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L'économiste Daniel Cohen s'est éteint dimanche 20 août 2023. Il avait 70 ans. Il y a quelques années, en marge d'une conférence organisée par "l'Obs" dans le cadre de notre cycle 2049, cet ancien de l'Ecole normale supérieure nous avait donné sa vision du monde du travail dans le futur, et appelait à "maintenir la part d'humanité" face à une numérisation galopante.

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00:00 faut absolument, comme on l'a rappelé au moment du travail à la chaîne, garder la
00:05 part d'humanité, d'humanisation de la relation d'une personne à une autre et
00:09 ne pas se laisser envahir par le numérique.
00:14 Je crois que pour comprendre les mutations du travail à l'horizon des
00:23 30 prochaines années, il faut d'abord bien prendre le temps de distinguer deux
00:27 révolutions qu'on associe à la révolution numérique et qui à mon avis
00:30 ne sont pas du tout de même nature. La première révolution c'est celle qui
00:33 commence au début des années 80 avec l'ordinateur de bureau.
00:37 "L'arrivée de ces machines soulève une multitude de difficultés pour l'adaptation,
00:42 l'organisation, l'emploi et l'apprentissage d'un nouveau système."
00:46 C'est celle qui va surtout permettre, grâce à internet, de réorganiser à
00:50 l'échelle planétaire le fonctionnement des entreprises.
00:52 Tout va être fait pour sortir les travailleurs des entreprises, les
00:56 transformer en sous-traitants, parfois même en travailleurs indépendants et au
00:59 fond organiser une espèce de concurrence planétaire des travailleurs entre eux
01:03 grâce à ces nouveaux instruments génial qu'on appelle internet. Il est possible
01:08 que cette première révolution soit en réalité en train de s'achever.
01:10 On voit le commerce mondial qui est le vecteur absolu de cette
01:15 déterritorialisation de la production marquer le pas et on a le sentiment que
01:18 les entreprises sont en train de trouver les limites à ce modèle
01:22 d'externalisation, de sous-traitance généralisée. La révolution qui commence
01:26 aujourd'hui est de toute autre nature. C'est celle de l'intelligence artificielle.
01:30 Il est évidemment beaucoup trop tôt pour savoir exactement ce qu'elle va
01:32 produire mais on peut essayer d'en définir la portée. La portée, je crois
01:36 tout simplement, c'est que nous sommes dans une société de service dans lequel
01:40 ce qui compte c'est s'occuper des gens eux-mêmes et non plus seulement comme dans
01:43 la société industrielle de la matière. S'occuper des gens ça veut dire passer du
01:47 temps avec eux. Ça veut dire en réalité augmenter les coûts. Ça veut dire perdre
01:50 son temps à passer du temps avec les gens.
01:52 Cette idée est inconcevable dans un capitalisme comme celui que l'on connaît
01:57 maintenant qui cherche par définition à rentabiliser, réduire les coûts de
02:01 fabrication. La solution que le capitalisme contemporain est en train de
02:06 trouver à cette société de service où les coûts sont trop élevés, c'est tout
02:10 simplement celle qui consiste à numériser, dématérialiser tout ce qui
02:14 peut l'être de façon qu'un humain, une fois qu'il sera une immense banque de
02:18 données qui pourra être traité par un algorithme, redevienne un objet de
02:22 croissance, c'est à dire de rentabilité. Évidemment cette perspective est celle
02:26 d'une extraordinaire déshumanisation de la relation d'une personne à une autre,
02:31 d'un médecin à son patient, d'un enseignant à son élève. Une déshumanisation
02:36 qui nous rappelle tout simplement ce que dans les temps modernes Charlie
02:39 Chaplin avait parfaitement illustré pour la société industrielle.
02:44 Nous sommes en train en réalité d'industrialiser la société de service
02:49 et c'est ça qui m'inquiète beaucoup. Il faut absolument, comme on l'a rappelé au
02:54 moment du travail à la chaîne, garder la part d'humanité, d'humanisation de la
02:59 relation d'une personne à une autre et ne pas se laisser envahir par le numérique.
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