Yves Thréard reçoit Lazare Eloundou Assomo, architecte et directeur du patrimoine mondial à l'UNESCO.
Pour Lazare Eloundou Assomo, architecte camerounais et directeur du patrimoine mondial, protéger le patrimoine va au-delà de la préservation du bâti, il s'agit de sauvegarder « ce qui nous permet de nous identifier, de ce qui nous rend vivants » car « toute la diversité de l'humanité se reflète dans le patrimoine » et comprendre la richesse de l'humanité c'est également préserver la paix.
Depuis 1978, année des premières inscriptions de sites au patrimoine mondial de l'UNESCO, 1157 sites ont été répertoriés mais à ce jour seulement 139 sont sur le continent africain. D'après Lazare Eloudou Assomo, cela s'explique par un manque d'experts africains, alors que l'Europe en comptait beaucoup dès la création du classement. Des centres de formation sont créés notamment au Bénin pour changer ce déséquilibre.
Lazare Eloundou Assomo décrit le dévouement des habitants de Tombouctou qui ont, parfois au péril de leur vie, sauvé de nombreux manuscrits, bien conscients de la valeur historique et culturelle de leur patrimoine. Lazare Eloundou Assomo raconte enfin avec émotion une des rencontres marquantes de sa vie : jeune architecte il avait un projet de construction d'habitations en Afrique du Sud et a passé un long moment avec Nelson Mandela.
Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».
Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5
Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter
Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/
#LCP #LesGrandsEntretiens
Pour Lazare Eloundou Assomo, architecte camerounais et directeur du patrimoine mondial, protéger le patrimoine va au-delà de la préservation du bâti, il s'agit de sauvegarder « ce qui nous permet de nous identifier, de ce qui nous rend vivants » car « toute la diversité de l'humanité se reflète dans le patrimoine » et comprendre la richesse de l'humanité c'est également préserver la paix.
Depuis 1978, année des premières inscriptions de sites au patrimoine mondial de l'UNESCO, 1157 sites ont été répertoriés mais à ce jour seulement 139 sont sur le continent africain. D'après Lazare Eloudou Assomo, cela s'explique par un manque d'experts africains, alors que l'Europe en comptait beaucoup dès la création du classement. Des centres de formation sont créés notamment au Bénin pour changer ce déséquilibre.
Lazare Eloundou Assomo décrit le dévouement des habitants de Tombouctou qui ont, parfois au péril de leur vie, sauvé de nombreux manuscrits, bien conscients de la valeur historique et culturelle de leur patrimoine. Lazare Eloundou Assomo raconte enfin avec émotion une des rencontres marquantes de sa vie : jeune architecte il avait un projet de construction d'habitations en Afrique du Sud et a passé un long moment avec Nelson Mandela.
Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».
Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5
Suivez-nous sur les réseaux !
Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter
Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/
#LCP #LesGrandsEntretiens
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Générique
00:02 ...
00:26 -Lazare Eloundou, à son mot,
00:28 vous êtes directeur du patrimoine mondial de l'UNESCO.
00:31 Vous avez eu une phrase, un jour,
00:32 que je trouve absolument magnifique.
00:35 Vous avez dit
00:36 "Je ne suis pas là pour préserver des pierres,
00:39 "parce que ce qu'on préserve, c'est la vie."
00:41 Qu'est-ce que vous vouliez dire par là ?
00:44 -Bah, c'est...
00:45 Pour expliquer que,
00:48 quand on parle du patrimoine,
00:50 on parle de ce qui définit
00:53 toutes les sociétés de notre humanité.
00:56 Les sociétés, tout ce qui est vivant,
00:59 tout ce qui nous permet de nous identifier,
01:02 que nous sommes des humains,
01:04 que nous appartenons à différentes régions du monde
01:08 et que nous avons toute une histoire.
01:10 C'est cette diversité culturelle
01:12 qui se reflète à travers le patrimoine.
01:15 Et donc, quand on préserve le patrimoine,
01:17 non seulement on préserve toute cette identité,
01:21 toute cette diversité plurielle
01:24 de ce qui constitue le monde,
01:27 mais on préserve aussi la vie,
01:29 parce que c'est cette vie-là
01:31 qui fait que nous pouvons nous mélanger,
01:33 nous comprendre et promouvoir la paix.
01:36 -Quand vous prononcez le mot "paix",
01:38 vous avez besoin du multilatéralisme.
01:40 Il faut que tout le monde soit autour de la table.
01:43 C'est essentiel, justement, pour préserver ces pierres
01:46 et pour faire en sorte que la vie perdure.
01:49 -Oui, parce que le multilatéralisme
01:52 permet de mettre des choses en commun
01:55 et de se donner des missions précises
01:59 qui permettent de régler des questions fondamentales
02:02 dans tous les domaines,
02:04 dans le domaine de l'éducation,
02:06 dans le domaine de la culture en particulier,
02:09 et c'est aussi pourquoi le multilatéralisme, ici,
02:12 est important aussi pour la préservation
02:14 du patrimoine mondial.
02:15 -Quand on pense au patrimoine, on pense beaucoup aux pierres,
02:19 aux monuments, mais c'est aussi des paysages.
02:22 C'est pour ça que j'ai l'habitude de dire
02:24 qu'à la fois les monuments sont importants,
02:28 comme Notre-Dame, ici, à Paris,
02:30 ou la tour Eiffel,
02:32 mais ce qui est aussi important,
02:34 c'est ce qui permet de comprendre
02:37 comment les différentes sociétés
02:39 occupent un territoire
02:42 et, à travers ce territoire-là, le transforment,
02:45 ce qui permet qu'ils s'identifient,
02:47 assoluent et préservent leur culture.
02:49 C'est pour ça que les paysages culturels sont importants.
02:53 -Ca façonne la culture de chaque peuple ?
02:55 -Non seulement ça la façonne,
02:57 mais ça permet de mieux la comprendre
03:01 et de la partager.
03:02 C'est aussi ce qui nous intéresse le plus,
03:04 c'est pas simplement de se focaliser
03:06 à comprendre comment on la façonne,
03:09 mais surtout à partager,
03:11 et à partager surtout les messages qui sont très importants,
03:14 qui sont les messages d'universalité.
03:17 -Pourquoi il y a si peu de sites,
03:20 de monuments, de biens culturels
03:23 qui soient inscrits au patrimoine mondial
03:26 et qui proviennent d'Afrique ?
03:27 -Alors, si j'avais une réponse
03:31 très claire,
03:32 je pense qu'on aurait déjà réglé la question.
03:36 Mais nous avons essayé de comprendre
03:39 ce qui s'est passé
03:41 depuis que les premiers sites
03:44 ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial.
03:47 -C'était quand, ça ? -En 1978.
03:50 -D'accord. -La Convention du patrimoine mondial,
03:53 qui permettait l'inscription des sites au patrimoine mondial,
03:56 a été adoptée en 1972.
03:59 Donc, six ans après,
04:00 ce principe de liste du patrimoine mondial
04:04 a commencé à accueillir des premiers sites.
04:06 Il faut dire que dans ces premiers sites,
04:08 il y avait des sites africains.
04:11 -Oui. -Alors, par la suite,
04:13 cela peut s'expliquer
04:15 par la nécessité, d'abord,
04:18 de mettre en place un nombre de politiques
04:21 pour mieux les identifier, ces sites en Afrique.
04:24 Et il faut dire qu'à ce moment-là,
04:26 certaines régions du monde, comme l'Europe,
04:29 ont, elles, commencé à proposer un peu plus de sites
04:32 parce que les professionnels étaient déjà formés,
04:35 des politiques de préservation du patrimoine
04:38 avaient déjà été mises en place,
04:40 alors que dans certaines régions sous-représentées aujourd'hui,
04:43 ce processus commençait.
04:45 Et voilà un peu comment l'écart s'est creusé.
04:49 Et c'est cet écart-là qu'il faudrait aujourd'hui
04:51 essayer de rattraper et réduire.
04:53 -Combien y a-t-il de sites
04:56 inscrits au patrimoine mondial
04:58 qui sont africains ?
05:00 -Si on parle de l'Afrique continentale,
05:03 avec Maurice et Madagascar, bien sûr,
05:06 mais en comptant aussi la partie nord de l'Afrique,
05:09 -Oui.
05:10 -on est à un total de 139
05:13 sites qui sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial.
05:16 Sur un total de 1 157.
05:19 -C'est un retard terrible.
05:20 -Quand on prend que l'Afrique subsaharienne,
05:23 il n'y en a que 98.
05:25 Donc l'écart est quand même assez important.
05:28 Et lorsqu'on sait qu'en même temps,
05:31 cette Afrique regorge d'une incroyable richesse
05:36 de patrimoine
05:38 qui mériterait un jour de rejoindre la liste
05:42 du patrimoine mondial,
05:44 on se rend compte qu'il faut y accorder
05:48 une attention particulière aujourd'hui
05:50 pour aider les pays africains
05:53 à mettre en place les politiques et à former des professionnels
05:57 qui pourraient non seulement les gérer,
05:59 les préserver, mais aussi préparer les dossiers
06:02 pour les proposer pour candidature au patrimoine mondial.
06:06 -Il y a une école qui s'est constituée au Bénin,
06:09 une école du patrimoine africain, non ?
06:11 -Oui. L'école du patrimoine africain existe.
06:13 C'est une excellente chose, aujourd'hui,
06:16 que des professionnels puissent se former en Afrique.
06:20 -C'est au Bénin que ça se passe. -Il faut encourager.
06:23 C'est au Bénin, aujourd'hui, cette école.
06:26 Il y en a une autre qui existe au Kenya,
06:28 pour les pays anglophones,
06:30 mais il faudrait encourager le développement
06:33 de ce type d'institutions de formation professionnelle
06:36 pour former de plus en plus de professionnels,
06:39 pas simplement pour le patrimoine matériel ou immatériel,
06:43 mais aussi pour la préservation des musées,
06:45 pour la lutte contre le trafic illicite,
06:47 et d'autres qui sont importantes,
06:49 et la préservation des identités.
06:52 -Deux choses, en termes de biens culturels et de monuments,
06:55 qu'est-ce qu'on peut recenser ?
06:57 Il y a les pyramides de Gizeh, j'imagine,
07:00 il y a la prison de Robben Island,
07:02 qu'est-ce qu'il y a d'autre ?
07:04 -On avait cité certaines
07:06 îles qui sont assez extraordinaires,
07:10 que l'on ne peut pas ne pas visiter,
07:12 mais aussi, quand on regarde le reste de l'Afrique,
07:15 si on va, par exemple, au Sénégal,
07:17 on va aller voir l'île de Gorée, qui est quand même importante,
07:20 ou l'ancienne ville de Saint-Louis,
07:23 et un peu plus loin, un petit pays comme la Gambie,
07:26 qui a l'île de James Island,
07:27 qu'on appelle l'île de Kunta Kinte,
07:30 qui est assez importante.
07:31 Et si on traverse une partie de l'Afrique
07:35 et qu'on se retrouve en Afrique de l'Est,
07:38 en Éthiopie,
07:39 vous avez des sites importants comme la Libéla,
07:42 on peut descendre même un peu plus bas,
07:44 en Afrique australe,
07:46 ou même au Zimbabwe, par exemple,
07:49 donc vous avez le Grand Zimbabwe.
07:51 Je peux vous en citer beaucoup,
07:53 mais qui ne sont pas simplement des monuments,
07:56 mais qui sont aussi des sites... -Des paysages.
07:59 -Des paysages, comme par exemple... -Le Kilimanjaro.
08:02 -Le Kilimanjaro, ou encore, au Kenya,
08:04 des forêts sacrées, mais incroyables.
08:06 Les forêts de Mijikenda, par exemple,
08:08 qu'on ne connaît pas,
08:10 mais qu'il faudrait de plus en plus connaître,
08:12 ou alors les paysages culturels de Konso,
08:15 aussi en Éthiopie.
08:17 Il y a aussi des forêts préservées,
08:19 qui sont très, très importantes,
08:23 en République démocratique du Congo, par exemple,
08:26 ou même en Madagascar,
08:27 avec des forêts primaires très importantes.
08:30 -Très importantes. -Voilà.
08:32 -Il y a beaucoup de sites, aussi, il faut le dire,
08:35 qui sont menacés par la guerre,
08:37 qui sont menacés par le réchauffement climatique,
08:40 comment préserver tout ça,
08:42 et notamment, vous avez beaucoup œuvré, vous-même,
08:45 d'ailleurs, personnellement, à Tombouctou, au Mali,
08:48 pays en guerre,
08:49 pour préserver les manuscrits de Tombouctou
08:53 ou les mausolées aussi de Tombouctou.
08:55 Comment vous avez fait pour essayer de préserver tout ça,
08:58 de la guerre et des ravages, des attaques djihadistes ?
09:02 -D'abord, vous avez raison de dire aujourd'hui
09:05 que le patrimoine mondial
09:08 est de plus en plus menacé
09:11 par certains dangers,
09:14 comme les guerres,
09:16 les conflits armés,
09:18 qui font que le patrimoine est détruit.
09:22 Et ça, c'est quelque chose de terrible.
09:24 Et l'une des grandes particularités
09:29 du concept du patrimoine mondial,
09:31 c'est que quand le patrimoine est en danger,
09:34 est détruit,
09:35 la communauté internationale se mobilise
09:38 pour essayer de préserver ce patrimoine,
09:41 parce qu'il n'est pas simplement important
09:43 pour les pays en question,
09:45 mais il est un patrimoine de l'humanité,
09:47 donc il est important,
09:48 car il raconte l'histoire de notre humanité.
09:51 C'est ce qui s'est passé avec Tombouctou,
09:53 une ville millénaire comme celle-là,
09:57 où il y a eu une université au 15e siècle,
10:00 où beaucoup d'érudits...
10:03 -Venaient apprendre.
10:04 -Venaient apprendre,
10:06 et où il y a eu un centre intellectuel
10:08 très important, avec une production
10:10 non seulement de manuscrits,
10:13 dont certains sont scientifiques,
10:15 assez important, écrit en arabe,
10:17 et aussi un centre religieux.
10:20 C'est pour ça que les mausolées
10:23 auxquelles les populations étaient attachées
10:25 étaient importantes à préserver,
10:29 parce que sans ces mausolées,
10:31 ça allait être la complète destructuration
10:34 d'une vie sociale qui a été préservée
10:38 depuis le 11e siècle.
10:40 -Terrifiant. -Jusqu'à ce jour.
10:42 -Extraordinaire. -C'était important.
10:44 Et à côté de ce danger
10:48 qui est la destruction du patrimoine
10:51 en période de conflit armé,
10:54 on a aussi ce phénomène du changement climatique.
10:58 -Les manuscrits de Tombouctou,
11:00 ils ont été transportés en voiture.
11:02 Comment ça s'est passé ? La nuit ?
11:04 Comment vous avez fait pour échapper
11:07 à la menace djihadiste ? -Alors, d'abord,
11:09 ça a été une initiative incroyable
11:12 des communautés de Tombouctou.
11:16 -Des villageois, en fait ?
11:18 -Non, mais de ces groupes
11:20 qui étaient à Tombouctou
11:22 et qui préservaient eux-mêmes déjà
11:24 les manuscrits de leur famille.
11:27 Et qui se sont rendus compte
11:29 que ces trésors qu'ils avaient hérités
11:31 de leur famille,
11:33 qui montraient que leurs ancêtres
11:36 avaient été des grands intellectuels,
11:39 qui avaient contribué au développement
11:42 de cette ville,
11:44 n'avaient pas envie de les perdre.
11:47 Et ils nous disaient toujours
11:49 que perdre les manuscrits et les mausolées,
11:52 c'était un peu comme perdre leurs deux poumons,
11:55 donc perdre la vie.
11:56 Et au péril de leur vie,
11:58 ces communautés ont sorti
12:02 ces manuscrits... -De la ville.
12:04 -De la ville pour aller les cacher
12:06 à Bamako, un peu plus loin. -Dans la capitale.
12:09 -Elles ont sorti près de 400 000 manuscrits
12:12 en très peu de temps, au péril de leur vie.
12:16 C'était quelquefois à Dodane,
12:18 au Débat, pour sortir. -En pirogue aussi.
12:20 -Les pirogues jusqu'à Mopti,
12:22 et après, continuer par la voie,
12:24 par la route. Heureusement,
12:26 beaucoup de ces manuscrits ont été préservés,
12:30 mais on en a quand même perdu
12:32 plus de 4 000 manuscrits,
12:34 parce que certains ont été brûlés
12:36 et certains ont été volés.
12:38 -Est-ce que... C'est une région de Sahel
12:41 qui est très menacée, et beaucoup de pays en Afrique,
12:44 malheureusement, par l'islamisme.
12:46 Est-ce que le patrimoine peut être menacé
12:49 par une idéologie qui cherche à remettre en question
12:52 la culture,
12:53 l'ancestralité, que souvent,
12:56 beaucoup de pays ont ?
12:57 -C'est ce que nous avons
13:01 observé à Tombouctou.
13:04 -Oui.
13:05 -Où...
13:06 Une communauté...
13:09 -Oui.
13:10 -...qui vivait
13:12 depuis neuf siècles... -Oui.
13:15 -...avec une pratique de l'islam,
13:19 qui est l'islam soufiste... -Soufiste.
13:21 -...et qui, de toute façon,
13:24 avait cette habitude, à la fois,
13:26 de pratiquer l'islam,
13:29 mais aussi de rendre hommage
13:31 à leurs ancêtres, qui avaient contribué
13:34 au développement de la ville.
13:36 Avec une occupation de Tombouctou,
13:38 à partir de 2012, par des groupes armés
13:41 et des groupes extrémistes
13:43 amenant une autre idéologie,
13:46 ben, ils ont cherché
13:49 à stopper cette continuité
13:52 de pratiques culturelles
13:54 et religieuses.
13:57 Et pour cela, il fallait
13:59 détruire le patrimoine,
14:02 comme étant ce symbole important,
14:05 qui était important pour ces communautés.
14:09 -Et grâce aux habitants,
14:10 ils n'ont pas réussi à le faire.
14:12 -Ils ont quand même détruit les mausolées,
14:14 que l'UNESCO a reconstruites.
14:16 C'est une expérience énorme,
14:18 et le privilège d'être
14:21 celui que l'UNESCO a chargé...
14:23 -De cette oeuvre.
14:25 -...de mener cette stratégie de reconstruction
14:28 avec nos partenaires.
14:30 Mais ce qui est surtout important,
14:32 nous avons reconstruit les mausolées de Tombouctou
14:36 avec l'appui des communautés
14:40 qui voulaient que leurs mausolées...
14:42 -Soient préservées. -Soient préservées.
14:44 Et si on va un peu plus loin,
14:46 c'est que nous avons remis à jour toutes les traditions
14:49 de maintien, d'entretien
14:52 de ces mausolées-là.
14:54 -Tout à l'heure, je parlais de la prison de Robben Island.
14:57 C'est une prison qui a été fréquentée par un homme
15:00 qui est une figure de l'Afrique pour toujours,
15:03 qui est Nelson Mandela,
15:05 parce qu'il a été interné dans ce centre pénitentiaire,
15:08 Robben Island, c'est une île,
15:10 au large de l'Afrique du Sud.
15:12 Il y a été interné pendant 17 ans,
15:15 une partie de sa détention.
15:17 Vous avez eu ce privilège, sans doute,
15:19 de connaître cet homme, parce que vous êtes architecte
15:22 et qu'à l'époque où vous l'avez connu,
15:24 vous étiez en charge d'un programme immobilier
15:27 en Afrique du Sud, à Cape Town.
15:29 Racontez-nous comment ça s'est passé.
15:31 -Déjà, c'est toujours avec beaucoup d'émotion
15:35 que je me rémémore ce moment important
15:41 qui vous transforme en tant qu'homme.
15:45 Nelson Mandela est une icône de notre monde.
15:52 J'avais souhaité aller en Afrique du Sud
15:56 comme un jeune architecte intéressé
16:01 pour aider à la construction
16:04 de logements sociaux à très bas prix.
16:08 J'avais envie d'aller contribuer
16:12 à ce programme de reconstruction, de développement
16:16 que le président Nelson Mandela avait lancé
16:18 quand il a été élu pour donner des logements
16:22 à un million de personnes en Afrique du Sud
16:24 qui avaient vécu l'apartheid.
16:26 Et nous avons, avec l'organisation
16:31 que je représentais, l'organisation Crater,
16:34 basée à l'école d'architecture de Grenoble,
16:37 nous avons mis en place une stratégie
16:41 qui n'était pas simplement de construire des logements,
16:44 mais qui était de dire que nous allions former
16:47 des personnes qui avaient vécu l'apartheid,
16:49 qui n'avaient pas eu l'opportunité d'aller à l'école,
16:52 à des métiers de construction,
16:54 et ensuite de les accompagner
16:56 pour qu'ils deviennent eux-mêmes des entrepreneurs
16:59 pour construire d'autres logements que nous avions en place.
17:03 Et c'était une idée
17:05 qui a beaucoup, beaucoup, beaucoup plu
17:08 au président Nelson Mandela,
17:10 qu'il a eu envie de venir voir
17:12 ce Camerounais qui habitait à East London
17:17 pour venir aider les Sud-Africains.
17:19 -C'était vous. -Et c'était moi.
17:21 Et il est venu, et nous avons visité,
17:25 je lui ai montré un peu tout ce que nous faisions,
17:27 dans un township.
17:30 -Donc, township, c'est un centre urbain réservé aux Noirs.
17:33 -C'était ça, du temps de l'apartheid.
17:35 -Voilà, et il était venu pour 15 minutes,
17:39 et finalement, avec tout ce que je lui montrais
17:43 et les explications que je lui donnais,
17:45 il a eu envie de passer encore plus de temps,
17:49 et nous sommes restés deux heures ensemble à boire du thé
17:53 et à parler d'autres choses.
17:54 Et ce moment vous marque,
17:57 parce qu'il a été, par des mots
18:00 très, très, très encourageants,
18:03 en montrant, effectivement, que ce que nous faisions
18:06 était important pour le peuple d'Afrique du Sud,
18:09 et que lui, il en a vraiment été,
18:11 non seulement très content,
18:13 mais fier que ce soit un Africain...
18:16 -Qui fasse ça. -Qui vienne aider...
18:18 -D'autres Africains. -Votres Africains
18:20 en Afrique du Sud. Quand vous passez du temps
18:23 avec un homme que vous n'espérez pas connaître,
18:25 ou rencontrer un jour, et qu'il vous montre, finalement,
18:29 qu'il est aussi simple que vous et moi,
18:32 et par ses attitudes et l'attention
18:36 qu'il vous porte à ce moment-là,
18:38 eh bien, cela vous donne une façon de regarder la vie,
18:43 et ça vous transforme dans la manière
18:46 dont vous devez servir les autres.
18:48 C'est ce qui m'a beaucoup apporté,
18:50 et qui m'a amené, certainement,
18:53 à poursuivre ma carrière avec Nelson Mandela
18:55 comme un grand modèle.
18:57 -Aujourd'hui, vous êtes directeur du patrimoine mondial de l'UNESCO.
19:01 Vous devez vous réjouir de voir que les Etats-Unis
19:03 reviennent à l'intérieur de l'organisation lusienne.
19:06 Mais avant ça, vous avez été chargé aussi
19:09 de ce qu'on a appelé l'épisode de l'art,
19:12 qui n'est pas terminé, mais qui est loin d'être terminé,
19:15 des restitutions d'oeuvres d'art africaines
19:17 qui ont pu être pillées
19:21 ou exportées en Europe, ou en Occident, ou ailleurs.
19:25 Là, on voit d'ailleurs les statues d'Abomey,
19:29 au Bénin, qui ont été restituées en 2021, si je ne m'abuse.
19:33 Est-ce que cette restitution, pour vous, est une bonne chose ?
19:37 -Alors, la restitution est une bonne chose.
19:41 En 1978,
19:42 l'ancien directeur général de l'UNESCO,
19:46 donc le directeur général de l'époque,
19:48 Amado Matambo... -Qui était sénégalais.
19:50 -Qui était sénégalais, avait lancé un appel
19:53 pour la restitution des biens culturels
19:57 aux pays et à ceux qui les avaient créés.
19:59 Ca veut donc dire qu'il s'agissait, à ce moment-là,
20:03 d'amener les Etats à coopérer
20:06 pour que les pays qui souhaitaient
20:08 le retour et la restitution
20:11 des oeuvres importantes
20:14 pour leur peuple
20:17 puissent dialoguer
20:19 afin que ce retour soit possible.
20:22 Donc la restitution, quand elle aboutit,
20:25 est une très bonne chose.
20:27 -Est-ce que ça répare le passé,
20:29 qui est un passé colonial,
20:31 qui est un passé parfois très douloureux ?
20:33 -Alors, l'idée de la restitution
20:36 n'est pas de réparer le passé.
20:38 L'idée de la restitution
20:40 est d'aider et de construire l'avenir
20:43 et de renforcer la coopération.
20:45 J'ai toujours pour habitude de dire
20:48 qu'il ne s'agit pas que les pays africains disent
20:51 "Vous avez pris des objets, rendez-les-nous."
20:54 Il s'agit de dire
20:56 "Contribuez à notre nouvelle manière
21:01 "de préparer l'avenir de nos pays."
21:06 Parce que... -C'est une façon
21:08 de se construire ? -C'est une façon
21:10 de renforcer la coopération.
21:12 Et bien sûr, pas de se construire,
21:14 parce que les Etats africains...
21:16 Il n'y a pas que les Etats africains
21:18 qui demandent le retour des objets.
21:20 -Il y a aussi en Amérique latine. -Oui, c'est ça.
21:23 Cette coopération qui est aujourd'hui importante,
21:27 et d'ailleurs, les professionnels africains
21:29 sont très clairs là-dessus.
21:32 Ils ne demandent pas
21:34 le retour de tous les objets.
21:37 Ils demandent le retour des objets
21:39 qui leur sont les plus significatifs
21:41 pour aider non seulement à la recherche,
21:44 pour aider à l'éducation
21:46 de ceux qui ne peuvent pas venir les regarder,
21:49 mais aussi au tourisme, au développement économique.
21:52 -Il y a beaucoup de trafic d'oeuvres d'art en Afrique ?
21:55 -Le trafic illicite est un phénomène mondial.
21:58 Alors, il y a le trafic illicite des biens culturels
22:02 partout,
22:04 parce que c'est un commerce,
22:07 c'est un commerce illicite,
22:09 qui rapporte.
22:11 Mais c'est en période
22:14 de conflit et de guerre,
22:17 c'est encore beaucoup plus grave.
22:19 On a vu le trafic illicite
22:22 des biens culturels au nord du Mali,
22:24 des biens qui sont partis,
22:25 des sites archéologiques qui sont pillés.
22:28 -En Libye aussi ? -On en a vu aussi en Libye,
22:30 on a vu en Irak et en Syrie.
22:33 Et donc, tous ces biens se retrouvent sur le marché
22:36 à des prix exorbitants.
22:38 Et il faut lutter contre ce trafic illicite,
22:42 parce que ce n'est pas que des objets qui partent,
22:45 mais c'est une partie importante
22:49 de l'histoire de ces pays
22:51 qui disparaît.
22:53 Il faut continuer de lutter contre ce phénomène
22:56 et ce fléau terrible qu'est le trafic illicite
22:58 des biens culturels. Il y en a en Afrique,
23:01 mais il y en a partout dans le monde entier.
23:03 -Deux petites questions
23:05 pour terminer.
23:06 Quel est votre monument,
23:09 votre site africain préféré ?
23:12 -Alors, évidemment,
23:15 j'ai toujours été impressionné
23:17 par tous les sites africains.
23:19 Mais il y en a un qui m'a le plus marqué,
23:23 c'est celui où j'ai passé beaucoup de temps
23:26 à reconstruire.
23:28 C'est Tombouctou.
23:29 -Le mausolée ? -Oui, le mausolée.
23:31 Et même la ville, avec ses trois grandes mosquées,
23:34 la mosquée de Djingareber,
23:36 qui a été construite en 1325
23:38 et qui est toujours aujourd'hui
23:40 une des plus grandes mosquées construites en terre
23:43 et qui est incroyablement belle,
23:46 à l'intérieur comme à l'extérieur,
23:48 parce que c'est un architecte andalou,
23:50 en 1325, qui était venu avec Kankan Moussa
23:53 pour la construire.
23:56 J'aime aussi des sites
23:57 qui sont des sites qui nous rappellent
24:01 à quel point l'Afrique,
24:04 c'est une culture qui est à la fois matérielle et immatérielle.
24:07 Et c'est les forêts sacrées de Mijikenda
24:11 dont j'ai parlé, ou sur un site comme celui-là,
24:14 quand on le visite,
24:16 on rentre dans ce site en enlevant ses chaussures,
24:20 on se reconnecte au lieu, à la terre,
24:23 dans la forêt sacrée de Mijikenda, au Kenya,
24:26 pas très loin de Mombasa.
24:28 -C'est-à-dire sur la côte de l'océan Indien.
24:30 -Et je pourrais vous parler... -Pas très loin de Tsavo.
24:34 -Exactement. Je pourrais vous parler d'autres sites
24:37 qui sont importants.
24:38 Je sais que je vais faire déjà l'eau en citant ces deux sites,
24:41 mais vous avez aussi l'île de Nelson Mandela,
24:44 j'ai dit, cette île, Robin Island,
24:46 qui vous marque quand vous la visitez.
24:50 -Et si vous aviez un écrivain
24:52 qui vous inspire,
24:54 africain, ce serait lequel ?
24:56 -Alors, je pense à un écrivain
25:01 qui est aujourd'hui disparu,
25:03 qui a écrit un livre qui s'appelle
25:05 "Le soleil des indépendances",
25:07 à Madhu Kuruma. -Kuruma.
25:09 -Alors, ce livre, il est... -Un écrivain ivoirien.
25:12 -Ivoirien. Ce livre, il m'a marqué quand je l'ai lu,
25:16 parce que c'est un livre, d'abord,
25:19 qui est écrit dans les années 70,
25:21 et qui vous fait un peu
25:25 cette... on va dire,
25:27 cette peinture de l'Afrique des indépendances,
25:31 et comment un prince malinqué,
25:34 Fama,
25:35 essaye de s'adapter
25:38 à cette nouvelle vie
25:40 et est confronté un peu à ses propres contradictions.
25:44 Et c'est intéressant, parce qu'en même temps,
25:46 il y a des questions politiques qui arrivent,
25:50 qui sont toutes nouvelles,
25:52 mais il y a aussi le nécessaire besoin
25:54 de retrouver un peu toute son histoire,
25:57 qui était une histoire culturelle,
25:59 et puis ses traditions.
26:00 Et je crois que beaucoup d'entre nous
26:04 sont un peu dans cette dualité,
26:06 et ce livre, en fait, ce roman en particulier,
26:09 est aujourd'hui encore un roman...
26:11 -D'actualité. -Je veux dire,
26:13 présent et contemporain. -D'actualité.
26:16 -D'actualité, et j'aime beaucoup
26:18 ce que Amadou Kourma a écrit
26:19 dans "Le Soleil des indépendances".
26:22 -Merci, Lazar El Goundou, à ce mot.
26:24 -Merci.
26:25 -Plaisir. Merci beaucoup.
26:27 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:30 Générique
26:32 ...
26:39 [Générique]