Obsèques de Jean-Pierre Elkabbach: l'adieu d'Alain Duhamel à son ami

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Le journaliste politique, Jean-Pierre Elkabbach, est mort le 3 octobre à l'âge de 86 ans. Il était connu pour ses interviews mythiques des personnalités politiques françaises. Ces obsèques ont lieu ce vendredi 6 octobre, au cimetière du Montparnasse à Paris. 

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Transcript
00:00 le chancelier allemand, et on était pris dans une tempête, l'avion très sauté dans tous les sens,
00:07 Jean-Pierre avait peur, et moi aussi, et il s'est tourné vers moi et il m'a dit,
00:14 inspiré par les circonstances, quand le premier d'entre nous disparaîtra,
00:19 il faut que l'autre vienne prononcer, non pas son oraison funèbre, mais l'évoquer, tel qu'on l'avait vécu.
00:33 Il avait ajouté, ne sois pas trop critique si c'est moi, et je lui avais dit,
00:40 de toute façon, il faudra dire les choses telles qu'on les a vues ensemble, et non pas les transposer.
00:48 Donc, pas question de dithyrambes.
00:54 Quand quelqu'un meurt, il est toujours unique et il est toujours irremplaçable.
01:03 Mais certains sont plus uniques et plus irremplaçables que d'autres.
01:08 Et c'est évidemment le cas de Jean-Pierre, avec son tempérament magnifique, dominateur,
01:18 perpétuellement renouvelé, épuisant, créatif, il est évident que ça n'est pas quelqu'un comme les autres qui a disparu.
01:32 Je dirais que s'il était unique, il était aussi multiple, et que des Jean-Pierre Elkabbach, j'en ai connu plusieurs.
01:43 Le premier, tout le monde le connaît, comme moi, presque aussi bien que moi.
01:49 C'était évidemment l'interviewer. Je le dis sans exagération, je pense qu'il aura été,
01:57 ce qui est sans précédent et sans doute sans succession, l'interviewer le plus célèbre et surtout le meilleur pendant un demi-siècle.
02:08 Je crois que personne n'a pu le dire avant et je pense que personne ne pourra le dire ensuite.
02:14 C'était un interviewer particulier, on connaissait sa pugnacité, on connaissait sa rapidité de réaction,
02:24 on connaissait la méticulosité avec laquelle il se préparait.
02:29 On savait aussi, en tout cas, les journalistes savaient aussi qu'avant d'interroger quelqu'un,
02:35 il voulait absolument parler avec lui et évoquer les questions.
02:39 Ça m'horripilait, je le lui disais et évidemment ça ne changeait rien.
02:43 Le résultat en tout cas était flamboyant, flamboyant, inattendu, risqué.
02:49 Je me suis souvent demandé si en posant la première question qu'il posait,
02:54 il n'allait pas un jour avoir affaire à quelqu'un se mettant brusquement à l'insulter.
02:59 Et c'est un miracle que ça ne se soit pas produit.
03:02 C'est le premier Jean-Pierre que tout le monde connaît.
03:05 Le deuxième, ce sont plus les journalistes qui le connaissent, c'était aussi, mais différemment, un patron.
03:15 Il a été directeur de rédaction, rédacteur en chef d'abord, directeur de rédaction.
03:21 Il a été président d'Europe 1, il a été président ô combien célèbre de France Télévisions.
03:28 C'était quelqu'un d'incroyablement investi dans ce qu'il faisait, d'imaginatif et même d'audacieux,
03:38 comme je crois peu de présidents de France Télévisions ont osé l'être.
03:43 Alors ça n'était pas un gestionnaire, il prenait beaucoup de risques, il inventait énormément.
03:49 Il a complètement bouleversé par exemple un sujet qu'il connaissait très mal,
03:53 mais qui lui a bien réussi dans un premier temps, les variétés, qu'il a réinventées.
03:58 Ça a causé sa perte comme président de France Télévisions, mais c'était aussi une de ses caractéristiques.
04:05 Il grimpait très haut, il retombait brusquement, et repartait, et il regrimpait aussi haut.
04:12 À la tête d'Europe 1 ou de France Télévisions, il était admiré pratiquement par tout le monde,
04:22 détesté par certains, adulé par d'autres, contesté parce qu'il pouvait être tyrannique,
04:29 parce qu'il allait vite, il allait trop vite, et il savait qu'il allait trop vite,
04:34 mais il vivait comme ça et il voulait que les autres suivent, ce que certains pouvaient faire et pas forcément d'autres.
04:40 Mais ça aurait été là aussi marquant.
04:44 Il y avait un troisième Jean-Pierre qui est moins connu et qui pourtant mérite de l'être,
04:48 c'est le Jean-Pierre intellectuel.
04:51 On voyait toujours l'homme de télévision ou de radio s'agitant, il y avait aussi un lecteur inlassable,
05:00 il n'arrivait pas qu'on se voie, bon on se voyait très souvent,
05:04 sans qu'immédiatement il me demande ce que j'étais en train de lire, pourquoi ça l'intéresserait ou pas,
05:09 il voulait m'expliquer absolument ce que la veille il avait pensé,
05:13 il me disait aussi ce qu'il me laissait pendant le toit,
05:17 voilà ce que j'ai lu cette nuit entre 1h du matin et 5h du matin,
05:20 et je lui disais, et ton interview tu l'as préparé quand ?
05:24 Et il me disait, je l'avais préparé avant et je l'ai repris après,
05:28 tout en téléphonant généralement à l'invité à 1h incongrue.
05:32 C'était Jean-Pierre qui avec son émission à Public Sénat, Bibliothèque Médicis,
05:41 a fait réellement une des meilleures émissions culturelles qu'on ait jamais connue,
05:47 et ce qui est extraordinaire c'est que lui qui dans ses interviews politiques flamboyait,
05:53 cherchait les coups d'épée, quand il s'agissait d'interroger des artistes, des intellectuels,
05:59 des compositeurs, des philosophes, brusquement il les interrogeait autrement,
06:03 de façon beaucoup plus profonde, beaucoup moins spectaculaire,
06:07 mais extraordinairement aiguë, je crois que là aussi c'est la meilleure émission de ce genre
06:12 que j'ai connue à la télévision, bon, depuis Apostrophe.
06:18 Il y avait encore un autre Jean-Pierre très différent, qui était la star.
06:26 Jean-Pierre n'était pas simplement connu, Jean-Pierre n'était pas simplement une vedette,
06:30 c'était aussi une star, une star avec un comportement de star,
06:34 ça voulait dire qu'il voulait rencontrer des gens qui étaient eux-mêmes des stars,
06:38 pas seulement des stars, mais d'abord des stars, appartenir au même milieu,
06:43 connaître le tout Paris, rencontrer celui-ci, avoir vu celui-là, dîner avec le premier,
06:49 et puis lui en lâcher pour aller prendre le dessert avec le deuxième,
06:52 heureux de rencontrer un grand acteur, un grand écrivain, un grand politique,
06:58 en permanence toujours osagué, et j'ai toujours pensé que dans ces fameux duels,
07:09 duel parce que moi j'étais le spectateur, avec Georges Marchais,
07:13 c'était deux stars qui se reniflaient et qui se battaient tout en faisant semblant de se battre,
07:21 tout en même en se battant, c'est-à-dire deux personnages qui pouvaient être à la politique
07:27 à ce moment-là ce que Gabin et Delon pouvaient être l'un vis-à-vis de l'autre dans un film,
07:32 des gens du même acabit se reconnaissant, se jaugeant, se mesurant, et en même temps se respectant,
07:40 c'était donc encore un autre Jean-Pierre, puis il y avait bien sûr un Jean-Pierre privé,
07:47 qui était d'abord celui de sa famille, compte tenu de ses horaires, compte tenu de ses retards,
07:53 compte tenu de ses habitudes, ça devait certainement être quelqu'un d'assez difficile à gérer normalement.
08:00 Avec ses amis c'était pareil, et je n'ai pas connu un ami aussi intrusif, aussi exigeant,
08:10 aussi cyclotimique que lui, il voulait tout savoir, tout connaître, tout juger, et surtout être le seul.
08:19 Il ne fallait dans aucun cas que quelqu'un d'autre le sache.
08:23 Et c'était encore ce Jean-Pierre qui, dans sa vie privée avec ses amis,
08:29 et puis avec sa judéité qu'il gérait de façon, m'a-t-il toujours semblée absolument remarquable,
08:37 avec un mélange d'investissement et de distance, avec un mélange de jugement personnel, de solidarité,
08:45 et en même temps de refus d'alignement sur quiconque, ce qui n'est pas l'exercice le plus facile au monde.
08:53 Jean-Pierre Elkabbach c'était tout cela à la fois, c'était aussi, c'est mon dernier point,
08:59 c'était aussi un homme qui avait une relation unique avec le pouvoir.
09:05 On en a beaucoup parlé, on l'a beaucoup critiqué, on l'a quelquefois compris et quelquefois pas compris du tout.
09:12 En fait, vis-à-vis du pouvoir, il était une sorte d'explorateur inlassable qui entrait dans la grotte du pouvoir,
09:23 sans même avoir une bougie à la main, et qui quelquefois se cognait, et se cognait fort.
09:29 Mais il considérait que le pouvoir, c'était là où on avait la quintessence de la quintessence des informations,
09:36 que c'est là où on fréquentait celui et ceux qui détenaient le destin,
09:42 qu'il fallait avoir une relation particulière avec eux, qu'il fallait apprendre avant les autres,
09:47 qu'il fallait comprendre avant les autres, qu'il pouvait prévoir avant les autres,
09:51 organiser, décrocher des rencontres avant les autres, et puis quelquefois recevoir un coup de pouce.
09:57 Un coup de pouce qui d'ailleurs, en général, au bout d'un an, se transformait en coup de pied.
10:02 Mais il a été comme ça pendant tout le temps, il a été comme ça toute sa vie.
10:09 Je voudrais pour terminer faire simplement un pari audacieux.
10:16 Jean-Pierre a été, pour les journalistes, pour le public aussi, mais d'une façon différente,
10:23 mais pour les journalistes, Jean-Pierre a été une star contestée.
10:29 Et maintenant qu'il n'est plus là, mon pari est que dans les rédactions,
10:33 qui ne sont pas les endroits les plus charitables du monde, il va devenir un mythe incomparable.
10:39 Bravo !
10:41 Bravo !

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