Say it loud: « I’m francophone and proud! » [Vincent Calvez]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Vincent Calvez, professeur à l’ESSCA et Directeur de l'Institut des Entreprises familiales, pour parler de la francophonie.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis. 

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00:00 Bonjour Vincent Kelvez.
00:09 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11 Vincent Kelvez, vous êtes professeur à l'ESCA, vous êtes directeur de l'Institut de recherche
00:16 sur les entreprises familiales.
00:17 J'ai ce plaisir, parmi d'autres.
00:19 Vincent Kelvez, sur ce plateau, de très nombreux professeurs, chercheurs ont pris la parole,
00:27 pas que sur ce plateau, je pense à une tribune dans Le Monde notamment, la recherche francophone
00:31 n'a aucune raison de se soumettre à l'ordre anglo-saxon.
00:33 Moi-même j'ai pris des positions assez fortes dans ce domaine, pourquoi pas en proposant
00:39 d'ailleurs de limiter, d'imposer des quotas de production de langue française quand on
00:45 prétend un poste dans un établissement français.
00:47 Pourquoi pas limiter aussi les articles pris en compte dans les évaluations des anciens
00:52 chercheurs pour limiter certaines dérives qui peuvent conduire à des multisignatures
00:58 et d'innombrables papiers.
01:00 Et vous, d'un seul coup, sur LinkedIn, je me retrouve interpellé par un certain Vincent
01:06 Kelvez qui dit « Francophone and proud ». Alors expliquez, ça fait vraiment plaisir.
01:13 Je voulais vous dire que ça fait vraiment plaisir, je suis heureux de vous recevoir
01:16 pour en parler et donnez-nous un peu votre vision.
01:18 Alors c'était une boutade évidemment, c'est les Noirs américains qui disaient
01:22 « Say it loud, I'm black and I'm proud ». Et quelque part, à toute proportion gardée,
01:28 les Québécois, fut un temps dans les années 60, avant la Révolution tranquille, ont été
01:33 décrits ou se sont décrits eux-mêmes comme les « nègres blancs d'Amérique ».
01:36 Donc j'ai grandi au Québec, j'ai eu cette chance, je pense, ce privilège d'être
01:42 accueilli au Québec, au Canada et dans cette grande école qui est HEC Montréal.
01:48 Donc la recherche, l'enseignement français et l'émergence finalement de managers francophones,
01:56 je tire mon chapeau à HEC Montréal dans toutes ces années-là pour avoir permis cette
02:01 émergence.
02:02 J'ai fait ma thèse à l'école polytechnique et aujourd'hui je regarde, je regarde, j'écoute
02:08 mes collègues dans d'autres grandes écoles et lorsqu'ils me disent « Oui, tous nos
02:13 programmes passent en anglais, tous nos cours passent en anglais ». Et je ne peux que m'interroger,
02:19 je ne peux que m'interroger sur finalement le pourquoi.
02:23 Je pense qu'il faut accueillir des étudiants de partout dans le monde, ce que nous faisons.
02:27 Je pense qu'il faut que tous nos étudiants puissent apprendre deux, trois langues et
02:31 l'anglais en fait évidemment partie.
02:32 Mais est-ce que finalement c'est vraiment profitable pour le métier de pédagogue,
02:39 pour le métier d'enseignant et pour les étudiants d'avoir un enseignement parfois
02:45 dans certaines écoles entièrement en anglais ? Je pense que non.
02:48 Je pense que non parce que ce ne sont pas toujours des professeurs d'Harvard, de Cambridge
02:55 ou d'Oxford.
02:56 Je pense que souvent des professeurs, l'anglais est des fois leur deuxième voire leur troisième
03:01 langue.
03:02 Donc la qualité de l'interaction aussi qui est primordiale.
03:06 Un enseignement, j'utiliserai ce mot, permettez-moi, un enseignement top-down, évidemment on a
03:12 le jeu de PowerPoint, on clique, tout va bien, pas d'interaction.
03:16 Je pense qu'un enseignement qui dure à travers le temps, dont on peut se souvenir,
03:22 on se souvient de certains de ses profs, au bout de 10, 15, 20, 30 ans, de quoi se souvient-on
03:27 ? On ne se souvient pas nécessairement des concepts, du diapo, on se souvient de la qualité
03:31 de la relation qu'avec ce professeur nous avons pu construire, co-construire.
03:35 Et je pense qu'il faut le faire à l'occasion, autant que possible, dans sa langue natale.
03:41 Que ce soit la langue natale du professeur et que ce soit la langue natale des étudiants
03:46 pour que finalement une qualité d'interaction soit présente.
03:51 Et je le sais, grâce à ce qui m'est dit, des professeurs me disent, quand on passe
03:58 à l'anglais, souvent la qualité de l'interaction diminue drastiquement.
04:02 Donc je m'interroge, je m'interroge finalement sur certaines de ces écoles qui ont tout
04:11 passé à l'anglais.
04:12 Je m'interroge aussi sur le type de matériel qui est utilisé.
04:14 J'ai du plaisir à enseigner un cours de management, à la fois dans sa partie francophone
04:20 et aussi dans sa partie anglophone, où nous avons le grand plaisir d'accueillir un ouvrage
04:25 que j'estime sémillant, un ouvrage de Stuart Clegg, "Managing an Organization".
04:30 Et je me dis, voilà, il y a de la place pour la pensée anglophone.
04:34 Mais je dirais, peut-être pas toute la place.
04:36 Cette recherche francophone est vivante et il faut la développer, la visibiliser, évidemment,
04:43 à travers les cours.
04:44 Donc il y a une recherche francophone, évidemment, au Québec, en Belgique, en Afrique, en Suisse,
04:51 dans plein d'endroits.
04:52 Et j'ai un petit peu peur, j'ai un petit peu peur que dans certaines écoles, à la
04:56 fois la qualité de l'interaction puisse diminuer à travers cet enseignement uniquement
05:02 en anglais, parfois donné à des Français.
05:05 Et deuxièmement, comme les text-books américains seront évidemment utilisés, il y a une certaine
05:13 pensée qui sera, elle aussi, comment dirais-je, propulsée, on va dire.
05:20 Le monde, ce n'est pas uniquement Amazon, Google, Facebook.
05:24 Le monde est divers et je ferai une petite passe et un petit clin d'œil appuyé au
05:31 Métis, le mouvement des entreprises de taille intermédiaire.
05:34 Il y a plein d'entreprises en France, il y a plein d'entreprises dont dans les cours,
05:38 et a fortiori les cours qui seront donnés uniquement en anglais, on n'entendra plus
05:42 jamais parler de ces entreprises.
05:43 Donc les étudiants se diront, ben voilà, nous, notre terrain de jeu, c'est EY, c'est
05:48 Danone, c'est LVMH.
05:50 Pourquoi pas ? Ces entreprises ont parfaitement leur place, mais pas toute la place.
05:55 Et j'ai peur des fois qu'à travers une certaine javelisation de l'enseignement,
06:00 voilà le text-book qui fait référence dans plein d'écoles.
06:04 Le type d'enseignement très normé et en anglais.
06:07 J'ai peur qu'on perde un petit peu de sel, d'interaction, de diversité.
06:13 On est dans un monde qui parle beaucoup de diversité et d'inclusion, mais quelque
06:18 part, il ne faudrait pas que dans certaines écoles, finalement, on en parle mais on ne
06:25 le fasse plus et qu'on passe à une certaine uniformisation de la manière d'enseigner
06:30 et du type de document qu'on utilise.
06:32 Je pense que ce serait un potentiel appauvrissement, et ma double culture fait que ça crie un
06:39 petit peu.
06:40 Ça crie un petit peu cette double culture que je valorise.
06:44 Voilà, je pense qu'on a beaucoup de leçons, pas nécessairement des leçons, mais on a
06:50 beaucoup de choses à apprendre des universités québécoises, de l'Université du Québec,
06:54 de son réseau, d'HEC Montréal.
06:56 Par exemple, en discutant avec une collègue d'HEC Montréal, elle me disait que dans
07:03 le contrat que les professeurs signent pour intégrer HEC Montréal, ils doivent apprendre
07:09 le français dans les trois ans et enseigner en français.
07:12 Je ne suis pas sûr que dans la majorité des écoles de commerce en France, on mette
07:19 cette clause dans les contrats.
07:20 Je ne pense pas.
07:22 Je pense que ça pourrait être une piste, comme des tas d'autres pistes, à regarder
07:30 du côté de nos collègues québécois.
07:32 Je pense que la France connaît assez mal le Québec, peut-être même, parfois pour
07:38 certains, une attitude un peu condescendante, alors qu'il se passe de grandes et belles
07:42 choses au niveau du Canada anglophone et aussi au niveau du Canada francophone.
07:47 Merci à vous, Vincent Calves, pour vos analyses et merci pour vos positions courageuses.
07:52 Merci Jean-Philippe Denis, au plaisir.
07:54 Merci à vous.
08:00 [Musique]

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