• l’année dernière
Transcription
00:00 J'avais pas spécialement envie de me mettre au sport, etc.
00:02 Et avant de monter à Saprod, je me pincais les joues.
00:04 Sauf que je me les pincais jusqu'à m'éclater des vaisseaux
00:07 pour faire croire que je sortais du sport.
00:08 Ouais, je sais pas, c'est parce que j'ai vu la dernière marche avec Sean Penn,
00:20 mais je m'étais fait tout un délire comme ça en me disant
00:22 "je vais être psy dans les prisons"
00:24 et puis après j'ai vu qu'il fallait faire S
00:26 et du coup, ça a vite bousculé mes convictions.
00:28 J'ai dit "je vais pas faire ça".
00:29 Mais comme quoi, la vie sur un film...
00:31 Éperdument, je suis allée faire des cours d'impro à Fleury.
00:34 Ça m'a donné envie de monter une forme de radio,
00:37 un atelier radio en prison.
00:38 Une troupe, on dirait vraiment que je faisais des petites claquettes.
00:44 Non, mais c'était une troupe dans le sens aussi,
00:47 l'énergie, on était...
00:49 Je faisais des cours d'impro dans le 18ème rue Lepic.
00:51 Et je me rappelle que pour aller voir nos spectacles,
00:53 on devait aller dans la rue, on marchait dans les abbesses
00:54 en disant "venez voir notre spectacle".
00:56 Ça marchait un peu.
00:58 Et en tout cas, c'est là que le hasard s'est créé
01:00 parce qu'il y a une directrice de casting qui est venue me voir.
01:02 C'est de là que j'ai passé tes castings.
01:04 Ouais, en fait, ma mère, elle a proposé
01:08 soit Nadia, soit Josepha.
01:09 Mon père, il lui a répondu "soit Adèle, soit Nadia".
01:12 Et en fait, le soir où ma mère est rentrée en travail,
01:14 il est allé boire une bière, c'était Nadel Scott
01:15 et il s'est dit que c'était un signe.
01:17 Ouais.
01:17 Non, bah frustrant.
01:22 Frustrant, j'avais l'impression que c'était une malédiction.
01:24 J'avais envie de dire "allez, quoi, 10 euros,
01:25 donne-le-moi ce petit point, c'est pas..."
01:27 Donc ouais, non, frustrant.
01:28 Et puis après, je suis partie pour le repasser.
01:30 Finalement, j'ai abandonné et c'est le moment où j'ai rencontré Abdel.
01:32 Ok, chichi.
01:33 Je ne me souviens pas que c'était le 2 juin,
01:39 mais c'est possible.
01:40 J'ai rencontré Abdel à Belleville.
01:42 Je pense, comme tous les gens qui ont rencontré Abdel.
01:44 Et c'est là où ont commencé une longue période de casting
01:46 assez expérimentale.
01:47 En fait, ça n'avait aucun sens, mais c'est ça qui était excitant,
01:49 c'est qu'il me faisait...
01:51 Il me donnait des répliques qui étaient pour le rôle de Léa.
01:54 Il testait un peu mes convictions, mon endurance.
01:56 Il me faisait venir beaucoup.
01:57 Après, il me demandait de courir dans un parc.
01:59 Et puis, je me rappelle aussi qu'il me demandait de faire beaucoup de sport.
02:01 Il me disait, voilà, moi, je veux faire un film sur la chair, sur les corps.
02:04 Il ne me le disait pas trop, mais en tout cas, il me disait,
02:05 "Pose pas de questions, fais du sport."
02:06 J'avais 17 ans, je n'avais pas spécialement envie de me mettre au sport, etc.
02:09 Et avant de monter à Saprod, je me rappelle, je courais.
02:11 Puisque la rue de Belleville, c'est un peu en pente en plus.
02:13 Et je me pincais les joues.
02:15 Sauf que je me les pincais jusqu'à m'éclater des vaisseaux
02:17 pour faire croire que je sortais du sport.
02:18 Et un joueur m'a dit, "Mais ça va, et toi, tu bois ?
02:20 Je ne sais pas, tu as des veines et tout qui ressortent."
02:22 En fait, je pourrais le regarder jouer des heures sans m'hydrater,
02:28 sans aller faire pipi.
02:30 Je suis fascinée.
02:31 Je ne l'explique pas, en fait, et c'est peut-être ça aussi qui me fascine.
02:33 Je ne sais pas si c'est du travail, je ne sais pas si c'est un don,
02:36 je ne sais pas ce que c'est.
02:37 Mais il y a quelque chose où il arrive à exister
02:39 à travers chacun de ces personnages avec une justesse folle.
02:41 Et puis, j'aime ce que ça me procure, parce que je me dis,
02:43 mais je suis incapable de faire ça.
02:45 Enfin, il me donne envie d'arrêter de travailler, en fait.
02:47 Au début, je voulais conserver le nom de la BD, "Clémentine".
02:52 Après, il s'est dit, "Non, Zoé".
02:54 Après, il m'a dit, "Tu sais ce que ça veut dire, Adèle ?"
02:55 Et tout, j'ai dit, "Oui, en arabe, ça veut dire justice."
02:57 Il m'a dit, "Ça colle bien au perso, on peut le garder."
02:58 J'ai dit, "Oui."
02:59 Mais par contre, j'ai moi-même découvert que c'était le titre du film
03:02 quand j'ai appris notre sélection à Cannes.
03:03 On m'a dit, "Ah, tu vas à Cannes ?"
03:04 J'ai dit, "Mais non."
03:05 Mais en fait, on ne s'en est jamais vraiment parlé, d'ailleurs.
03:07 J'ai dit, "Putain, c'est fou."
03:08 Ouais, "La Palme d'or", non, pour le coup, Spielberg parlait anglais.
03:13 Je ne connaissais pas très bien comment fonctionnait un palmarès, etc.
03:16 Donc, voilà, j'étais super contente quand j'ai vu que le film avait la palme.
03:19 Et pour moi, on avait été appelés sur scène pour participer avec Abdel,
03:21 voilà, comme une équipe.
03:22 Et je crois que c'est le lendemain ou le soir même, on est allés manger un panini
03:25 et quelqu'un a dit, "Tu sais que c'est une dérogation, ça n'a jamais été fait."
03:28 Et je pense même qu'ils n'auront plus le droit de le faire et tout.
03:31 Et j'ai dit, "Mais c'est à dire."
03:32 Et là, j'ai redit, "Mais non."
03:33 Non, et là, en gros, ils nous ont expliqué qu'on avait chacun une palme.
03:36 Et un an après, Thierry Frémont, il nous a fait construire une palme.
03:39 Et un an après, on est allés célébrer ça au restaurant avec Thierry, Léa.
03:42 Sur un tournage, on a dit, "Franchement, écoutez, c'est trop long, Abdel change."
03:49 Moi, je n'avais pas de personnalité.
03:50 J'ai dit, "Vas-y, pourquoi pas ?"
03:51 Mais je pensais que je pouvais vraiment m'appeler Smith si je voulais.
03:53 Enfin, je pensais que je pouvais tout changer.
03:54 Et du coup, j'étais mineure, donc j'appelle mon père.
03:56 Je dis, "Ouais, la prod, elle m'a parlé, tout ça. Ils aimeraient que je change de nom."
04:00 Et mon père, qui n'est pas du tout, en plus, imposant,
04:02 et puis qui ne connaît pas grand-chose à ce milieu,
04:04 il m'a dit, "Mais c'est hors de question que tu te trahisses.
04:07 Tu vas t'appeler Abdel Hexard, mais c'est moche.
04:10 Comment on peut demander ça à une enfant ?"
04:11 Enfin, ça a pris des proportions.
04:12 Il est intervenu, quoi.
04:14 En GIGN.
04:15 Ouais, Sean Penn, il m'a emmené là-bas avec lui.
04:19 Il nous a amenés là-bas pour voir les bénévoles.
04:21 Et puis, surtout, c'était son association à lui.
04:23 Et c'est quelqu'un qui, après le séisme, a été extrêmement impliqué.
04:26 Je veux dire, 7 jours après, il y était.
04:27 Il dormait avec nous sur des matelas,
04:29 là où il y avait tous les bénévoles du monde entier.
04:32 Non, c'était assez impressionnant.
04:34 Et après, c'est vrai qu'il y a toujours aussi cette distance
04:36 entre la modestie des habitants, leur lumière,
04:38 et puis la situation économique, politique d'un pays.
04:41 Donc, c'est quand même assez particulier à regarder.
04:43 Jour dur d'arriver comme ça, t'as l'impression de trahir.
04:46 En même temps, t'as envie d'être proche de la vérité,
04:48 mais de te dire, "Waouh, il y a des gens, c'est leur métier.
04:50 Moi, je viens ici en observation."
04:51 Ça met toujours aussi un peu mal à l'aise dans ta légitimité,
04:54 dans ton humanité, mais en tout cas,
04:57 c'était vachement enrichissant, et pour le rôle, et pour moi.
04:59 Pour moi, ce n'est pas que de la comédie.
05:04 Il y a quelque chose de presque politique chez Jim Carrey,
05:06 dans ses apparitions, dans ses discours, dans ce qu'il défend.
05:08 Et aussi, j'ai grandi avec Ace Ventura,
05:10 Dumbé Dumber, Menteur Menteur.
05:12 Donc, pour moi, c'est le dernier génie du burlesque.
05:14 Non, en fait, ce qui s'est passé, c'est que moi, je travaillais là-bas
05:20 avant de faire du cinéma, quand j'avais 16 ans.
05:22 Je faisais un petit boulot là-bas.
05:24 Et en gros, quand je suis tombée enceinte,
05:25 il y avait deux films auxquels je tenais vachement que je ne pouvais plus faire,
05:27 parce que j'aurais été à huit mois de grossesse,
05:28 et au niveau des assurances et même du rôle, c'était assez compliqué.
05:31 Et je me suis dit, je ne me vois pas rien faire pendant neuf mois.
05:33 Et du coup, j'ai demandé à mon père si je pouvais retravailler
05:36 là où je bossais avant.
05:37 Il m'a dit, "Ouais, mais par contre, ne m'attire pas de problème ou quoi."
05:39 Il m'a dit, "Je vais te mettre un autre nom."
05:41 Mais de toute façon, j'aurais pu garder mon prénom,
05:42 parce que les gens se disent que c'est impossible que quelqu'un
05:45 que j'ai pu voir en couvre, il me vende un trois fromages.
05:47 Mais c'était marrant, des fois, je disais, "Mais je te jure que c'est moi."
05:50 Il me disait, "Ah, t'es trop marrante, tu ressembles à sa cousine et tout."
05:52 Je disais, "Mais j'étais en contrat avec une maison de luxe, de mode."
05:56 Et un jour, j'ai une amie à moi qui m'appelle et qui me dit,
05:58 "Ma chérie, j'ai vu un dîner hier soir, une photo de toi
06:01 avec la casquette Coca-Cola, plein de pinte de bière, du pop-corn.
06:04 Qu'est-ce que tu fais ?"
06:04 Je lui dis, "Rien, je travaille à Bercy."
06:06 Et elle me dit, "Ouais, mais tu sais que ça, on peut t'enlever un contrat pour ça.
06:10 Tu vois, ça n'a pas trop de sens."
06:11 Et j'appelle mon père qui travaille à Bercy.
06:12 Et mon père, il me dit, "Donc, tu me saoules pour rattraper un travail,
06:15 pour rattraper un job, je te mets un faux prénom.
06:17 Et là, tu vas trahir tes convictions pour une marque de luxe."
06:19 Il me dit, "Mais tu me dégoûtes."
06:20 Et je lui dis, "Non, non, mais t'as raison et tout, c'est vrai.
06:23 Et puis au pire, si ça sort, ça sort.
06:24 Il n'y a rien d'honteux là-dedans."
06:27 Puis après, il m'a rappelé, il m'a dit, "Attends, c'est ce contrat ?"
06:30 J'ai dit, "Ouais, il m'a dit, 'Ma chérie, repose-toi.'"
06:33 J'ai dit, "Vas-y, ça marche."
06:34 [Générique]

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