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ÉducationTranscription
00:00 On ne se reconstruit pas du repassage des seins.
00:02 C'est une mutilation.
00:03 Les anciens disent que cela évite les grossesses involontaires,
00:07 les viols et que les hommes s'intéressent à elles.
00:10 C'est quand j'étais au tout début de mon adolescence,
00:13 je devais avoir 11 ans.
00:14 Ma maman, elle n'était plus au Cameroun avec nous.
00:17 On vivait avec ma grand-mère.
00:18 Un matin, j'étais en train de dormir sur les coups de 4h-5h.
00:23 Ma grand-mère est venue me réveiller aux aurores
00:25 et m'a emmenée dans l'arrière-cuisine.
00:28 Elle me dit "allonge-toi par terre".
00:29 Je fais "pourquoi ? Je m'allongerai par terre".
00:32 Elle me dit "allonge-toi par terre, c'est pour ton bien, c'est pour t'aider".
00:34 Je vois des moments beaucoup plus corpulents que moi à l'époque.
00:37 Elle commence à me retenir par terre pour ne pas que je bouge.
00:41 Et là, il y a la petite sœur de ma grand-mère qui enroule la pierre.
00:46 Après, elle l'avait retirée au feu,
00:47 puisqu'elle l'avait laissée chauffer dans le charbon à dents.
00:50 Elle s'approchait et se mettait avec des pressions
00:54 à faire des massages tout autour de la glande de ma mère.
00:58 On arrêtait la pierre quand il y avait trop de cloques,
01:01 parce qu'à force, une pierre chaude sur une peau saine,
01:05 c'est brûlé je ne sais pas à combien de degrés, mais j'étais brûlée.
01:08 Et ça a été la peau de banane verte, banane planta, pas de banane douce.
01:12 On chauffe, pareil, on y va à fond, on masse, direct.
01:15 On pétrit, pétrit, pétrit, pétrit,
01:18 et après on presse correctement au niveau du sein.
01:22 Au début, tu te dis "qu'est-ce que j'ai fait de mal, je dois mériter ça".
01:27 Tu fermes ta bouche et tu t'en vas, tu t'en vas dormir.
01:30 Sauf que c'était répétitif, le lendemain, au lendemain, etc.
01:33 Ça a duré, je crois même un an,
01:35 parce que c'est quelque chose que j'ai vraiment voulu occulter de ma vie.
01:38 Je me rappelle juste que je voyais tout le blanc de ma peau à l'intérieur,
01:46 le côté noir qui était brûlé, qui était tombé.
01:48 À partir de là, j'ai dit "bon, c'est très simple, plus de massage,
01:51 tu vas bander tes seins, tu es un mec, tu coupes les cheveux,
01:55 les trucs des filles, c'est pas pour toi,
01:58 il faut dire que t'es pas une fille, t'es pas une fille,
02:00 on te demande, t'es un garçon, t'es pas une fille, t'es pas une fille".
02:03 Ma grand-mère, il fallait continuer,
02:05 mais moi j'avais trouvé une ruse le matin maintenant,
02:07 quand elle devait venir chez ma mère, je me cherchais, je n'étais plus là.
02:09 J'étais partie faire du footing, j'étais partie courir.
02:12 Bref, j'avais toujours des excuses au point où ça les a démotivées,
02:16 elles ont arrêté.
02:16 Jusqu'au jour où j'arrive, je rentre des cours
02:20 et je vois ma petite sœur en larmes, je dis "qu'est-ce qui se passe ?"
02:24 Et là, elle me montre l'arrière-cuisine.
02:26 Je fais "attends, elle t'ont amenée là-bas ?"
02:28 Elle me fait "oui, avec la pierre,
02:30 elle a commencé à voir si elle pouvait masser, etc."
02:33 Moi, j'ai pété un plomb, je suis rentrée dans le bureau de ma grand-mère,
02:36 j'ai dit "c'est très simple, si tu continues comme ça,
02:39 quand maman va appeler la prochaine fois, je vais tout lui dire,
02:42 je vais tout lui dire ce que vous nous faites ici,
02:44 parce que selon la loi, vous n'avez pas le droit de nous faire
02:46 ce que vous êtes en train de faire".
02:47 Et c'est seulement à partir de là que ni moi ni ma petite sœur,
02:51 à nouveau, on a été amenés à l'arrière-cuisine.
02:54 Quelle est l'excuse qu'on sort ?
02:55 C'est "les hommes, c'est pour te protéger, c'est pour ton bien,
02:59 c'est pour éviter que les hommes te regardent très tôt,
03:02 les seins, ça peut venir plus tard,
03:04 parce que si tu as les seins maintenant, les hommes, ils vont te regarder,
03:06 on va pouvoir te violer".
03:08 C'est quelque chose qui est gravé dans notre mémoire, en fait.
03:11 À aucun moment, vous pouvez l'effacer.
03:13 Il y a quelque chose, forcément, qui vous le rappelle.
03:15 Moi, par exemple, j'ai des taches, j'ai des pigments sur ma poitrine
03:17 qui me rappellent que quelque chose s'est passé sur mon corps,
03:19 il y a une transformation qui a été faite.
03:21 Se reconstruire, tu vas faire une belle poitrine,
03:23 oui, tu auras une jolie poitrine,
03:25 mais ce n'est pas ça qui va enlever ce que tu as vécu derrière.
03:28 La preuve, dans ma tête, c'est un souvenir que je souhaite complètement effacer.
03:35 Je ne peux pas l'effacer.
03:36 Tu vis avec, tu avances, c'est tout.
03:39 Mais tu ne te reconstruis pas, ce n'est pas possible.
03:41 Tu acceptes et tu avances.
03:43 Combien de femmes vont devoir souffrir
03:46 pour que ces femmes-là comprennent que ça ne sert à rien, ce qu'elles font ?
03:50 Elles détruisent plus la vie d'une femme qu'autre chose.
03:54 Et ce qui est encore plus douloureux dans la chose,
03:56 c'est que c'est une femme qui pratique ça, une femme.
03:59 Avoir peur du regard d'un homme,
04:01 dire que oui, si un homme regarde ma poitrine, il faut que je la cache, etc.
04:06 Non, ça suffit, on est en 2023,
04:09 on parle beaucoup de l'excision et on parle moins du repassage des seins.
04:12 On n'est pas nombreuses à dénoncer la chose.
04:15 On se tait et on souffre en silence.
04:19 Tant que ça sera toujours, je vais continuer à parler.
04:22 Jusqu'à ce qu'on me dise que oui, c'est bon,
04:24 on a arrêté, que le gouvernement camerounais a pris des mesures,
04:27 est rentré dans les quartiers, est rentré dans les familles
04:31 et va dans les écoles, qu'on sensibilise les filles
04:34 et que les filles viennent ouvrir leur bouche devant les professeurs en disant
04:37 "sauvez-moi parce que chez moi, on est en train de me faire ça".
04:39 Je vais continuer à parler.
04:40 *BIP*