"Camus sera d'actualité tant que les hommes auront à mourir", Raphaël Enthoven nous fait découvrir ou redécouvrir l’auteur de "La Peste"

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Raphaël Enthoven est l'invité d'Elodie Suigo du 27 septembre 2023.
Transcript
00:00 Bonjour Raphaël Enthoven.
00:01 Bonjour Elodie.
00:02 Vous êtes écrivain agrégé en philosophie et séiste.
00:04 Votre voix est bien connue également sur les ondes.
00:06 La philosophie vous accompagne depuis votre adolescence.
00:08 Elle vous procure d'ailleurs des réponses nécessaires à votre vie et vous permet de
00:11 mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, qui est sans cesse en perpétuel mouvement.
00:16 À partir du 4 octobre prochain jusqu'au 12 novembre, vous serez sur la scène du Théâtre
00:20 libre avec Camus par Enthoven.
00:22 Est-ce un hommage que vous souhaitiez rendre à Albert Camus pour montrer qu'aujourd'hui
00:25 encore le philosophe, journaliste militant, homme engagé, romancier, dramaturge, le prix
00:30 Nobel de littérateur de 1957, le papa de l'étranger, l'un des livres les plus lus,
00:35 est toujours d'actualité de par sa vision du monde ?
00:38 Non, ce n'était pas mon but.
00:39 Mon but n'était pas de dire que Camus était toujours d'actualité.
00:41 Vous savez, Camus sera d'actualité tant que les hommes auront à mourir.
00:44 Tant que l'humanité sera prise entre une naissance qu'elle a oubliée et une mort
00:49 qu'elle ignore, Camus sera d'actualité.
00:51 Donc la question de l'actualité de Camus ne se pose pas puisque c'est un philosophe
00:54 qui affronte l'absurde.
00:55 Or le sentiment de l'absurde, on y fait face dès qu'on regarde le monde, dès qu'on
00:59 regarde le réel, dès qu'on pose les yeux sur le monde.
01:02 Donc ce qui est difficile avec Camus, si vous voulez, ce n'est pas sa pensée.
01:06 Ce qu'il dit est extrêmement simple.
01:08 Camus n'est pas difficile à comprendre, il est difficile à admettre.
01:11 Et le mettre en scène est une façon plus aisée de faire passer les évidences qu'il
01:19 formule et qui sont tellement difficiles à entendre.
01:22 Là, j'ai les spectateurs pour moi et je peux pendant une heure leur donner à peu
01:27 près tout ce qu'on peut donner en une heure de Camus, tout ce qu'on peut dire de Camus
01:32 en une heure pour leur en donner le goût et pour les confronter aussi à ce qu'il
01:37 raconte.
01:38 Il était très complet, Camus, quand on regarde bien.
01:40 Il était jamais opposable à lui-même.
01:42 Il a, des années 30 aux années 50, il est d'une cohérence absolue parce qu'il n'a
01:49 jamais essayé d'être cohérent.
01:50 Il a toujours été fidèle à lui-même.
01:51 Donc, c'est un homme qui n'est pas opposable.
01:53 C'est une pensée qui n'est pas opposable à elle-même.
01:55 La pensée de Sartre est opposable à elle-même.
01:57 Sartre en 43, ce n'est pas Sartre en 63.
01:59 Ça n'a rien à voir.
02:00 D'ailleurs, il a rompu avec Sartre.
02:02 Il a rompu avec Sartre, comme bien des gens qui rompent avec Sartre.
02:06 C'est surtout Sartre qui est rompé avec les autres pour des raisons politiques.
02:09 Sartre avait laissé l'amitié être contaminée par la politique.
02:12 Et donc, il a rompu avec Aaron, il a rompu avec Camus.
02:15 Ce qui est vrai, ce qui est certain, c'est qu'il a beaucoup travaillé sur cette notion
02:21 de l'absurde, mais parce que ça l'habitait effectivement, Raphaël Enthoven.
02:25 Il a amplement contribué d'ailleurs à la montée de la philosophie de l'absurde,
02:28 plus connue sous le terme d'absurdisme dans le monde anglophone.
02:31 Ça montre à quel point il a réussi à apporter quelque chose.
02:33 Il faut prendre la mesure de ce qu'il a apporté.
02:36 Il a dit "nous allons mourir et il faut vivre en fonction de cette information".
02:43 Que faire de cette information ?
02:45 Vivre, c'est être béni d'une certaine manière et en même temps, c'est un cauchemar.
02:51 Et nous sommes obligés de composer avec ces deux dimensions de l'être.
02:54 Et quand quelqu'un assume de le dire aussi simplement et fortement que Camus, il est
02:59 normal qu'il reçoive un écho mondial.
03:01 C'est un guide, c'est un meilleur ami.
03:04 C'est le meilleur ami des gens qui ne croient en rien et qui se lèvent quand même.
03:07 Vous parlez de grands frères d'ailleurs.
03:09 Oui, on peut dire ça.
03:10 Je n'ai pas de grands frères, mais peut-être qu'avec lui, j'en ai un.
03:13 C'est le meilleur ami des gens qui n'ont aucune certitude et qui agissent malgré tout.
03:18 Donc, il est aisément le meilleur ami de beaucoup de gens d'ailleurs.
03:23 Mais c'est l'ami de chevet.
03:25 C'est celui chez qui on fait provision d'énergie quand véritablement il n'y a plus d'espoir.
03:30 C'est une dernière ressource si vous voulez, Camus.
03:35 C'est le libéraux de l'équipe de foot.
03:37 Dans ce seul en scène, vous dites qu'il a influencé beaucoup de monde.
03:42 Vous citez même Stallone ou les Monty Python.
03:44 C'est Stallone qui cite Camus sans vergogne et sans mettre de guillemets.
03:47 C'est une scène de The Expendables où Mickey Rourke, Toul, qui est un mercenaire,
03:52 raconte à quel moment il a perdu son âme.
03:55 Il a eu le sentiment de perdre son âme et il dit "j'ai perdu mon âme le jour où je n'ai pas empêché cette jeune femme de sauter d'un pont".
04:00 Or, c'est l'histoire de la chute.
04:02 Jean-Baptiste Clamence, dans La Chute, se fait ouvrir le cœur par le spectacle d'une femme qui se jette d'un pont.
04:10 Et comme il n'intervient pas, il se met à avoir mal au monde entier.
04:16 Non, Stallone cite Camus.
04:17 Alors ce qui est assez étonnant.
04:19 Pas que lui, Brian De Palma cite Camus aussi.
04:21 Beaucoup citent Camus.
04:23 Bien sûr.
04:24 C'est vrai que Camus, il a finalement énormément influencé beaucoup de monde.
04:27 Et pourtant, beaucoup disent encore aujourd'hui ne pas comprendre totalement Camus.
04:32 Est-ce difficile, Raphaël Winterman, de le rendre plus accessible ?
04:37 Non, non, non, non, non.
04:39 D'abord, je veux dire un truc, c'est que Camus n'est pas un philosophe difficile.
04:43 Il y a des pages dans le mythe de Sisyphe qui sont difficiles, mais dont la difficulté n'empêche pas d'en comprendre la lettre ou en tout cas d'en comprendre l'esprit et d'en retirer un grand bénéfice.
04:54 Il y a des pages dans L'Homme révolté.
04:56 Il y a trop de pages dans L'Homme révolté, donc ils sont trop touffus.
04:59 Mais là encore, si on se concentre et si on s'applique, ça marche très bien.
05:03 Vous savez, en voulant lui être désagréable, Jean-Jacques Brochier, un vieux sartrien, disait Camus est un philosophe pour classe terminale.
05:11 Or, je crois qu'il lui a fait malgré lui le meilleur compliment qu'on puisse faire à un philosophe.
05:15 C'est à dire qu'un cerveau de 17, 18 ans peut parfaitement entrer dans la pensée de Camus.
05:21 Et il y entre d'autant plus volontiers que Camus, comment dire, décrit une expérience que nous faisons tous.
05:28 L'expérience de l'absurde, nous la faisons.
05:31 Alors, il y a ceux qui l'assument et puis il y a ceux qui la recouvrent du filtre de la croyance.
05:35 Mais l'expérience de l'absurde est universelle.
05:37 C'est pour ça que Camus l'est aussi.
05:39 Il est universel sans être simple.
05:42 Vous avez rencontré la philosophie très tôt, Raphaël.
05:46 Vous vous posiez beaucoup de questions, contrairement à vos autres camarades de jeu.
05:50 Vous ne compreniez pas pourquoi vous vous posiez ces questions-là.
05:54 Est-ce que la philosophie vous a apporté un réconfort ?
05:57 J'avais le sentiment, quand j'étais plus jeune, quand j'avais 12-13 ans,
06:01 quand on est un enfant et qu'on confie à la nuit, au silence de la nuit, ces questions,
06:05 j'avais le sentiment d'être le seul sur Terre, évidemment, à me poser les questions que je me posais.
06:09 « Mes parents sont-ils vraiment les miens ? »
06:12 « Est-ce qu'il y a une vie après la mort ? »
06:14 Ce genre de questions qu'on croit être seul à se poser.
06:17 Et j'ai découvert assez rapidement, parce que j'avais des parents qui m'ont mis ça dans les mains,
06:21 j'ai découvert assez rapidement que des morts millénaires se posaient les mêmes questions que moi.
06:27 Et à partir de là, vous avez des sentiments mêlés.
06:30 Le premier réflexe est un peu vanite, il est de vous dire que vous pensez comme Platon.
06:34 Le deuxième réflexe est beaucoup plus humble et consiste à voir que vous n'avez rien d'original.
06:38 Et que ce que vous croyez être seul à penser, en réalité, il y avait toute une communauté de gens pour le faire.
06:42 Et là, vous intégrez cette communauté, dont les morts sont plus nombreux que les vivants,
06:46 et ne sont pas les moins bavards, mais c'est une communauté où vous n'êtes plus jamais seul.
06:51 Et la philosophie est un antidote à la solitude fondamentale de l'enfant qui se pose des questions dans le silence de la nuit.
06:59 C'est à celui-là qu'on s'adresse quand on se plonge dans la philosophie.
07:03 Le genre de réconfort que la philosophie apporte est de cette espèce-là.
07:06 C'est-à-dire que la philosophie ne répond pas aux questions qu'on se pose,
07:11 mais accompagne, transforme les questions qu'on se pose en outils de compréhension.
07:15 Et dit à l'enfant inquiet que nous sommes tous, que son inquiétude est un trésor.
07:22 Contrairement à ce qu'il pense.
07:24 Ce n'est pas une galère, c'est un trésor.
07:25 C'est ça que fait la philosophie.
07:26 C'est en ça qu'elle est utile à forger des destins.
07:30 Vous parlez d'humilité.
07:31 Il était très humble, Camus.
07:35 Il avait des convictions, il avait des pensées, une vision du monde, mais il était très humble.
07:43 Oui, il pensait à hauteur d'homme.
07:44 Et il disait, il a dit dans la préface aux écrits de Chanfort, du moraliste Chanfort,
07:48 qu'il ne faut jamais dans la vie se donner des principes plus grands que son caractère.
07:52 C'est merveilleux cette phrase, parce que tant de gens se donnent des principes absolus,
07:56 ont le goût de l'absolu, parce qu'en réalité, dans la pratique, ce sont des miteux et des gagnes petits.
08:01 Camus dit qu'on ne doit pas se donner de principes plus grands que son caractère.
08:04 Donc, si vous voulez, c'est quelqu'un qui assumait ses propres mesquineries,
08:08 ses propres petitesses, son indifférence, le fait que, comme il dit,
08:13 il a besoin d'honneur parce qu'il n'est pas assez grand pour s'en passer.
08:16 Donc, c'est quelqu'un qui assume ça.
08:18 Et dans le même temps, c'est quelqu'un qui porte très haut l'exigence d'être, comment dire,
08:23 d'avoir une existence qui soit conforme à ce qu'on croit,
08:26 dans la mesure où l'on ne se donne pas de principe plus haut que son caractère.
08:29 Les vérités auxquelles il s'intéresse sont des vérités, dit-il, qui doivent pourrir.
08:33 Qu'ai-je à faire d'une vérité qui ne doit pas pourrir, pas périr ?
08:36 Elle n'est pas à ma mesure et l'aimer serait un faux semblant.
08:39 Camus est un antidote au goût de l'absolu.
08:42 C'est intéressant, quand les gens ont le goût de l'absolu,
08:44 ils se trouvent très originaux en général,
08:46 alors qu'en fait, ils souffrent d'une maladie plus répandue que la grippe,
08:49 qui consiste à se donner des principes immenses et à avoir ensuite des pratiques mesquines.
08:53 On parle de lui en disant aussi que c'était un témoin de son temps,
08:57 qui nous a apporté des repères dont on manque cruellement aujourd'hui.
09:00 Êtes-vous d'accord avec ça ?
09:01 Je ne sais pas si on en manque aujourd'hui,
09:03 mais je sais qu'il a fait son travail d'éveilleur de conscience.
09:07 Par exemple, au lendemain d'Hiroshima,
09:12 alors que le monde hésitait, était sur le point de basculer dans la liesse à l'issue de la guerre,
09:18 Camus est le premier à dire que nous avons basculé dans un nouvel âge
09:22 et que c'est une ère de terreur.
09:23 Et il dit "le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de choses".
09:27 Il est le mauvais coucheur de la fête, si vous voulez.
09:30 Il est celui qui rappelle à l'humanité que le prix à payer
09:32 pour être sorti du pire affrontement mondial
09:35 est un prix extraordinairement élevé qui nous expose au plus grand des dangers.
09:38 C'est le premier à le dire.
09:40 De la même manière, en janvier 1946,
09:42 c'est le premier à forger l'expression de choc des civilisations.
09:46 Camus est précurseur, mais parce qu'il était vigilant.
09:50 Et il ne s'agit pas de dire que...
09:53 Ce qui demeure chez lui, par exemple,
09:56 c'est son incapacité à choisir un camp pendant la guerre d'Algérie,
10:01 parce qu'il était incapable d'être idiot ou d'être sectaire.
10:04 Donc ce qu'il faut retenir, c'est ce geste-là.
10:06 C'est le geste de l'homme déchiré.
10:08 C'est l'homme que son intelligence déchire,
10:11 parce qu'il ne peut pas adhérer à un camp plutôt qu'à un autre
10:14 et que du coup, il se trouve ennemi des deux.
10:17 C'est cette figure-là, cette figure tragique,
10:19 qui est une figure qui, objectivement,
10:22 aide à vivre et inspire ceux qui le lisent.
10:25 Mais cela dit, il a toujours eu ce courage d'affronter les choses.
10:29 Oui, toujours.
10:30 Il a toujours été là où il fallait être.
10:33 En 1938, c'était le premier à parler de la misère en Kabylie.
10:36 En 1946, c'est le premier à parler d'un choc de civilisation
10:39 à propos de la décolonisation qui vient et de la guerre froide.
10:45 Il a toujours été des bons combats.
10:49 Il a toujours été du bon côté du manche.
10:51 Ça, c'est vrai.
10:52 C'est quelqu'un qui ne s'est jamais trompé de combat.
10:54 L'un de ses regrets dans la vie, c'était de n'avoir pas pu entrer dans l'actif
10:57 pendant la guerre parce qu'il était tubard.
11:00 Mais il s'est positionné pendant l'occupation malgré tout.
11:02 Mais incontestablement, magnifiquement.
11:07 Et dans le même temps, Camus n'est pas un juge.
11:11 C'est une conscience, mais ça n'est pas un juge.
11:13 Ce n'est pas quelqu'un qui juge.
11:14 Par exemple, il écrit les lettres à un ami allemand.
11:17 Un texte formidable.
11:17 Ça fait dix pages.
11:19 C'est très court, Camus.
11:20 Très efficace.
11:21 "Lettre à un ami allemand", c'est une correspondance de quatre lettres
11:23 qu'il envoie à un nazi.
11:25 Un ami nazi devenu nazi.
11:28 Et c'est limpide.
11:30 Et il lui dit à un moment, il discute et Camus lui dit
11:35 "moi, je voudrais aimer mon pays tout en aimant la justice".
11:37 Et l'autre lui répond "ah, vous n'aimez pas votre pays".
11:39 Il dit "mais pas du tout, c'est vous qui n'aimez pas votre pays".
11:41 "Parce que vous voulez cacher ses zones d'ombre.
11:43 Vous voulez cacher son obscurité".
11:45 Non, Camus disait "quand on aime, il faut connaître la nuit.
11:48 Il faut assumer l'ombre".
11:49 Donc Camus était un rayon de soleil.
11:51 Ah, c'est un rayon de soleil.
11:52 Mais c'est un rayon de soleil qui sait que le soleil répand aussi de l'ombre.
11:56 Et que si on n'assume pas l'ombre, il faut connaître la nuit.
12:00 Il faut pratiquer l'ombre.
12:02 C'est un élève de Nietzsche.
12:03 Nietzsche avait cette belle intuition à la fin du "Guet savoir".
12:06 Il dit "qui nous jouera une musique assez gay
12:08 pour qu'elle nous aide à ne pas chasser nos idées noires".
12:11 Et c'est ça, Camus.
12:12 C'est quelqu'un qui nous donne la force de ne pas chasser nos idées noires.
12:16 Sa quête, c'était d'abord une quête personnelle.
12:18 Il avait besoin de se faire du bien.
12:20 Il avait besoin de se réconforter.
12:21 Il avait besoin de mieux comprendre les choses.
12:24 Il avait besoin d'égoïsme.
12:25 Il avait besoin de cet individualisme altruiste
12:28 qui lui permettait ensuite de se tourner vers le monde.
12:30 C'est-à-dire, par exemple, le meilleur exemple qu'on puisse en donner,
12:33 c'est dans "La Peste".
12:34 Il y a un passage où Rieu et Tarou, qui sont vraiment les combattants,
12:37 les guerriers de la peste, qui ont les mains dans les bubons toute la journée.
12:40 Rieu coordonne les secours.
12:42 Il a ce droit-là.
12:43 Sortent de la ville alors que la ville est en quarantaine.
12:45 Ils sortent de la ville et ils vont se baigner.
12:47 Ils sortent dorant et ils vont se baigner.
12:49 Et pendant une page, Camus décrit cela.
12:51 Et il décrit le bonheur égoïste de ces individus qui vont se baigner.
12:54 Camus ne connaissait pas de plus grand bonheur
12:55 que de se baigner dans la mer pendant la nuit.
12:58 Donc, ils se baignent.
13:01 C'est l'heure de l'amitié, disent-ils.
13:03 Et en réalité, Camus célèbre ça.
13:06 Célèbre le besoin que nous avons d'être heureux,
13:08 même quand les autres souffrent.
13:10 Il célèbre ça.
13:11 En revanche, il dit qu'il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul.
13:15 Mais il est sur cette ligne de crête, si vous voulez,
13:18 de l'homme qui ne vous juge pas, mais qui vous montre quand même un chemin.
13:22 Jusqu'à ce qu'il ait son action de voiture qui va lui ôter la vie.
13:25 Camus a eu besoin effectivement de comprendre beaucoup de choses,
13:29 mais il aspirait aussi à être libre,
13:32 avoir une forme de liberté.
13:33 La liberté, c'est de pouvoir finalement marcher d'abord dans ses propres pas.
13:37 Est-ce que vous y arrivez, Raphaël Entoven ?
13:39 Oh, ça, c'est une autre question.
13:42 J'ai le sentiment que Camus y est parvenu.
13:45 C'est-à-dire effectivement la liberté de marcher dans ses propres pas.
13:49 C'est très juste, ça.
13:50 Parce qu'en général, les gens se disent que la liberté, c'est de faire ce qu'on veut.
13:53 Bon, d'abord, on ne peut pas tous faire ce qu'on veut.
13:54 Si tout le monde faisait ce qu'on voulait, ce serait la jungle.
13:57 Donc, ça n'est pas ça.
14:00 Ça n'est pas non plus de vouloir ce qu'on fait,
14:01 ce n'est pas de baisser les bras, non, c'est de marcher dans ses propres pas.
14:04 C'est de sentir, comment dire, l'image est de montagne.
14:07 C'est de sentir qu'un sentier s'éclaire à mesure qu'on l'emprunte.
14:13 Et on ne sait pas si le sentier était là avant qu'on l'emprunte.
14:16 Et c'est ce sentiment-là, très délicat,
14:19 où on est à la fois spectateur et acteur du monde que donne la philosophie.
14:22 Faire de la philosophie, c'est emprunter un sentier qui s'éclaire à mesure qu'on marche.
14:28 Et il y a là quelque chose d'absolument réconfortant,
14:31 de, ce que je veux dire, il y a là quelque chose de consistant.
14:36 C'est une joie consistante.
14:38 Ce n'est pas un plaisir.
14:39 Ce n'est pas forcément un bonheur.
14:41 C'est souvent une souffrance.
14:43 Mais les joies qu'apporte l'exercice de la philosophie
14:45 sont des joies consistantes, stables, durables.
14:49 Ce sont d'excellents antidotes.
14:51 - Bonne base, comme on dit. La fondation.
14:54 Pour terminer, c'est un seul en scène.
14:55 - Fini déjà.
14:56 - Raphaël, ça va vite.
14:58 C'est un seul en scène.
14:59 - Comme le temps passe.
15:00 - Donc, vous êtes en face d'un public, évidemment.
15:03 - Pas tout à fait un seul en scène.
15:04 Je dois à la vérité de dire que je suis rejoint sur scène à un moment par Bernard Gabet.
15:09 - Je ne voulais pas le préciser, mais ce n'est pas grave.
15:10 - Mais oui, mais en disant seul en scène,
15:12 on n'est pas juste avec la performance extraordinaire de mon Bernard Gabet.
15:16 - En tout cas, c'est un tête à tête avec Camus.
15:19 - Oui.
15:20 - C'est sûr. Et avec le public aussi.
15:21 - Oui.
15:22 - C'est une façon, justement, de créer un échange.
15:27 - Non, c'est juste parce que ça me faisait peur.
15:29 Ça me terrifiait d'aller sur scène.
15:31 Je me servais, en camusien, je me sers de ma peur comme d'une boussole.
15:35 Je me dis que c'est là qu'il faut que j'aille, puisque c'est là que j'ai peur d'aller.
15:39 Et donc, c'est l'origine de tout ça.
15:42 C'est la trouille que j'avais de le faire.
15:45 Et désormais, c'est le bonheur que j'ai de le faire, de le répéter,
15:50 de sentir ce spectacle naître de répétition en répétition, d'effort en effort.
15:57 Je suis dans la position d'une parturiante, si vous voulez, qui va accoucher dans pas longtemps.
16:00 Et et et dont les voilà, on en est, on en est aux contractions.
16:05 Et mais c'est très compliqué. Comment dire?
16:09 Je suis partagé entre une sainte terreur et en même temps, le sentiment que peu à peu,
16:15 à mesure qu'on travaille avec Julie Brochène, qui est vraiment,
16:18 qui est vraiment sans qui ce spectacle n'existerait pas.
16:23 La peur cède la place au plaisir.
16:26 Mais vous avez peur de quoi? J'ai peur de la scène.
16:28 J'ai peur de la scène. On est sans filet sur scène.
16:30 J'ai peur de la scène, étrangement, comme j'avais peur des directs.
16:33 Quand je faisais de la radio, j'avais peur des directs.
16:36 C'est la raison pour laquelle je m'obligeais à en faire.
16:38 La peur est un excellent guide.
16:41 Il faut juste ne pas tourner le dos aux réalités qu'elle nous désigne.
16:45 Et j'avais peur de la scène. J'avais peur de l'absence de filet.
16:48 Et j'ai. Et en réalité, on joue avec ça.
16:54 Et puis, surtout, c'est un spectacle où il ne s'agit pas pour moi de réciter un texte par coeur,
16:59 mais de réciter un texte par le coeur.
17:02 Ce que je raconte, je l'ai suffisamment lu et vécu pour pouvoir en parler
17:06 et peut être en changer les termes d'un soir sur l'autre.
17:09 Juste que vous citiez la phrase avec laquelle vous démarrez ce spectacle.
17:14 Le monde est beau et hors de lui point de salut.
17:18 Il faut savoir que Camus a 20 ans quand il écrit cette phrase et que cette phrase,
17:21 d'une certaine manière, dit à peu près tout ce qu'il pense.
17:23 Il n'y a de beauté qui s'y bat, il n'y a de salut qui s'y bat.
17:26 Et s'il faut se battre dans la vie, c'est parce que le salut, c'est l'affaire des vivants.
17:31 Merci beaucoup, Antoine, d'être passé dans le monde de l'audition France Info.
17:35 A compter du 4 octobre jusqu'au 12 novembre, vous serez donc au Théâtre Libre pour Camus par Antoine.
17:41 Merci beaucoup.
17:42 Merci.
17:43 merci à bientôt !

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