Patrice Geoffron, directeur du Centre géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) et professeur de sciences économiques à l'Université Paris Dauphine, décortique l’augmentation des prix de l’essence
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00:00 Ce qui s'est produit au cours de ces derniers mois,
00:01 c'est que conjointement l'armée saoudite et la Russie ont décidé de restreindre la production,
00:06 ce qui a pour effet de faire monter le prix.
00:08 Si on prend une référence, malheureusement qui est la référence actuelle,
00:16 aux alentours de 2 euros, il faut considérer que c'est 50/50 entre des taxes,
00:20 et je vais détailler, et puis par ailleurs le prix de la ressource,
00:23 c'est-à-dire le pétrole brut, transformé et par ailleurs transporté et distribué.
00:28 La taxe
00:33 Si on regarde la partie taxes, il y a deux composantes,
00:35 il y a une taxe qui s'appelle la TICPE, c'est un acronyme abominable,
00:39 et grosso modo qui est une assise en centimes,
00:41 donc à peu près 70 centimes par litre en tout cas pour ce qui est de l'essence sans plomb,
00:46 et puis le reste c'est une TVA, et la TVA pèse 20% sur l'ensemble.
00:50 Donc voilà pour les 50% de taxes, et sur les 50 autres pourcents,
00:54 on a là aussi, ça peut varier entre le sans plomb et puis le gazole,
00:59 mais en tout cas on a 4/5 qui est lié au brut, à sa transformation,
01:05 et puis 1/5 à peu près, ça peut être un peu plus,
01:08 qui est lié au transport et à la distribution, ça donne des ordres de grandeur.
01:12 L'augmentation récente, elle s'explique par la combinaison de deux phénomènes,
01:16 le prix du brut a augmenté, et puis par ailleurs en Europe depuis quelques temps,
01:21 évidemment nous avons un embargo avec la Russie,
01:24 et tout ça a conduit à complexifier l'acheminement du pétrole jusqu'en Europe,
01:28 et en l'occurrence jusqu'en France,
01:29 auparavant il arrivait assez massivement par tuyaux de Russie,
01:33 et on avait perdu de vue d'ailleurs que la Russie était non seulement le premier fournisseur de gaz,
01:38 mais également le premier fournisseur de pétrole,
01:39 et donc désormais le pétrole arrive par des chemins qui sont plus complexes par bateau,
01:43 donc c'est plus coûteux, et c'est plus coûteux également à raffiner.
01:46 Donc voilà on a à peu près le tableau d'ensemble pour ce qui est l'augmentation,
01:49 qui est imputable à la partie disons la ressource, sa transformation,
01:53 et puis un autre élément qui entre en ligne de compte,
01:55 qui est que plus le prix du pétrole augmente, plus sa transformation est coûteuse, etc.,
02:01 plus l'effet est renforcé par la TVA.
02:03 La TVA c'est 20% qui s'ajoute à la fin,
02:06 et évidemment ce 20% est influencé par les variations du prix du brut,
02:10 et les variations de la marge de raffinage.
02:18 En tout cas pour ce qui est de l'épuisement géologique,
02:20 de fait il n'y en a pas, on est aujourd'hui dans une situation assez paradoxale,
02:23 si on la compare avec ce qu'étaient les craintes des chocs pétroliers dans les années 70,
02:27 on avait peur à ce moment-là de voir arriver la fin du pétrole au début du XXIe siècle.
02:31 En fait ce n'est pas du tout ce qui s'est produit,
02:33 et parce que l'exploration du pétrole a pu se faire dans des endroits très différents,
02:37 notamment en offshore, et y compris en offshore profonde,
02:40 donc dans l'omère, notamment en mer du Nord si on veut avoir un exemple,
02:44 mais également dans les côtes américaines,
02:47 éventuellement à l'avenir, ce serait terrible d'ailleurs,
02:50 mais dans le Grand Nord, donc il y a toute une série de pistes dans ce domaine,
02:53 et puis par ailleurs d'autres technologies d'exploitation sont apparues,
02:57 la fracturation hydraulique qui permet d'extraire du gaz de schiste,
03:00 mais également du pétrole de schiste,
03:01 et c'est une révolution en tout cas au niveau nord-américain.
03:04 Et donc le problème est très différent de ce qu'on percevait au XXe siècle,
03:08 on avait peur de ne pas avoir assez de pétrole,
03:10 et aujourd'hui au regard des contraintes climatiques, on a beaucoup trop de pétrole.
03:13 Alors s'il y a trop de pétrole évidemment,
03:15 on se peut dire que le prix du pétrole devrait baisser,
03:17 or il monte, et en fait il monte notamment sous l'action conjointe d'une série de coalitions,
03:24 l'OPEP, classiquement autour de l'Arabie Saoudite,
03:26 et puis qui a été renforcée par la Russie,
03:29 un certain nombre de ses affilés, de ses partenaires,
03:32 donc ça fait pas loin de 25 pays exportateurs,
03:35 qui depuis quelques années se coordonnent depuis 2016 pour essayer de peser sur le prix du pétrole.
03:40 Et ce qui s'est produit au cours de ces derniers mois,
03:42 c'est que conjointement l'Armée Saoudite et la Russie ont décidé de restreindre la production,
03:47 et bien ce qui a pour effet de faire monter le prix.
03:50 Alors par ailleurs, la politique climatique évidemment est sceptique d'avoir un impact sur le prix,
03:55 notamment parce que ça crée un risque d'exploitation à l'avenir du pétrole,
04:00 et donc il y a toute une incertitude sur la place qui sera laissée au pétrole à l'avenir,
04:04 et donc on observe qu'il y a moins d'investissement,
04:06 en tout cas que dans le passé, dans l'amont,
04:08 c'est-à-dire dans l'exploration et l'exploitation du pétrole,
04:11 et il pourrait y avoir ce que l'Agence Internationale de l'Énergie qualifie comme "baril manquant".
04:17 Et "baril manquant", c'est ce qui pourra apparaître peut-être vers la fin de cette décennie,
04:21 comme production insuffisante pour répondre à la demande,
04:25 et notamment, et c'est l'objet de votre question,
04:27 parce qu'il y a une incertitude sur l'évolution de la demande à l'avenir
04:30 au regard de ce que sont les politiques de transition,
04:32 par exemple pour l'Europe, on a un grand questionnement,
04:35 est-ce qu'on va parvenir à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 ?
04:40 Si on regarde la partie spécifiquement liée au transport,
04:43 en France, ça conduirait à réduire les émissions des transports de 30% entre aujourd'hui et 2030,
04:48 si on veut avoir un ordre de grandeur.
04:49 Et si on réussit, on évitera d'importer de l'ordre de 100 milliards de pétrole
04:54 ou de produits pétroliers raffinés.
04:56 Ça donne l'ordre de grandeur de l'incertitude qui est assez massive à l'avenir sur les besoins en pétrole.
05:03 Et évidemment, plus on va avancer dans la décennie 2030 par ailleurs,
05:06 plus les incertitudes vont s'accroître.
05:08 Le vente à perte
05:12 Cette idée de vente à perte est assez baroque puisqu'elle va conduire à présenter au Parlement
05:17 une sorte de loi d'exception qui vient briser un des éléments du code du commerce
05:22 qui est l'interdiction de vente à perte.
05:23 Cette interdiction de vente à perte, pas simplement pour l'essence, mais en tout domaine,
05:27 elle est très encadrée, notamment parce que ça évite d'avoir des distorsions de la concurrence
05:31 et donc d'avoir des entreprises puissantes qui, pendant un certain temps,
05:35 peuvent proposer des produits à prix cassés, de telle manière à évincer leur concurrent.
05:38 Et lorsque les concurrents ne sont plus là, ils viennent se rattraper en faisant remonter les prix.
05:42 On est fondé à se demander pourquoi le gouvernement souhaite introduire cette disposition.
05:50 Il se trouve que l'an dernier, dans le cadre du début du conflit,
05:53 qui a fait monter le prix du baril très très haut aux alentours de 130 dollars,
05:57 c'est-à-dire bien plus haut que ce n'est le cas à l'heure actuelle.
05:59 On est uniquement, si on peut dire, à 95 dollars le baril.
06:01 Il a fallu intervenir assez rapidement, à la fois sur le gaz, sur l'électricité,
06:05 également sur le prix à la pompe.
06:07 La ristourne qui a été mise en œuvre par l'État est complétée par ailleurs par Total,
06:11 mais en tout cas la partie qui a incombé à l'État a coûté 8 milliards d'euros.
06:14 Et on est au bout de la manière dont on peut mettre en œuvre le quoi qu'il en coûte.
06:18 Et donc il y a une volonté du gouvernement et de Bercy plus spécifiquement
06:22 d'envoyer des signaux de gestion rigoureuse de ce qui s'appelait par le passé le quoi qu'il en coûte,
06:27 et donc la manière de venir au secours des ménages et des entreprises dans ces domaines.
06:32 D'où l'idée d'aller chatouiller, si on peut dire, la grande distribution,
06:35 qui pourrait voir dans la possibilité de vendre à paix un argument de concurrence.
06:40 Alors c'est problématique à plusieurs égards,
06:42 notamment parce qu'en France il y a 11 000 stations-services
06:46 et il y a 2 500 d'entre elles qui sont des indépendances,
06:49 c'est-à-dire qui ne sont pas adossées à Total ou à un grand groupe pétrolier,
06:53 ou qui n'appartiennent pas à la grande distribution.
06:55 Et donc très concrètement, ce sont des stations qui sont plutôt en milieu rural ou en milieu périurbain
07:00 et qui font des marges d'un à deux centimes par litre, jamais plus,
07:04 et puis qui ont beaucoup de mal à se rattraper par ailleurs sur des produits de consommation
07:07 qu'on peut trouver sur une autoroute qui est une vraie épicerie ou un point de restauration.
07:12 Donc c'est très dangereux de ce point de vue,
07:15 ce qui a supposé les côtés de Bercy de donner des garanties
07:19 et de rassurer les distributeurs interbandants de telle manière
07:22 à leur assurer qu'ils seront compensés s'il devait y avoir une mise en œuvre de ce type de mesure.
07:28 Et puis d'ailleurs, on a vu ces jours derniers que le moins qu'on puisse dire,
07:31 c'est que tout ça ne suscite pas un grand élan du point de vue de la grande distribution.
07:35 Si Deconcert a pris la parole, ça n'est pas toujours le cas,
07:39 pour indiquer que s'il devait y avoir des restaurants, elles seraient très limitées
07:44 et que globalement, ça ne leur apparaissait pas comme de la bonne politique.
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