisme
00:15:44 parce qu'il parlait de souveraineté alimentaire notamment.
00:15:46 Et aujourd'hui, tout le monde l'emploie, notamment le président de la République,
00:15:50 Franck Lebedé. On l'a abordé un peu avec le débat sur la résilience alimentaire.
00:15:56 Il y aurait une demande de la population d'une relocalisation
00:16:00 pour avoir une figure, une incarnation du système alimentaire qui est tellement complexe.
00:16:05 Vous la voyez cette tendance, ou c'est juste une vue de l'esprit,
00:16:08 on va dire ça parce qu'on pense que ça va faire plaisir au son d'or,
00:16:11 vous voyez cette tendance aux besoins locales ?
00:16:13 - Alors, je voudrais déjà rebondir sur ce que vous disiez.
00:16:17 Je pense qu'on est d'accord, c'est-à-dire que dans le travail qu'on va mener nous
00:16:21 pour analyser les comportements des consommateurs,
00:16:24 on va intégrer la totalité de l'offre et de la structure et du système
00:16:29 qui va amener l'offre des consommateurs.
00:16:31 La plupart du temps, en fait, ils se positionnent par rapport aux produits qu'on leur propose.
00:16:36 Et les produits qu'on leur propose, ils sont bien le fruit d'un système agro-industriel
00:16:42 qui a produit, transformé les produits.
00:16:45 Et les consommateurs, à partir de là, ils se disent "Ok, d'accord, j'achète ou je n'achète pas".
00:16:49 Mais en tout cas, cette offre, elle est bien déterminante.
00:16:52 A mon sens, ce n'est pas la seule dimension à prendre en compte.
00:16:55 Et il y a les questions de démographie qui vont bien sûr avoir un impact,
00:17:00 les questions d'économie au sens large, et là on se rejoint aussi en partie,
00:17:04 et les questions de valeur et de mode de vie.
00:17:06 Le démographie, pourquoi le vieillissement de la population va avoir un impact
00:17:09 sur ce qu'on aura dans nos assiettes ? Pourquoi ?
00:17:11 S'il y a des éléments sur lesquels on est certain à un horizon 2040-2050,
00:17:17 c'est bien les évolutions démographiques.
00:17:19 Donc en effet, c'est important, essentiel d'en tenir compte.
00:17:23 Moi je dirais qu'il y en a trois qu'il faut avoir en tête.
00:17:26 Le premier, c'est celui que vous venez de citer,
00:17:28 c'est vraiment le vieillissement de la population française.
00:17:31 On a aujourd'hui dans la population française à peu près 20% de plus de 65 ans,
00:17:41 on devrait passer à 27-30% à l'horizon 2040.
00:17:45 En Bourgogne-Franche-Comté, ça sera plus.
00:17:47 Il y a des départements dans lesquels on arrivera à 40%,
00:17:50 donc il y a un vieillissement de la population française
00:17:52 qui est vraiment important, à la fois au niveau national,
00:17:55 mais aussi encore plus au niveau de la Bourgogne-Franche-Comté.
00:17:59 Et ça a au moins trois conséquences.
00:18:01 La première, c'est qu'en vieillissant, on a tendance à diminuer les quantités consommées.
00:18:06 Donc il y a un risque, notamment au niveau de la masse musculaire,
00:18:10 d'arriver à ne plus avoir une masse musculaire suffisante
00:18:13 pour pouvoir "bien vieillir".
00:18:16 Donc continuer à vieillir chez soi, en bonne santé,
00:18:18 en ayant les activités qu'on a envie d'avoir.
00:18:21 La deuxième chose, c'est que dans ce lien alimentation-vieillissement,
00:18:25 il y a toute la prévention des maladies chroniques,
00:18:29 qui peuvent être liées au vieillissement, comme les maladies dégénératives,
00:18:33 mais qui peuvent être aussi des maladies comme le diabète ou le cholestérol.
00:18:36 Liées à la malbouffe, aux produits transformés, ultra-transformés...
00:18:39 Alors ça, c'est vous qui le dites, en tout cas.
00:18:42 C'est l'Inserm, quand même, qui a fait la suite.
00:18:44 Mais très clairement, il y a un lien, et il y a une question,
00:18:47 et il y a un enjeu fort, là, sur des populations
00:18:50 qui vont avoir potentiellement ce risque
00:18:53 de maladies dégénératives, de sarcopénie ou de maladies chroniques,
00:18:58 pour pouvoir voir quelle alimentation on leur propose en curatif,
00:19:02 mais surtout aussi, pour celles qui arrivent,
00:19:04 qui sont plus jeunes, en préventif.
00:19:08 Et puis, le dernier élément, qui est lié, quand même, aussi à la sarcopénie,
00:19:12 c'est les problèmes qu'on va rencontrer en vieillissant réellement,
00:19:15 ce sont des problèmes de mastication, de déglutition,
00:19:18 et là, il y a des produits alimentaires à imaginer,
00:19:21 des services à proposer, qui vont se poser sur la population.
00:19:25 Deuxième élément en démographie, c'est plutôt l'inverse,
00:19:28 ce sont les jeunes, c'est comment vont se positionner les jeunes
00:19:31 par rapport à l'alimentation.
00:19:33 - Les qui veulent sauver la planète, tous, il paraît.
00:19:35 - Alors, ça, c'est un enjeu fort.
00:19:37 C'est vraiment un enjeu fort, parce que, quand on regarde les enquêtes,
00:19:41 qu'elles viennent du Credoc, qu'elles viennent d'autres instituts,
00:19:44 qu'il y a une proportion d'individus chez les jeunes
00:19:48 qui mettent en avant l'environnement,
00:19:50 qui est plus fort que les générations qui les ont précédées.
00:19:53 On voit qu'en taux de consommateurs, si je prends les produits bio, par exemple,
00:19:57 les consommateurs sont plus nombreux en taux,
00:20:00 chez les jeunes, que chez les plus âgés.
00:20:02 Mais quand on regarde les quantités consommées
00:20:04 et les montants dépensés, c'est l'inverse.
00:20:06 C'est chez les plus âgés, parce qu'il y a plus de revenus, notamment,
00:20:09 qu'on va consommer plus de produits bio.
00:20:12 Je prends ça, mais on peut parler des produits éco-responsables
00:20:15 de manière générale.
00:20:17 Donc là, il y a un enjeu.
00:20:18 C'est, est-ce que cette attitude va perdurer
00:20:21 et est-ce qu'elle se traduira en termes de comportement ?
00:20:24 Premier élément.
00:20:25 Deuxième élément, l'alimentation,
00:20:28 elle est en concurrence avec d'autres pratiques.
00:20:30 On revient sur vos idées de flux et de systèmes,
00:20:33 qui vont être les loisirs, qui vont être le travail,
00:20:37 qui vont être toutes nos activités du quotidien.
00:20:41 Et chez les jeunes, on voit une diminution
00:20:45 de l'importance accordée à l'alimentation
00:20:47 par rapport à d'autres pratiques.
00:20:49 Ça peut être lié à la communication,
00:20:51 ça peut être lié aux loisirs.
00:20:53 Et on voit que, notamment dans le loisir,
00:20:56 quand on reçoit des amis chez soi
00:20:58 ou quand on les voit à l'extérieur,
00:21:00 l'alimentation est nettement moins présente.
00:21:02 Donc on se dit, on peut très bien faire autre chose
00:21:05 que de manger ensemble.
00:21:06 Et cette notion, donc, qu'elle sera la place
00:21:08 de l'alimentation chez les jeunes,
00:21:10 c'est une dimension fondamentale
00:21:12 pour définir en 2040 ou 2050
00:21:15 ce que seront nos assiettes.
00:21:17 Ça, c'est la porte ouverte à l'industrie agroalimentaire
00:21:20 qui va faire du plat préparé,
00:21:22 de la restauration au domicile.
00:21:24 On n'est pas prêts de changer le système.
00:21:26 Et il faut imaginer la manière
00:21:29 dont les gens vont consommer.
00:21:31 Est-ce que ce sera des plus petites parties ?
00:21:33 Est-ce que ce sera plus du tout séparé
00:21:35 entre le dessert et le plat principal ?
00:21:38 Comment se passera la consommation alimentaire
00:21:42 des Français ?
00:21:43 Et l'industrie agroalimentaire, bien sûr,
00:21:45 va jouer son rôle dans ce domaine-là.
00:21:47 La dernière dimension, c'est que la jeunesse,
00:21:50 elle a une notion de performance qui est forte.
00:21:53 Et cette notion de performance,
00:21:55 elle renvoie à l'alimentation.
00:21:57 C'est-à-dire en quoi l'alimentation, aujourd'hui,
00:21:59 elle peut me donner l'énergie nécessaire,
00:22:01 mais aussi tous les nutriments nécessaires
00:22:03 pour pouvoir assumer ma vie au quotidien
00:22:07 et même faire plus que ce que je fais aujourd'hui.
00:22:10 On est dans la population des jeunes
00:22:12 avec un désir de faire beaucoup plus d'activités
00:22:15 que ce que l'on fait aujourd'hui au quotidien.
00:22:17 Donc on réduit l'alimentation
00:22:18 avec contenu nutritif, on ne change rien.
00:22:20 Exactement. Il y a cette notion-là
00:22:22 qui est importante et qui sera déterminante.
00:22:25 Est-ce qu'on reste là-dessus
00:22:26 ou est-ce qu'on a une représentation de l'alimentation
00:22:28 et ensuite des attitudes et des comportements
00:22:30 qui vont aller vers plutôt une notion d'équilibre,
00:22:33 plutôt une notion de variété ?
00:22:34 Ce n'est pas la même façon de voir l'alimentation
00:22:37 dans ces domaines-là.
00:22:38 Je ne sais pas si c'est un avenir riant.
00:22:41 Je ne fais que poser des questions.
00:22:43 Oui, mais vous posez les bonnes questions.
00:22:45 Parce que là, monsieur Gilbienne,
00:22:48 c'est le réductionnisme absolu.
00:22:50 C'est-à-dire qu'on réduit l'alimentation
00:22:52 à un contenu, à un temps à passer.
00:22:54 Finalement, il faut passer le moins de temps possible,
00:22:56 il faut passer le moins de temps possible
00:22:57 et avoir le maximum de calories, de nutriments
00:22:59 pour faire autre chose.
00:23:00 Si je résume à l'extrême ce que vous venez de dire,
00:23:02 le système n'est pas prêt de changer.
00:23:04 En fait, moi je suis un peu effrayé par votre discours
00:23:10 qui me semble être la recherche des tendances marketing
00:23:14 où est-ce qu'on peut faire encore du profit ?
00:23:17 Quels créneaux l'industrie et la distribution, d'ailleurs,
00:23:21 peuvent trouver pour dégager des marges ?
00:23:26 C'est ça que vous décrivez.
00:23:28 Il décrit des tendances.
00:23:30 Des tendances qui sont à la marge par rapport à la nécessité
00:23:33 qu'en tant que biochimiste, je voudrais rappeler,
00:23:36 nous avons besoin de 250 kcal par jour
00:23:39 et de 10 g de protéines.
00:23:41 Et cela, quoi que vous fassiez,
00:23:44 ça reste un besoin physiologique qu'il faudra assurer.
00:23:47 Mais vous voyez, vous-même,
00:23:48 là vous avez un discours réductionniste,
00:23:49 vous réduisez l'alimentation à 10 g de protéines
00:23:51 et 4 kcal.
00:23:52 Je suis désolé, mais il faut cela.
00:23:54 Alors après, il y a mille façons d'organiser ça, bien sûr.
00:23:57 Mais c'est quand même essentiel.
00:24:00 Et c'est essentiel de pouvoir précisément avoir la main
00:24:04 sur la manière dont on a envie de faire ça.
00:24:06 Je crois que c'est quand même essentiellement
00:24:10 une question de démocratie, quoi.
00:24:13 Avoir la main sur son alimentation.
00:24:16 Parce qu'on est en train de la perdre.
00:24:17 Parce qu'on est en train de la perdre
00:24:19 dans une multiplication d'offres
00:24:22 de plus en plus sophistiquées
00:24:25 qui passent à côté de ce besoin essentiel.
00:24:28 Je ne pensais pas que ça viendrait si tôt dans notre débat, mais...
00:24:34 Allez-y.
00:24:35 L'idée que les soins de santé,
00:24:41 c'est quelque chose de majeur,
00:24:44 qu'ils doivent être accessibles à tous,
00:24:46 indépendamment des revenus,
00:24:47 indépendamment de la position sociale,
00:24:51 a conduit à mettre...
00:24:53 - À la sécurité sociale.
00:24:55 - À la sécurité sociale.
00:24:56 Les soins de santé sont pris en charge collectivement.
00:24:59 L'alimentation pourrait être prise de la même façon
00:25:03 par une sécurité sociale alimentaire,
00:25:07 dans laquelle...
00:25:09 L'idée est effectivement
00:25:11 de réduire ces poches de pauvreté que vous évoquiez,
00:25:14 qui sont quand même assez effrayantes.
00:25:16 Se dire que finalement la charité publique,
00:25:19 l'action des associations,
00:25:21 vient pallier à cette incapacité
00:25:25 que le système économique a
00:25:28 de donner à manger à tout le monde.
00:25:31 Socialiser tout cela,
00:25:33 ce n'est pas seulement faire de la charité,
00:25:35 c'est simplement remettre la démocratie
00:25:38 dans les choix alimentaires.
00:25:40 Et pas seulement dans l'approvisionnement
00:25:43 en calories et en quantité de protéines,
00:25:46 mais dans les choix qui conditionnent en amont
00:25:49 toute la production de cela.
00:25:51 Donc une organisation de la chaîne agroalimentaire
00:25:56 qui serait de nouveau démocratique,
00:25:58 qui serait pour tous,
00:26:00 à un prix partagé par la collectivité,
00:26:04 et selon des modalités de production
00:26:06 qui seraient choisies,
00:26:08 avec donc...
00:26:10 Finalement, on décide que tel produit,
00:26:12 avec tel type de production
00:26:14 et de mode de production,
00:26:16 est susceptible de remboursement par la caisse.
00:26:18 De sécurité sociale alimentaire,
00:26:20 c'est finalement simplement redonner la main aux citoyens
00:26:23 sur l'ensemble de leur alimentation.
00:26:25 Après, tous les désirs de plaisir
00:26:30 ou de sophistication de l'alimentation,
00:26:34 ça peut continuer à exister.
00:26:36 Mais une fois que les besoins élémentaires sont satisfaits,
00:26:40 et organisés d'une manière
00:26:44 acceptable pour l'ensemble de la société.
00:26:46 - Elisabeth Basler, vous avez fait une thèse il n'y a pas si longtemps,
00:26:49 qui étudie les rapports compliqués entre l'offre et la demande
00:26:55 pour impulser la transition alimentaire.
00:26:57 Effectivement, comment on découple l'offre de la demande ?
00:27:00 Comment on peut recouvrer au moins l'illusion
00:27:05 d'avoir notre maîtrise sur un système alimentaire
00:27:08 qui, on l'a vu à l'occasion de la crise de la vache folle,
00:27:11 et puis les lasagnes de cheval, etc.
00:27:13 semblent être une boîte noire incompréhensible.
00:27:16 Oui, une boîte noire totalement incompréhensible.
00:27:19 La sécurité sociale de l'alimentation est une idée,
00:27:21 il y en a d'autres. Comment vous voyez les choses ?
00:27:23 - Il y a beaucoup de questions en une question.
00:27:25 Je vais essayer de résumer la thèse en quelques mots.
00:27:29 - Non, résumez pas votre thèse, on n'a pas le temps.
00:27:30 - Non, non, surtout pas.
00:27:31 Moi, ce que j'ai bien aimé dans ce que vous dites,
00:27:33 c'est effectivement, vous parlez d'un côté,
00:27:35 d'une sorte de projet de société, en fait, quelque part,
00:27:37 et de démocratie alimentaire.
00:27:38 Or, aujourd'hui, on a une offre qui est, quelque part, alimentaire,
00:27:43 qui est, par exception, guidée par les consommateurs.
00:27:45 Pourquoi est-ce que cette offre, elle est dictée aujourd'hui
00:27:48 par les consommateurs ?
00:27:49 Tout ça, ça repose, en fait, sur un...
00:27:51 Je ne vais pas me rester très longtemps dans la théorie,
00:27:53 mais c'est basé sur un concept économique néoclassique
00:27:57 qui disait que le consommateur est souverain,
00:27:59 il a un droit à consommer.
00:28:01 Et partant de ça, en fait, quelque part,
00:28:03 qu'est-ce que ça donne ?
00:28:04 Ça donne que le droit à consommer
00:28:06 est une sorte de démocratie économique
00:28:08 où le consommateur, en exprimant ses besoins,
00:28:11 par magie, a une industrie agronymentaire
00:28:14 et un distributeur qui lui fournit des offres
00:28:16 qui sont, on va dire, adaptées.
00:28:18 - Globalement, c'est vrai.
00:28:19 Quand je le consomme, je ne l'achète pas,
00:28:20 le produit disparaît.
00:28:21 - Tout à fait.
00:28:22 Et c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui.
00:28:24 Sauf qu'aujourd'hui, on est face à des enjeux
00:28:25 de transition alimentaire.
00:28:26 Et c'est ça, le vrai sujet, c'est quel est notre projet
00:28:29 de société, quel est le projet alimentaire
00:28:31 de notre société aujourd'hui ?
00:28:32 Et je pense qu'aujourd'hui, le débat,
00:28:34 il n'est pas suffisamment posé dans le sens.
00:28:36 C'est-à-dire qu'on a tendance à vouloir répondre
00:28:39 à des tendances de consommation qui sont tendancielles,
00:28:42 quelque part, mais qui ne répondent pas à un projet.
00:28:44 Et en fait, moi, ce que j'ai essayé de démontrer
00:28:48 à travers ces travaux, c'est de dire que, certes,
00:28:50 ce modèle fonctionne bien, c'est-à-dire que
00:28:53 l'industrie agronymentaire ou le distributeur répond
00:28:55 effectivement à une demande de consommation,
00:28:57 mais est-ce que le consommateur est en capacité,
00:29:00 au final, lui, d'opérer cette transition alimentaire ?
00:29:03 Pourquoi il ne le serait pas ?
00:29:04 Il n'est pas plus bête qu'un autre.
00:29:05 Il est informé, on a un pays éduqué,
00:29:07 une civilisation cultivée, une production publique.
00:29:10 Tout à fait. La transition alimentaire,
00:29:12 c'est quand même un enjeu très complexe.
00:29:14 On en a parlé quand même aujourd'hui.
00:29:16 On est au croisement d'enjeux de santé publique,
00:29:18 sanitaire, avec un taux d'obésité qui touche
00:29:21 presque 20% de la population aujourd'hui.
00:29:24 On a des enjeux sociétaux à travers la hausse
00:29:28 de la précarité alimentaire.
00:29:30 On a des enjeux environnementaux,
00:29:31 dont on a beaucoup parlé aujourd'hui.
00:29:33 On a des enjeux économiques.
00:29:35 Au regard de la complexité de ces quatre enjeux
00:29:37 que je viens de survoler comme ça en trois secondes,
00:29:40 ça me paraît quand même ambitieux de demander
00:29:43 à quelqu'un dans la rue d'écrire un projet
00:29:46 de société sur l'alimentation.
00:29:48 Par ailleurs, au-delà de ça, les études scientifiques
00:29:52 démontrent que la demande n'est pas en capacité
00:29:55 d'opérer ce changement pour plusieurs raisons.
00:29:57 Et pourquoi ?
00:29:58 Je vais vous les dire.
00:29:59 Tout d'abord, le premier point qui est remonté
00:30:01 par plusieurs scientifiques, c'est que la demande
00:30:03 n'est pas rationnelle.
00:30:04 C'est-à-dire qu'un consommateur, il est guidé,
00:30:07 certes, par des processus d'achat rationnels,
00:30:09 c'est-à-dire qu'il va avoir un budget qui va être
00:30:12 accordé à son alimentation, il va avoir pour la plupart
00:30:15 une liste de courses.
00:30:16 Cependant, il faut savoir que le processus d'achat
00:30:19 est aussi guidé par des processus émotionnels,
00:30:22 dont fait le plaisir, dont je parlais tout à l'heure,
00:30:24 mais pas que.
00:30:25 Il y a aussi des scientifiques qui relèvent aussi
00:30:27 des points concernant des dépendances physiologiques
00:30:29 à certains produits, comme le sucre, comme le sel,
00:30:31 comme les matières grasses qui pourraient créer
00:30:32 une sorte d'abîmement.
00:30:33 C'est une addiction au sucre,
00:30:34 reconnue comme telle par la médecine.
00:30:35 Il y en a qui comparent ça à la cocaïne,
00:30:37 mais je n'ai pas osé en parler ici.
00:30:39 Les sujets sont des vrais sujets scientifiques.
00:30:42 Les récepteurs neuronaux sont à peu près les mêmes.
00:30:45 Voilà.
00:30:46 Après, c'est controversé, donc je ne veux pas
00:30:48 en faire une parole d'évangile.
00:30:50 Parmi les autres points qui expliquent pourquoi
00:30:52 est-ce que la demande n'est pas en capacité
00:30:54 d'opérer ce changement, il y a aussi un effet
00:30:56 d'exclusion d'une partie de la population.
00:30:58 Vous le disiez tout à l'heure, effectivement,
00:31:00 on est dans une population qui est éduquée,
00:31:02 mais tout le monde n'a pas les connaissances,
00:31:04 les compétences nécessaires pour arbitrer
00:31:06 entre qu'est-ce qu'une oeuvre durable,
00:31:08 qu'est-ce qu'une oeuvre bonne pour ma santé.
00:31:10 Et on constate qu'on est sur une demande
00:31:12 qui est de plus en plus fracturée.
00:31:14 Et quelque part, aujourd'hui, les populations,
00:31:17 les classes populaires ou les cibles les plus précaires
00:31:19 jugent toutes les injonctions autour du mieux manger
00:31:22 comme une sorte de chose réservée à des élites.
00:31:26 Et ils ont tendance à rejeter.
00:31:28 Quelque chose qui vient du haut,
00:31:30 une forme de mépris de classe.
00:31:32 Exactement.
00:31:34 Mais comment on en arrive à...
00:31:36 Pardonnez-moi, je vous pose la question à vous trois.
00:31:38 Comment on en arrive aujourd'hui à devoir
00:31:40 se poser autant de questions pour manger
00:31:42 alors que l'acte de manger, il semble simple.
00:31:44 Je vais me faire très bête,
00:31:46 moi c'est ce que j'ai connu petit.
00:31:48 On va au marché avec mémé, on achète des fruits,
00:31:50 on a le final. Pourquoi aujourd'hui c'est devenu si compliqué ?
00:31:53 Allez-y.
00:31:55 Parce que où la valeur est-elle créée ?
00:31:59 Où peut-on dégager des marges dans cette chaîne alimentaire ?
00:32:04 Certainement pas au niveau de l'agriculture.
00:32:06 On le sait bien, les agriculteurs sont subventionnés.
00:32:10 Sans quoi, leur exploitation serait pas viable.
00:32:13 Au niveau de la transformation, oui, les marges sont importantes.
00:32:17 Au niveau d'ailleurs de la fourniture agricole,
00:32:19 les marges sont importantes également,
00:32:21 en amont des agriculteurs.
00:32:23 Et au niveau de la distribution, les marges sont encore plus importantes.
00:32:27 Or, je crois que vous aviez passé cette petite image de diabolos.
00:32:33 Il y a aujourd'hui, pour 60 millions de consommateurs,
00:32:38 450 000 exploitations agricoles,
00:32:41 5 grands groupes de distributeurs,
00:32:43 vous en mettez un peu plus,
00:32:45 avec 4 centrales d'achat.
00:32:47 Voilà.
00:32:49 En 1951, à la sortie de la guerre,
00:32:53 pour 40 millions de consommateurs,
00:32:55 il y avait 2 500 000 exploitations agricoles,
00:33:00 donc 5 ou 6 fois plus qu'aujourd'hui,
00:33:03 et 1 300 000 distributeurs,
00:33:07 propriétaires de petits magasins.
00:33:09 Alors, il y a eu une espèce de concentration incroyable
00:33:13 des acteurs dans cet intermédiaire
00:33:17 entre les agriculteurs et les consommateurs,
00:33:19 pour une raison assez simple,
00:33:21 c'est que ça c'est lucratif.
00:33:23 - Certes, mais en même temps, la grande distribution
00:33:25 a permis de diminuer le budget
00:33:27 que les familles consacraient à l'alimentation,
00:33:29 et d'augmenter la diversité alimentaire.
00:33:31 Parce qu'avant, on ne mangeait que ce qui était produit autour de chez soi.
00:33:34 - En termes monétaires, en termes d'euros, en termes de coûts,
00:33:39 vous avez peut-être raison.
00:33:41 Les travaux de chercheurs comme Michel Duru
00:33:45 montrent que pour chaque euro dépensé par le consommateur
00:33:49 en achat de nourriture,
00:33:51 il y a un autre euro socialement dépensé
00:33:55 pour les problèmes de santé engendrés,
00:33:58 et la réparation de l'environnement.
00:34:00 - Mais le consommateur réagit à la valeur faciale.
00:34:02 - Exactement, mais c'est peut-être là qu'est le problème.
00:34:05 - Il faudrait lui afficher la valeur réelle,
00:34:08 le coût, l'externalité.
00:34:11 - Mais qu'est-ce que ça veut dire la valeur réelle ?
00:34:13 Cette valeur réelle en euros ne reflète jamais qu'un rapport de force.
00:34:16 La manière dont les coûts, y compris les coûts cachés,
00:34:20 les coûts environnementaux,
00:34:22 sont pris en charge par la collectivité.
00:34:24 Donc il n'est pas du tout certain que le bilan
00:34:27 de ce processus de concentration
00:34:30 soit positif pour la société dans son ensemble.
00:34:33 - Certes, mais pour le consommateur, en tout cas,
00:34:35 vous disiez qu'on consommait,
00:34:38 on consacrait près de 30% de nos revenus,
00:34:41 mes grands-parents c'était ça,
00:34:43 et je me souviens que mes grands-parents peinaient
00:34:45 à se nourrir parce que ça coûtait cher.
00:34:47 Et ma grand-mère qui a toujours fait ses courses
00:34:49 à la petite épicerie et chez le paysan du couette
00:34:51 est très contente de voir un supermarché.
00:34:53 Et en plus, c'était l'arrivée dans l'ère de la modernité.
00:34:56 Mais restons-en sur le consommateur, si vous le voulez bien.
00:34:59 Franck Lhuaydet, qu'est-ce qui peut influencer le consommateur
00:35:02 pour aller dans un sens ou dans un autre ?
00:35:04 Est-ce que les labels, par exemple, peuvent l'aider ?
00:35:07 Les labels rouges, le label bio et autres labels.
00:35:10 Plus tous ces labels privés, plus ou moins marketés,
00:35:14 est-ce que ça aide ou au contraire,
00:35:16 est-ce que ça oblige le consommateur
00:35:18 à passer trop de temps sur l'emballage et il se dit
00:35:20 "C'est bon, je m'enfile au prix et ça ira bien".
00:35:23 - On reste sur la question de la responsabilité
00:35:26 qu'on donne aux consommateurs.
00:35:29 Vous posiez la question tout à l'heure,
00:35:31 et c'est vraiment dans la même idée,
00:35:33 de pourquoi c'est devenu si compliqué.
00:35:35 C'est devenu si compliqué parce qu'en fait,
00:35:38 dans les années 50-60, il y avait un objectif déjà,
00:35:42 c'était se nourrir en quantité.
00:35:44 Et ensuite, il y avait un cadre
00:35:47 qui était beaucoup plus simple,
00:35:49 notamment parce qu'on obéissait
00:35:51 à un certain nombre d'injonctions, de règles simples
00:35:54 qu'on avait apprises à l'école,
00:35:55 qu'on avait apprises par les institutions.
00:35:58 Or, ces institutions, petit à petit,
00:36:00 que ce soit la famille, l'État, les collectivités locales,
00:36:03 la religion, l'entreprise, ont plutôt diminué
00:36:07 en importance auprès des gens,
00:36:09 parce que dans le même temps,
00:36:10 l'individualisme s'est développé.
00:36:12 Et donc, les valeurs individualistes ont permis aux gens
00:36:14 de dire "Attendez, je remets en cause quand même
00:36:16 un certain nombre de choses qu'on me dit".
00:36:17 Sauf que le contraire, l'inverse de tout ça,
00:36:21 c'est qu'à un moment ou à un autre,
00:36:23 l'individu, quand il dit "Moi, je suis capable
00:36:25 de faire mes choix", on lui dit "Vas-y mon gars,
00:36:27 fais-les les choix, et on va tenir
00:36:29 et on va te demander de prendre en compte
00:36:32 plein d'éléments différents pour pouvoir faire ces choix-là".
00:36:36 Et en effet, tu peux très bien dire
00:36:37 "Ce que disent mes parents, j'y crois pas,
00:36:40 ce que disent les voisins, j'y crois pas,
00:36:43 ce que me dit un pouvoir politique,
00:36:46 municipal ou autre, j'y crois pas non plus".
00:36:49 Mais à un moment ou à un autre, les choix,
00:36:50 dans ce cas-là, c'est à toi de les faire tout seul.
00:36:52 Et cet individualisme qui s'est développé,
00:36:54 cette responsabilisation qu'on a donnée aux individus,
00:36:57 elle permet à ceux qui sont éduqués à peu près
00:36:59 de faire des choix.
00:37:00 Par contre, ceux qui le sont moins,
00:37:02 se retrouvent à avoir plein de responsabilités
00:37:05 à gérer eux-mêmes, et à un moment ou à un autre,
00:37:07 c'est trop difficile, c'est trop compliqué.
00:37:09 Donc, on ne sait plus quel choix on doit faire.
00:37:12 Et la question des labels,
00:37:14 elle se pose dans ce schéma-là.
00:37:18 Je vais chercher des signes informatifs
00:37:20 qui vont me permettre de faire ces choix-là.
00:37:23 Et donc, je vais les faire à travers les labels,
00:37:25 à travers les marques, à travers tout un tas de signes
00:37:28 qui me sont...
00:37:29 - Mais c'est efficace, les labels ?
00:37:30 Les gens y font confiance ?
00:37:31 - S'il y en a trop, du coup,
00:37:33 et s'ils ne sont pas organisés de telle sorte
00:37:35 qu'ils aient une information bien précise
00:37:37 et complémentaire aux autres,
00:37:40 les consommateurs ne s'y retrouvent pas,
00:37:41 ou difficilement.
00:37:42 Et c'est vraiment le problème qu'on a aujourd'hui
00:37:45 avec les labels officiels,
00:37:46 tous les signes officiels de qualité,
00:37:49 mais aussi tous les labels privés qui peuvent exister
00:37:52 et qui viennent d'un coup là
00:37:55 brouiller le message pour les consommateurs.
00:37:59 - Alice de Basseler, on reste encore sur le consommateur,
00:38:02 donc il y a les labels.
00:38:03 Qu'est-ce qui...
00:38:05 Les consommateurs qui ont du mal à faire le choix,
00:38:07 il y a beaucoup d'informations
00:38:09 sur la santé, sur l'environnement.
00:38:11 On est à peu près sûr de faire mal,
00:38:12 de toute façon, quand on achète,
00:38:14 quand on écoute les injonctions
00:38:16 qui sont souvent contradictoires,
00:38:17 est-ce qu'il faut instruire à nouveau le consommateur
00:38:21 et comment...
00:38:22 Il y a une question internet
00:38:23 et qui revient, c'est un peu une tarte à la crème,
00:38:25 il faut remettre des cours de cuisine à l'école.
00:38:28 Oui, mais c'est pas...
00:38:30 D'autres disent "oui, mais en même temps, ça ne sert à rien
00:38:32 parce que les parents font pire à manger de toute façon,
00:38:34 donc s'il n'y a pas...
00:38:35 Moi, je fais à manger chez moi,
00:38:36 donc mes enfants m'ont vu à manger...
00:38:37 Comme j'ai vu ma grand-mère me faire à manger,
00:38:38 ça aide quand même.
00:38:39 Mais si on n'a pas ça,
00:38:41 comment on peut exercer un choix à peu près rationnel
00:38:44 sur son alimentation ?
00:38:46 - Effectivement, il n'y a pas de doute sur le fait
00:38:48 qu'enseigner l'alimentation
00:38:50 et lui redonner une place de choix dans notre société,
00:38:52 je pense que déjà, c'est poser de bonnes bases
00:38:54 pour avoir un projet alimentaire collectif.
00:38:57 Donc ça, je pense que c'est quelque part
00:39:00 un peu une notion de bon sens.
00:39:01 Cependant, ça ne peut pas être suffisant, à mon avis.
00:39:04 Et il y a un point assez...
00:39:05 On parlait tout à l'heure de la concentration des acteurs,
00:39:07 effectivement, avec la distribution
00:39:09 qui concentre 90% des dépenses sur l'alimentation.
00:39:12 Et je pense qu'il y a ces acteurs,
00:39:15 de par leur concentration,
00:39:17 ont également un rôle à jouer.
00:39:19 Les études scientifiques ont démontré
00:39:21 qu'au-delà de ce pouvoir économique qu'ils exerçaient,
00:39:24 ils ont également un pouvoir
00:39:26 à la fois sur les imaginaires collectifs,
00:39:28 sur l'alimentation,
00:39:29 sur qu'est-ce que le bien manger au final,
00:39:32 et également, ils ont un pouvoir normatif
00:39:34 parce qu'il faut avoir en tête
00:39:35 qu'un distributeur, en moyenne,
00:39:37 en France, il y a 40% des ventes
00:39:39 qui se font sur des marques distributeurs.
00:39:41 Et aujourd'hui, les marques distributeurs,
00:39:43 les distributeurs, ils peuvent exercer
00:39:45 leur pouvoir d'influence sur les cahiers des charges,
00:39:47 donc influencer, de savoir,
00:39:49 est-ce que je mets plus de produits,
00:39:50 par exemple, plus de légumineuses,
00:39:52 plus de produits bio, plus de...
00:39:54 - Il faudra leur imposer de faire ça,
00:39:55 la loi devrait leur imposer ?
00:39:57 - La loi pourrait, éventuellement,
00:39:59 cadrer ces cahiers des charges
00:40:01 pour favoriser une alimentation plus équilibrée
00:40:04 et ainsi éviter que ça repose toujours sur le consommateur.
00:40:07 Parce que le risque, en fait, aujourd'hui,
00:40:09 c'est qu'on laisse beaucoup les injonctions
00:40:10 peser sur le consommateur.
00:40:11 - C'est facile, hein.
00:40:12 Dans une société capitaliste, c'est facile.
00:40:14 - Un petit peu facile.
00:40:15 Effectivement, ça peut être un des premiers leviers.
00:40:17 Après, il peut y avoir d'autres leviers
00:40:19 qui peuvent être, entre guillemets,
00:40:21 neutres pour le consommateur,
00:40:22 qui seraient aussi, quelque part,
00:40:23 d'engager les industries agroalimentaires
00:40:26 et les distributeurs dans la durabilité
00:40:28 à travers...
00:40:30 On parle beaucoup de climat, effectivement,
00:40:32 on en a parlé aujourd'hui.
00:40:33 - On réunit le climat.
00:40:34 - Ah bon, je ne veux pas spoiler, mais...
00:40:35 - Non, non.
00:40:36 - Mais notamment à travers leur reporting de durabilité,
00:40:39 comment faire pour, au travers de leur assortiment,
00:40:42 limiter l'impact climatique de leur assortiment et ainsi...
00:40:45 - Mais pourquoi on ne le fait pas ?
00:40:46 - Pourquoi on ne le fait pas ?
00:40:47 - Pourquoi on autorisait, par exemple,
00:40:49 les distributeurs de produits ultratransformés
00:40:52 dans les gares, dans le métro ?
00:40:54 Pourquoi aux Etats-Unis,
00:40:55 alors qu'en France, on disait que c'était impossible ?
00:40:57 Charles Steniger, quand il était gouvernant de la Californie,
00:40:59 interdit les acides gras de trans,
00:41:01 qui sont des cochonneries dans les produits ultratransformés.
00:41:04 Pourquoi en France, on ne le fait pas ?
00:41:05 Pourquoi en Europe, on ne le fait pas ?
00:41:07 Pourquoi on n'interdit pas l'ultratransformation
00:41:10 de certains aliments ?
00:41:12 - C'est pour moi ?
00:41:14 - Ben oui !
00:41:15 - Certainement, parce que c'est très lucratif,
00:41:18 ça fait travailler plein d'entreprises d'ingrédients
00:41:22 qui vont travailler sur l'hypertransformation
00:41:26 et valoriser ainsi des plats à des prix plus élevés.
00:41:29 Mais...
00:41:30 Moi, je...
00:41:32 Comment dire ?
00:41:34 J'ai perdu le fil.
00:41:36 - C'est l'ultratransformation qui continue
00:41:39 avec par exemple les produits véganes.
00:41:41 Quand on regarde les produits véganes,
00:41:42 les produits préparés,
00:41:43 c'est encore plus transformé que les autres,
00:41:45 mais ça a une vertu affichée
00:41:47 parce qu'on va sauver la planète,
00:41:49 les vaches, les moutons, etc.
00:41:51 Le système, il est terrible.
00:41:53 Non ?
00:41:54 Il se reconstitue sans cesse.
00:41:56 Bon, ben voilà.
00:41:58 - Ça répond, effectivement, à cette attente
00:42:02 dont on parlait tout à l'heure,
00:42:03 dont on parlait sur le côté praticité des consommateurs.
00:42:06 Effectivement, les consommateurs ont certes envie
00:42:08 d'agir pour la planète, de manger mieux,
00:42:11 mais ils ont toujours cette recherche de praticité.
00:42:13 Et quelque part, les industriels,
00:42:15 ils répondent à cette attente
00:42:16 à travers ces plats ultra préparés, ultra transformés.
00:42:19 - Ils répondent ou ils créent le besoin ?
00:42:21 - Ça, c'est quid de l'œuf ou de la poule.
00:42:23 - Je pense juste...
00:42:25 Il y a eu un sujet l'autre jour...
00:42:27 Sur une grande marque de purée en sachet.
00:42:30 Voilà.
00:42:32 Une grande marque de purée en sachet
00:42:33 qui commence par M
00:42:35 et son argument a toujours été "c'est tout simple".
00:42:37 Effectivement, ça met 5 minutes.
00:42:39 Mais quel temps on prend, franchement,
00:42:41 à faire bouillir deux patates
00:42:43 pour ensuite l'écraser à la fourchette.
00:42:44 Pendant qu'on fait bouillir, on peut faire autre chose.
00:42:46 Pourquoi on en est là ?
00:42:48 C'est une construction qui est voulue par le marketing ?
00:42:50 Ou c'est, effectivement, ça vient toucher
00:42:53 un réflexe limbique de notre cerveau reptilien
00:42:56 qui consiste à dire "il ne faut plus perdre de temps,
00:42:58 il ne faut plus se casser la tête et on va au plus vite".
00:43:01 - Non, je pense que clairement,
00:43:02 les leviers marketing ont été créés pour ça.
00:43:04 Les leviers marketing ont été créés
00:43:06 pour créer quelque part la demande.
00:43:08 Donc, aujourd'hui, si la fameuse purée M
00:43:11 vend ses sachets, c'est que quelque part aussi,
00:43:15 il y a une sorte de déconnexion
00:43:17 entre l'homme et ses courses.
00:43:20 Vous parliez de votre grand-mère
00:43:22 où vous faisiez le marché avec elle le week-end.
00:43:24 Je pense qu'il y a beaucoup de gens
00:43:27 qui se sont détachés de cette matérialité de la nourriture
00:43:29 et pour qui, effectivement, c'est plus simple
00:43:31 d'ouvrir un sachet de paquet M
00:43:33 et de mettre un petit peu d'eau
00:43:35 ou même plus de lait.
00:43:36 Je crois qu'on ne met plus de lait dedans.
00:43:38 Et ça fait l'affaire.
00:43:40 - J'ai le bien de vous travailler sur la...
00:43:43 Pardon, il faudrait que je l'obéde.
00:43:46 Sur la symbolique de l'alimentation,
00:43:48 sur la représentation que les gens ont
00:43:50 de l'alimentation, des produits alimentaires.
00:43:52 - Bien sûr, oui.
00:43:53 Si vous voulez travailler sur les comportements,
00:43:55 il faut remonter d'un cran
00:43:57 pour voir quelles sont les attitudes.
00:43:59 Et dans les attitudes,
00:44:00 elles sont déterminées par différentes dimensions.
00:44:02 On en a parlé.
00:44:04 Mais aussi les représentations que les gens ont
00:44:06 de l'alimentation.
00:44:08 Et sur ces représentations,
00:44:10 pour continuer dans le débat
00:44:12 qu'on a là, il y a une dimension
00:44:14 qui aujourd'hui est importante,
00:44:16 c'est la question du sens.
00:44:18 Un peu perdu par, justement,
00:44:21 tous les choix qu'on lui demande de faire
00:44:23 et puis parfois des dimensions
00:44:25 peut-être trop scientifiques
00:44:27 amenées pour faire ces choix,
00:44:29 les consommateurs se disent
00:44:31 "il y a peut-être un peu d'essentiel
00:44:33 à reprendre là-dedans
00:44:35 et c'est quoi le plaisir que j'ai à manger ?
00:44:37 C'est quoi le plaisir que je retrouve
00:44:39 à manger l'aliment
00:44:41 mais aussi autour avec les gens ?
00:44:43 À préparer cet aliment,
00:44:45 pourquoi pas à le faire pousser ?
00:44:47 Et donc tous ces éléments-là
00:44:49 sont des éléments
00:44:51 qui pour l'instant sont encore assez faibles
00:44:53 mais qu'on ne voyait pas il y a 10 ans
00:44:55 quand on leur demandait ce qu'était un aliment de qualité.
00:44:57 Et donc du coup, ça amène à penser
00:44:59 qu'une des dimensions
00:45:01 puisque c'était la question de cette table ronde
00:45:03 c'est qu'est-ce qui va déterminer
00:45:05 nos assiettes en 2040 ou 2050 ?
00:45:07 Et bien cette dimension du sens
00:45:11 elle est importante.
00:45:13 Quelle place on va lui donner ?
00:45:15 Est-ce qu'on va dire que oui,
00:45:17 c'est une activité essentielle quotidienne
00:45:19 parce qu'on en a besoin en termes d'énergie,
00:45:21 parce qu'on en a besoin en termes de sociabilité
00:45:23 et du coup ça nous ré-ancre aussi
00:45:25 dans un quotidien
00:45:27 et dans un territoire
00:45:29 on a parlé de terre tout à l'heure
00:45:31 dans un territoire où est-ce que
00:45:33 on continue à extirper
00:45:35 comme ça cet acte
00:45:37 du quotidien
00:45:39 de la production
00:45:41 et de la transformation des produits alimentaires.
00:45:43 D'accord, un aliment doit avoir du sens
00:45:45 il y a une éthique de l'alimentation
00:45:47 un aliment doit servir
00:45:49 à quelque chose, doit avoir un but
00:45:51 il ne doit pas détruire, il ne doit pas nuire
00:45:53 c'est un peu ça l'idée ?
00:45:55 Une des dimensions c'est la dimension santé
00:45:57 alors là on est très basique
00:45:59 nous les êtres humains
00:46:01 on a tendance à dire
00:46:03 j'incorpore un bon aliment du coup c'est très bon pour moi
00:46:05 j'incorpore un mauvais aliment
00:46:07 ou en tout cas il a des dimensions
00:46:09 dans sa fabrication qui sont mauvaises
00:46:11 et donc du coup
00:46:13 je deviens moi aussi à risque
00:46:15 et mauvais, c'est même pas à risque d'ailleurs
00:46:17 je deviens mauvais.
00:46:19 On laisse ce que l'on mange et on mange ce que l'on laisse.
00:46:21 On est du zéro ou du un là-dessus, c'est comme en informatique
00:46:23 donc ça c'est une dimension
00:46:25 qui pour l'instant ne bouge pas
00:46:27 même si le niveau d'éducation de la population
00:46:29 augmente, on est toujours sur
00:46:31 un principe d'incorporation
00:46:33 du bon on est bon, du mauvais
00:46:35 on devient un bon. Mais encore ça c'est basique
00:46:37 mais aujourd'hui si on mange du
00:46:39 mauvais on va faire mal à un paysan
00:46:41 qui aurait été mal payé, on va faire mal
00:46:43 à je sais pas moi aux forêts
00:46:45 en Indonésie et à leur en outant
00:46:47 et c'est ça qu'on a en permanence en tête
00:46:49 donc l'éthique elle est multiple.
00:46:51 Alors tout l'enjeu du sens dont on parlait tout à l'heure
00:46:53 c'est ça, c'est de réintégrer
00:46:55 d'autres dimensions
00:46:57 pour pouvoir
00:46:59 contrebalancer des visions
00:47:01 trop manichéennes des choses.
00:47:03 Ceci dit
00:47:05 on touche toujours
00:47:07 un élément qui est compliqué
00:47:09 qui est de dire est-ce que
00:47:11 tout le monde a envie et
00:47:13 a la capacité d'intégrer
00:47:15 toutes ces dimensions là pour en faire
00:47:17 sa propre synthèse ?
00:47:19 Ça c'est la question, est-ce que les gens ont envie
00:47:21 finalement que les choses changent ?
00:47:23 Une autre question gilbienne, on va se mettre un peu plus
00:47:25 loin dans le temps et dans l'espace
00:47:27 quel sera le rôle du climat
00:47:29 du changement climatique, de l'érosion de la biodiversité
00:47:31 et des tensions géopolitiques
00:47:33 sur est-ce que ça va influencer
00:47:35 la composition de nos assiettes
00:47:37 d'ici 2050 ?
00:47:39 Ça devrait en tout cas.
00:47:41 Pourquoi ?
00:47:43 L'ensemble de cette chaîne agroalimentaire
00:47:45 l'agriculture en particulier ont un rôle
00:47:47 majeur sur la dégradation
00:47:49 de l'environnement, sur
00:47:51 la production
00:47:53 de gaz à effet de serre, sur la perte
00:47:55 de biodiversité. Donc la transition
00:47:57 dans ce domaine
00:47:59 elle est vitale.
00:48:01 C'est pas seulement une question d'envie
00:48:03 je veux dire c'est une nécessité si
00:48:05 on veut survivre.
00:48:07 Comment est-ce qu'on peut
00:48:09 imaginer un système
00:48:11 agroalimentaire et une alimentation
00:48:13 compatible avec
00:48:15 les objectifs
00:48:17 qui sont
00:48:19 constitués par finalement le respect des limites
00:48:21 planétaires. C'est aussi simple que ça.
00:48:23 Alors
00:48:25 bon
00:48:27 ce qu'on a fait depuis un certain temps
00:48:29 c'est essayer de chercher
00:48:31 cela, de voir s'il était simplement possible
00:48:33 à l'échelle du monde
00:48:35 mais commençons à l'échelle européenne
00:48:37 l'échelle des différentes régions
00:48:39 européennes, de voir s'il est possible
00:48:41 d'imaginer un système agroalimentaire
00:48:43 qui produise
00:48:45 en autosuffisance
00:48:47 à l'échelle de l'Europe en tout cas
00:48:49 une alimentation saine
00:48:51 partageable, qui soit aussi éthique
00:48:53 c'est à dire qui soit partageable par l'ensemble du monde
00:48:55 parce qu'il ne s'agit pas de nous nourrir
00:48:57 sans penser à nourrir
00:48:59 les 10 milliards d'individus
00:49:01 qui peupleront la planète en 2050
00:49:03 en respectant
00:49:05 la qualité de l'eau
00:49:07 en diminuant
00:49:09 complètement
00:49:11 les émissions de gaz à effet de serre
00:49:13 est-ce que c'est simplement possible ?
00:49:15 - Et vous avez une réponse ?
00:49:17 - On nous dit
00:49:19 "mais non, attendez, seule
00:49:21 l'agriculture industrielle
00:49:23 intensive en engrais
00:49:25 et en pesticides peut nourrir la planète"
00:49:27 vous rêvez, on ne peut pas se passer de ça
00:49:29 donc on a essayé de voir si c'était possible
00:49:31 et on a essayé d'actionner 3 leviers
00:49:33 le premier levier
00:49:35 c'est
00:49:37 passer à une agriculture
00:49:39 qui n'utilise pas d'engrais de synthèse
00:49:41 ni de pesticides
00:49:43 de synthèse
00:49:45 de l'agriculture biologique essentiellement
00:49:47 voilà
00:49:49 ça revient
00:49:51 à finalement utiliser
00:49:53 généraliser des rotations longues
00:49:55 et diversifiées telles que celles que l'agriculture biologique
00:49:57 on en a parlé dans d'autres
00:49:59 tables rondes
00:50:01 mettent en oeuvre
00:50:03 donc on s'est basé sur ces systèmes
00:50:05 qui existent, minoritaires certes
00:50:07 mais on a cherché à les généraliser
00:50:09 deuxième levier
00:50:11 reconnecter l'élevage
00:50:13 et l'agriculture
00:50:15 aujourd'hui en Europe, il y a l'élevage d'un côté
00:50:17 nourri par l'importation
00:50:19 d'aliments pour bétail
00:50:21 de soja brésilien
00:50:23 la polyculture élevage on en revient
00:50:25 on revient à un système de polyculture élevage
00:50:27 qui n'est pas forcément celle des années 40 en France
00:50:29 c'est un type de polyculture élevage
00:50:31 en tout cas où le bétail
00:50:33 consomme
00:50:35 en particulier les légumineuses fourragères
00:50:37 qui sont appliquées dans les rotations
00:50:39 de grandes cultures
00:50:41 reconnexion de l'agriculture élevage
00:50:43 et troisième levier, le régime
00:50:45 alimentaire, on ne le fixe pas
00:50:47 à la recette près
00:50:49 mais on réduit
00:50:51 sensiblement et ça c'est essentiel
00:50:53 dans la mesure où en fait
00:50:55 on supprime l'élevage industriel, il est essentiel
00:50:57 de diminuer la ration de protéines animales
00:50:59 tout en conservant des vaches
00:51:01 tout en conservant des vaches parce que
00:51:03 l'élevage est nécessaire
00:51:05 à ce type là d'agriculture
00:51:07 mais en réduisant très très fortement
00:51:09 la part qu'il prend dans
00:51:11 l'alimentation protéique totale.
00:51:13 Avec ces trois leviers, on arrive à un système
00:51:15 qui permet effectivement
00:51:17 de nourrir l'Europe, qui permet même d'exporter
00:51:19 des excédents, pas au niveau
00:51:21 actuel
00:51:23 mais à un niveau tout à fait
00:51:25 compatible avec l'alimentation
00:51:27 de régions du monde qui probablement en
00:51:29 2050 auront besoin d'importer des
00:51:31 céréales. Donc ça reste possible
00:51:33 pour l'Europe en se passant
00:51:35 complètement des importations de
00:51:37 soja brésilien et en réduisant
00:51:39 de moitié les émissions de gaz à effet de serre
00:51:41 en produisant
00:51:43 une eau de qualité
00:51:45 avec
00:51:47 cinq fois moins de résidus
00:51:49 de pesticides mais aussi de nitrates
00:51:51 Voilà, donc
00:51:53 cet objectif là il est possible
00:51:55 un tel scénario agroécologique
00:51:57 est possible pour l'Europe, est possible pour
00:51:59 le monde aussi, on l'a étudié de manière moins fine
00:52:01 mais c'est un objectif
00:52:03 qui est possible. Alors voilà,
00:52:05 il y a plein de variantes autour de ça, je veux dire
00:52:07 ce n'est pas une injonction sur comment ça doit fonctionner
00:52:09 mais voilà, vous
00:52:11 parliez de redonner du sens à l'alimentation
00:52:13 dans le cadre d'une vision
00:52:15 générale de ce type
00:52:17 oui, il y a un sens
00:52:19 à une alimentation beaucoup plus reconnectée
00:52:21 avec l'agriculture
00:52:23 et voilà, la distribution
00:52:25 et l'industrie
00:52:27 devrait
00:52:29 diminuer en
00:52:31 importance dans ce type
00:52:33 là de système
00:52:35 tel que nous le dessinons
00:52:37 Alors on entend bien, c'est bien
00:52:39 pour ça que ce débat conclut et synthétise
00:52:41 finalement tous les débats qu'on a eus
00:52:43 reconnecter l'agriculture à son sol
00:52:45 les vaches à la culture
00:52:47 à la culture, à l'agriculture
00:52:49 et l'agriculture à la consommation alimentaire
00:52:51 mais
00:52:53 mais qui pilote ça ? Enfin, on l'a
00:52:55 vu, il y a 4 centrales d'achat
00:52:57 qui s'imposent à tout le monde, y compris
00:52:59 aux géants de l'agroalimentaire
00:53:01 et à un pouvoir politique dont on ne peut pas dire
00:53:03 qu'il soit courageux
00:53:05 au point de...
00:53:07 je fais court, mais
00:53:09 quand on voit qu'au lendemain de la guerre
00:53:11 en moins de 15 ans, on a modifié totalement
00:53:13 le système alimentaire français qui n'avait
00:53:15 pas changé finalement depuis des siècles
00:53:17 et là aujourd'hui, il y a des résistances partout
00:53:19 mais pourquoi ? Parce que l'État
00:53:21 a démissionné, parce que c'était...
00:53:23 j'ai des raisons de le redire
00:53:25 c'est un pilotage
00:53:27 extraordinairement volontariste
00:53:29 qui a fait changer
00:53:31 en une génération l'agriculture
00:53:33 - Donc c'est possible ? Pourquoi ça ne serait pas possible à nous ?
00:53:35 - Parce qu'aujourd'hui
00:53:37 on n'est plus dans un système de type
00:53:39 keynésien, disons, où l'État
00:53:41 a un projet, où l'État
00:53:43 a une vision
00:53:45 en fait, ce qui est assez particulier
00:53:47 c'est que, précisément, cette phase de volontarisme
00:53:49 a abouti
00:53:51 au néolibéralisme au fond
00:53:53 à l'abandon de l'État
00:53:55 de ses prérogatives pour les donner
00:53:57 aux firmes privées. Et maintenant
00:53:59 c'est seule la rentabilité
00:54:01 vous l'exprimez
00:54:03 seule la rentabilité qui décide des choix
00:54:05 d'une manière assez aveugle et finalement
00:54:07 qui n'est pilotée que par la valeur
00:54:09 monétaire des choses, choses qui
00:54:11 ne reflètent finalement que des
00:54:13 rapports de force.
00:54:15 C'est le retour à une
00:54:17 planification écologique
00:54:19 et démocratique
00:54:21 qui serait le seul moyen de mettre en
00:54:23 oeuvre un tel projet. - Est-ce que ça passe par
00:54:25 et on voit déjà que les choses changent
00:54:27 l'État est ce qu'il est
00:54:29 les gens, les collectivités, les entreprises, souvent ont compris
00:54:31 qu'il ne fallait plus rien en attendre, enfin en tout cas
00:54:33 pas tout de suite, et donc, une espèce d'auto-organisation
00:54:35 de décentralisation
00:54:37 de la décision et on le voit
00:54:39 par exemple avec les PAT, est-ce que c'est
00:54:41 à l'échelle, je pose la question à vous deux,
00:54:43 ça ne peut être qu'il y a une échelle locale que les choses
00:54:45 se font ou que
00:54:47 les expérimentations se font
00:54:49 pour que ça polymérise au point que l'État
00:54:51 soit obligé de dire à l'agroalimentaire
00:54:53 de dire au GMS
00:54:55 "ben c'est comme ça et pas autrement".
00:54:57 - Alors en tout cas, c'est pas le consommateur
00:54:59 qui sera moteur là-dessus.
00:55:01 Pourquoi ? Parce
00:55:03 qu'en fait, la force
00:55:05 de l'habitude fait que
00:55:07 on a pris des décisions, on a fait
00:55:09 des choix, et ces choix sont
00:55:11 les meilleurs possibles par rapport
00:55:13 au mode de vie et à l'organisation
00:55:15 qu'on a mis autour de nous en place
00:55:17 pour s'approvisionner,
00:55:19 pour se déplacer, pour se loger.
00:55:21 Et donc du coup,
00:55:23 un consommateur aujourd'hui
00:55:25 il est plutôt conscient des enjeux
00:55:27 environnementaux, il ne les connaît pas dans
00:55:29 le détail et pas autant que tout ce
00:55:31 qu'on a pu entendre pendant
00:55:33 toutes ces tables rondes aujourd'hui.
00:55:35 - Il attend qu'on décide à sa place ? - Il sait qu'il y a
00:55:37 un enjeu là-dessus.
00:55:39 Et il est persuadé que la seule
00:55:41 solution technique ne suffira
00:55:43 pas à régler les problèmes environnementaux.
00:55:45 Ça c'est aussi un changement qu'on a vu
00:55:47 croître dans les années 2010, c'est au début
00:55:49 des années 2020. La solution
00:55:51 technique peut être une
00:55:53 solution parmi d'autres, mais elle suffira
00:55:55 pas. Mais ensuite,
00:55:57 quand il faut passer à l'acte,
00:55:59 il faut lui donner les moyens
00:56:01 de changer. Et ça,
00:56:03 ça nécessite que des
00:56:05 infrastructures soient mises en place, que
00:56:07 des offres soient proposées, et donc c'est bien
00:56:09 du côté des entreprises
00:56:11 et des pouvoirs politiques que les choses
00:56:13 vont être mises en place et vont se
00:56:15 décider. - Local, à quelle échelle ? Local,
00:56:17 régional, européenne, nationale ?
00:56:19 - J'ai envie de dire peu importe. - Peu importe.
00:56:21 - Peu importe. Mais très clairement,
00:56:23 la dimension locale,
00:56:25 elle est quand même essentielle parce que
00:56:27 si on parle d'une agriculture qui doit
00:56:29 nourrir la population
00:56:31 en évitant
00:56:33 cette mondialisation que
00:56:35 vous évoquiez tout à l'heure sur la nourriture, par exemple,
00:56:37 des animaux,
00:56:39 des bœufs,
00:56:41 nécessairement, il va falloir penser
00:56:43 au niveau local, sans dire
00:56:45 qu'on va tout produire au niveau local
00:56:47 exclusivement, mais enfin, il va falloir penser
00:56:49 les choses au niveau local. Donc, la dimension
00:56:51 locale, elle sera essentielle et c'est celle qui,
00:56:53 en plus, chez les consommateurs et chez les citoyens,
00:56:55 est la plus reconnue comme légitime.
00:56:57 - Alice de Bazelaire,
00:56:59 faites-nous rêver. Alors, qu'est-ce qui changera
00:57:01 nos assiettes en 2050 ?
00:57:03 - Moi, je pense qu'il y a effectivement une notion
00:57:05 d'échelle. Vous parliez de local,
00:57:07 vous disiez, est-ce qu'on fait quelque chose à l'échelle
00:57:09 locale ou nationale ?
00:57:11 Moi, je ne sais pas tant si c'est le niveau
00:57:13 d'échelle ou plutôt qui est-ce qu'on met autour de la table.
00:57:15 Je pense qu'il y a besoin d'avoir un débat
00:57:17 de société, en fait, autour de l'alimentation
00:57:19 qui impliquerait à la fois les consommateurs,
00:57:21 qui impliquerait les collectivités,
00:57:23 les pouvoirs publics, mais aussi les industries
00:57:25 agroalimentaires et les distributeurs. - Parce qu'il n'existe pas
00:57:27 ces débats. Il y a eu la préparation de la loi Egaline,
00:57:29 des débats, il y en a eu, j'en ai animé. - Oui, mais... - Ça n'a pas suffi.
00:57:31 - Moi, je pense que ça n'a pas suffi. - Pourquoi ?
00:57:33 - Et à titre, enfin, personnel,
00:57:35 pour avoir assisté à plusieurs
00:57:37 ateliers de PAT,
00:57:39 on constate que très souvent, qui est-ce
00:57:41 qui sont présents ? Il y a, effectivement... - Toujours les mêmes.
00:57:43 - Toujours les mêmes.
00:57:45 Et qui est-ce qui sont absents ? Toujours les mêmes.
00:57:47 À savoir, il y a quand même assez peu de distributeurs
00:57:49 présents, il y a assez peu d'industries agroalimentaires
00:57:51 présentes. Et moi, je trouve
00:57:53 qu'il y a quand même un enjeu de réconcilier
00:57:55 quelque part le secteur public
00:57:57 avec le secteur privé et de
00:57:59 créer une sorte de communauté locale
00:58:01 mais qui engloberait quelque part
00:58:03 vraiment tous les acteurs. - C'est-à-dire une obligation
00:58:05 de se réunir régulièrement à une échelle locale.
00:58:07 - Oui, mais qui intègrerait aussi
00:58:09 la distribution et les industries agroalimentaires.
00:58:11 - Ça se fait pour ça, au départ, les PAT ? - Eh bien, pour l'instant,
00:58:13 les PAT, ils parlent quand même beaucoup de
00:58:15 restauration collective, mais
00:58:17 au final, la restauration collective, c'est
00:58:19 très très bien. On est content que nos enfants mangent
00:58:21 local et bio et des produits très vertueux,
00:58:23 c'est génial, mais il ne faut pas oublier... - Il faut qu'ils soient
00:58:25 bien préparés. - Encore, oui, ça, c'est un autre sujet.
00:58:27 Mais il ne faut pas oublier que 70%
00:58:29 de notre consommation passe à domicile
00:58:31 et qu'on est obligés de s'attaquer à ça.
00:58:33 Et pour moi, il y a cet enjeu
00:58:35 à la fois à l'échelle locale mais à l'échelle aussi
00:58:37 nationale, alors je ne sais pas si c'est nationale
00:58:39 voire européenne, d'une stratégie
00:58:41 à la fois planifiée, je suis d'accord avec vous,
00:58:43 mais aussi cohérente, parce qu'aujourd'hui, on
00:58:45 se souvient encore beaucoup
00:58:47 d'incohérences entre les stratégies
00:58:49 qui concilient à la fois la fourchette
00:58:51 mais surtout les maillons
00:58:53 intermédiaires, aujourd'hui sont très peu
00:58:55 sollicités sur cette réconciliation
00:58:57 de l'offre entre l'agriculture
00:58:59 et la consommation. C'est-à-dire
00:59:01 qu'on demande à des agriculteurs de produire
00:59:03 des filières de qualité, enfin on appelle ça filière
00:59:05 de qualité mais de bio,
00:59:07 ou alors de produire des légumineuses,
00:59:09 voilà. On demande aux consommateurs
00:59:11 à travers le PNNS de
00:59:13 consommer plus de
00:59:15 légumineuses. - On ne demande pas la même chose industrielle
00:59:17 et des EMS. - Tout à fait.
00:59:19 - D'accord. - Donc en fait, comment est-ce que ça peut passer
00:59:21 de la fourche à la fourchette sans passer par les maillons
00:59:23 intermédiaires ? Et je pense qu'il y a une nécessaire
00:59:25 réconciliation, enfin du moins un engagement
00:59:27 des maillons intermédiaires
00:59:29 dans la transition. - Bravo.
00:59:31 C'est votre mot de la fin. - C'est mon mot de la fin.
00:59:33 - Merci. Et on va terminer
00:59:35 pile à l'heure, ce qui est un exploit.
00:59:37 Mesdames, Messieurs, merci d'avoir assisté.
00:59:39 J'espère que vous avez assisté
00:59:41 à tout depuis ce matin. Non, j'ai quand même
00:59:43 un doute parce que 6h c'est long, c'est déjà long pour moi.
00:59:45 Alors j'imagine derrière l'écran c'est encore
00:59:47 pire. Mais moi encore ça va, je suis sur
00:59:49 l'énervement, je suis sur
00:59:51 le stress, donc tout va bien. Puis ensuite je vais dormir,
00:59:53 vous allez me retrouver par terre là.
00:59:55 Demain j'assure également
00:59:57 le même boulot pour l'ADEME,
00:59:59 lors de la deuxième journée de ses restitutions.
01:00:01 Vous serez là, Alice de Basselère,
01:00:03 à Beaune.
01:00:05 On a donc parlé d'à peu près
01:00:07 tout, on a vu à quel point finalement
01:00:09 notre assiette sera un peu le révélateur
01:00:11 du monde de demain.
01:00:13 Voilà, le paysage est dans l'assiette.
01:00:15 On est ce que l'on mange.
01:00:17 On est...
01:00:19 Bah voilà, en fait j'ai plus d'idées, là c'est fini.
01:00:21 17h30, donc je vais en arrêter là.
01:00:23 Merci à l'ADEME,
01:00:25 merci en particulier à Lionel Combet,
01:00:27 merci aux moyens techniques de studio
01:00:29 Webcast, merci à vous d'être resté
01:00:31 jusque là. Et bah voilà, 17h30
01:00:33 pile, je rends l'antenne
01:00:35 si j'ose dire. Merci à vous,
01:00:37 à demain.
01:00:39 (musique)
01:00:41 (musique)
01:00:43 (musique)
01:00:45 (musique)
01:00:47 (musique)
01:00:49 (musique)
01:00:51 (musique)
01:00:53 (musique)