Conflit israélo-palestinien : «Ce qu'il se passe sera fondateur pour le Proche-Orient», estime Bruno Tertrais

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Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Un mois après l'attaque sanglante du Hamas en Israël, le conflit israélo-palestinien divise le monde arabe.
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Transcript
00:00 Sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique.
00:05 Bonjour Bruno Tertrais.
00:06 Bonjour.
00:08 Bienvenue sur Europe 1, vous publiez ces jours-ci Bruno Tertrais, la guerre des mondes, le retour de la géopolitique
00:13 et le choc des empires aux éditions de l'Observatoire.
00:16 Bruno Tertrais, nous sommes le 7 novembre, il y a un mois pile, c'était un samedi on s'en souvient,
00:21 le Hamas lançait depuis Gaza une radia sanglante sur le sol israélien massacrant plus de 1400 civils.
00:27 7 octobre, le 11 septembre d'Israël, lit-on un peu partout.
00:32 Alors avec un mois de recul, et c'est peu vous me direz Bruno Tertrais,
00:36 quelle importance vous accordez-vous à cet événement dans le grand mouvement du monde ?
00:42 Il est d'abord extrêmement important.
00:46 On ne savait pas encore le 7 octobre au matin qu'il aurait cette ampleur,
00:50 que ce serait une tragédie de cette magnitude pour Israël.
00:55 On ne savait pas encore qu'il révélerait à travers le monde,
00:58 non seulement en Occident mais aussi dans le monde arabo-musulman,
01:02 de tels mouvements d'antisémitisme,
01:07 de telles manifestations de soutien à une organisation terroriste.
01:13 On ne savait pas encore tout cela.
01:16 Et je dois dire que le premier enseignement pour moi,
01:19 c'est que d'abord cela force l'Amérique à changer de pied une nouvelle fois,
01:24 pour la deuxième fois en trois ans.
01:26 Vous le savez, l'Amérique qui ne rêve que de se concentrer sur l'Asie et sur la Chine,
01:31 a dû d'abord accepter le fait qu'il y avait une agression russe en Ukraine
01:37 et que cela retardait d'une certaine manière sa focalisation sur la Chine.
01:42 Et puis de nouveau, maintenant le Moyen-Orient,
01:45 qui a la mauvaise habitude de se rappeler aux mauvais souvenirs de l'Amérique,
01:50 alors même qu'elle pensait pouvoir le négliger quelque peu.
01:55 Est-ce qu'il faut voir à travers cette attaque et les réactions qu'elle suscite dans le monde entier,
02:00 un choc entre deux civilisations, Bruno Tertrais ?
02:03 L'Occident d'un côté contre le monde arabo-musulman.
02:06 Je ne le crois pas.
02:09 En tout cas, l'Occident pour l'instant n'est pas tombé le piège ouvert par le Hamas,
02:14 de même qu'il n'était pas tombé dans ce piège après le 11 septembre 2001.
02:20 Souvenez-vous d'ailleurs que certes l'administration de George W. Bush
02:24 était coupable de beaucoup de choses,
02:26 mais le président Bush avait à l'époque dit immédiatement,
02:29 ce ne doit pas être, ce ne sera pas un choc de civilisation,
02:33 ce sera un combat pour la civilisation.
02:36 Et je crois qu'aujourd'hui la plupart des paysans occidentaux sont eux aussi dans cette logique.
02:41 En revanche, on peut dire que cela se place dans une épreuve de force généralisée
02:47 de ce que j'appelle la guerre des mondes,
02:49 entre pouvoirs autocratiques, voire dictatoriaux,
02:53 et sociétés un peu plus démocratiques et libérales.
02:56 Ce ne sont pas deux blocs, ce sont ce que j'appelle deux familles.
03:00 Mais c'est vrai que l'on voit cet affrontement se dessiner une nouvelle fois,
03:04 comme ça a été le cas pour l'Ukraine face à l'agression russe,
03:08 ou encore pour l'Arménie face à l'agression de l'Azerbaïdjan.
03:13 Donc il y a bien une épreuve de force généralisée
03:16 entre sociétés plutôt démocratiques et libérales,
03:18 sociétés civilisées, et dictatures ou pouvoirs autoritaires.
03:22 - Et on voit les secousses et les fractures que ça provoque à l'intérieur du monde arabo-musulman,
03:27 ce réveil du conflit israélo-palestinien, Bruno Tertrais,
03:30 à savoir qu'on voit clairement se dessiner un axe de la résistance,
03:34 en tout cas c'est ainsi qu'il se nomme lui-même,
03:37 dirigé par l'Iran, qui se veut champion de la cause palestinienne,
03:42 anti-sioniste, anti-occidentale,
03:44 et qui quelque part met en difficulté de nombreux états arabes
03:48 qui étaient hostiles à l'Iran, hostiles aux frères musulmans,
03:51 et qui aujourd'hui apparaissent aux yeux de leur peuple bien souvent comme des traîtres,
03:54 parce que par exemple, à l'image de l'Arabie Saoudite
03:57 qui était en train d'acheter le dôme de fer israélien,
03:59 et bien voilà, on pactisait avec un monde occidental
04:02 que l'Iran rejette dans le camp adverse.
04:06 – C'est vrai, mais en même temps, ce qui est tout à fait remarquable,
04:09 c'est que l'Arabie Saoudite qui a dû suspendre le processus
04:12 de sa normalisation des relations avec Israël,
04:15 reste extrêmement plus mesurée dans ses propos officiels
04:19 que nombre d'autres pays arabes ou musulmans.
04:23 On voyait encore à la télévision saoudienne, il y a quelques jours,
04:28 des critiques extrêmement féroces contre le Hamas,
04:31 donc on retrouve effectivement cette fracture au sein du monde arabo-musulman,
04:36 du monde arabe en particulier, mais je dois dire que ce qui est plutôt heureux,
04:41 c'est que les États qui s'étaient réconciliés avec Israël
04:46 ou qui envisageaient de le faire comme l'Arabie Saoudite,
04:49 n'ont pas tourné Kazakh et restent beaucoup plus mesurés
04:53 dans leur soutien aux Palestiniens que ceux qui sont effectivement soutenus
04:58 par ce que vous appelez l'axe de la résistance, c'est-à-dire l'Iran, la Syrie
05:02 et tous les mouvements affiliés aux frères musulmans,
05:05 y compris malheureusement un pays membre de l'OTAN, c'est-à-dire la Turquie.
05:08 - Vous estimez dans votre livre, c'est assez intéressant,
05:12 que le monde d'aujourd'hui n'est pas nécessairement plus instable,
05:16 plus imprévisible, plus dangereux qu'il ne l'était par le passé.
05:20 C'est pourtant pas vraiment le sentiment qui domine aujourd'hui, Bruno Tertraisse,
05:24 qu'à la lumière des événements récents, de ce qui s'est passé en Israël,
05:27 vous maintenez ce diagnostic d'un monde finalement pas plus dangereux
05:31 qu'il ne l'était du temps de la guerre froide, par exemple.
05:34 - Tout à fait, je cite à de nombreuses reprises Raymond Aron dans mon ouvrage,
05:40 et Aron avait cette expression, il parlait de l'illusion rétrospective de la stabilité.
05:46 On pense toujours que c'était plus stable avant,
05:48 on pense souvent que c'était moins dangereux avant.
05:51 Mais je peux vous dire que pendant la guerre froide,
05:53 on n'avait pas du tout l'impression que les choses étaient stables
05:56 et certainement pas l'impression que le monde était moins dangereux.
06:02 Rappelez-vous qu'en permanence, depuis le début des années 50 jusqu'à la fin des années 80,
06:06 on craignait littéralement que l'humanité disparaisse du fait d'une guerre nucléaire majeure.
06:12 Donc je crois qu'il faut se méfier de ces sentiments qui sont très souvent
06:15 dus au fait que nous avons davantage d'images de tous les conflits qui se déroulent dans le monde
06:21 que ce n'était le cas il y a 40 ou 50 ans.
06:25 On voit par exemple que le nombre de guerres et le nombre de morts par guerre n'a pas augmenté,
06:31 il a même plutôt tendance à diminuer, simplement il y a quelques grands conflits
06:34 qui font l'événement et qui sont des conflits fondateurs.
06:37 Car ce qui se passe entre Israël et le Hamas sera fondateur pour le Proche-Orient
06:41 comme la guerre entre la Russie et l'Ukraine sera fondatrice pour l'Europe.
06:46 Merci beaucoup Bruno Tertrais.
06:47 Votre dernier ouvrage, j'en rappelle le titre,
06:49 "La guerre des mondes, le retour de la géopolitique et le choc des empires"
06:55 paru aux éditions de l'Observatoire. Bonne journée à vous.

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