"Depuis 48 heures, il y a eu comme une rupture dans l'espace-temps", confie la rabbin Delphine Horvilleur

  • l’année dernière
La philosophe et rabbin Delphine Horvilleur est abasourdie après l'attaque du Hamas sur Israël. Elle appelle les "ennemis du terrorisme" à participer à une marche à Paris lundi soir.

Plus d'infos : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-09-octobre-2023-2197773
Transcript
00:00 France Inter, le 7/10.
00:07 Et Léa, ce matin vous recevez une rabbin.
00:09 Bonjour Delphine Orvilleur.
00:10 Bonjour.
00:11 Bonjour et merci d'être avec nous ce matin dans ce 9/20 au cœur de l'émission spéciale consacrée aux suites de l'attaque d'Israël par le Hamas.
00:17 Vous qui êtes rabbin, vous qui avez vécu en Israël, à Jérusalem pendant vos études,
00:21 j'aurais d'abord envie évidemment de vous demander ce qui vous a traversé samedi matin quand les nouvelles ont commencé à tomber,
00:26 quand les alertes ont commencé à sonner, quand les images ont commencé à être diffusées sur les télés et les réseaux sociaux.
00:32 Quels sentiments vous ont traversé ? Le choc, la sidération, le dégoût, la colère, la rage ? Quoi ?
00:40 J'ai du mal à trouver les mots, j'ai même du mal à répondre à votre question parce que j'ai l'impression que depuis 48 heures,
00:46 il y a comme eu pour moi une sorte de rupture dans l'espace-temps.
00:50 Peut-être effectivement, samedi en était un jour de fête juive, ça a été dit ici sur l'antenne,
00:54 mais c'est important aussi de penser à ce paradoxe.
00:58 On était un jour qui était censé être un jour extrêmement joyeux, Simchat Torah.
01:02 La fête Simchat Torah, c'est une fête de l'étude, une fête de la joie, du savoir, de la connaissance,
01:08 où les gens mangent des sucreries, font la fête, prient, c'est vraiment un moment d'extrême joie.
01:14 Et là est venu se propulser l'horreur et j'ai perdu un peu le rapport au temps.
01:21 Je vous avoue que depuis, je vis avec ces images, avec un sentiment d'avoir du mal à trouver des mots,
01:27 même sur ces images qui nous parviennent.
01:30 Je ne sais pas si les gens les voient, j'imagine, perçoivent l'horreur de découvrir des familles assassinées,
01:38 de découvrir que des enfants sont égorgés, que des femmes avec des bébés sont kidnappées.
01:44 Enfin, tous ces mots, il faut les dire, il faut les prononcer.
01:49 Vous avez l'impression qu'ils sont insuffisamment dits ?
01:51 Ils sont un peu, je trouve, écrasés par les rhétoriques habituelles du conflit israélo-palestinien,
01:59 les communautés, les unes contre les autres, les religions, les unes contre les autres, les partisaneries.
02:04 Mais là, on est bien au-delà.
02:06 En fait, ce qui est attaqué aujourd'hui, c'est notre humanité profonde.
02:09 Aujourd'hui, vous m'invitez comme rabbin, je suppose, juive, quelqu'un qui a vécu en Israël.
02:14 Mais en réalité, j'ai envie de dire, on pourrait inviter n'importe qui à parler de ça.
02:18 N'importe qui qui se réclame de l'humanité ne peut qu'être atterré par cela.
02:23 Vous dites que c'est une question de dignité humaine ?
02:25 Une question de doué, d'humanité, une question d'être capable de faire la part des choses.
02:30 Il y a un conflit territorial, il y a des injustices.
02:33 Et Dieu sait, je ne suis pas la dernière à avoir critiqué ces dernières années
02:38 les politiques du gouvernement israélien, avoir mis en garde contre le manque de perspectives pour les Palestiniens.
02:44 Encore il y a quelques jours avant, vous étiez en train de dénoncer la politique de Benjamin Netanyahou.
02:49 Mais là, on est en train de parler de complètement autre chose.
02:52 Aujourd'hui, il en va de notre dignité humaine.
02:54 Et c'est vrai que j'ai des moments, je vous l'avoue, où je m'effondre depuis 48 heures.
02:57 Il n'y a pas plus tard qu'il y a quelques minutes, quand je constate que l'Achaïde ne peut pas dénoncer le Hamas.
03:03 Je me dis, mais qu'est-ce qui se passe pour que la cause palestinienne, en réalité,
03:08 se soit laissée kidnapper par cette monstruosité ?
03:12 On est nombreux à avoir appelé à la reconnaître, à la soutenir,
03:17 en pensant aux droits des Israéliens, à leur sécurité, aux droits des Palestiniens, à leur détermination.
03:22 Mais aujourd'hui, ne pas condamner ce terrorisme.
03:25 Quand je vois, et vous en avez longuement parlé à l'antenne aujourd'hui,
03:28 qu'il y a des gens qui prennent des pincettes et qui finalement, à mi-mot, suggèrent qu'il s'agit là d'une bravoure, d'un combat-tendu.
03:35 On va y revenir, mais je continue à vous interroger sur les mots,
03:39 puisque vous êtes rabbin et vous vous invitez aussi parce que vous êtes rabbin.
03:42 Hier, vous étiez à la synagogue, vous étiez en face de vos fidèles, beaucoup de jeunes,
03:46 qui étaient, j'imagine, traumatisés.
03:48 Quels mots vous avez trouvés face à eux ? Quelles prières vous leur avez données ?
03:51 Oui, j'ai décidé d'organiser un office ou un moment de recueillement avec tous les enfants de la synagogue et leurs parents.
03:57 D'abord, il faut comprendre à quel point les répercussions sont immédiates aussi pour nous en France.
04:03 Les synagogues aujourd'hui sont sous protection à nouveau.
04:06 Les policiers, renforcement de la sécurité, les parents m'appellent toute la journée pour savoir s'il est suffisamment sûr d'emmener leurs enfants dans les synagogues.
04:15 Il faut comprendre dans quel état d'esprit tout le monde se trouve.
04:17 Et vous, vous avez peur ?
04:18 Oui, la peur est là. La peur que, notamment, ces discours qui minimisent la barbarie de ces actes,
04:24 convainquent certains qu'il s'agit d'une certaine bravoure ou d'un courage,
04:29 que d'exporter ce conflit, que de mener une guerre ici pour je ne sais qui et je ne sais quoi.
04:35 Et encore une fois, je pense que les Palestiniens méritent bien mieux que cela.
04:38 Hier, j'ai parlé aux familles, j'ai parlé aux enfants.
04:41 J'ai eu du mal à tenir, pour ne rien vous cacher.
04:44 Il y a un moment dans la prière hier matin, où on lit comme chaque matin dans la prière juive
04:48 "Béni sois-tu Dieu qui libère les prisonniers".
04:51 Et soudain, cette phrase m'est apparue comme une douleur insurmontable.
04:55 Je me suis dit que cette phrase avait été prononcée en bien des moments dans l'histoire.
04:59 Et qu'elle prenait effectivement une résonance aujourd'hui qui était insupportable.
05:04 Pas insupportable pour nous les Juifs ou pour ces amis d'Israël qui manifestent.
05:09 Insupportable pour l'humanité.
05:12 Vous avez pleuré, vous avez été incapable de terminer votre...
05:15 On dit homélie chez les chrétiens, je ne sais pas quel est le mot chez les Juifs.
05:19 Oui, je suis désolée, je n'ai pas envie d'exploser dans un sanglot.
05:23 C'est vrai que je ne suis pas la seule, je connais beaucoup de gens autour de moi.
05:26 Et encore une fois, ce n'est pas une problématique juive.
05:29 Je connais beaucoup de gens qui sont totalement atterrés par la situation,
05:32 qui sont ravagés, qui ne dorment pas la nuit.
05:35 Moi, je n'ai pas beaucoup dormi ces dernières nuits.
05:38 Mais je pense, et ça a été dit encore il y a un instant, au ravage de ce qui va venir,
05:42 de ce tunnel noir dans lequel on entre.
05:44 Oui, de tous ces morts, de ces morts israéliens, de ces morts palestiniens.
05:48 Il va falloir enterrer maintenant.
05:50 Ça va être le temps de l'enterrement dans les heures qui viennent en Israël.
05:53 Oui, et puis la montée.
05:55 Moi, je pense constamment à ces familles qui n'ont pas de nouvelles dès l'heure.
05:58 À ces mamans qu'on a embarquées avec ces bébés dans les bras.
06:02 Et qui aujourd'hui, alors des images nous parviennent.
06:04 Je ne sais pas quelles sont ces images vraies, fausses, montées.
06:07 Hier sont apparues sur mon écran des images d'enfants dans des cages à Gaza.
06:11 Des enfants qu'on bouscule, des corps de femmes sur lesquels on crache,
06:15 des vieilles dames qu'on exhibe.
06:17 Je veux dire, je ne sais même pas, vous voyez, je ne sais même pas moralement,
06:21 éthiquement, si je dois regarder ces images.
06:24 Je ne sais pas.
06:25 On entend dire que c'est le 11 septembre pour Israël.
06:27 Vous avez le sentiment que c'est cela ?
06:29 C'est de cela qu'il s'agit ?
06:30 La comparaison vous paraît pertinente ?
06:33 Je ne sais pas.
06:34 Elle est pertinente dans le sens où elle est parlante pour beaucoup d'entre nous.
06:37 Et qu'on se souvient du traumatisme que ça a été.
06:39 Chacun se souvient où il était le 11 septembre.
06:41 Mais l'image n'est pas juste dans le sens où, effectivement, l'attaque ne venait pas de loin.
06:46 Elle venait de la porte d'Israël.
06:48 Elle venait de la frontière immédiate.
06:51 On ne sait pas encore sur quoi ça va déboucher.
06:54 Donc, je ne sais pas à quelle image il faut comparer ça.
06:58 Aujourd'hui, je me demande juste comment on fait pour ne pas tous être pris en otage de ce qui se passe.
07:04 Parce qu'il y a les otages israéliens aujourd'hui à Gaza.
07:06 Mais en réalité, il me semble qu'une partie du monde arabe, aujourd'hui, est otage de ce qui se passe.
07:11 La gauche, évidemment, est otage de ce qui se passe.
07:13 Tellement de gens se retrouvent embarqués et doivent réagir pour refuser ce kidnapping.
07:18 Vous avez tweeté hier « J'enrage contre ceux qui leur trouvent ou amassent la moindre excuse ou pire applaudissent à mi-mot leur bravoure ou leur résistance.
07:26 Aucune lutte ne justifie ce terrorisme jamais ».
07:29 Qui visez-vous ?
07:31 Je vise beaucoup de monde.
07:32 Mais enfin, vous en avez très bien parlé ici.
07:34 Vous visez les insoumis ?
07:35 Oui, je vise les insoumis.
07:37 Et évidemment, tous ces tweets ignobles qui ont été publiés, où on voit bien qu'il est question de compter les points, de compter les morts, de compter les victimes.
07:47 De ne surtout pas prononcer le mot de terrorisme.
07:51 Il y a beaucoup de gens qui, aujourd'hui encore, hésitent à prononcer ce mot.
07:53 Mais comment, même un instant, on ne peut pas appeler ces actes du terrorisme ?
07:58 Comment on peut faire comme si tout était semblable ?
08:01 J'entends ce matin les Lachahides mettre face à face des exactions israéliennes dans les territoires avec ce qui s'est passé là.
08:09 C'est aberrant.
08:10 On peut évidemment condamner, se poser la question de quelle manière il y a des victimes collatérales que peut-être on pourrait éviter de la part de la force israélienne.
08:18 Tout ça, on peut en discuter, on doit en parler.
08:21 Mais s'imaginer un instant, encore une fois, qu'égorgeait un enfant qu'on vient chercher volontairement dans son lit, dans un village, maison par maison, pour trucider des gens, ce serait la même chose.
08:32 C'est une faillite morale, une faillite morale pour chacun d'entre nous que de croire à ce narratif.
08:37 Une faillite pour nos démocraties qui se doivent, oui, d'entrer dans un combat au nom de l'humanité.
08:42 Elisabeth Borgnière a estimé que l'antisionisme, je la cite, de la France Insoumise est parfois une façon de masquer une forme d'antisémitisme.
08:49 Est-ce que vous y voyez aussi de l'antisémitisme ?
08:51 C'est un débat qui est permanent.
08:54 Ou c'est de la politique ? Jean-Luc Mélenchon lui a répondu, Madame Borne profite de la guerre au Moyen-Orient pour mener sa guerre contre la France Insoumise.
09:01 Est-ce que c'est de la politique ou est-ce que vous y voyez vraiment de l'antisémitisme ?
09:04 Vous allez peut-être trouver que je suis naïve ou que je joue sur les mots.
09:07 Je n'ai aucune idée jusqu'à aujourd'hui de ce que ça veut dire l'antisionisme.
09:11 Je passe mon temps à demander à des gens qui se disent antisionistes de m'expliquer ce qu'ils entendent par ce mot-là.
09:17 Est-ce que l'antisionisme, ça consiste à dire qu'on est contre la politique israélienne ?
09:21 Ce qui ferait de moi, par moment, une antisioniste.
09:23 Ou est-ce qu'être antisioniste, c'est dire que l'État d'Israël n'a pas le droit à l'existence et que comme le dit le Hamas dans sa charte,
09:29 il doit être éradiqué et que les Israéliens doivent un à un être jetés à la mer ou assassinés ?
09:36 Est-ce que c'est ça l'antisionisme ?
09:37 Tant qu'on utilise ce mot plutôt que de décrire vraiment ce qu'on entend,
09:42 alors oui, on est condamné à flirter en permanence avec un antisémitisme indéniable.
09:47 Yonathan Arfi, le président du CRIF, le conseil représentatif des institutions juives de France,
09:52 a déclaré hier "L'histoire nous a prouvé qu'à chaque fois qu'il y avait des violences au Proche-Orient,
09:56 qu'Israël était la cible du Hamas, il y avait des répliques en France".
09:58 Craignez-vous, comme souvent dans le passé, qu'il y ait l'importation du problème israélo-palestinien,
10:04 du conflit israélo-palestinien en France ?
10:07 Oui, évidemment, parce que certains n'attendent que cela.
10:09 On le sait, il y a des gens qui considèrent que leur petit moment de bravoure aujourd'hui
10:13 va être de prendre le relais de ceux qu'ils jugent être effectivement des résistants.
10:17 Et c'est là où j'appelle à un réveil collectif.
10:20 Il y a aujourd'hui cette manifestation à l'initiative du CRIF.
10:23 Il y a un rassemblement effectivement à 18h30 dans le 16e arrondissement à Paris,
10:27 à Place Victor Hugo, à l'appel du CRIF.
10:29 Et vous, vous craignez que ce soit quelque chose de communautaire.
10:32 Vous dites qu'il ne faut pas que ce ne soit que les juifs qui soient là.
10:34 Oui, depuis que je me suis réveillée, j'ai eu une peur panique de me dire que je vais aller à cette manifestation
10:38 et qu'il n'y aura que des juifs.
10:40 Je me suis demandé même si on n'aurait pas dû trouver un mot d'ordre un peu différent.
10:43 Je sais que le mot d'ordre qui a été donné, c'est que les amis d'Israël se retrouvent.
10:46 Mais moi, je rêve d'aller à cette manifestation ce soir et de me dire qu'on n'a pas besoin d'être un ami d'Israël pour s'y trouver.
10:53 On a besoin d'être un ennemi du terrorisme.
10:55 On a besoin d'être un ennemi de la barbarie.
10:57 C'est ça pour moi le mot d'ordre.
10:59 Ce que vous dites ce matin, c'est critiquer autant que vous voulez Israël et la politique israélienne.
11:03 Elle est condamnable à certains aspects.
11:06 Mais ce qui s'est passé, on est dans autre chose.
11:09 C'est ça votre message ce matin ?
11:10 Oui, je n'ai pas besoin que les gens aient besoin de se retrouver sous un drapeau israélien pour aller manifester ce soir.
11:16 Pour aller dire, même pas seulement ce soir, dans les jours à venir, à quel point ils sont dans l'horreur et la terreur.
11:22 C'est un moment de solidarité qui transcende ce partisanisme absurde.
11:27 Je voulais vous faire entendre Delphine Orviller une voix.
11:29 Prix Nobel de la paix, survivant de la Shoah.
11:31 Il s'exprimait il y a 35 ans au micro d'Inter, radioscopie, Jacques Chancel.
11:36 C'est Elie Wiesel au moment de la première intifada.
11:38 On est en 1989, ça peut s'appliquer à aujourd'hui.
11:42 Je pense que je vis comme je suis, de tout cœur, de toute mon âme.
11:46 J'aime Israël, j'aimerai toujours Israël.
11:48 Et j'espère que l'amour que je porte à Israël ne sera pas transformé en procès comme le fait.
11:54 Parce que j'appartiens à une génération traumatisée.
11:57 Moi j'ai vu les juifs comme victimes.
12:00 Et je ne peux pas, ne pas être sensible aux angoisses que j'ai décernées en Israël.
12:08 Et je l'ai dit aussi, que moi je comprends les jeunes palestiniens.
12:11 Je les ai compris au début de l'intifada.
12:13 On les a traités pendant 40 ans.
12:16 Je pense, avec une injustice flagrante, on les a oubliés tout simplement.
12:21 On les a refoulés de la conscience.
12:24 Moi j'étais journaliste à l'époque.
12:26 Je me souviens des conférences internationales.
12:29 On parlait des égyptiens, des irakiens, des syriens, des saoudiens, de partout.
12:34 On parlait de tout le monde sauf des palestiniens.
12:36 Alors moi j'ai compris ces jeunes palestiniens qui se disaient "mais nous, où sommes-nous?"
12:40 Et alors, comme ils étaient des personnes absentes,
12:44 ils ont décidé de parler et de servir d'un langage immédiat.
12:50 Concret, la violence.
12:51 Comment vous recevez ces mots d'Elie Wiesel, Delphine Horwiller ?
12:56 Effectivement, il reste incroyablement pertinent pour aujourd'hui.
13:01 Vous voyez, Elie Wiesel, il montre bien sa capacité à, où qu'il se trouve,
13:05 et quel que soit son traumatisme et son histoire,
13:07 une capacité à entrer dans une empathie véritable pour l'autre.
13:11 C'est fou parce que ces dernières semaines, on n'arrête pas d'en parler
13:14 au sujet de l'éducation des enfants, l'éducation à l'empathie.
13:17 Mais voyez ce qui se passe aujourd'hui.
13:19 Montre la faille empathique chez tant d'entre nous.
13:23 L'incapacité viscérale à se mettre dans la peau des autres.
13:27 Un instant.
13:29 A imaginer quelles sont leurs conditions.
13:31 En fait, ce à quoi nous invite Elie Wiesel, et c'est pertinent pour l'éternité,
13:34 c'est à se demander comment est-ce qu'on est capable de se mettre dans la peau de l'autre,
13:37 y compris dans la peau de son traumatisme.
13:39 Parce que vous parliez ce matin de l'hubris israélien,
13:41 de la façon dont une certaine arrogance, une certaine force s'y est développée.
13:46 Mais on ne peut le comprendre, cette hubris,
13:48 on ne peut comprendre cela que si on analyse à la lumière du traumatisme israélien historique.
13:54 Une espèce de conscience des origines que le monde n'a pas sauvé les Juifs.
14:00 Que le monde s'est détourné de la souffrance juive.
14:03 Il n'y a jamais de fin à ça si on ne prend pas en compte la place de l'autre et son traumatisme.
14:08 Et Elie Wiesel parle aussi des Palestiniens et de leur absence.
14:11 Il dit qu'on parle de tout le monde, on parle des Irakiens, des Saoudiens, de tout le monde,
14:14 mais pas des Palestiniens.
14:16 Et est-ce qu'on peut faire le lien, toute proportion gardée,
14:19 avec effectivement ces dernières semaines, ces derniers mois,
14:21 on parlait de l'Ukraine, on parle des accords de paix entre Israël et certains pays arabes,
14:26 on parle de beaucoup de choses, de l'Iran, de la Syrie,
14:29 et on ne parlait plus des Palestiniens.
14:31 Est-ce que ça aussi, ça a joué ?
14:34 Évidemment, mais je pense qu'aujourd'hui, il faut entendre, et on devra,
14:38 et on doit entendre les Palestiniens, entendre leur douleur,
14:41 entendre ce que va être leur souffrance dans les temps à venir.
14:43 Mais je pense encore une fois que la cause palestinienne mérite bien mieux
14:47 que d'être représentée par ses assassins.
14:49 La guerre va être longue, il l'a prévenu.
14:52 Le tunnel me semble infini.
14:55 Moi qui suis plutôt dans une volonté toujours de créer des ponts,
14:59 d'être plutôt dans une forme d'optimisme,
15:01 aujourd'hui j'ai l'impression qu'on entre dans une nuit noire
15:05 et que pour l'instant, personne n'aperçoit de lumière au bout de ce tunnel.
15:09 En tout cas, vous, vous ne voyez pas de lumière.
15:11 Vous, vous êtes profondément affecté, on l'entend ce matin.
15:14 Oui, mais je pense qu'on a une responsabilité, nous qui vivons loin de la barre,
15:19 justement parce que nous avons une certaine distance géographique,
15:22 nous avons une responsabilité de ne pas contribuer à faire monter cette haine.
15:27 C'est pour ça que je crois que tous ceux qui aujourd'hui la nourrissent un peu plus à distance,
15:32 non seulement n'en vont pas résoudre le problème, mais le constituent eux-mêmes.
15:36 Ils sont le problème en ajoutant de la haine à la haine.
15:40 Nous de loin, on a peut-être la possibilité au contraire,
15:43 au nom de notre humanité commune ici, d'appeler les uns et les autres à lutter contre la barbarie
15:48 en sortant des oppositions simplistes, simplifiées,
15:52 qui constamment nous enferment dans nos identités.
15:55 Merci Daphné Horwiller, merci beaucoup.

Recommandée