Un "sentiment de gâchis" ressenti depuis samedi par Leila Shahid, ex-déléguée générale de Palestine

  • l’année dernière
Elie Barnavi, l'ancien ambassadeur d'Israël à Paris (2000-2002) et Leïla Shahid, ex-déléguée générale de Palestine en France, réagissent après l'attaque du Hamas contre Israël.

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Transcription
00:00 Ce grand entretien se poursuit maintenant avec Elie Barnavi, historien, ancien ambassadeur
00:05 d'Israël en France et avec Leila Shaïd, ancienne déléguée générale de la Palestine
00:09 en France, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union Européenne, de la Belgique
00:14 et du Luxembourg.
00:15 Les auditeurs d'Inter vous connaissent bien, Leila Shaïd.
00:18 Pour les plus jeunes d'entre eux, je rappelle que vous avez activement travaillé aux côtés
00:22 de Yasser Arafat.
00:24 Elie Barnavi, bonjour !
00:26 - Bonjour !
00:27 - J'espère que vous nous entendez bien, 48 heures après ces attaques d'une violence
00:33 jamais vue contre votre pays.
00:36 Dites-nous, dans quel état êtes-vous ce matin ? Tout simplement, quels sentiments
00:41 vous traversent ?
00:42 - Moi, personnellement, ça n'a pas de grande importance.
00:47 Je vous dirais que je suis partagé entre sentiments d'horreur, de colère, de peur
00:55 aussi.
00:56 Je me demande comment tout cela va se terminer.
01:00 Il est quand même incroyable qu'après tout ce temps, il y ait encore des terroristes
01:07 qui se promènent dans le kiboutzi de la frontière.
01:11 Le travail de nettoyage n'a même pas encore été achevé.
01:16 C'est l'ancienne opération qui était nécessaire, celle dont on ne voit pas sur
01:21 quoi elle pourra déboucher.
01:23 Donc, si vous voulez, c'est à la fois tentative de comprendre et une grande angoisse.
01:30 - Mais vous arrivez à comprendre ? Vous arrivez à expliquer ce qui s'est passé ?
01:34 - Écoutez, je suis historien de métier, je fais de la diplomatie, je suis citoyen,
01:42 donc je suis obligé d'essayer de comprendre.
01:45 Oui, je comprends parce qu'on comprend tout, même ce qui devrait être incompréhensible.
01:50 Je comprends la...
01:52 Vous savez, il y a deux écrans qui s'affrontent au sein de ce qu'on appelait sur quoi le
01:59 camp de la paix en Israël.
02:01 Ceux qui pensent qu'on peut faire un bout de chemin avec le Hamas, que le Hamas est
02:05 un mouvement après tout pragmatique, on peut discuter avec le Hamas.
02:10 Il y a ceux qui pensent que le Hamas est irrécupérable.
02:14 Il est ce qu'il est.
02:16 Et je fais, je toujours fais partie de la deuxième école.
02:20 Vous savez, c'est sans doute dû aussi à mon métier d'universitaire.
02:25 Vous savez, moi je suis un spécialiste de la religion et de la religion radicale.
02:30 Je connais ces gens-là, j'ai les mêmes chez moi.
02:33 Ils ont la tente faite comme ça, voilà, avec le Hamas, à mon avis.
02:39 Dans ce moment-là, je sais aussi que si on ne peut pas traiter avec le Hamas, sauf pour
02:46 des entendements ponctuels, si vous voulez, à ce moment-là, il faut faire affaire avec
02:55 l'autorité palestinienne.
02:56 Mais elle est où l'autorité palestinienne ? Vous avez le sentiment qu'elle a la légitimité
03:01 aujourd'hui ? Qu'elle n'est pas marginalisée totalement ?
03:04 Elle n'a pas la légitimité, mais c'est pour une bonne partie, c'est de notre fait,
03:09 nous l'avons rendue à la pension congrue, nous l'avons forcée à devenir notre supplétif
03:16 de sécurité.
03:17 Nous lui avons enlevé toute responsabilité étatique.
03:23 Nous avons fait, ils ont contribué bien aujourd'hui, nous avons fait, nous avons largement contribué
03:29 à faire de l'autorité palestinienne la caricature de gouvernement qu'elle est aujourd'hui.
03:37 C'est qui nous ? C'est qui nous, Elie Barnavi ?
03:40 Les gouvernements d'Israël.
03:42 Nous n'avons pas su, nous n'avons pas voulu faire de l'autorité palestinienne
03:50 un véritable interlocuteur.
03:51 Pour cela, il aurait fallu vouloir aboutir à un traité d'acte.
03:55 Tout ça, c'est une contradiction, si vous voulez, entre des sociétés palestiniennes
04:05 dissoutes, mal en point, travaillées par des passions contraires, divisées entre deux
04:12 tronçons de traiteurs, entre deux gouvernements.
04:16 Et des gouvernements israéliens qui ont trouvé intérêt à cette situation parce que ça
04:21 nous permettait de nous accrocher au territoire occupé, de coloniser la terre et de repousser
04:32 toute solution raisonnable à la question palestinienne.
04:35 Oui, c'est ce que vous déclariez au Monde.
04:37 C'est la résultante de ce qui s'est passé.
04:38 C'est la résultante d'une conjonction de deux facteurs.
04:40 Une organisation islamiste fanatique dont l'objectif déclaré est la destruction d'Israël
04:44 et une politique israélienne imbécile à laquelle se sont accrochés les gouvernements
04:48 successifs et que le dernier a porté à l'incandescence.
04:50 Je voudrais la réaction maintenant.
04:52 Bonjour Leïla Chahid.
04:53 Ce n'est pas trop mal dit, non ?
04:55 C'est bien dit.
04:56 Leïla Chahid, vous êtes en direct avec nous également.
05:01 Quelle a été votre première réaction samedi matin en découvrant l'ampleur de l'attaque
05:05 du Hamas contre Israël ?
05:06 Le sentiment d'une profonde tristesse puisque j'ai été comme Elie Barnavi en poste à
05:15 Paris lorsqu'il y a eu les accords d'Oslo et que j'y ai cru, comme d'ailleurs Elie,
05:22 et qu'il y avait réellement dans les deux sociétés une petite lueur qui n'a malheureusement
05:29 pas été maintenue puisque très vite les élections israéliennes ont amené, à commencer
05:34 par Ehud Barak, membre du parti travailliste, qui a voté contre Oslo, des premiers ministres
05:39 qui n'étaient pas réellement pour les accords d'Oslo.
05:42 Il y a eu après Sharon, il y a eu M. Netanyahou.
05:46 C'est un gâchis terrible parce que Oslo c'est il y a 30 ans et l'occupation militaire
05:52 c'est il y a 56 ans.
05:54 La guerre elle n'est pas déclarée aujourd'hui, M.
05:56 Hollande.
05:57 La guerre elle dure depuis 56 ans pour les Palestiniens et pas seulement à Gaza, à
06:02 Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem Est et dans les camps de réfugiés de l'extérieur
06:07 où quelquefois les Palestiniens affrontent des autorités arabes, pas seulement israéliennes.
06:11 Mais là, Chahid, cette attaque du Hamas…
06:13 Pourquoi un gâchis ? Vous me demandez ce que j'ai senti.
06:17 J'ai senti un gâchis et dans ce gâchis il y a aussi la responsabilité des tiers
06:23 parce que lorsqu'on a été négocié à Oslo, on savait qu'on était les plus faibles.
06:26 On n'avait pas de pétrole, pas d'armée, pas de diplomatie.
06:29 Arafat était dans un hôtel à Tunis mais on espérait qu'on serait époulé par ceux
06:35 qui ont vraiment à cœur ce que Elie Barnavi décrit, ça veut dire une existence normale
06:39 de deux États côte à côte.
06:41 Eh bien cette communauté internationale, à commencer par l'Union européenne, n'a
06:44 pas assumé ses responsabilités pour nous amener jusqu'à là.
06:48 Moi je suis beaucoup plus pessimiste qu'Elie.
06:51 Je crois que ce qui va se passer, c'est l'annexion de ce qui reste comme territoire
06:55 palestinien qui ne sont pas encore annexés.
06:57 C'est pour ça qu'ils envoient l'armée à Hawara et à Anaplus, pas seulement parce
07:01 qu'ils veulent protéger les colons, parce qu'ils sont en train d'annexer ce qui reste
07:07 des territoires C et B.
07:09 Ils sont en train de les annexer.
07:11 Il n'y a plus de territoire pour faire un État palestinien.
07:14 - Leïla Chahid, pardon de revenir sur cette attaque du Hamas, sur sa violence, le fait
07:20 qu'elle vise des civils, des femmes, des enfants pris en otage, filmés, diffusés
07:23 sur les réseaux sociaux.
07:24 Vous la condamnez cette attaque ?
07:25 - Et des militaires.
07:26 - Oui, mais ces images de civils, j'imagine qu'elles vous ont touché.
07:30 Est-ce que vous la condamnez ?
07:31 - Oui, terrible.
07:32 - Est-ce que vous les condamnez ?
07:34 - Écoutez, je ne suis pas là ni pour condamner, ni pour féliciter.
07:38 Je suis là, comme Elie Barnavie pour essayer de comprendre.
07:42 Et c'est honteux de dire que ce n'est pas nécessaire de comprendre, parce qu'on se
07:46 fait des animaux.
07:47 Si on ne comprend pas, pas seulement en Palestine, en Israël, mais dans le monde entier, ce
07:51 qui se passe, à commencer par la politique française, on ne sait rien.
07:55 - Et là, sur la réaction de la communauté internationale, des médias, qu'elle est ?
08:00 - Je comprends qu'aujourd'hui, il y a...
08:03 Vous pensez que je me régale en regardant les images de comment on a tué 270 jeunes
08:09 qui étaient partis pour danser et faire de la musique techno.
08:12 Mais je comprends que les Palestiniens qui crèvent depuis 56 ans derrière un mur dans
08:18 un ghetto qui s'appelle Gaza, où il y a la plus grande densité au monde sur 358 km2,
08:24 et pas d'eau potable, et pas moyen de sortir ni de rentrer, même de se soigner.
08:28 Je comprends qu'ils sont fous de rage contre des Israéliens à côté qui dansent et qui
08:33 chantent.
08:34 C'est cette schizophrénie israélienne qui ne peut plus durer.
08:39 On ne peut pas avoir une puissance occupante dans tous les territoires palestiniens et
08:45 un État d'Israël qui vit comme s'il était aux États-Unis ou en France.
08:49 Et ça produit la rage, la colère, l'horreur qu'on a vue.
08:53 Et d'ailleurs, cette horreur, elle devait être prévisible pour les observateurs.
08:57 Seulement bien sûr, ils se sont lavé les mains.
08:59 On a vu que la Palestine n'était pas importante et que c'est plus important l'Arabie
09:05 Séoudite, les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn et le Maroc pour faire Abraham.
09:09 Elie Barnaby, qu'est-ce que vous avez envie de répondre à Laïla Chalaïd ?
09:12 Je crois que c'est inacceptable.
09:15 Ça n'a rien à voir avec la justice, ce qui s'est passé là.
09:19 Ça a rien à voir avec l'idéologie.
09:21 Le massacre à bout portant de femmes et d'enfants, Laïla devrait pouvoir condamner cela ni si
09:32 ni mais, comme je le fais volontiers.
09:34 Lorsqu'on condamnera de la même manière l'assassinat des femmes et des enfants palestiniens,
09:39 je condamnerai moi aussi les assassinats palestiniens.
09:42 Mais on n'a pas deux poids deux mesures.
09:44 On a un poids une mesure pour tout le monde.
09:47 Je ne vois pas moi d'assassinat délibérer les femmes et enfants de la pauvreté israélienne.
09:51 Qu'est-ce que c'est les bombardements des immeubles ?
09:54 Il y a 413 morts en 24 heures qui sont des civils, Elie, aujourd'hui dans la bande de Gaza.
10:00 Elie Barnaby, finissez.
10:02 Je suis désolé, moralement ça ne relève pas de la même attitude.
10:07 Il y en a qui viennent tuer des enfants, des femmes et des hommes de manière indiscriminée
10:13 parce que ce sont des juifs et il y a des opérations militaires où il y a des victimes collatérales.
10:19 Mais ce n'est pas...
10:20 Alors les opérations militaires, ce n'est pas du terrorisme d'État ?
10:23 Ce n'est pas du terrorisme d'État les bombardements des civils ?
10:27 Pas depuis seulement hier, mais depuis les cinq opérations militaires contre la bande de Gaza.
10:32 Je ne veux pas entrer dans cette polémique parce que ça, on en a pour une heure.
10:38 On n'a pas d'autre idée.
10:40 Et on ne va pas la mener ce matin, effectivement.
10:43 Ce que je veux dire simplement, c'est qu'effectivement Oslo a été un ratage pour deux raisons.
10:54 D'abord parce qu'on n'a pas fixé de but à Oslo.
10:59 On oublie qu'il n'y a jamais eu dans les accords d'Oslo une clause disant qu'il doit aboutir à un État palestinien.
11:06 Et que, comme je dis toujours, on a pris un train sans savoir où il doit aller.
11:12 Et le deuxième, et là je rejoins Léa, le deuxième facteur qui est déterminant,
11:19 on nous a laissé livrer à nous-mêmes.
11:23 C'est-à-dire qu'il n'y a pas eu ce que les Américains aiment du "monitoring".
11:27 On n'a pas dit voilà le cadre dans lequel vous devez vous voir, voilà c'est à quoi il faut aboutir,
11:34 et voilà c'est que vous ne le devez pas faire.
11:36 Et donc ça a permis aux extrémités de deux côtés à dicter l'agenda.
11:42 Les uns, les Palestiniens par la violence, les Américains par la colonisation.
11:48 - Bien compris Elie Barnavi, merci d'avoir été avec nous en direct ce matin au téléphone de Tel Aviv.
11:54 Merci également à Leila Chahid qui était en duplex depuis les studios de France Bleu.
12:03 Il est 8h52 et la Revue de presse est à suivre.

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