• il y a 2 ans
Il y a 40 ans débutait la marche pour l’égalité et contre le racisme après une série de violences policières dans les banlieues de France. Pour l’occasion, Libération a réuni Djamel Atallah, marcheur historique, et Bilel Dahoui, 33 ans, né à Vaulx-en-Velin, pour comparer leurs réalités.

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Transcription
00:00 Environné le 15 octobre 1983, un petit groupe de jeunes de banlieue partent du quartier de la Caïol à Marseille.
00:05 Pendant 49 jours, ils marchent à travers la France, derrière ces mandroles qui portent leur message.
00:10 Au fil des kilomètres, le cortège s'agrandit et le 3 décembre, ils arrivent à Paris accueillis par un défilé de 100 000 personnes.
00:18 Une délégation rencontre même le président de la République de l'époque, François Mitterrand.
00:22 L'idée de cette marche historique, elle est née à Lyon, dans la tête de plusieurs jeunes du quartier des Minguettes,
00:28 aux côtés d'un prêtre, Christian Delorme.
00:30 Parmi ces jeunes, il y a Jamel Attala, il vit aux Minguettes, entre les tensions avec la police et la série de drames qui touchent les banlieues françaises.
00:38 Aujourd'hui, entre la mort de Naël à Nanterre, l'augmentation des tirs mortels de policiers, des drames assevrants en Neuville-en-Ferrin, Vénitieux,
00:52 la situation semble ressembler à celle que Jamel a vécu il y a 40 ans.
00:56 Alors on est allé à Lyon.
00:58 On a rencontré Jamel et on l'a mis face à Bilal Daoui, 33 ans, né à Vaud-en-Velin, pour comparer leur vie dans les banlieues de 1983 à 2023.
01:07 C'est celui qui ne supportait pas le bruit, qui prenait son fusil, son 22, et boum, il tirait.
01:11 Je suis arrivé à Lyon, j'avais 5-6 ans, et en 70, on nous a attribué un logement aux 14 rues Gaston-Mommousseau, sur le plateau des Minguettes.
01:24 Le rapport de la police, avant déjà les années 80, c'était assez conflictuel et difficile.
01:29 Une fois, j'étais avec mon ami Toumy, on est partis voir une dame qui était une vendeuse de glace dans les quartiers à l'époque.
01:35 A la sortie de chez elle, on se fait interpeller par la police, mais manu militari.
01:40 On n'a pas demandé de papier, on n'a rien demandé.
01:43 Moi, ils m'ont pris la tête, ils l'ont tapé sur le fronton de la voiture.
01:46 Ils m'ont mis dans une Renault 18, Toumy et moi, ils nous ont attachés comme ça, de travers,
01:50 et ils nous ont emmenés jusqu'au commissariat central, et on ne savait pas pourquoi.
01:54 Ah, j'étais très mal, très très très mal. J'avais 18 ans, et je ne comprenais pas pourquoi.
02:00 Alors, c'est très triste d'entendre ça. C'est très triste d'entendre ce que Djamel vient de dire,
02:04 parce que c'est des expériences qui sont encore d'actualité aujourd'hui.
02:07 J'ai été contrôlé un jour, alors que je sortais du sport quand j'étais étudiant.
02:10 Ils m'ont interpellé, j'étais tout seul. Ils m'ont plaqué contre le capot de leur voiture, mais vraiment violemment.
02:16 Je n'ai même pas vu qui c'était. Quand j'ai été plaqué, je pensais que j'étais agressé, je ne savais pas qui m'avait pris.
02:21 Ni brassard, ni rien, donc ils les ont mis qu'après.
02:24 On m'a mis par terre, dans le froid, dans du béton froid.
02:29 On m'a mis le genou sur mon dos, avec des menottes. Je ne vois pas ce que je pouvais faire.
02:33 Je n'ai pas une carure qui permettait de combattre trois policiers facilement.
02:39 Et on m'a laissé par terre.
02:41 Quand j'avais dit que j'avais mal, on m'a dit "tu ne bouges pas, tu te taies".
02:45 J'ai quand même essayé de demander ce qui s'était passé.
02:47 On m'a dit succinctement que je correspondais à un signalement, et ça s'est arrêté alors.
02:51 Je me suis senti comme un chien.
02:53 Je me suis senti comme un chien.
02:55 Moi, je ne le cache pas, j'ai aujourd'hui 60 ans, mais quand j'avais 18-19 ans,
03:03 je me suis dit qu'on ne peut pas vivre comme ça éternellement, des brutalités,
03:07 et tout le temps mis à l'écart, toujours désignés.
03:11 J'avais une formule que je ne reprendrai pas aujourd'hui, mais c'était œil pour œil, dent pour dent.
03:16 J'étais plutôt pour l'action violente, pour se protéger.
03:19 Je venais de sortir de l'école, je n'avais pas de boulot.
03:22 Violence policière, un racisme qui commençait à être de plus en plus visible.
03:28 "Eh le bougnoul, eh le bougnoul, viens ici".
03:33 Voilà, c'était ça les mots qui étaient utilisés.
03:37 Qu'est-ce que vous voulez faire ?
03:40 À part se révolter.
03:42 Et je ne suis jamais passé à l'acte.
03:45 Les insultes ne sont plus là.
03:48 On ne nous appelle pas bougnoul maintenant, on nous appelle ébanlueusards.
03:51 On nous tutoie quand on est en contrôle de police.
03:55 On nous regarde comme si on était des sous-citoyens.
03:59 Ce que j'entends par Djamal, ça m'attriste, parce que je me dis, ça se reproduit continuellement.
04:04 Les méthodes ne sont pas les mêmes, les mots ne sont plus les mêmes,
04:07 mais on garde la même trame.
04:09 Et c'est triste, on garde ces méthodes violentes,
04:11 pour mater des jeunes qui sont en difficulté,
04:14 dans des cités où on sait très bien qu'ils sont plusieurs par famille,
04:17 qui n'ont pas un espace de vie assez correct, ces jeunes-là.
04:20 Donc c'est pour ça qu'ils se retrouvent dehors, à discuter ensemble,
04:23 et vivre ce genre de violence, et devenir demain,
04:26 soit des citoyens français, soit des délinquants.
04:30 20 juin 1983, c'était une période d'été.
04:34 Nous étions trois devant le bâtiment numéro 10 de la rue Gaston-Montmousso,
04:39 là où j'habitais, là où tout mi-djadja habitait, et tous mes amis y habitaient.
04:43 Et on entend un cri, des cris.
04:45 "Aïe, aïe, aïe, au secours, au secours, au secours !"
04:48 Naturellement, ça venait du bas, on descend,
04:51 et qu'est-ce qu'on voit ? On constate qu'un chien
04:54 commençait à déchiqueter un enfant, au niveau du mollet.
04:58 Et à côté de lui, un policier synophile,
05:01 debout, laissant le chien déchiqueter ce gamin.
05:05 Alors naturellement, Toumi était avec nous,
05:08 donc il tire le chien, l'arrache de son gibier,
05:13 parce que pour lui c'était un gibier,
05:15 mais le chien, il est dressé pour, il revenait à la charge.
05:18 Et le policier, à un moment, parle, dit "laisse faire le chien".
05:23 Et le malheur, c'est que Toumi a mis un pied devant.
05:27 Et là, détonation.
05:30 Détonation, une balle qui part de l'abdomen et qui sort derrière.
05:34 J'étais juste à côté, elle aurait pu aussi m'atteindre.
05:37 Toumi tombe. Il tombe, et je vois tout le sang couler.
05:42 On aurait pu croire qu'avec cet acte, un coup de feu,
05:46 donc quelqu'un qui est blessé gravement, ou peut-être mort,
05:49 la police, tout de suite, aurait appelé les secours,
05:52 et s'inquiéterait de la situation. Or, ce n'était pas le cas.
05:55 Le monsieur a récupéré son chien, et monté dans une Renault 18,
05:59 parce que c'était des Renault 18 à l'époque, que la police avait,
06:02 et ils sont partis. Ils ont laissé ces jeunes hommes avec une balle par terre.
06:07 Et c'est nous qui avons appelé les secours, et ils ont mis du temps pour arriver.
06:11 On ne savait pas s'il allait s'en sortir, et après, toute la journée du lendemain,
06:20 on était à l'hôpital Edouard Aréau, en attendant le diagnostic des médecins,
06:25 et heureusement, il s'en est tiré. Il dit c'est quel, mais il s'en est tiré.
06:28 Et c'est à partir de ce moment-là qu'on avait décidé de matérialiser l'idée
06:34 de cette grande marche à travers la France.
06:37 Le déclencheur, d'abord, c'était cet acte, quand Toumi a ramassé la balle,
06:41 mais on était quand même au fait et au courant qu'à cette époque-là,
06:44 tous les 2-3 jours, vous aviez un jeune maghrébin qui se faisait abattre.
06:47 On pouvait tuer de l'arabe tranquillement, sans être trop inquiété par la justice.
06:53 Alors évidemment, ça aurait pu prendre un tournant de révolte fort,
06:57 et Dieu merci, ça n'a pas pris ce tournant-là.
06:59 On savait très bien que la violence ne pouvait générer que de la violence.
07:02 On ne pouvait pas trouver une autre réponse.
07:04 Quand on est violent, on reçoit de la violence.
07:06 Donc on s'est dit, peut-être que c'est le moment d'opérer ce basculement
07:10 et se dire, on va prendre cette voie. Et on a eu raison de prendre cette voie.
07:15 Cette marche a initié des mouvements non-violents.
07:18 C'est le premier mouvement qui a montré énormément de choses.
07:22 On ne peut pas dire aujourd'hui qu'on va accabler la France en disant,
07:26 nous sommes victimes par une poignée de policiers,
07:29 par une petite partie de personnes d'extrême droite à de la violence,
07:33 et s'assimiler à eux en utilisant nous-mêmes de la violence.
07:37 On ne montrera pas d'exemple avec ça.
07:40 On va utiliser des moyens non-violents,
07:42 on va faire des choses qui vont montrer qu'on n'est pas d'accord sur certains points,
07:46 sans forcément tout casser.
07:48 Moi, quand je vois des jeunes comme toi, qui s'engagent,
07:51 et qui veulent lutter, et qui sont France,
07:54 et qui s'engagent là-dedans, moi je suis rassuré.
07:57 Je dis, tout n'est pas perdu, quelque part.
08:00 Même si je sais que de l'autre côté,
08:03 il y a des gens qui cherchent à fractionner ce pays,
08:06 il y a des gens qui cherchent à le bousiller de l'intérieur.
08:09 Quand je vois des jeunes comme toi, volontaires, engagés,
08:12 je suis rassuré, sincèrement je suis rassuré.
08:15 Même si je suis un peu pessimiste,
08:18 mais parfois j'ai des rêves, je me dis,
08:21 finalement, cette rencontre avec toi,
08:24 ça m'amène des choses hyper positives.
08:27 C'est un vrai plaisir, sache que c'est un vrai plaisir.
08:30 Merci, mon grand.
08:32 Sous-titrage Société Radio-Canada
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