Chaque jour dans Culture Médias, deux invités débattent autour d'un sujet médiatique.
Retrouvez "La Question du jour" sur : http://www.europe1.fr/emissions/la-question-du-jour
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00:00 9h-11h.
00:01 -Europe 1 Culture Média.
00:03 -Avec Thomas Hill. C'est l'heure de la question du jour.
00:06 -Faites entrer l'accusé sur RMC Story,
00:08 mais aussi sur France 2, où on te l'a raconté.
00:11 Ici, sur Europe 1, les faits divers sont devenus incontournables
00:14 dans les médias. Pourquoi un tel engouement
00:17 pour des affaires sordides ?
00:19 On en parle avec maître Dorothée Bizzacchi à Bernstein.
00:22 Bonjour. -Bonjour.
00:23 -Vous êtes avocate pénaliste au cabinet CEDBAC.
00:26 Dominique Rizet et Christophe Delay sont toujours avec nous.
00:29 Faites entrer l'accusé.
00:31 On a parlé de votre émission qui marche très bien sur RMC Story.
00:34 Dans la maison, on l'a raconté,
00:36 qui fait 6,5 millions de téléchargements
00:39 le mois dernier, par exemple.
00:41 Pour la presse, on peut citer les chiffres de Society,
00:44 dont les ventes avaient été multipliées par 6 l'été dernier,
00:47 avec leur feuilleton sur Dupont de Ligonnès.
00:50 Je vous pose la question à tous les trois.
00:52 Qu'est-ce qui fait que ces histoires plaisent autant au public ?
00:56 -Je vais vous laisser répondre. -Alors, maître.
00:59 -Je pense que les gens adorent qu'on leur raconte des histoires
01:03 depuis leur petite enfance jusqu'à ce qu'ils grandissent.
01:07 Je pense que des histoires qui contiennent tous les ingrédients
01:10 du sordide, du morbide,
01:13 touchent chez chacun la part sombre de son humanité.
01:18 On a à la fois un peu peur de sa propre part sombre,
01:24 et donc on se rassure en regardant la normale
01:27 de sa propre normalité.
01:30 Après, je crois aussi qu'on adore les histoires avec du suspense,
01:35 le roman est né du feuilletonnage,
01:37 et qu'un fait divers, c'est tout ça.
01:40 Et s'il sort et qu'il est raconté médiatiquement,
01:43 c'est qu'il contient les ingrédients qui vont plaire.
01:45 -Si on prend un exemple récent, le cas de Lina, par exemple.
01:49 Quand on regarde Lina, son histoire, le profil familial,
01:53 on se dit que Lina, en fait, c'est notre fille.
01:56 Et donc forcément, on s'y projette.
01:59 Et il y a une donnée qui est importante,
02:01 c'est le feuilleton, évidemment.
02:04 Ce sont des histoires qui durent.
02:06 Et donc, j'imagine que ça se passe aussi comme ça chez vous.
02:09 Mes enfants me disent "Lina, ça en est où ? Ça n'avance pas."
02:12 Mais on a un besoin, même si ça n'avance pas,
02:16 de faire un point régulier sur l'enquête.
02:19 Et pour ça, je suis bien passé pour le savoir,
02:21 les chaînes d'infos font le boulot.
02:24 Ça participe à notre ADN.
02:26 -Il y a aussi, depuis quelques années,
02:28 une montée en gamme du fait d'hiver.
02:30 Ça avait commencé à faire entrer l'accusé,
02:33 qui, on peut le dire, a redonné ses lettres de noblesse au genre.
02:36 C'était il y a 20 ans, mais plus récemment,
02:37 quand on voit la qualité des documentaires,
02:39 par exemple Netflix, autour de l'affaire Grégory ou Fourniret,
02:43 ça devient des polars du réel, en fait.
02:46 -Je vais être un peu méchant, parce que je n'aime pas Netflix
02:49 sur l'affaire Grégory.
02:51 J'ai du mal avec ça, j'ai du mal avec Monique Olivier.
02:55 C'est des affaires qui ont existé, c'est dur de les scénariser.
02:58 Et moi, je suis tellement dans le souci du détail
03:01 que quand je vois Netflix sur Grégory, ça me déplaît.
03:05 Ça ne me convient pas du tout. -Pourquoi ?
03:06 Parce qu'il y a des choses fausses ? -Non, parce qu'il y a une option.
03:09 L'option, c'est Bernard Laroche a tué Grégory.
03:13 Et pardon, mais jusqu'à plus informer,
03:16 Bernard Laroche, il est mort innocent,
03:18 assassiné par Jean-Marie Villemin.
03:20 Et jusque-là, personne n'a pu prouver qu'il avait tué Grégory.
03:24 -Pour les besoins de la fiction, ils ont choisi la partie.
03:26 -Ils ont choisi une option qui est, ce serait plutôt Bernard Laroche.
03:29 Moi, je trouve ça profondément malhonnête.
03:31 -C'est ce qui plaît aux gens qu'on leur propose une option.
03:34 -Bernard Laroche, il a une épouse, il a un petit garçon
03:38 qui avait 4 ans l'âge de Grégory au moment où il est tué.
03:40 Sa femme était enceinte d'un petit garçon
03:42 qu'elle a appelé Jean-Bernard Laroche.
03:44 Vous voyez un peu le truc.
03:45 Et donc, je trouve ça...
03:49 J'aime pas, quoi.
03:50 -Il y a une tentation dans certaines émissions
03:52 de scénariser et de prendre une option.
03:55 Et en fait, c'est pas bien.
03:59 Et je crois, je suis là depuis peu,
04:01 mais qu'à fait entrer l'accusé,
04:04 jamais une option n'est choisie.
04:05 D'abord, les histoires qui sont traitées sont des histoires tranchées.
04:08 Et deux, quand je vois la façon millimétrique
04:12 que l'on a pour écrire l'histoire,
04:15 je peux vous dire que ça se joue parfois à la virgule près.
04:18 -Et alors, qu'est-ce que c'est un bon fait divers ?
04:20 Pourquoi certaines histoires émergent plus que d'autres ?
04:23 Vous avez une minute trente pour réfléchir à cette question.
04:25 A tout de suite sur Europe 1.
04:26 -Culture Média sur Europe 1
04:28 et la suite de la question média du jour ce matin.
04:30 Pourquoi les programmes sur les faits divers nous passionnent tant ?
04:34 On en parle avec Dorothée Bissachia Bernstein,
04:36 avocate pénaliste au cabinet CEDBAC,
04:38 Dominique Rizet et Christophe Delay,
04:40 qui présentent tous les deux "Fait entrer l'accusé" sur RMC Story.
04:42 -Et alors, si on regarde les chiffres de l'année 2022,
04:45 il y a eu un peu moins de 1000 homicides en France.
04:48 La plupart, on ne va pas en parler.
04:50 Certains auront droit peut-être à quelques lignes dans un canard local.
04:54 Mais qu'est-ce qui fait que certaines de ces histoires,
04:56 quelques-unes par an, vont émerger dans les médias ?
04:59 Comment est-ce qu'on explique ça ?
05:00 -Moi, je dirais les personnages, les lieux, le contexte,
05:04 l'histoire entre les personnages.
05:07 Emile, il a deux ans et demi, il disparaît dans ce petit village.
05:11 Et puis, il a une famille qui est un peu particulière, qui est croyante.
05:14 Et puis, c'est un tout petit hameau, un huis clos, 15 maisons.
05:17 Donc, il y a forcément quelqu'un qui sait,
05:18 parce que le gamin, il n'est pas parti à 40 kilomètres de là à pied.
05:21 Donc, cette espèce de mystère où tout le monde se pose des questions.
05:25 La discussion à la machine à café, c'est la discussion dans les dîners.
05:28 Mais où il est, Emile ? Mais où est-ce qu'il peut être, Emile ?
05:30 Ensuite, il y a Lina. Ah, ben, Lina. Où elle est, Lina ?
05:32 -Il y a des récurrences, quand même, parce que les enfants,
05:34 on sent que c'est quelque chose qui va toucher particulièrement,
05:37 évidemment, le public.
05:39 Et ça, c'est vraiment...
05:40 Les enfants et les drames et les intrigues sexuelles.
05:45 La maîtresse.
05:46 -L'affaire Joubillard, typiquement.
05:49 -Un petit soupçon de trafic de drogue.
05:52 Quelqu'un qui a l'air comme ça, très normal,
05:55 et qui cache, en réalité, une rancune ancienne.
05:58 Il faut, effectivement, qu'on puisse échanger à la machine à café
06:01 et qu'on puisse vous demander, mais vous, maître, ou vous...
06:04 -Qu'est-ce que vous en pensez ?
06:05 -Vous savez forcément, vous êtes avocat.
06:07 Vous savez, dites-nous, qu'est-ce que vous en pensez ?
06:10 -Il y a ça et il y a aussi les affaires concernant les stars.
06:12 Ça a toujours aussi quelque chose d'un peu sulfureux, ça.
06:15 Ça intéresse.
06:16 -Soit les stars, soit les gens qui nous ressemblent.
06:18 Vous savez, chez vous, à Europe, j'ai été mortifié,
06:20 il y a quelques semaines, d'entendre Christophe Andelatre
06:23 raconter l'histoire d'un de mes copains d'enfance.
06:26 Et ça, c'est un type avec qui j'étais au collège,
06:30 dont je connaissais la femme, puisqu'ils étaient amis
06:34 au moment du collège, et qui, un jour, tue sa femme
06:38 parce qu'il se croit malade et perdu.
06:40 Eh bien, je peux vous dire que lorsque vous entendez ça,
06:43 d'abord, vous êtes sous le choc, je la connaissais, l'histoire,
06:46 mais racontée, évidemment, par Christophe, ça prend un autre sel.
06:50 Je crois que c'est ça aussi qui nous fascine dans les histoires,
06:52 parce que quand ces histoires arrivent à des gens,
06:55 finalement, qui nous ressemblent,
06:57 et ça nous interpelle, évidemment, nous-mêmes,
07:00 est-ce que nous-mêmes, parfois...
07:01 -On pourrait basculer, bien sûr.
07:03 -Peut-être on a tous, dans notre tête,
07:06 des gens, des hommes ou des femmes, dont on se dit,
07:09 peut-être un jour, ils peuvent basculer.
07:12 -Autre ingrédient récurrent, c'est l'affaire non résolue.
07:15 On parlait de l'affaire Grégory ou Xavier Dupont de Ligonnès.
07:20 Ça aussi, ça intrigue énormément,
07:22 et puis ça vous permet d'en parler pratiquement chaque année.
07:25 Ce sont des récurrences.
07:27 -Ça feuilletonne, il y a des histoires qui plaisent, comme ça.
07:30 Je pense qu'on va traîner un peu sur Lina et sur Émile.
07:32 Il y a une histoire, moi, qui me fascine,
07:34 c'est pas Dupont de Ligonnès, c'est l'affaire de Chevaline,
07:37 la tuerie de Chevaline, parce que quatre victimes,
07:40 parce qu'une espèce de mystère impénétrable,
07:44 et puis une arme, un type d'arme particulier,
07:48 qui signe le meurtre,
07:49 et on n'arrive pas à trouver à qui appartient ce vieux pétard de 1906,
07:55 un Luger P06, qui est-ce qui possède un truc pareil ?
07:58 Qui est-ce qui va aller tuer quatre personnes
08:00 avec une arme qui fonctionne mal, qui n'est pas puissante,
08:02 qui peut s'enrayer, qui tire que sept coups,
08:05 dont il faut changer les chargeurs,
08:07 et le type fait ça en 60 secondes,
08:10 et il tire 24 cartouches.
08:12 - D'autant qu'en 2023, on n'a plus beaucoup d'affaires comme celle-ci,
08:16 parce qu'avant, les affaires non élucidées, c'était légion.
08:18 Aujourd'hui, avec l'ADN, la vidéosurveillance,
08:21 les localisations téléphoniques, exactement,
08:23 on a de moins en moins ce type de trucs.
08:25 Donc, ça relève quasiment de la magie,
08:27 et c'est vraiment surnaturel.
08:29 - Mais d'ailleurs, j'imagine que les faits divers
08:31 que vous traitez au quotidien, Maître,
08:33 sont très différents, moins croustillants
08:36 que ceux dont on va parler dans les médias, non ?
08:38 - Ça dépend, parce qu'ils sont aussi...
08:40 Moi, j'ai pu participer à des émissions,
08:42 être invitée en tant qu'avocat
08:44 d'une personne mise en cause dans une affaire.
08:47 À ces émissions, finalement, tout est croustillant.
08:50 C'est-à-dire, c'est le regard qu'on pose sur l'affaire
08:52 qui lui donne de l'ampleur.
08:54 On a quand même très souvent...
08:56 Moi, j'ai eu un client
08:58 qui avait, sur une scène de crime,
09:01 été pris d'un déchaînement de violence incroyable
09:05 contre son amant. On ne comprenait pas pourquoi cette violence.
09:08 La police n'avait pas compris, les psychologues n'avaient pas compris.
09:10 Et on a fini par apprendre au moment des assises
09:12 qu'il y avait un frère jumeau qui était mort
09:14 quand il avait six ans.
09:15 Sa mère n'a plus pu, de ce jour-là, le regarder.
09:18 Et que, effectivement, cette histoire-là
09:21 a un peu sidéré tout le monde.
09:23 Et donc, dans les petites histoires,
09:26 vous avez toujours des grandes histoires à raconter.
09:28 - Et si on se place du côté des téléspectateurs,
09:30 maintenant, est-ce qu'il n'y a pas aussi un petit côté un peu voyeur,
09:33 même un peu malsain, à regarder tous ces programmes
09:36 et à se repaître de cette violence ?
09:40 - Vous ne l'avez pas, vous ?
09:41 - On l'a tous, je pense.
09:42 - Vous savez qu'Anders Breivik, le tueur d'Oslo,
09:45 reçoit 800 lettres d'amour par mois.
09:47 Donc, au-delà de la fascination qu'exercent les faits divers,
09:51 les hommes accusés et condamnés,
09:54 les serial killers, exercent une fascination.
09:57 Ça a d'ailleurs même un nom psychiatrique.
10:00 Ce sont, chez des personnes, des ressorts qui sont connus.
10:07 - Il y a un nom pour ça, je ne sais plus.
10:08 C'est Johanna Rosenblum, notre psychologue attitrée à BFM,
10:12 qui m'avait dit ça.
10:13 Il y a un nom pour les gens qui kiffent les tueurs.
10:15 - C'est l'hybriophilie.
10:16 - Comment ? - C'est l'hybriophilie.
10:18 - Oh, merci, maître.
10:19 - L'hybristophilie.
10:20 - Guy Georges, hybristophilie.
10:22 Je vais la noter.
10:23 Mais Guy Georges reçoit plein de lettres d'amour.
10:26 Il va sortir peut-être bientôt.
10:28 - La question que je me pose derrière aussi,
10:30 c'est est-ce qu'on n'en fait pas trop dans les médias aujourd'hui ?
10:34 Alors, évidemment, vous en parlez beaucoup sur BFM TV,
10:37 de tous ces faits divers, sur toutes les chaînes d'info.
10:40 C'est vrai qu'on va en parler beaucoup.
10:42 Et moi, je me demande si ça ne contribue pas aussi
10:44 à créer un climat de peur, parfois, dans le pays,
10:46 en donnant l'impression que les crimes sont partout,
10:48 alors que si on regarde les chiffres officiels
10:50 du ministère de l'Intérieur,
10:52 il y a deux fois moins de meurtres en France aujourd'hui
10:54 qu'il y a 20 ans.
10:55 - Non, mais je ne crois pas que ça alimente ce cycle-là.
10:57 J'aime pas le mot "faits divers".
10:59 Je crois qu'on est tous friands d'histoires,
11:02 quelles qu'elles soient.
11:03 Et donc, ces histoires, si on ne les racontait pas,
11:08 les gens iraient chercher ailleurs.
11:09 Vous savez, ça fait partie de l'histoire de la presse.
11:10 C'est ce qui a été un moteur de la presse, les faits divers.
11:14 Et aujourd'hui, on a d'autres moyens pour les raconter.
11:16 On parle de la télé, on parle des émissions à la télé,
11:18 on pourrait parler des podcasts aussi.
11:20 Je trouve que raconter en podcast les histoires
11:22 ont presque encore plus de puissance
11:24 que celles que l'on traite en image.
11:25 - Je dirais même qu'on fait divers...
11:27 On traite l'actualité politique aussi à travers...
11:31 - A la manière de faire divers.
11:32 - On fait diversions.
11:33 - En feuille tenant, en tout cas.
11:34 - En feuille tenant.
11:35 Et que ça atteint.
11:37 Mais après, vous verrez les gens se presser
11:38 devant les salles de cours d'assises.
11:41 De tout temps, on a essayé de rentrer, d'écouter.
11:43 On est allés voir des exécutions.
11:44 Enfin, je pense que ça, c'est pas incité par la télévision,
11:48 mais c'est justifié par ça.
11:50 - Merci beaucoup d'être venu ce matin débattre de ce sujet.
11:53 Maître Dorothée Bizzacchi à Bernstein,
11:55 avocate pénaliste au cabinet Setback.
11:57 Setback, c'est bien ça.
11:59 Dominique Rizet et Christophe Dolé, merci aussi à tous les deux.
12:01 Et faites entrer l'accusé, c'est donc à 21h10,
12:04 dimanche soir sur RMC Stories.
12:06 - Et le dimanche dès 6h sur l'appli RMC BFM.
12:09 - En avance. - Dès 6h.