La réalisatrice israélienne Michale Boganim, autrice du film "Tel Aviv - Beyrouth" sorti en 2021 est l'Invitée du 13h. Cette artiste partage avec nous son regard sur la situation à Gaza.
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00:00 Comment les sociétés israéliennes et palestiniennes vivent-elles le déchaînement de violences
00:03 de ces derniers jours ? Est-il possible de les rapprocher après l'attaque terroriste
00:08 du Hamas contre des familles des festivaliers dans le sud d'Israël ? La réponse militaire
00:12 d'Israël également qui fait de très nombreuses victimes civiles en bombardant la bande de
00:17 Gaza.
00:18 Nous donnons la parole à une cinéaste dans ce 13/14.
00:20 Bonjour Michèle Boganym.
00:22 Bonjour.
00:23 Merci d'être avec nous sur France Inter.
00:24 Vous êtes israélienne, réalisatrice.
00:27 Votre dernier film Tel Aviv/Beyrouth est sorti en début d'année.
00:30 C'est l'histoire de deux familles prises dans les guerres.
00:33 L'une est libanaise, l'autre est israélienne.
00:36 Il est question des frontières et du fossé qui se creusent de part et d'autre.
00:40 Il y a donc beaucoup de parallèles avec la situation que nous vivons en ce moment.
00:44 J'attends pour vous les questions des auditeurs de France Inter.
00:47 0145 24 7000.
00:49 Ils peuvent aussi nous écrire via l'application France Inter.
00:53 Michèle Boganym, dans quel état d'esprit est-ce que vous êtes depuis samedi ?
00:56 Est-ce que c'est de la révolte ?
00:58 Est-ce que c'est une colère ?
01:00 Est-ce que c'est une volonté de vengeance ?
01:02 On a entendu beaucoup ces témoignages aussi.
01:05 Est-ce que c'est de la sidération tout simplement ?
01:06 D'abord, il y a un sentiment de choc et de sidération.
01:09 Parce que là, on est face à un événement qui dépasse les événements précédents.
01:16 Puisque même dans mon film, à chaque fois qu'il y a eu des otages, etc.
01:20 Il s'agissait quand même de militaires.
01:22 Là, on parle de civils.
01:24 Donc, on est vraiment dans quelque chose qui est totalement inédit.
01:27 Même toutes les guerres qu'il y a eu en Israël, il y a toujours eu ces prises d'otages militaires.
01:33 Et ces guerres entre militaires.
01:35 Là, on est vraiment sur des populations civiles.
01:38 Donc, on est d'abord dans une sidération de voir ces vidéos qui circulent et qui sont quand même effrayantes.
01:46 On est dans un constat d'abord humanitaire.
01:50 Et on est vraiment au-delà du politique.
01:54 Au-delà des opinions politiques qu'on peut avoir.
01:59 On est dans un désastre humanitaire.
02:01 Et évidemment, la colère.
02:05 Je ne sais pas si j'ai de la colère.
02:06 J'ai d'abord une incompréhension.
02:08 Je me dis comment c'est possible qu'on se rende compte d'abord que le gouvernement Netanyahou ait pu laisser se faire une chose pareille.
02:19 Comment il y a eu une telle défaillance sécuritaire.
02:22 Comment est-ce que c'est possible ?
02:23 Ça fait partie du choc aussi ?
02:25 Oui, parce que c'est quand même un Premier ministre qui...
02:27 Le credo de ce Premier ministre, c'est de brandir la sécurité.
02:31 Donc, il est totalement ridicule dans le fait qu'il y a une défaillance totale de la sécurité.
02:37 Et qu'il n'ait pas pu voir depuis des mois cette préparation terroriste.
02:43 Ça, c'est quand même une incompréhension totale.
02:45 Parce que la première chose quand on vient en Israël, c'est que tous les Israéliens savent que la sécurité, le mandat de la sécurité, est quelque chose d'omniprésent.
02:56 Et tout d'un coup, de voir qu'on laisse tant de personnes pouvoir s'infiltrer dans des conditions avec des parapentes, etc.
03:08 Et avec un mur qui a été construit.
03:10 Et on se dit que c'est totalement absurde.
03:12 Il y a quelque chose dans la défaillance de cette technologie qui montre l'absurdité de la situation.
03:20 Il y avait une confiance totale de la population d'Israël.
03:23 J'en veux pour preuve que ce festival, cette rave-party, avait lieu à quelques kilomètres seulement de ce mur.
03:29 Donc, ces gens s'étaient donnés rendez-vous pour faire la fête à quelques kilomètres.
03:33 Et l'image est d'ailleurs extrêmement frappante de la bande de Gaza.
03:37 Est-ce que ça aussi, ça vous interpelle ?
03:39 Tout à fait. Je pense que l'il y a du côté israélien cette idée que quand même on est invincible.
03:46 Et du coup, que toutes les forces sécuritaires étaient là pour le protéger.
03:50 Il y avait le dôme de fer.
03:52 Et que jusqu'à présent, toute tentative du Hamas avait été déjouée.
03:59 Et notamment les services secrets.
04:03 Et là, si vous voulez, il y a quand même une stupéfaction de la défaillance sécuritaire israélienne.
04:13 Ça c'est sûr. Et de la responsabilité aussi de Netanyahou par rapport à ça.
04:17 Vous parlez de ce sentiment qu'est la colère. Est-ce que vous le connaissez ? Est-ce que vous l'exprimez ?
04:22 Alors, il y a plusieurs colères en Israël en ce moment.
04:26 Il y a une colère à la fois contre le Hamas et ce qui se passe, évidemment.
04:31 Mais il y a aussi une colère contre le gouvernement.
04:33 Il y a aussi des gens qui s'expriment.
04:35 Moi, je lis les journaux israéliens.
04:38 Et il y a aussi une colère qui s'exprime contre Netanyahou aussi et contre le gouvernement.
04:42 Et contre, si vous voulez, le fait qu'on ait laissé à des postes clés sécuritaires des gens qui sont totalement incapables.
04:52 Et qui ne sont pas du tout formés à pouvoir défendre le pays.
04:58 Et ça, c'est quand même grave.
05:00 La question des images.
05:02 Vous parlez des vidéos que vous avez visionnées.
05:04 C'est ce que vous nous dites, Michèle Bogany.
05:07 Vous êtes cinéaste.
05:08 Est-ce que vous posez la question des images ?
05:11 Les terroristes du Hamas sont filmés.
05:13 Leurs attaques.
05:14 Ils diffusent des vidéos des otages.
05:17 Ça pose quand même beaucoup de questions.
05:19 Alors, pour avoir fait un film quand même sur la guerre des informations et la guerre des désinformations.
05:24 Et je vais dire l'espèce de...
05:32 Ça va être une guerre des images, en fait, maintenant.
05:34 Ça veut dire qu'il y a quand même 170 otages qui sont à Gaza.
05:39 Et je pense qu'en effet, il va y avoir, si vous voulez, une espèce de guerre des images.
05:45 Où le Hamas va utiliser ses otages, je pense, de manière assez cynique.
05:50 Comme un instrument pour jouer sur l'opinion israélienne.
05:57 Et d'un autre côté, les images en Israël, il y a aussi ça.
06:00 C'est qu'on montre tout.
06:02 Il n'y a pas de pudeur dans les images en Israël.
06:05 C'est-à-dire ?
06:06 C'est-à-dire qu'aux infos, on voit toujours toutes les images des familles, etc.
06:10 Il y a comme une surenchère, presque, de l'image.
06:15 Il y a peu de filtres.
06:16 Il y a peu de filtres.
06:17 Alors, ça choque beaucoup les gens.
06:18 Ça les rend émotifs.
06:20 Et je pense que c'est vraiment une guerre des images, des uns contre les autres.
06:24 Il y a une surenchère médiatique, en fait, permanente dans tout le Moyen-Orient.
06:31 Sur les informations et le nombre de morts.
06:33 Et qui va avoir le plus de morts ?
06:35 Ça va être Saoud maintenant, puisque là, on est quand même à 900 morts israéliens.
06:39 Mais côté, évidemment, palestinien, ça va être la même chose.
06:44 Justement, un désastre humanitaire aussi, il faut le dire.
06:47 Le Premier ministre Benyamin Netanyahou, hier, a posté une vidéo, un message, sur lequel
06:53 on voit un immeuble de Gaza qui s'effondre en disant "voilà notre réponse".
06:58 On a plusieurs messages, Michel Bogany, d'auditeurs, qui nous disent "il faut qu'on comprenne
07:04 que le peuple palestinien est mis à bout, ils sont enfermés dans leur pays.
07:08 Est-ce qu'il serait possible que vous parliez de la situation des Gazaouis qui sont enfermés
07:11 dans des conditions abominables ? Comment accueillir la souffrance des Palestiniens
07:17 quand on est israélien et qu'on a été soi-même attaqué comme Israël l'a été
07:21 samedi matin ?
07:22 C'est sûr qu'il faut aussi chercher les causes de ces attaques.
07:29 Moi, ce qui me désespère, c'est de voir que la situation s'aggrave et qu'il n'y
07:39 a pas d'horizon, en fait.
07:40 Et qu'il n'y a pas d'espoir au Moyen-Orient.
07:43 Et c'est un peu le sujet de mon film qui se termine très très mal et qui montre un
07:48 avenir quand même plombé où chacun se ghettoïse littéralement.
07:52 On a d'un côté les Palestiniens qui se sont mis derrière le ramas, les Israéliens
07:59 avec le gouvernement Netanyahou qui est extrêmement problématique.
08:03 Le plus à l'extrême droite de l'histoire.
08:07 Et avec cette division qu'il y a eu pendant des mois entre deux Israëls qui se confrontent
08:13 aussi.
08:14 Ça arrive en plein milieu d'une scission israélienne et d'un déchirement d'Israël
08:22 politique.
08:23 D'ailleurs, on voit très bien géographiquement comment il y a des pôles extrémistes.
08:29 On a Tel Aviv qui est complètement débridé, on a Jérusalem qui est ultra religieux, on
08:33 a Gaza qui est quand même religieux islamique, on a Ramallah qui est palestinien mais laïque.
08:39 Et on voit ces pôles comme ça.
08:41 Donc il y a des frontières à l'intérieur même des espaces, c'est ce que vous nous
08:43 dites.
08:44 À l'intérieur même d'Israël et à l'intérieur même des Palestiniens.
08:46 Alors ce qui est important de savoir c'est que de la même manière que Netanyahou ne
08:50 représente pas tous les Israéliens et qu'il y a des scissions au sein des Israéliens
08:55 et qu'il y a beaucoup de gens qui s'insurgent contre la politique israélienne.
08:59 Moi-même j'en fais partie.
09:00 Mais de la même manière le Hamas ne représente pas tous les Palestiniens.
09:06 Et il ne faut pas oublier que le Hamas a aussi tué des civils palestiniens.
09:11 Donc c'est compliqué tout ça.
09:14 Est-ce qu'il y a aujourd'hui encore un dialogue entre les artistes, vous êtes cinéaste,
09:20 palestinien et israélien ? Est-ce que les canaux existent toujours ? Pour tout vous
09:23 dire on a essayé de vous faire dialoguer dans ce 13-14 avec un artiste ou une artiste
09:28 palestinienne et nous n'y sommes pas parvenus Michel Boganin.
09:30 J'ai réussi avec mon film, ça a été très compliqué de réunir des Palestiniens,
09:40 des Libanais et des Israéliens.
09:48 Ça a été très compliqué, on a été obligé de tourner à Chypre parce qu'on ne pouvait
09:52 pas tourner en Israël.
09:53 Des acteurs, des actrices, des techniciens ?
09:58 Plutôt des acteurs et des actrices palestiniens et israéliens et libanais.
10:05 Et vous n'aviez pas les autorisations ?
10:07 Non, c'est pas qu'on n'avait pas les autorisations, c'est qu'il y a une peur
10:10 de la part des Libanais, de la part du monde arabe, de s'allier aussi avec des Israéliens.
10:16 Juridiquement on n'a pas le droit de tourner avec un acteur israélien.
10:22 Plutôt côté Libanais.
10:23 Et moi je peux dire aussi que côté israélien, le problème que j'ai abordé était extrêmement
10:30 compliqué, extrêmement critiqué.
10:31 D'ailleurs le film n'a quand même pas eu de diffusion du tout en Israël pour l'instant.
10:36 Il y a vraiment aussi un problème sur ces questions-là et visiblement ce que j'aborde
10:43 est extrêmement sensible et voire rejeté en Israël.
10:48 Donc il y a aussi du côté israélien une espèce de négation par rapport à ce qui
10:52 se passe.
10:53 Je veux dire, on est aujourd'hui en Israël, dans le Moyen-Orient, où chacun ne voit que
11:00 midi à sa porte.
11:01 C'est-à-dire qu'il n'y a plus de discernement de ce qu'est l'autre et de dialogue parce
11:08 que tout simplement il y a eu des murs qui se sont construits, des frontières qui se
11:12 sont...
11:13 Je suis quand même celui qui arrive avec une arme dans ma ville et le Palestinien
11:18 est celui qui va venir poser une bombe.
11:19 Voilà, l'Arabe c'est terroriste pour les Israéliens et moi j'entends ça quand je
11:24 prends un taxi.
11:25 Oui les Arabes c'est terroriste, mais il y a quand même un large spectre chez les
11:30 Palestiniens, y compris des gens qui sont prêts à négocier.
11:32 Donc évidemment le problème c'est que tout le monde met les gens dans un même panier
11:38 et ne distingue pas que tout ça est hétérogène en fait, au sein de la population israélienne
11:43 et palestinienne.
11:44 A l'occasion du tournage, Michel Bogany, vous avez tourné à Chypre, c'est ce que
11:48 vous vous souvenez.
11:49 Oui, alors ce que je voulais dire c'est qu'à l'occasion du tournage...
11:50 Il y a eu dialogue ? Il y a eu discussion ?
11:51 Justement, on s'est retrouvé, alors c'était extrêmement intéressant parce qu'on s'est
11:56 retrouvé tous coincés avec le Covid, parce que c'était en plein Covid en plus, dans
12:01 un immeuble où Palestiniens, Israéliens, Libanais, on s'est retrouvé dans le même
12:08 immeuble et tout d'un coup les gens sont allés au-delà du côté politique et évidemment
12:16 des liens se sont créés très très forts je dirais.
12:18 Mais vraiment, moi ma comédienne qui avait peur au départ et qui venait avec plein de
12:27 clichés de haine, de colère et je peux comprendre parce qu'elle a quand même été attaquée
12:33 en 82, puis en 2006, elle raconte aussi ça, et bombardée par les Israéliens.
12:39 Donc ce sont aussi des colères qui sont nourries par des choses réelles.
12:42 Mais elle a découvert aussi la complexité et le fait qu'il y a aussi des gens qui
12:48 sont prêts à dialoguer, des gens qui sont à gauche et tout d'un coup c'est lié
12:53 quelque chose de très très fort dans le tournage entre ces populations qui au départ
12:59 se détestent et qui ont appris à se connaître et qui donnent un espoir du fait qu'au-delà
13:03 du politique, il y a des liens mains qui sont possibles parce que finalement il n'y a
13:08 rien de plus proche qu'un Palestinien, un Israélien, un Libanais.
13:11 Peut-être rendra-t-on compte un jour Michel Bogany.
13:15 Un dernier mot puisque vous vivez à Paris, la réaction des Français à ce qui s'est
13:20 passé en Israël samedi matin, comment est-ce que vous vivez le climat actuel ici chez nous ?
13:26 J'ai du mal à percevoir la façon dont les Français perçoivent le...
13:32 Ce que j'ai constaté c'est que je crois qu'il y a un ras-le-bol du Moyen-Orient.
13:38 Ils se disent encore, j'imagine, c'est encore un autre cycle infernal parce que...
13:45 Pourtant la France a connu ces attentats.
13:48 Oui, mais je ne sais pas si on mesure la dimension inédite de cet attentat spécifique.
13:54 Parce que si vous voulez, le cercle de violence existe depuis 2007 en fait, depuis qu'ils
14:04 seraient asserrés au tiré de Gaza et on a fait en effet ce que Gaza est devenu aussi.
14:08 Je veux dire avec un blocus etc. ce qui est aussi un problème humanitaire de côté Gaza.
14:14 Oui, mais ce que je veux dire c'est que je ne crois pas que les gens ont pris la dimension...
14:20 Je me pose la question de ce qui s'est passé en Israël.
14:22 Merci à vous, Michal Boganim, d'avoir accepté l'invitation de ce 13-14.
14:26 Je renvoie vers votre film Tel Aviv-Beirut qui est sorti en début d'année.
14:31 Merci à vous.
14:32 Il passe sur Ciné+ à partir de demain.
14:37 C'est disponible pour visionnage.
14:39 Merci à vous.
14:40 13h45 sur Inter.