• l’année dernière
Un homme d'une vingtaine d'années armé d'un couteau a tué un enseignant et blessé grièvement deux autres personnes dans une cité scolaire d'Arras. Fiché S pour radicalisation, l'assaillant était sous surveillance de la DGSI et un de ses frères avait été interpellé et écroué à l'été 2019 "dans le cadre d'un projet d'attentat déjoué puis de faits d'apologie".

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Transcription
00:00 Je suis avec un des élèves de l'établissement.
00:03 Il était en terminale, on ne va pas donner son prénom,
00:05 on ne va pas filmer son visage, mais lui, il connaissait l'assaillant.
00:09 Est-ce que tu peux nous dire d'abord comment ça s'est passé ce matin ?
00:12 Qu'est-ce que tu as vécu ?
00:14 - Ce matin, je suis parti en cours comme d'habitude, en retard.
00:17 Je ne vais pas vous mentir, c'était en retard.
00:19 Je me suis dit que ça allait être une journée comme d'habitude, en vrai.
00:22 Je ne me suis pas dit un mauvais pressentiment.
00:24 Je fais mes trois premières heures et c'est arrivé de 11h à midi.
00:29 Je vais en cours, d'un coup, je vois qu'il y a vraiment un amas de collégiens
00:34 dans notre lycée qui sont en train de se diriger vers le 7e étage.
00:37 Alors que le 7e étage est censé être des appartements réservés aux professeurs.
00:41 On n'a pas le droit d'y accéder, on n'a pas le droit de monter là-bas,
00:43 même nous, lycéens.
00:44 Et les collégiens ont strictement interdit de rentrer dans le lycée.
00:48 Genre vraiment interdit.
00:49 Ça fait les voir ici, je me suis dit "OK, il se passe quelque chose".
00:52 Je suis parti directement les voir.
00:53 Je demande, comme par hasard je croise mon cousin,
00:56 on me dit "Ouais, il y a quelqu'un qui s'est fait planter".
00:58 Je me suis dit "Peut-être qu'il me fait une mauvaise blague, c'est ma famille".
01:01 Je me dis "Au cas où, je vais demander à quelqu'un d'autre".
01:03 Je demande à une autre collégienne, elle me fait "Je sais pas, je sais pas".
01:06 En criant, genre vraiment en criant.
01:08 Je me dis "Je sais pas, je sais pas du tout, juste tout le monde court, je cours, je comprends pas".
01:14 Je demande à une troisième personne, elle me dit pareil, la même chose.
01:16 "Ouais, quelqu'un s'est fait planter".
01:18 Là je me dis "Ah ouais, il se passe quelque chose".
01:20 Je rentre dans ma salle, je le dis à la prof, je lui dis "Ouais, madame,
01:24 il y a quelqu'un qui s'est fait planter, il faut qu'on fasse quelque chose,
01:26 il faut qu'on prévienne, je sais pas si les gens sont déjà au courant".
01:28 Je me dis "Peut-être si les collégiens sont là, c'est qu'ils sont déjà au courant".
01:31 Je lui dis "Mais il faut qu'on se barricade ou quoi".
01:33 Elle me dit "Non, non, va t'asseoir".
01:35 - D'accord, et là à ce moment-là, qu'est-ce qui s'est passé du coup ?
01:37 - À ce moment-là, direct, deux secondes après, l'alarme a retenti.
01:41 Et là, les élèves en stress.
01:44 La prof, elle a compris que ce n'était pas une blague ce que je lui disais.
01:46 Du coup, directement, il y a des élèves qui étaient pris en stress,
01:49 il y en a qui tremblaient.
01:51 Moi, j'ai pris mon courage à deux mains, parce que j'étais déjà préparé,
01:53 vu que j'étais déjà au courant.
01:54 Ça fait, j'ai pris les tables, j'ai commencé à barriquer la porte.
01:57 - La salle ? T'as barricadé la salle ?
01:59 - Ouais, j'ai barricadé la porte, j'ai pris deux tables,
02:00 j'ai mis comme ça, une sur l'autre, j'ai rajouté une chaise,
02:03 j'étais assis et tout, bon, c'était un peu bruyant,
02:06 parce qu'au début, on se disait "Ouais, c'était une blague un peu".
02:08 Genre en mode, on n'y croyait pas trop en fait à l'alarme.
02:11 Parce qu'il y a une semaine de ça, le proviseur, le proviseur adjoint,
02:13 il nous avait déjà parlé de ça, qu'il y allait avoir des tests et tout.
02:16 - D'accord.
02:17 - On s'est dit "Ouais, peut-être c'est un test en fait".
02:19 Et là, on voit que ça commence à être un peu long.
02:21 On va sur Twitter, je vois des tweets en fait, Gérald Darmanin,
02:27 je vois ça, je commence, je parle avec quelqu'un de la classe,
02:29 où il y a des messages qui s'envoient, des vidéos qui s'envoient,
02:32 des photos qui s'envoient.
02:33 - T'étais encore dans la salle à ce moment-là ?
02:34 - Ouais, ouais, non mais j'ai été libéré vers 14h moi.
02:37 Ça fait, là, dans la salle, on voit des vidéos de,
02:41 dans la cour en fait, quelqu'un qui est en train de tabasser un prof.
02:44 - Ouais, ces vidéos qu'on a tous vues, qui ont circulé sur les réseaux sociaux.
02:47 - On voit ça, du coup, on regarde par la fenêtre, on voit une flaque de sang,
02:52 on voit une flaque de sang, je me dis "Ah ouais, quand même".
02:54 Il y a les vidéos qu'il a mis le prof à genoux, il y a toutes sortes de vidéos.
02:59 Et ouais, dès qu'on a vu ça, on s'est dit "Ah ouais, quand même".
03:01 Et là, on est resté barricadé du coup pendant plus de 3 à 4 heures.
03:05 - Et alors, tu me disais juste avant que toi, tu connaissais l'assaillant,
03:08 tu savais, enfin en tout cas...
03:09 - Je le voyais, enfin je le connaissais de vue, ouais.
03:11 Je l'ai déjà, enfin j'ai déjà été confronté à lui une fois au parc des Bonnettes,
03:16 quand on faisait du basket, j'écoutais de la musique, il me l'a éteinte,
03:19 il m'a dit "Ouais, t'écoutes de la musique, je te frappe".
03:21 J'étais en mode "OK", je l'ai rallumé, il me l'a ré-éteinte, ma baffe.
03:25 Bah, je suis rentré chez moi, je voulais pas...
03:26 - D'accord, donc il éteignait ta musique parce que t'écoutais juste de la musique, c'est ça ?
03:29 - Ouais, c'est ça, parce que pour lui, vu que j'écoute de la musique,
03:32 il l'entend aussi, du coup il prend aussi des péchés, alors que moi-même, je suis musulman, genre,
03:36 c'est mon problème, si j'écoute de la musique, c'est mon problème, c'est moi qui me prends mes péchés.
03:39 - Bien sûr.
03:39 - Genre, chez nous, c'est...
03:41 Enfin en fait, je comprends pas, même son acte en fait, parce que c'est chacun sa tombe pour nous.
03:45 Genre, si je fais des péchés, c'est pas quelqu'un d'autre qui va les prendre pour moi,
03:49 c'est moi qui va les prendre, du coup, faire ça, genre, même, je comprends pas.
03:52 - C'est incompréhensible, franchement.
03:53 - Ouais, c'est incompréhensible, pour moi, l'entendre...
03:57 J'ai entendu dire, ouais, sur BFM, du coup, justement, j'ai entendu dire qu'il disait "Allahou Akbar, Allahou Akbar",
04:02 déjà, au sein du lycée, j'ai entendu personne qui l'a validé, ça.
04:06 - D'accord.
04:06 - Vraiment, personne a validé ses propos,
04:08 et j'ai tenu tête à une personne sur Twitter qui m'a dit que
04:12 cette personne a dit "Allahou Akbar", alors que, bah, personne l'a entendu, en fait.
04:16 - D'accord, toi tu l'as pas entendu, genre.
04:17 - Moi je l'ai pas entendu, et personne d'autre, enfin, personne de ma classe l'a entendu,
04:20 ni personne que j'ai parlé avec m'a dit "Ouais, il l'a dit".
04:23 - D'accord, t'as été auditionné après par les policiers, c'est ça ?
04:26 - Non, pas vraiment, on m'a juste demandé d'envoyer quelques vidéos que j'avais,
04:30 et je les ai envoyées sur WhatsApp, et puis c'est tout.
04:32 Mais j'ai pas vraiment été auditionné, non.
04:34 - D'accord.
04:34 Psychologiquement, ça va ? Comment tu tiens le coup ? Comment ça se passe ?
04:38 - Psychologiquement, ça fait mal, hein, savoir que ça a été dans ta ville, dans la ville de naissance,
04:42 où t'as grandi, où tout le temps t'es dehors, surtout dans ton lycée,
04:46 genre, où c'est censé être sécurisé, où c'est censé... Personne rentre et tout.
04:51 Voir ça, non, c'est vraiment traumatisant, surtout que lundi, on va dire, je vais partir en cours,
04:56 même si demain ça va être nettoyé et tout, bah, je vais avoir des flashbacks,
05:00 je vais me dire "OK, ici, il y avait une flaque de sang, ici, il y avait un prof à genoux,
05:03 ici, il y avait un prof, il s'est pris un coup de couteau", genre, c'est traumatisant, ça reste dans le crâne.
05:08 - Bien sûr, et tu le connaissais, le prof, toi, ce prof de lettres ?
05:10 - Non, non, non, je le connaissais pas, c'était un prof de collège.
05:12 Du coup, tout lycéen le connaissait pas, à part ceux qui l'ont eu au collège et qui sont partis au lycée après.
05:17 - D'accord, bon, sache qu'il y a des cellules psychologiques qui sont bien sûr mises en place
05:20 pour tous les élèves et pour tous les parents d'élèves.
05:22 Merci en tout cas pour ton témoignage. - Bah, je vous remercie.
05:24 - Merci, merci à toi.

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