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Espace stratégique, de conquête ou encore d’opportunités économiques, les océans, qui composent 70,8% de la surface de la Terre, revêtent un caractère hautement géopolitique. De nombreux États ont montré un regain d’intérêt pour cet espace, en témoignent le récent recentrage stratégique sur l’Indo-Pacifique de plusieurs puissances. Les océans Indien et Pacifique sont désormais au cœur de la géopolitique mondiale, notamment dans le cadre de l'affirmation de la puissance chinoise dans ces eaux. La France, qui possède le deuxième espace maritime au monde, se positionne également sur le terrain océanique.

Cependant, les intérêts économique et politique que suscitent les océans, cause importante des oppositions entre États sur les mers, sont une menace à leur préservation : intensification de la pêche, exploration et exploitation des fonds marins, etc. Une menace d’autant plus accentuée par les effets du changement climatique qui contribue au déclin de la biodiversité marine, à une élévation du niveau des eaux ou encore à une acidification des eaux de surface.

Or les océans, par leur capacité d'absorption du CO2, sont par ailleurs les principaux garants de l’équilibre climatique. Il incombe donc aux États, du fait de l’impact de leur activité sur cet espace, de veiller à sa protection pour la préservation de l’espèce humaine. Ainsi, est-il possible de concilier la protection de l’environnement marin avec les intérêts géopolitiques des divers puissances ?

Dans un monde de confrontation, la protection de l’environnement, notamment maritime, ne pourrait-elle pas constituer un facteur de rapprochement et de coopération entre les pays ? En quoi la protection des océans est-elle vitale pour l’avenir de l’humanité ? La France exerce-t-elle sa responsabilité et son leadership sur la question des mers et océans ? Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur les océans ?

Tour d’horizon des enjeux géostratégiques que soulèvent les océans et les bouleversements climatiques avec Isabelle Autissier, navigatrice et présidente d’honneur du WWF France.

Cet épisode a été enregistré à l’occasion des Géopolitiques de Nantes 2023, coorganisées par l’@institutiriset @lelieuunique avec le soutien de Nantes métropole, qui se sont tenues les 29 et 30 septembre 2023 à Nantes.

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Transcription
00:00 Bonjour, mon invité aujourd'hui est Isabelle Autissier.
00:10 Bonjour Isabelle.
00:11 Bonjour.
00:12 Vous êtes venue ouvrir les géopolitiques de Nantes pour la 11e édition et vous nous
00:15 accordez ce podcast.
00:16 Vous êtes présidente d'honneur du WWF et après en avoir été la présidente exécutive
00:21 entre 2009 et 2021, comment liez-vous protection de l'environnement et géopolitique ?
00:28 On voit que ça a tout à voir ensemble puisque l'environnement c'est au fond les conditions
00:33 de vie des hommes sur cette planète.
00:35 Comment est-ce que nos actions s'inscrivent dans la physique, la chimie et la biologie
00:41 de cette planète qui nous porte ? Et on voit bien aujourd'hui que finalement l'être
00:47 humain a eu une extraordinaire réussite écologique, on peut le dire.
00:50 L'être humain est une espèce qui s'est propagée de par le monde, qui a conquis énormément
00:55 de milieux dits hostiles et qui l'a fait avec énormément de développements techniques
01:04 et technologiques qui en retour ont une influence sur l'environnement.
01:07 Donc on voit bien le lien entre l'organisation humaine des hommes, la société des hommes,
01:14 comment est-ce que nous produisons, consommons et comment nous vivons et puis les conditions
01:18 environnementales et écologiques qui nous portent, même si aujourd'hui on est très
01:22 éloigné.
01:23 Donc finalement, si je rapproche les deux, ça fait de la géopolitique puisque c'est
01:29 le lien entre les êtres humains et la planète sur laquelle ils vivent.
01:34 Est-ce que dans ce domaine-là, il ne pourrait pas y avoir plus de coopération que dans
01:37 d'autres domaines ? On est dans un monde de confrontation, la guerre en Ukraine, la
01:41 guerre dans d'autres domaines, la rivalité très vive et de plus en plus vive entre la
01:44 Chine et les Etats-Unis.
01:45 Est-ce que la protection de l'environnement ne pourrait pas être un facteur de rapprochement
01:49 entre puissances qui sont en compétition ?
01:52 Bien sûr, puisque nous sommes touchés.
01:55 Alors pas tout à fait tous de la même façon, puisqu'on sait évidemment aujourd'hui
01:59 qu'en gros les riches des pays riches sont à l'origine de la plupart des désordres,
02:03 d'une partie plus importante des désordres en tout cas que les pauvres des pays pauvres,
02:07 mais que par ailleurs, ce sont en général les pauvres des pays pauvres, parce qu'ils
02:11 n'ont pas les moyens, parce qu'ils sont plus dépendants souvent de la nature, qui
02:15 payent le tribut le plus lourd aux désordres environnementaux.
02:18 Mais quand même, personne ne se sauvera tout seul, donc tous les êtres humains de cette
02:22 planète, de quelques pays qu'ils soient et de quelque origine sociale qu'ils soient,
02:27 sont intéressés par la conservation du climat, la conservation d'une nature et d'une biodiversité,
02:34 le fait qu'il n'y ait pas trop de polluants dans la nature, etc.
02:37 Donc oui, et c'est ce qu'on a vu quand même, même si ça peut être parfois critiqué,
02:44 on voit quand même à travers les COP ou les grands engagements internationaux, je
02:49 pense à la dernière négociation sur la haute mer par exemple, on arrive quand même sur
02:54 des sujets comme ça, même en des moments de tension extrême au niveau géopolitique,
02:58 à trouver des consensus et au moins des envies d'agir, après on peut questionner la réalité
03:05 des choses, et au moins l'envie d'agir commune, parce que c'est l'intérêt de
03:11 chaque être humain et c'est l'intérêt de chaque gouvernement.
03:14 Chaque gouvernement a intérêt pour que son peuple vive en paix et puis se développe,
03:19 à ce que les gens puissent respirer, boire de l'eau pure, manger et être sur une planète
03:24 vivable.
03:25 Alors le WWF est une nation mondiale avec des structures nationales, est-ce que vous
03:30 avez des correspondants, y compris dans les pays autoritaires comme en Chine ou en Russie ?
03:35 Oui, le WWF est aujourd'hui présent dans à peu près un pays sur deux, et la Chine
03:41 et la Russie font partie des pays dans lesquels il y a des organisations autonomes, puisqu'on
03:47 a en gros des organisations autonomes comme par exemple la France ou la plupart des pays
03:50 européens, mais la Chine et la Russie aussi, et puis des pays où il n'y a ni la liberté
03:56 de la société civile, ni les moyens économiques, donc où là ce sont des sortes de délégations
04:02 du WWF qui, avec les acteurs locaux, essayent d'agir.
04:05 Mais oui, la Chine et la Russie, la Chine depuis quelques années, la Russie depuis
04:10 plus longtemps, sont des pays autonomes, maintenant travaillent dans des conditions, en particulier
04:15 en Russie, extrêmement difficiles, puisque le WWF russe a été inscrit comme agent de
04:21 l'étranger, comme la plupart des ONG en particulier environnementales, ce qui rend
04:27 extrêmement compliqué évidemment le travail avec les États, parce que nous ne pouvons
04:33 pas évidemment agir que de notre propre chef, il nous faut absolument entraîner les États,
04:37 et en l'occurrence en Russie.
04:38 En ce moment c'est particulièrement difficile.
04:40 Et en Chine, du fait que les autorités gouvernementales ont pris eux-mêmes conscience du problème
04:45 de l'environnement, il y a plus d'espace ?
04:47 C'est un peu plus facile, le WWF Chine est maintenant une grosse organisation avec beaucoup
04:54 de personnes, avec oui un conseil d'administration autonome, avec des financements autonomes,
05:01 on a un petit peu de niveau de relation, je pense qu'au niveau supérieur de l'État,
05:07 on a de relativement bonnes relations, même s'ils gardent un œil assez attentif sur
05:12 le discours porté par le WWF Chine, nos collègues ne sont pas quand même tout à fait en capacité
05:19 de faire ce qu'ils veulent par exemple, à un moment donné ils nous ont vanté les
05:23 nouvelles routes de la soie, qu'on peut questionner d'un point de vue environnemental quand même.
05:27 Mais disons qu'au niveau national, ça se passe plutôt mieux parce que le gouvernement
05:35 a pris conscience qu'il y avait beaucoup de révolte à caractère environnemental au
05:39 Chine, et qu'il fallait assurer les conditions de sécurité environnementales pour les Chinois.
05:45 Donc on arrive à trouver des ententes.
05:47 Sur les gouvernements régionaux et locaux, c'est plus compliqué parce qu'on est souvent
05:54 dans des considérations d'économies beaucoup plus locales et régionales, avec évidemment
06:01 en général des gens qui ne sont pas mafieux mais pas loin, et qui au fond n'ont pas grand-chose
06:07 à faire de la vie et des bonnes conditions de vie des populations locales.
06:12 Donc c'est souvent plus compliqué, c'est difficile de faire des généralités, mais
06:16 il y a quand même un petit peu ces deux niveaux en Chine.
06:18 Et en Afrique, il y a aussi un enjeu important pour la préservation des forêts.
06:22 Vous avez des partenaires, vous avez des bureaux ?
06:24 Oui, il y a des bureaux dans beaucoup de pays africains.
06:27 Il y a peu de pays africains qui arrivent à avoir des organisations autonomes, encore
06:32 une fois pour des conditions soit de liberté de la société civile, soit des pays qui
06:37 sont extrêmement déstructurés ou qui n'ont aucun moyen financier.
06:40 Il faut qu'on travaille avec les gouvernements.
06:44 Notre parti pris n'est pas d'arriver justement avec une sorte de colonialisme vert, comme
06:50 on a entendu parfois cette expression, d'arriver en tant qu'européen ou américain en disant
06:55 voilà comment il faut faire, il faut faire des réserves ici, il faut faire ceci là,
06:58 il faut faire… Non, on est évidemment un peu les mains dans le cambouis parce que c'est
07:02 parfois extrêmement compliqué, mais obligé, il faut absolument travailler avec les populations
07:08 locales.
07:09 Ce n'est pas une question de venir comme ça donner des conseils ou des ordres à qui
07:15 que ce soit, c'est la relation de ces gens-là avec leur nature et le besoin qu'ils ont
07:20 de leur nature qui doit nous conduire pour protéger ces territoires et donc protéger
07:24 ces populations, le lien est très étroit.
07:25 Et puis oui, il faut travailler avec les gouvernements, il y a toujours des ministres de l'environnement
07:30 dans n'importe quel pays, même très autoritaires.
07:32 Donc là, il faut avancer sur des lignes de crête qui sont assez compliquées pour
07:38 quand même essayer de faire avancer un peu les choses.
07:41 Il y a un pays qui est aussi majeur et où il y a un changement politique qui permet
07:45 un peu d'espérer, c'est le Brésil.
07:47 Quelles sont les problématiques de votre organisation au Brésil ?
07:51 Alors le Brésil, effectivement, ça a été des années terribles pour nos collègues
07:55 du WEF Brésil, les années Bolsonaro, puisqu'il y a eu quand même une déconstruction de
08:02 l'ensemble du travail qui avait été fait.
08:04 Le grand sujet du Brésil, c'est quand même la forêt et c'est donc l'agriculture
08:09 qui sont deux sujets extrêmement liés.
08:11 Donc on a beaucoup régressé sous Bolsonaro.
08:15 Là, on recommence à pouvoir, je dirais, être entendu et donc à pouvoir faire notre
08:21 travail qui est un travail de lobbying politique et aussi de rassembler des citoyens sur un
08:27 certain nombre de problématiques.
08:28 Donc ça va mieux.
08:30 Ce n'est pas si facile que ça quand même parce que même si, on va dire, c'est moins
08:37 pire, il n'y a pas un engagement vraiment quand même encore franc et massif du gouvernement
08:41 brésilien pour ces questions environnementales.
08:44 Il n'y a pas de majorité également au Parlement.
08:47 En plus, il n'y a pas de majorité au Parlement.
08:49 Mais même de la part de Lula, on ne sent pas non plus un enthousiasme extraordinaire.
08:56 Mais au moins, nos collègues ont été y compris menacés physiquement pendant l'époque
09:02 Bolsonaro.
09:03 Donc ça, au moins, ça n'existe plus.
09:04 Donc on recommence à pouvoir travailler.
09:06 Mais c'est dur parce qu'il faut revenir à l'attaque.
09:12 Il faut essayer de… voilà, ça prend beaucoup de temps finalement de revenir au point zéro.
09:17 On est descendu.
09:18 Alors vous avez une formation scientifique.
09:21 Après, on connaît la naïveté de ce que vous êtes.
09:23 Qu'est-ce qui vous a conduit, d'où est née votre conscience politique et écologique ?
09:28 Qu'est-ce qui vous a fait faire de vos ans ? C'est en naviguant, c'est en lisant ?
09:32 Alors moi, j'ai plusieurs influences.
09:34 Depuis que je suis très jeune, sans doute sous l'influence de mon milieu familial,
09:39 qui était un milieu extrêmement ouvert sur ce qui se passait sur le monde.
09:42 Moi, je lisais Le Monde et Le Figaro, qui on lisait à la maison, quand j'avais 12
09:47 et 13 ans.
09:48 Et donc, voilà, j'ai toujours eu un intérêt pour les choses du monde.
09:52 Quand j'avais 18 ans, c'était une autre époque.
09:55 On était plus sur justement, par exemple, la libération des peuples, voilà, tous ces
10:00 sujets-là.
10:01 Donc, j'étais partie prenante en tant qu'étudiante.
10:04 Donc, ces questions-là m'ont toujours intéressée.
10:06 Et au fond, à travers mes études scientifiques et en particulier à travers les dix années
10:12 de pratique professionnelle avec les pêcheurs, en particulier bretons, là j'ai pris conscience
10:19 des désordres environnementaux parce que je les avais sous les yeux.
10:21 Parce que moi, en tant que scientifique, je voyais comment on calculait et qu'on pouvait
10:28 prévoir, par exemple, l'évolution des populations de poissons en fonction de l'effort de pêche.
10:32 Et je voyais qu'on allait vers d'énormes difficultés.
10:37 Et je voyais l'impossibilité de faire comprendre aux acteurs, que ce soit les pêcheurs, que
10:42 ce soit les pouvoirs publics, qu'on allait dans l'impasse.
10:45 Et donc ça, ça m'avait beaucoup marqué, cette sorte d'impuissance qu'on retrouve
10:52 encore en partie pour les scientifiques qui peuvent voir les choses avec des arguments
10:57 du concret et du réel.
10:59 Il ne s'agit pas d'avoir des théories dans la tête, il s'agit de mesurer.
11:02 Et cette incapacité à pouvoir partager la vision que ça entraînait.
11:07 Donc ça, ça a quand même été vraiment à l'origine du basculement pour moi.
11:13 Donc c'est du coup très ancien, sur l'idée que les questions environnementales avaient
11:18 tout à voir avec les questions humaines, avec les questions y compris de démocratie,
11:24 avec les questions de développement.
11:26 Donc au fond, j'ai fait ma petite synthèse à moi entre ces deux choses.
11:31 Et quand, en particulier au tournant des années 2000, où j'ai décidé d'arrêter la course
11:37 au large qui me monopolisait un peu beaucoup, là c'était clair dans mon esprit que je
11:43 devais essayer de prendre ma part, comme on dit.
11:45 Parce que, voilà, toutes ces questions avaient mûri dans ma tête et qu'au fond, la pratique
11:51 aussi que j'avais de la mer et du large me faisait dire que qu'est-ce qui vous assure
11:55 votre sécurité quand vous êtes en mer ?
11:58 C'est pas de jouer les malins en disant "j'ai le plus beau bateau", c'est de comprendre
12:02 votre environnement et d'adapter votre stratégie humaine sur l'eau à cet environnement.
12:09 Et en revenant à terre, on a toujours l'impression que "tiens, à terre, on fait le contraire".
12:14 On fait les choses et après on se demande quelles en sont les conséquences.
12:18 Alors que nous les marins, il n'y a pas de sécurité en mer si on ne fait pas comme ça,
12:23 si on ne part pas des conditions et de ce qui se passe autour de nous en termes physiques
12:29 pour aller vers une décision stratégique.
12:32 Et ça, ça m'a beaucoup marqué aussi.
12:35 Vous avez, dans votre conférence inaugurale qu'on peut retrouver sur YouTube, parlé
12:39 de l'importance des océans.
12:40 Pouvez-vous nous dire un peu plus en quoi la protection des océans est vitale pour
12:45 l'avenir de l'humanité ?
12:46 Les océans nous apportent tout un tas de choses qui sont absolument indispensables
12:51 pour les êtres humains quels qu'ils soient.
12:53 Déjà la moitié de l'oxygène atmosphérique qui est produit par le phytoplancton marin.
12:59 Ils nous apportent quand même l'absorption des gaz à effet de serre, l'absorption de
13:05 l'excès de chaleur due à ces gaz à effet de serre.
13:07 Ils nous amènent une régulation du climat, ils nous amènent évidemment en termes biologiques
13:15 une nourriture.
13:16 Il ne faut pas oublier que deux milliards d'habitants sur terre tirent leurs protéines
13:19 de la mer.
13:20 Donc on a des enjeux extraordinaires.
13:22 Et puis aujourd'hui la mer est devenue un acteur économique incontournable.
13:27 Une étude du WF d'il y a quelques années montrait que quand on regarde tout ce qui
13:32 est produit entre guillemets par l'océan et qui est monétarisé par les sociétés
13:38 et les sociétés humaines, si l'océan était un pays ce serait la cinquième puissance
13:42 économique du monde.
13:43 Donc ce que nous tirons aussi bien pour notre survie factuelle de tous les jours que pour
13:50 le développement économique de nos sociétés, l'océan est pour une part absolument incontournable.
13:56 La France est une grande puissance maritime, c'est le deuxième pays pour la zone économique
14:01 exclusive après les Etats-Unis.
14:03 Elle a une importante flotte.
14:05 Est-ce qu'elle joue son rôle ? Est-ce que la France exerce ses responsabilités, son
14:11 leadership sur les questions liées aux mers et aux océans ?
14:15 Alors absolument pas assez.
14:17 Ni en interne ni en externe et vous avez raison, la France a une grande recherche, une grande
14:24 marine, des grands armateurs, un territoire maritime si on compte la Z2 qui est effectivement
14:30 le deuxième du monde, enfin énormément d'atouts.
14:33 Et au fond tout ça en interne est complètement morcelé, chaque ministère ayant son petit
14:38 précaré qui le transporte, qui la pêche, qui la défense, qui voilà.
14:45 Donc aucune vision un petit peu globale finalement de ce qui pourrait être notre force collectivement
14:52 en France.
14:53 Et du coup, comme on n'arrive pas à avoir cette vision globale, bien que nous ayons
14:58 encore une diplomatie forte dans le monde, nous avons beaucoup de difficultés à nous
15:06 imposer, à imposer des idées, à construire tout simplement vraiment un logiciel qui
15:11 serait un logiciel franco-français pour avoir une vision de où est-ce qu'on veut
15:17 aller sur l'océan en termes de protection, en termes de sécurité, en termes de développement.
15:22 Aujourd'hui je n'entends pas la voix de la France portée de manière forte.
15:27 Oui nous sommes dans un certain nombre d'instances, oui nous donnons un certain nombre d'avis,
15:34 mais ce n'est pas du tout à la mesure de ce que nous devrions faire.
15:37 Vous avez accès aux décideurs, vous êtes écoutée, vous êtes très influente.
15:40 Quand vous dites ça aux responsables, à ceux qui sont en charge, qu'est-ce qu'ils
15:44 vous disent ?
15:45 Oui, alors il ne faut pas exagérer non plus.
15:47 Vous avez une voix quand même.
15:49 Oui, j'essaie d'en avoir une et de porter un point de vue.
15:53 Toujours il y a une façon un petit peu de se défausser.
15:56 D'abord de dire, mais si on fait quand même ça, et puis vous avez vu, et puis là on
16:00 a dit quelque chose, et puis le président a dit ça, et donc vous voyez qu'on fait
16:04 quelque chose.
16:05 Il y a aussi une façon de se défoncer un peu derrière l'Union européenne, de dire
16:09 "ah mais oui mais ça, ce n'est pas notre histoire, c'est le problème de l'Union européenne,
16:15 donc évidemment là vous comprenez, il faut qu'on négocie avec les autres pays, il faut
16:18 que tout le monde soit d'accord, et puis il faut faire attention".
16:20 Donc en fait, je n'ai pour l'instant jamais rencontré un politique vraiment… sauf
16:28 peut-être Jean-Luc Mélenchon, qui a une vision de l'importance de la mer et du
16:34 polaire qu'on peut de diriger, quelles que soient ses positions par ailleurs.
16:39 Mais sinon, je n'ai jamais rencontré un politique qui me dise "ah bah oui, là
16:44 on va y aller et on va s'en occuper".
16:47 Vous êtes à la fois ambassadrice de la Ligue des droits de l'homme, et puis on connaît
16:51 vos fonctions au WWF.
16:53 Est-ce que vous faites le lien, ce sont deux choses différentes, ou est-ce que vous faites
16:57 le lien entre la protection de la vie sur terre et la protection de la vie humaine
17:03 et des droits humains ?
17:04 Pour moi, il y a un lien évident et il y a une interconnection permanente.
17:08 Avoir une vie digne sur cette planète, c'est d'abord pouvoir respirer, boire, manger,
17:16 c'est aussi après avoir un toit, c'est aussi vivre en paix, c'est aussi pouvoir
17:20 connaître un développement, avoir de la santé, de l'éducation.
17:25 Donc tous ces sujets-là, si on les croise avec les sujets environnementaux, la santé,
17:31 c'est un sujet environnemental, c'est un sujet aussi qui touche les libertés des
17:36 gens.
17:37 Et on voit bien d'ailleurs que de plus en plus, les combats environnementaux se doublent
17:44 de combats pour la liberté d'expression, par exemple le fait de pouvoir s'exprimer,
17:48 on parlait tout à l'heure de la Russie, le fait de pouvoir s'exprimer sur une question
17:53 environnementale, ça fait partie des droits de l'homme.
17:55 Donc on voit bien qu'il y a un croisement permanent entre les questions environnementales
18:00 et les questions de droits de l'homme, que font d'ailleurs beaucoup d'organisations,
18:03 on essaye de se soutenir même si chacune a évidemment son mode d'expression et ses
18:07 sujets, mais on voit bien que les sujets se croisent de plus en plus.
18:10 En 2014, vous aviez accordé un entretien à la revue de l'IRIS, vous disiez qu'on
18:15 a peur de ce qui est inconnu et l'océan n'est que mystère.
18:18 Donc est-ce que l'océan nous fait toujours peur ? Est-ce que nous avons peur des océans
18:22 et de la mer ?
18:23 Oui, on en a peur et on fantasme aussi beaucoup.
18:26 Et dans le fantasme, il y a des choses positives, c'est-à-dire que par exemple aujourd'hui,
18:33 il y a tous ces espoirs autour de l'énergie qui pourraient venir des océans, il y a tous
18:37 ces espoirs autour de la biogénétique avec tout un tas d'organismes ou d'éléments
18:46 chimiques ou de molécules qu'on va pouvoir aller trouver dans des organismes marins qui
18:51 vont nous permettre de faire des médicaments, ce qui est vrai d'ailleurs.
18:54 Donc on est un petit peu entre ces deux à la fois presque une forme de répulsion, le
19:01 nombre des gens qui disent "moi j'ai peur quand je vois plus la terre", le nombre
19:04 des gens qui disent "ah mais moi je ne peux pas me baigner si je sais que j'ai 2000 mètres
19:08 d'eau sous mes pieds", mais on se noie aussi bien dans 3 mètres d'eau.
19:11 Donc il reste une part comme ça de peur et d'inconnu et puis de l'autre côté il y
19:17 a une part d'espoir, parfois de fantasme et je pense que c'est difficile et c'est peut-être
19:25 là que les marins ont quelque chose à apporter pour revenir dans le réel et dire "oui bien
19:31 sûr la mer est dangereuse, bien sûr on n'est pas des poissons et donc on a besoin d'avoir
19:37 des bateaux fiables pour aller sur la mer et on a besoin de..."
19:40 Donc revenir à essayer d'écarter l'angoisse pour dire "on peut aller sur la mer, on peut
19:48 faire un certain nombre de choses sur la mer dans des bonnes conditions de sécurité pour
19:52 nous les hommes et en même temps oui il y a des choses à faire, oui on va peut-être
19:58 en tirer beaucoup d'énergie mais attention ne fantasmons pas trop, il y aura quand même
20:03 des conséquences, c'est pas n'importe où, c'est pas n'importe comment".
20:05 Donc peut-être que les marins qui sont forcément assez pragmatiques parce qu'ils n'ont pas
20:09 le choix peuvent essayer de faire le lien entre ces deux extrêmes.
20:14 Dans les années 80, 1982 signature de la Convention de Montego Bay, il y avait beaucoup
20:19 d'espoir sur l'exploitation des nodules polymétalliques qui pourraient être mis au service du développement.
20:24 Là c'est plutôt maintenant une crainte qu'il y ait un bouleversement écologique si on exploitait
20:28 ces ressources maritimes.
20:30 Quelle est votre position là-dessus ? Quelle est votre analyse ?
20:34 Pour nous c'est très clair, ce qu'on dit c'est ne touchons à rien tant qu'on n'a
20:39 pas suffisamment de garanties scientifiques, objectives et partagées sur l'impact qu'elles
20:45 peuvent avoir.
20:46 Ne faisons pas la même chose, les mêmes bêtises qu'on a fait sur Terre, où on fait
20:49 les choses et puis après on se retourne et on se dit "mon Dieu qu'est-ce qu'on a fait".
20:52 Là on a affaire à des milieux extrêmement fragiles et extraordinaires.
20:57 On est à des endroits, il fait noir, il fait froid, il y a des pressions absolument monstrueuses
21:02 et pourtant il y a de la vie.
21:04 Donc cette vie elle est précieuse et elle peut nous apporter beaucoup si on la comprend.
21:09 Ne commençons pas par la détruire avant même de l'avoir compris.
21:12 Même au nom d'une exploitation qui risque d'être quand même une exploitation assez
21:18 privatisée, qui va servir financièrement un certain nombre d'entreprises et pas forcément
21:23 l'humanité toute entière, enfin en tout cas j'en doute.
21:26 Donc nous on s'est beaucoup satisfait de l'annonce du président Macron que la France
21:32 ne soutiendrait jamais de l'exploitation par exemple des grands fonds tant qu'on n'aurait
21:36 pas de garantie scientifique.
21:37 Voilà c'est exactement notre position.
21:39 Commençons par essayer de comprendre, comme on fait en mer, on essaye de comprendre ce
21:43 qui se passe et après on voit s'il y a des stratégies possibles.
21:46 Peut-être qu'un jour, dans certains endroits, pour certaines choses, avec certaines technologies,
21:50 on pourra y aller.
21:51 Mais pour l'instant ne commençons pas à y aller n'importe comment parce que là on
21:54 court au désastre.
21:55 Et le droit international actuel vous paraît assez protecteur par rapport aux intérêts
22:00 nationaux ou privés ?
22:01 Alors en ce qui concerne les fonds marins, c'est une position extrêmement fragile puisque
22:06 c'est un organisme qui est issu de la convention de Montego Bay, qui est l'autorité internationale
22:11 des fonds marins, qui est en charge normalement de délivrer des autorisations d'exploitation,
22:18 qui pour l'instant ne l'a pas fait.
22:20 Jusqu'à maintenant ça ne se posait pas trop parce qu'en gros on n'avait pas les technologies.
22:24 Maintenant on commence à les avoir.
22:26 Et donc maintenant il y a un certain nombre de pays qui se positionnent en disant "ben
22:30 voilà, on va aller surtout dans la compétition sur les minéraux qu'on a en ce moment, les
22:36 minerais qu'on a en ce moment".
22:38 Et franchement cette autorité internationale des fonds marins, elle est assez opaque, on
22:44 ne sait pas très bien ce qui s'y passe.
22:46 Et on espère que la France, qui a quand même une voix au chapitre là-dedans, va être
22:51 capable de défendre les positions de non-exploitation tant qu'on n'a pas de certitude scientifique.
22:58 Mais pour l'instant c'est encore très fragile et ça va se résoudre dans l'année ou les
23:01 années qui viennent.
23:02 Pour conclure, on voit tous les dangers qui pèsent sur les océans.
23:06 Est-ce que vous avez des raisons d'être optimiste ? Est-ce qu'il y a au moins un message d'espoir ?
23:11 Oui, alors il y a un énorme message d'espoir.
23:14 C'est que quand on laisse l'océan respirer, c'est-à-dire quand on arrête les agressions
23:21 contre l'océan, qui sont des agressions soit chimiques par des polluants, soit sur
23:25 les questions du climat avec l'augmentation des températures, soit sur la surpêche.
23:29 Quand on définit par exemple des aires marines protégées, réellement protégées, avec
23:34 de réelles lois de protection et contrôle, la biodiversité océanique réagit très
23:43 vite et très bien.
23:44 C'est-à-dire qu'on voit très vite, au bout de quelques années, de 4-5 ans souvent,
23:49 on voit revenir de la biodiversité en quantité, en qualité, les écosystèmes se reconstituer,
23:56 se remettre à absorber mieux le carbone atmosphérique.
24:00 Donc on a encore un potentiel vivant qui, même s'il est attaqué dans beaucoup d'endroits,
24:08 a encore la possibilité de réagir et de revenir à un océan vivant dont nous avons
24:14 besoin.
24:15 Donc ça, c'est un grand message positif.
24:16 Merci de cette conclusion qui ouvre quand même de très belles perspectives.
24:20 Merci beaucoup Isabelle Lautissier.
24:22 Merci Pascal.
24:23 Merci.
24:24 Merci.
24:25 Merci.
24:26 Merci.
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24:38 Merci.
24:39 Merci.
24:40 Merci.

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