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00:00 Si on a montré Zidane, c'est qu'il a aussi le numéro 10, que vous portez encore de temps en temps.
00:06 Oui, très très, je le cache si vous me parlez de Zidane.
00:09 Non mais en tout cas j'aime bien cette position là, en effet, sur le terrain,
00:13 où on est au milieu, où on distribue et où on fait jouer l'équipe.
00:18 Je pense qu'en effet il y a quelque chose de créateur et de créatif dans ce rôle là.
00:23 Alors je vais vous présenter non pas un sportif, mais un musicien, Jean-Louis Murat.
00:28 Je ne sais pas si vous le connaissez.
00:30 Vous connaissez forcément de nom et pour l'avoir entendu, vous l'avez déjà rencontré.
00:35 On ne s'est jamais rencontré.
00:37 Alors je vais vous poser des questions communes d'abord et puis après Jean-Pierre fait Jean-Louis Murat.
00:42 Si vous aviez la possibilité de vous téléporter, où est-ce que vous iriez ?
00:47 Je crois que je voyagerais dans le temps. J'aimerais bien revenir un peu en arrière.
00:52 19e siècle, encore avant ?
00:54 En effet, l'hydro même, encore un peu avant. Je ne sais pas pourquoi, mais cette période me fascine.
00:58 Parce que voilà, Jacques le fataliste, d'Alembert, Voltaire, toute cette période-là du 18e,
01:03 moi m'a beaucoup excité parce que c'était comme un ciel des lumières.
01:06 Mais c'était tout d'un coup où on a l'impression que l'esprit se libère.
01:10 Et voilà, j'aimais bien cet esprit foisonnant.
01:13 Et puis si je pouvais me téléporter aussi dans l'avenir, parce que je viens d'entendre
01:18 que le prix Nobel de médecine avait été décerné à des Américains
01:21 qui avaient peut-être découvert la possibilité de prolonger la vie, etc.
01:26 Donc ça aussi, me projeter dans le temps, j'aurais bien voulu connaître ça.
01:30 Parce que j'aimerais bien que la vie soit très très longue.
01:33 La vôtre, par exemple ?
01:35 Je ne vais pas bénéficier des résultats des scientifiques.
01:40 C'est déjà mieux que du temps de vos parents et de vos grands-parents.
01:43 Vous avez déjà une espérance de vie plus longue.
01:46 Et Jean-Louis Murat, qu'est-ce que vous choisiriez ?
01:50 En entendant la voix de M. Dussolier, en tournée, j'ai roulé pendant tellement de centaines de kilomètres
01:58 en vous écoutant, d'Ir Proust notamment, que je crois que j'aimerais bien aller dans l'encrier de Marcel Proust.
02:09 Ça serait une bonne idée.
02:12 Et vous vous rendez compte, votre voix, comment elle a pu impressionner ?
02:16 C'est formidable de pouvoir apporter, donner sa voix à des textes.
02:20 Mais dire Proust, moi ça m'a aidé à le connaître.
02:23 Parce que le lire, on croit qu'on l'a compris.
02:26 Et puis en fait, le dire, ça lui donne tout le relief, toute la finesse qu'il a.
02:30 Et je l'ai découvert en le disant.
02:32 Vous êtes devenu un peu pour moi, autant avec des écrivains connus, si on lit Duras, on entend un peu sa voix.
02:39 Et si en lisant Proust, que quand même la lecture...
02:43 J'ai toujours en fond sonore votre voix dans l'esprit en lisant Proust.
02:48 Si vous étiez président de la République, élu président, quels sont les premiers décrets que vous prendriez ?
02:54 Je crois que je doublerais le budget de l'éducation nationale.
03:00 Tellement j'ai l'impression que c'est là que se trouvent des solutions pour combler peut-être les écarts,
03:07 pour donner aussi à l'enfance, puisque j'ai récriminé beaucoup contre l'enseignement, le côté un petit peu figé,
03:12 et je trouve que c'est là que c'est important pour la vie future, pour la vie d'une nation, pour la vie des gens.
03:20 C'est là que tout se construit, et donc c'est là peut-être que je mettrai l'effort le plus important.
03:26 Un peu la culture aussi quand même ?
03:28 Fatalement, et ça va avec, bien sûr.
03:31 Jean-Louis Murat. Je ne vous vois pas président, vous ne le voyez jamais.
03:35 J'ai beaucoup de mal à envisager, je ne sais pas, peut-être qu'il faudrait supprimer le poste, peut-être.
03:41 Ça aurait eu de la gueule, première mesure.
03:44 Je crois qu'ils n'ont pas tant de pouvoir que ça, ils ont un pouvoir un peu symbolique,
03:49 alors je ne sais pas quel symbole ils pourraient tripoter, mais rien de bien décisif, j'en ai bien peur.
03:55 Si votre vie était un roman, pour reprendre le titre de René, quel en serait le titre ?
04:02 Je vais être un peu paresseux, mais "Les Herbes Folles" ce serait pas mal,
04:06 parce que c'est un peu ça le but de sa propre vie,
04:11 enfin en tout cas de la mienne, de sortir un peu des formats, de sortir des moules,
04:15 et puis de laisser aller un peu les envies, les besoins.
04:19 Moi j'aime bien la dépendance, et Jean-Louis Murat est un exemple justement,
04:23 de ne pas obéir, et c'est difficile dans le monde dans lequel on vit,
04:26 de ne pas obéir à une mode, d'être soi-même, et d'obéir à ces herbes folles.
04:30 Pousser à travers le bitume, et le béton.
04:34 Et vous Jean-Louis Murat ?
04:37 Je reprendrais peut-être le titre de ma première chanson écrite,
04:42 qui était "Je voudrais être pris pour un autre, ou que l'autre soit pris pour moi".
04:48 Ça m'irait tout à fait.
04:50 Vous étiez très jeune quand vous avez écrit cette première.
04:55 Oui.
04:56 Eh bien je vous remercie beaucoup André Dussolier.
04:58 Merci.
04:59 Alors on va parler avec Jean-Louis Murat, qui s'est pas toujours appelé Jean-Louis Murat d'ailleurs.
05:04 Non, non, c'est mon nom d'artiste.
05:08 Et vous n'aimiez pas votre nom à vous, ou c'est parce que vous aimiez beaucoup votre village ?
05:14 Je trouve que c'est assez pratique.
05:17 Je me dédouble assez facilement, c'est-à-dire que,
05:22 il y a le Murat qui bien souvent me casse les pieds, qui dit des choses, qui fait des choses,
05:27 et puis il y a ma vraie personnalité, ou mon vrai nom qui est un peu en retrait.
05:32 C'est Bergeau, c'est le berger en vergnin.
05:36 Et alors le berger quand il vous regarde, quand il regarde le Murat, qu'est-ce qu'il dit ?
05:41 Il se moque parfois, de temps en temps ?
05:43 Oui, bien souvent il pense, oui, pauvre garçon un peu.
05:46 Il se dit "Oui, qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour vendre des disques ?"
05:52 Un peu de compassion, un peu d'énervement.
05:57 Votre père était menuisier, un homme qui aimait travailler le bois,
06:03 ça c'est le genre de métier que vous respectez beaucoup ?
06:06 Oui, beaucoup, parce que mon grand-père aussi était paysan,
06:10 mais était aussi menuisier, charpentier, j'ai une famille vraiment de menuisier, charpentier.
06:15 On meurt un peu, d'une certaine façon, de vivre dans des villes maintenant,
06:20 il n'y a plus que c'est une nation de citadins, il y a très peu de paysans, quand on regarde bien, en pourcentage.
06:25 Et donc on sent que toutes ces racines sont rabotées, puisqu'on parle de menuisier.
06:30 Mais vous, votre choix, ça a toujours été de refuser la ville.
06:33 Dès que vous êtes monté à la ville, tout de suite vous êtes revenu chez vous.
06:38 Peut-être que je suis resté sur une idée un peu simpliste,
06:41 mais c'est que le fait de citadins tuait le fait paysan, je dirais.
06:46 Enfin, tuer une espèce de culture citadine qui tue un peu l'agriculture.
06:52 Et c'est vrai que, instinctivement, je me sens davantage porté vers le monde paysan, vers l'agriculture et vers la terre.
07:00 Enfin, l'homme qui se définit, qu'on peut définir facilement par le rapport qu'il entretient avec la terre, et sa terre natale notamment.
07:08 Votre maman ne travaillait pas ou elle était... ?
07:11 Couturière, elle est toujours couturière.
07:15 Vos parents ne s'entendaient pas très bien, vous l'avez mal vécu dans votre enfance ou vous n'êtes pas vraiment rendu compte de ça ?
07:23 Si, beaucoup bien sûr, mais maintenant je suis grand, je vois ça comme...
07:33 ça a été assez positif pour moi, ça m'a fait ce que je suis fait.
07:37 Je trouve que c'est bien d'aimer ce qu'il nous a fait.
07:40 Même les problèmes familiaux qui nous font aussi... il ne faut pas non plus passer son temps à se plaindre.
07:48 Non, c'était très bien comme ça.
07:49 Le fait d'avoir grandi dans une maison où il n'y avait pas forcément l'eau courante, en tout cas il n'y avait pas tout le confort moderne, c'est aussi une bonne chose ?
07:57 Ça c'était plutôt chez mes grands-parents.
07:59 Oui ?
08:00 Oui, oui, oui, c'était très très bien.
08:02 On ne s'en rend pas compte, on se dit qu'on va se laver dans le bac.
08:06 Je trouvais ça très très bien. Je n'ai pas vécu ça comme si j'avais vécu des sortes de restrictions.
08:14 Non, non, maintenant je vois ça comme une chance inouïe finalement.
08:18 Quand votre père, je crois qu'il jouait dans une harmonie municipale, vous alliez le voir, l'écouter, vous aviez l'admiration pour ce cornet à pistons.
08:30 Le cornet, le costume, la musique, les défilés, les lampions, les fêtes, les majorettes, tout ça.
08:37 Non, non, j'aimais beaucoup ça. J'aimais déjà, je crois, beaucoup le spectacle, je crois.
08:44 Vous pensez que c'est à ce moment là qu'est venu votre goût de la musique ? Ou peut-être pas forcément ?
08:50 Je passais beaucoup de temps à l'église aussi, parce que j'aimais aussi beaucoup le spectacle de la messe.
08:56 Je me souviens, j'aimais à la fois le spectacle de la messe et le spectacle des défilés, des fanfares, des harmonies municipales.
09:02 Ça m'a toujours beaucoup attiré ça.
09:04 Ce n'était pas que l'harmonium ou que l'orgue, c'était le spectacle, c'était le décor.
09:08 Oui, la mise en scène de tout ça, voilà, oui, oui.
09:10 Les lumières, les costumes, ça m'a toujours beaucoup plu ça.
09:14 Alors, on va voir une photo de Marine Monroe.
09:17 Et si je vous montre cette photo, c'est que je crois, là on la voit dans sa splendeur, puis on va la voir dans quelques instants au moment où elle meurt.
09:27 Quand vous êtes petit garçon, ça vous fait pleurer, ça vous fait mal ? C'est une femme que vous aimiez, que vous idolâtriez ?
09:37 Non, c'est-à-dire que dans la fabrication des souvenirs, disons que ça fait une journée importante.
09:45 Un pique-nique avec mes parents, et beaucoup de gens d'ailleurs, on faisait une sorte de pique-nique, c'était la première fois que ça se passait.
09:52 Il y avait beaucoup de gaieté, et moi j'étais évidemment tout gamin, et je sais que d'un seul coup, tout s'est arrêté.
09:59 Il n'y avait pas la radio ou la télé, je ne savais pas du tout ce qui se passait.
10:03 Et tout le monde a pris une triste mine en disant "Marine Monroe est morte".
10:07 Je ne savais absolument pas qui était Marine Monroe.
10:10 Mais toute l'ambiance de ce dimanche après-midi, l'ambiance a été détruite en une seconde.
10:16 Et j'ai toujours été fasciné par ce...
10:19 Et après, de découvrir ce type de femme, tout ça, ça a été une vraie découverte.
10:24 On m'en raconte, c'était une sorte de 11 septembre, ou de débarquement des Monroes.
10:29 En 1962, vous avez 10 ans.
10:32 Oui, 10 ans. Je n'ai jamais vu de film, je ne sais pas, je suis totalement inculte là-dessus, je n'ai jamais allé au cinéma.
10:41 Et voilà, "Marine Monroe est morte", c'est une phrase qui me...
10:47 Je pourrais faire un disque qui s'appellerait "Marine Monroe est morte".
10:51 C'est-à-dire que c'est comme si indirectement quelque chose était brisé en moi aussi.
10:56 Alors que je ne connaissais pas cette dame.
10:58 Mais j'ai senti que c'était un monde qui finissait.
11:01 Le temps d'innocence qui disparaît peut-être, simplement.
11:04 Peut-être, et puis aussi les parents et ces gens qui, je ne sais pas, avaient la trentaine, et pour eux, et tous les hommes...
11:12 Je ne sais pas, j'ai choisi ça à l'instinct, mais je sais instinctivement que ça mériterait d'être creusé davantage.
11:20 Je sais qu'instinctivement, c'est un monde qui s'est écroulé, avec un seul nom d'une femme, de femme.
11:28 Et donc, chaque fois que j'entends même le nom, je n'ai pas besoin de la regarder, j'entends "Marine Monroe".
11:33 Et de seul coup, c'est un monde qui s'écroule.
11:36 Comme un pique-nique qui s'interrompt à vie.
11:38 Voilà, un monde qui s'écroule.
11:40 Maintenant, je comprends un petit peu mieux.
11:42 Je pense que c'était un type de femme comme il n'y en aura plus.
11:46 Je pense que c'est un type de femme qui est arrivé au...
11:49 Un type de femme sans zénith, presque.
11:51 Maintenant, avec le féminisme et tout ça, on ne pourrait plus avoir ce type de femme.
11:55 Donc, c'est quelque chose de...
11:57 C'est comme peut-être, c'était pour, je ne sais pas, la Mali Bran ou Sarah Bernard, enfin quelque chose comme ça.
12:02 Quand vous démarrez la musique un peu plus tard, vous avez une idole musicale, un chanteur, ou un air d'opéra, ou quelque chose qui vous fait...
12:13 Non.
12:14 Pourquoi vous démarrez la musique ?
12:16 Je suis toujours gêné en parlant de ça, parce que je sais que c'est beaucoup plus facile comme chemin noir, pour s'expliquer,
12:23 par identification, par passion.
12:27 Non, moi c'est plutôt pour...
12:31 Pour être à part, je crois.
12:33 Pour me réaliser en tant qu'homme, c'est plutôt ça.
12:37 Et donc, je crains beaucoup les modèles.
12:39 C'est-à-dire, je me retrouve dans un monde de la musique populaire, disons, ou du rock, un peu en France.
12:45 Et moi, je ne chante jamais...
12:47 Je n'ai jamais chanté une seule chanson des Beatles.
12:49 Je ne connais pas une seule chanson des Rolling Stones.
12:51 Jamais ça ne m'intéressait.
12:53 Ma première chanson chantée, elle était écrite par moi.
12:57 Par vous.
12:58 J'ai une sorte de caractère, comme ça, qui fait que je n'aime pas suivre et je n'aime pas qu'on me suive.
13:05 Oui, on a remarqué ça.
13:07 Alors, vous vous créez à ce moment-là un premier groupe de rock, qui s'appelle Clara.
13:13 Vous n'êtes pas très nombreux, mais passionnés.
13:16 Oui, oui.
13:17 Et puis vous y croyez.
13:18 Oui, oui.
13:19 Vous y croyez à votre destin.
13:20 Oui, oui, oui.
13:21 Je crois, oui.
13:22 C'est surtout de s'arracher, s'arracher une sorte de...
13:25 La musique, dans ces années-là, fin des années 70, c'était vraiment un bon moyen pour s'arracher à sa condition.
13:30 C'est-à-dire que c'était, presque avec le sport, je pense, le dernier ascenseur de secours qui fonctionnait encore.
13:38 C'est-à-dire que moi, je sentais bien que je pouvais...
13:41 J'avais essayé beaucoup de jobs.
13:43 Je ne pouvais absolument pas m'intégrer, impossible de m'intégrer.
13:47 Et la musique, ou du moins quelque chose d'un peu artistique, me permettait de m'intégrer d'une certaine façon.
13:53 Parce que vous n'étiez pas...
13:54 De pouvoir me réaliser, de pouvoir me réaliser un peu.
13:56 Et par nature, vous n'étiez pas discipliné, donc vous n'aimiez pas tout ce qui était l'ordre établi.
14:01 Et vous aviez besoin de vivre votre vie.
14:03 Oui, oui, c'est ça.
14:04 Par chance, Jean-Bernard Hebbé va écouter votre...
14:08 Ah oui, oui.
14:09 Je crois que c'est comme ça que ça a commencé, à Paris en tout cas.
14:12 Il est à ce moment-là à RTL et puis vous allez pouvoir monter à Paris et donner un concert.
14:17 Avec William Scheller, je ne sais pas pourquoi.
14:19 Ils ont entendu une cassette et tous les deux, ils ont pris l'avion et ils sont descendus nous voir à la Bourboule.
14:23 Incroyable comme histoire.
14:25 Et tout a commencé comme ça, oui.
14:27 La Bourboule, c'est là où vous étiez.
14:29 La Bourboule, voilà.
14:30 Et où était le groupe, là.
14:31 On voit sur cette image-là, c'est la maison des jeunes de la Bourboule.
14:36 Oui, on répétait à la Bourboule.
14:38 Ils avaient du nez quand même.
14:39 Ils sont venus.
14:40 Oui, quand même, oui.
14:43 30 ans plus tard, ils ont passé.
14:45 Tout a commencé comme ça, oui.
14:46 Et à ce moment-là, vous signez un premier contrat avec un disque qui très vite va être arrêté
14:52 parce qu'il ne va pas avoir le droit d'être...
14:55 Le titre était un peu particulier, c'était "Suicidez-vous, le peuple est mort".
14:59 Pour moi, c'était un peu une blague.
15:01 Je n'ai jamais été vraiment...
15:03 C'était un peu l'arrivée des socialistes, Mitterrand, tout ça.
15:06 Je trouvais ça assez rigolo.
15:07 Et donc, "Suicidez-vous, le peuple est mort", ça s'est très, très mal passé.
15:11 Parce qu'il y a un auditeur qui n'a pas estimé que c'était une blague.
15:14 Oui, Camenace, c'était Europe 1 à l'époque.
15:17 Ils passaient ça et Camenace, Europe 1.
15:19 Et si vous passez encore ça, je ne sais pas quoi, ma fille fait une tentative de suicide.
15:22 Je ne sais pas quelle histoire sinistre.
15:25 Et on a tout arrêté sur moi.
15:26 C'est-à-dire que j'avais touché un peu le mot tabou du suicide quand même.
15:30 Donc là, vous vous reposez des questions, vous vous dites "Ça ne va pas marcher puisque je suis arrêté".
15:36 Je suis arrêté en plein vol.
15:38 Là, je me sens un peu mouton noir quand même.
15:41 C'est-à-dire que ça devient très difficile.
15:44 Toutes les portes se ferment et je me retrouve quasiment à la rue pendant quelques années.
15:50 C'est-à-dire que ça m'a coupé dans mon élan immédiatement.
15:55 Mais ça ne vous a pas embêché de continuer à créer, à composer ?
15:59 Il n'y a pas grand-chose qui peut m'arrêter, je crois, finalement.
16:03 Maintenant, je sais. Il n'y a pas grand-chose qui peut m'arrêter.
16:06 Qu'est-ce qui vous a relancé ? Qu'est-ce qui a fait que tout d'un coup, c'est reparti ?
16:10 Je ne sais pas. J'ai tendance dans la difficulté à me dire "Ah bon, c'est comme ça ? On va voir ce qu'on va voir".
16:18 Je peux être très abattu, mais je remonte assez bien.
16:24 C'est-à-dire que je voulais réaliser ma vie d'homme.
16:27 Je voulais faire quelque chose d'intéressant et faire quelque chose d'intéressant dans la vie.
16:31 Et voilà, continuer à me cultiver, à grandir en faisant quelque chose d'intéressant.
16:37 Et la musique, ça me paraissait un bon moyen de se réaliser. Alors, j'ai continué.
16:42 Vous choisissez une autre photo, assez inattendue, et je voudrais que vous nous l'expliquiez.
16:49 Bob Dylan chantant devant le pape. Vous choisissez la photo pour Bob Dylan ou pour le pape ?
16:55 Les deux. C'est vrai que j'aime beaucoup Bob Dylan. Je pense que c'est vraiment le seul artiste qui peut me donner l'heure.
17:05 Si je ne sais plus quelle heure il est, j'écoute Bob Dylan. Depuis tout le temps, c'est comme ça.
17:11 Et la rencontre avec le pape, ça n'a pas été très médiatisé. C'est quelque chose d'assez étonnant.
17:19 Ça fait penser à Michel-Ange avec le pape, ou à Vinci, ou à Raphaël aussi d'ailleurs.
17:26 Il y a bien des artistes comme ça. Quelque chose qui était perdu.
17:30 Et puis, il y a quelque chose de... J'aime beaucoup chez Dylan la spiritualité.
17:38 Même s'il change toujours, il y a une sorte de quête spirituelle.
17:43 Qui rencontre le pape, me paraît. C'est à la fois amusant, à la fois anachronique, et puis ça a un sens un peu plus profond.
17:50 Je pense que pour moi, un véritable artiste, même si c'est dans un domaine léger comme la musique populaire,
17:58 je pense que c'est le spirituel qui fait la différence.
18:03 D'ailleurs, quelques minutes plus tard, Jean-Paul II va citer "Blowing the Wind".
18:08 C'est un peu sensationnel. Et Dylan va chanter devant lui "Knocking on Heaven's Door".
18:13 Je trouvais ça très très bien que Dylan chante "Knocking on Heaven's Door" devant le pape. C'est sensationnel.
18:18 - Alors, autre photo assez inattendue. Encore une fois, c'est votre choix.
18:23 Là, on est en 1997. C'est le passage de la comète d'Allez.
18:28 Il faut dire "Allez Bob" d'ailleurs, parce qu'il y en a deux.
18:31 Alors, qu'est-ce qu'elle vous a bouleversé ? Qu'est-ce qu'elle a changé en vous ?
18:37 - Je pense sûrement beaucoup. Mais je pense aussi à l'éclipse de 1999.
18:42 J'aurais pu choisir des phénomènes comme ça.
18:47 J'ai passé des nuits, ou de moins, des longues soirées, toujours chez moi, à la regarder passer et à rêvasser.
18:55 C'est-à-dire que la comète, j'imaginais souvent que c'était une femme.
19:01 Une femme perdue. En tout cas, pour moi, c'est un élément perdu.
19:05 C'est une sorte d'assimilation, je ne sais quoi.
19:08 - Marie-Eve Monroe peut-être aussi. - Peut-être aussi Marie-Eve Monroe.
19:11 Quelque chose comme ça. Quelque chose de perdu dans le ciel.
19:14 Qu'on peut voir, qui ne reviendra pas avant longtemps.
19:18 Et on ne sait pas pourquoi ça s'est perdu.
19:20 Tout le reste paraît immobile et compact.
19:25 Et il y a quelque chose qui s'est échappé.
19:28 Et qui part en laissant une longue traîne, comme ça, presque de cheveux blonds.
19:33 Il y a quelque chose à la fois de désespéré et d'excitant.
19:38 La désespérance et l'excitation.
19:42 Et peut-être, pour moi, les comètes, ou la comète, en l'occurrence, c'est une femme.
19:49 C'était la comète de Aleste et Madame Allée, pour moi, quelque chose comme ça.
19:53 - De toute façon, c'est le principe souvent des femmes qui passent...
19:57 - Je ne sais pas. Si vous le dites, je vous crois.
20:00 - Et qui se perdent de temps en temps.
20:03 En même temps, vous êtes en tournée.
20:06 Parce que la comète de Allée passe à quelques kilomètres de chez nous.
20:11 Qui est visible à l'œil nu pendant plusieurs semaines.
20:14 Et puis vous, vous vivez.
20:17 Vous allez dans plusieurs théâtres parisiens.
20:19 Notamment le théâtre du Musée Grévin, qui est un joli petit théâtre qui vous va bien.
20:24 Qui semble bien vous correspondre.
20:26 Et d'où est venue cette espèce de fascination pour vous, pour ce personnage que vous avez incarné ?
20:35 Parce que vous avez des gens qui vous sont fidèles à vie.
20:38 Qui adore Jean-Louis Murat.
20:40 C'est un personnage culte. On le voit très peu à la télévision.
20:43 Il est rebelle à tout.
20:45 Et vous avez compris un peu ce qu'est le lien qui vous attache à eux ?
20:53 Non, ça c'est difficile à dire.
20:57 Je sais qu'ils aiment beaucoup.
21:00 Parce que quand je communique avec eux, ils aiment beaucoup.
21:03 J'ai l'habitude de dire que moi je me ressens comme une bouillie d'être.
21:10 Un être en bouillie, je dirais.
21:12 Comme une poussière d'étoile.
21:14 À chaque fois qu'il y a une chanson ou un disque, je me mets en forme pour quelques temps.
21:18 Comme les enfants, avec du sable mouillé, peuvent se donner une forme.
21:23 Des formes momentanées.
21:25 Et donc moi je ressens profondément cette bouillie d'être.
21:29 Et cette volonté de prendre forme de temps en temps avec des chansons, avec des disques.
21:33 Et s'il y a un point commun, ou si les gens me rejoignent ou peuvent comprendre,
21:37 je pense que c'est sur la bouillie qu'on se comprend beaucoup.
21:42 Du moins c'est peut-être ça qu'ils aiment chez moi.
21:45 Moi j'aime beaucoup aussi le fait que vous produisez beaucoup.
21:48 Et ça apparaît comme très surprenant.
21:51 J'en dis, il sort un disque par an, ou un tous les deux ans.
21:55 Ça me paraît assez normal, mais je ne sais pas pourquoi certains estiment qu'il faut attendre beaucoup de temps.
22:01 Ou qu'ils ont besoin de le prendre, peu importe.
22:04 Et puis aussi, que vous allez dans des univers complètement différents.
22:07 Quand un jour vous décidez de chanter Madame Béhoulière, dont peu de gens avaient entendu parler.
22:13 Qui est quand même une femme du 18ème siècle.
22:17 On en parlait tout à l'heure avec André Dussolier.
22:21 Visiblement, vous aimez cette...
22:24 Et pourquoi vous avez décidé, avec Isabelle Luper, de la mettre en scène, cette femme, dans un disque ?
22:31 Moi j'ai beaucoup l'arrogance de l'autodidacte.
22:35 Je me souviens très très bien ces opus de tomber sur un ouvrage de Madame Béhoulière, une édition originale.
22:41 Une édition originale début du 7ème.
22:44 Et de tomber sur quelques vers un peu tristes et désespérés.
22:53 Comme si elle pressentait qu'elle allait disparaître et que personne aurait le souci d'elle plus tard.
23:01 Que c'était fini.
23:03 Et je sais que j'ai été bouleversé par quelques vers.
23:06 Et je me suis fait la promesse vraiment.
23:08 Je me suis dit Antoinette.
23:11 Et de suite j'ai commencé à établir un rapport direct avec elle.
23:13 Vous l'avez appelée Antoinette ?
23:15 Antoinette, je ferai quelque chose.
23:18 Je fonctionne beaucoup comme ça.
23:20 Et après je suis presque tombé amoureux de cette Antoinette.
23:24 Et comme j'étais presque amoureux d'Isabelle Luper aussi, j'ai dit à Isabelle, on pourrait faire quelque chose pour Antoinette.
23:30 Elle était d'accord.
23:32 Peut-être qu'on l'a transformé en comète aussi.
23:35 Et d'un seul coup, elle a pu passer dans le ciel de la chanson.
23:39 Vous avez enquêté sur sa vie personnelle ?
23:42 Beaucoup, beaucoup.
23:44 Mais ça a lancé des choses aussi.
23:46 Il y a un prof, Collège de France, qui a sorti un livre.
23:49 Il y a eu des conférences, on nous a invités.
23:51 Elle est revenue dans le cycle.
23:54 Elle est dans trois nouveaux ouvrages sur la poésie.
23:58 Le 17ème.
24:00 Je suis très content d'avoir tenu ma promesse.
24:04 Il y a un autre grand poète, celui à connu de tous, que vous avez honoré, qui est Charles Baudelaire.
24:10 Vous pensez vraiment que ce n'est pas possible d'adapter les autres ?
24:15 Mal armé ne peut pas être adaptable ?
24:18 Aragon, il a souvent été.
24:21 Il a été par Brassens, par Ferrat, parmi d'autres.
24:25 Aragon c'est facile.
24:27 Peut-être qu'à partir de Mal armé, ça devient très difficile de mettre en musique.
24:35 Il n'y a plus la lire, il n'y a plus une rythmique, il n'y a plus un art poétique strictement musical.
24:41 Il est l'un des derniers à avoir, peut-être aussi Aragon, mais qui revisite tous les genres.
24:49 C'est peut-être le dernier classique un peu Aragon.
24:53 C'est difficile, c'est très présomptueux.
24:57 Baudelaire, qui est photographié ici par Charles Nadar, apparaît très moderne au fond d'une scène de Passeroin.
25:05 Il était de 1930, alors c'était un siècle auparavant.
25:09 Sa poésie l'est aussi.
25:11 Elle est toujours actuelle.
25:13 Oui, tout à fait actuelle.
25:15 Il représente un type d'homme qu'on rencontre de plus en plus souvent.
25:23 Quel type ?
25:25 Comme dirait Proust, le curé au bordel.
25:29 Des gens pris dans leurs vraies contradictions et des aspirations.
25:37 Un refus de la modernité aussi.
25:41 Un refus très sensé d'ailleurs.
25:45 Tout ce qu'il refuse dans la modernité, on voit bien que ça fait un peu la tragédie des temps modernes.
25:51 Une défense du style, un type très compliqué, un rapport particulier avec les femmes, une certaine impuissance, une certaine exubérance.
26:03 C'est vraiment un type très moderne.
26:07 La grigue d'explication de Baudelaire, on peut l'apprendre sur n'importe quel kidam dans la rue.
26:13 Ça fonctionne assez bien.
26:15 Et puis un génie absolu, c'est-à-dire qu'il ensemence pour les générations futures.
26:23 Vous auriez pu aimer Jeanne Duval ou le genre de femme qu'il a aimé ?
26:29 On sait tellement peu de choses sur elle.
26:33 Mais en tout cas le rapport qu'il pouvait avoir avec les femmes, c'est-à-dire la charogne aimée, c'est très particulier.
26:44 Mais ce n'est peut-être pas exprimé comme ça, mais c'est très vivant je trouve dans le cinéma ou dans le roman contemporain.
26:52 Je trouve qu'il y a quelque chose d'encore très très fort.
26:55 Mais peut-être que c'est les femmes maintenant qui sont très baudelariennes, on pourrait dire.
27:00 Beaucoup plus que les mecs.
27:02 Est-ce que vous avez évolué un peu dans votre rapport, votre jugement sur le rap, le slam, dont certains disent que c'est les poètes modernes ?
27:14 Je pense qu'avec la techno, tout ça c'est des musiques strictement matérialistes.
27:24 Ça vous parle ?
27:26 Ça ne m'intéresse pas du tout. Le matérialisme, ça me...
27:31 Le triomphe du matérialisme par le triomphe d'une certaine musique, je n'ai rien contre mais je n'ai rien pour.
27:41 Mais derrière la musique il y a des textes parfois. Ces textes-là ne vous touchent pas davantage ?
27:46 Non, je trouve que c'est ultra codé, que ça ne dit pas grand-chose.
27:51 Ça participe du ronron, du monde moderne, ça participe du bruit de fond mais il n'y a rien de fondamental qui est dit là-dedans.
28:01 On sent que vous n'aimez pas le monde moderne, et dans "modern" il y a le mot "mode" et que vous n'aimez pas les modes d'une manière générale.
28:07 Non.
28:08 Parce qu'il n'y a rien de pire pour faire des modés qu'une mode, bien sûr.
28:11 Mais s'il fallait que vous vous définissiez, qu'on dise de quelle nature, de quelle pâte il est ce murat, vous diriez quoi ?
28:22 Alors là, je serais bien embêté. Non, déjà c'est bien, je vous remercie.
28:29 Non, non, j'aurai beaucoup de mal, je ne sais pas.
28:34 C'est vrai que je n'aime pas tout ce qui a tué petit à petit le monde d'où je viens.
28:42 Je suis très attaché à la terre, très attaché au monde paysan, très attaché à l'agriculture.
28:49 Pour moi la culture, ça commence par l'agriculture, donc j'ai certainement une idée de...
28:54 Et puis dans culture il y a "cul" aussi, donc si vous voulez on peut prendre culture, cul et agriculture.
28:59 Et je pourrais être un petit peu là-dedans, j'aime beaucoup l'agriculture, travailler la terre, j'aime beaucoup la culture et le cul.
29:06 Et mélanger les trois, et poum, peut-être que je pourrais faire des disques.
29:12 Mais ça me fait penser à une chose, quand on me dit que je peux être très... sortir beaucoup de disques,
29:18 c'est-à-dire que je vois la créativité comme une des dernières formes de virilité, c'est ça aussi.
29:26 C'est pour ça que j'aime bien rester dans... - Et d'agriculture !
29:29 - Et d'agriculture, bien sûr ! Mais tout ça, ça se tient.
29:33 Je crois que la créativité c'est une vraie forme de virilité, et je me sens bien dans cette définition-là, pour moi-même.
29:40 - Dans cet album dont je parlais, Charles et Léo, il y avait Charles Baudelaire et puis il y avait Léo Ferret.
29:46 Lui, vous le respectez, c'est... - Ah mais oui !
29:49 - Total respect, comme on dit aujourd'hui. - Bien sûr, bien sûr, bien sûr.
29:52 - Il a sorti beaucoup de conneries, mais en tant qu'artiste, oui. Penseur, pas sûr, mais artiste, oui.
29:59 - Vous vous sentez anarchiste comme lui, ou... ? - Non, c'est de la blague, c'est de la blague, c'est de la blague.
30:04 On prend la moitié de ses déclarations, c'est du pole-pote, enfin, ça fait la preuve de son inefficacité.
30:11 - Mais un poète, en revanche, un vrai poète. - Oui, mais il ne faut pas mélanger, c'est-à-dire que le poète...
30:17 C'est pas parce qu'on est poète qu'on doit être blanchi chaque fois qu'on sort des conneries.
30:22 C'est-à-dire que la poésie, c'est pas non plus la porte ouverte ou n'importe quoi.
30:25 - Mais quand il dit "c'est extra", vous le pensez aussi, "c'est extra", "c'est extra", "c'est extra" ou... ?
30:31 - Non, je pense qu'il a bien réussi son coup, il voulait faire une chanson pour ramasser du pognon et ça a marché.
30:35 Il a pris un mot à la mode, il voulait faire du "gainsbourg", disons, et ça a marché.
30:39 Non, non, il était très... De toute façon, dans ce métier, il faut être mariole.
30:43 Si on n'est pas mariole, on s'en sort pas. - Vous l'êtes un peu ? - Ouais. Et vous aussi, je crois.
30:48 - Moi, je vous encourage. - Non, mais on est dans des métiers un peu parallèles.
30:51 Non, non, mais c'est vrai, si on n'est pas un peu, il faut savoir, il faut prévoir les choses.
30:55 Je pense que Ferré était très, très, très malin, comme Gainsbourg, qui était très, très malin.
31:01 Il faut réfléchir, oui. Il faut réfléchir. C'est aussi une stratégie.
31:06 C'est une leçon que moi, je peux tirer, en tout cas, de ces vaches sacrées de la chanson française, de leur démarche, en tout cas.
31:14 C'est que ce n'est pas un métier pour les cons, je crois. Si on veut durer, en tout cas.
31:19 - Et qui inspire le titre de votre dernier album ? - "Le cours ordinaire des choses me va comme un incendie".
31:27 - Merci beaucoup, Jean-Luc Dorat. - C'est moi qui vous remercie. Merci, merci.
31:30 [Musique]
31:59 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org