Julien, avocat, nous raconte l'histoire la plus marquante de sa carrière

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Julien Fresnault est avocat pénaliste au barreau de Paris. Pour neo, il raconte l’histoire la plus marquante de sa carrière. ‍⚖️

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00:00 Venez me voir d'urgence, il y a quelque chose d'important que je dois vous dire.
00:02 J'ai un problème, je suis en cellule avec la victime.
00:04 C'est pas possible, le monsieur qui a l'œil crevé, il fait oui, oui, c'est moi qui lui
00:08 change son pansement tous les jours, c'est moi qui lui fais ses soins.
00:11 Bonjour, Julien Frénaud, je suis avocat au barreau de Paris, je tiens le compte Procès
00:14 Verbot sur Instagram.
00:15 Aujourd'hui, je vais vous raconter l'histoire qui m'a le plus marqué dans ma carrière
00:19 d'avocat et qui montre à la fois l'état d'élabrement de la justice, mais également
00:22 les choses les plus incroyables qui peuvent se passer dans le cadre d'une procédure
00:25 pénale.
00:26 J'étais de permanence criminel, c'est-à-dire que j'avais pour mission ce jour-là de recevoir
00:30 les gens sortant de garde à vue ayant commis un crime.
00:32 Et on m'adresse, devant moi, une personne qui est poursuivie pour tentative d'homicide.
00:38 On lui reproche d'avoir notamment mis un coup de tesson de bouteille dans l'œil de quelqu'un
00:41 qui a l'œil crevé.
00:42 Et moi, ce jeune homme qui est devant moi, à la vingtaine, me dit « j'ai strictement
00:47 rien à voir avec ça ». Il est sans papier, il parle une langue étrangère, donc c'est
00:51 en plus compliqué de se comprendre, mais il me dit « mais je n'ai rien à voir ».
00:54 Il y a une particulière idée, c'est que ce jeune homme n'avait pas de chemise.
00:57 Pour une raison assez simple, c'est que sa chemise était immaculée de sang.
00:59 C'est-à-dire qu'il y avait des taches de sang dans tous les sens, descendant du
01:02 centre de la victime.
01:03 C'est un premier indice contre lui.
01:04 Il y avait une vidéo qui le plaçait sur place, c'était une bagarre générale entre
01:08 des personnes, et on le voyait passer.
01:11 On ne voyait pas le coup porté, mais on le voyait passer.
01:13 Il y avait la victime qui disait « c'est lui qui me met le coup de tesson de bouteille
01:17 ». Et il y avait deux autres témoins.
01:18 Ça fait mis bout à bout un certain nombre d'éléments.
01:20 La personne continue à me dire « je n'ai rien à voir, je fais ce que je peux devant
01:22 le juge, mais il n'y a pas grand-chose à faire dans ces cas-là, la personne n'a
01:25 aucune garantie, les faits sont extrêmement graves ». Bien évidemment, la personne
01:28 part en détention provisoire.
01:29 Tout le monde est persuadé qu'il est coupable, et moi-même j'ai des doutes importants.
01:33 Et puis un mois après, il est toujours en détention, il m'écrit en me disant « venez
01:36 me voir d'urgence, il y a quelque chose de vraiment important que je dois vous dire ».
01:39 Je retourne le voir, et là il me fait cette révélation qu'on ne peut pas le croire.
01:43 Et pourtant, ça arrive, il me dit « j'ai un problème, je suis en cellule avec la victime
01:46 ». Je lui dis « mais comment ça monsieur, vous êtes en cellule avec la victime, c'est
01:49 pas possible, le monsieur qui a l'œil crevé, il fait « oui oui, c'est moi qui
01:53 lui change son pansement tous les jours, c'est moi qui lui fais ses soins, parce que cette
01:56 personne avait été incarcérée pour une autre affaire d'escroquerie, qui n'avait
01:59 rien à voir.
02:00 Les alléés de la prison font qu'ils ont été mis dans la même cellule ».
02:02 Alors je lui dis « mais comment ça se passe ? » Il me dit « ça se passe bien,
02:05 parce que ce n'est pas moi qui ai fait ça, donc il n'a rien à me reprocher, je l'aide
02:08 et tout se passe correctement ».
02:09 Moi évidemment, je cours voir le juge en lui disant « on a quand même un sérieux
02:12 problème ». Et le juge, là aussi, c'est bon, pas de chance, est en arrêt maladie,
02:15 il n'était pas là pendant trois semaines.
02:16 Et je reçois directement, un mois plus tard, une convocation chez le juge.
02:20 Alors je me dis « bon, il a lu mes courriers, il s'est passé quelque chose, il va se
02:24 rendre compte ». Mais en fait, c'est une convocation pour une confrontation entre
02:26 ces deux personnes, la victime et la mise en examen.
02:28 Et à ce moment-là, pendant cette confrontation, la victime reste sur ses dires initiaux.
02:33 C'est-à-dire qu'elle dit « oui oui, c'est bien lui qui m'a crevé l'œil ».
02:36 « Monsieur, je ne comprends pas, vous dites que c'est cette personne qui vous a crevé
02:39 l'œil et pourtant, il vous a soigné, vous avez été en cellule en même temps ».
02:42 Alors là, je vois le juge qui panique, qui ne comprend pas.
02:44 Là, je pose la question à ce monsieur « mais monsieur, ce n'est pas la première fois
02:48 en plus que vous êtes en détention, pourquoi vous ne m'avez pas demandé à changer de
02:50 cellule ? ». Et il me dit « ben, là, ils sont un peu
02:54 coincés ». Il me dit « non, mais en fait, ce n'est pas lui, j'ai dit ça parce
02:57 qu'on a attrapé lui, mais en fait, ce n'est pas lui ».
02:59 « Ben oui, en fait, il passait par là, il y a quelqu'un qui m'a mis un coup,
03:02 je n'ai pas vu qui c'était.
03:03 Bon, ben, j'ai dit que c'était lui, mais bon, parce qu'ils l'ont attrapé.
03:07 J'ai dit à mes copains de dire que c'était lui.
03:08 Il était juste passé par là.
03:09 Et quand vous avez un coup à la requête surciliaire, vous saignez normalement, il
03:12 y a des projections de sang, il s'était retourné vers ce gars qui passait.
03:15 Et voilà, il s'était retrouvé couvert de sang, accusé par des personnes.
03:18 Une vidéo qu'il montre passer et vous vous retrouvez en détention.
03:21 Ça, c'est une histoire qui m'a marqué parce que moi, ça m'a un peu remis en cause
03:26 sur qu'est-ce qu'on croit d'une personne au début quand elle vous dit qu'elle n'a
03:28 rien fait et que malgré les éléments, parfois, on n'a rien fait.
03:31 Ben oui, ça arrive.
03:32 Ça m'a marqué moi et puis ça m'a marqué surtout sur le rôle de la justice qui, même
03:35 quand elle commet des erreurs, ne le voit pas et continue comme ça à garder des dossiers
03:38 parce qu'on n'a pas le temps de les traiter, parce qu'il y en a trop et puis parce que
03:40 ce sont des dossiers qui intéressent moins les gens, des personnes étrangères, des
03:43 victimes qui se retrouvent en prison.
03:45 Ça, ça n'intéresse pas les gens et donc du coup, on a des situations qui sont totalement
03:48 ubuesques.
03:49 [SILENCE]

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