Le film phénomène "Barbie" est-il vraiment féministe ? Le long-métrage réalisé par l'Américaine Greta Gerwig cartonne.
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00:00 Le grand entretien est consacré ce matin au succès du film Barbie, sorti il y a maintenant
00:04 trois semaines en France, et surtout au message qu'il véhicule, car c'est un divertissement,
00:09 mais c'est aussi un film politique.
00:12 Déjà un milliard de dollars de recettes au box-office mondial, près de 4 millions
00:16 d'entrées en France pour le film de Greta Gerwig, il cartonne, porté par une campagne
00:21 de pub très agressive, ça c'est incontestable, en revanche ce qu'il y a davantage, c'est
00:26 la vision des rapports entre hommes et femmes qu'il propose.
00:28 Pour le dire simplement, se trouve-t-on face à une œuvre féministe qui fait progresser
00:32 la cause des femmes, prendre conscience des inégalités, ou bien au contraire devant
00:36 un film caricature, enchaînant les clichés, méprisant pour les hommes, et qui explique
00:41 aux femmes qu'elles n'ont plus besoin d'être belles, tout en donnant le premier
00:44 rôle à la sublime Margot Robbie.
00:46 Voilà quelques-uns des arguments lus ou entendus ces dernières semaines, nous verrons si nos
00:51 invités les reprennent à leur compte.
00:53 Je vous les présente, Victoire Toyon, bonjour.
00:55 Bonjour.
00:56 Vous êtes journaliste, vos podcasts cumulent plus de 30 millions d'écoutes, je citerai
01:00 les couilles sur la table, je vous cite, entretien consacré à la masculinité, le cœur sur
01:05 la table c'en est un autre consacré aux rapports amoureux.
01:09 Avec nous également Albane Guichard, bonjour à vous.
01:11 Bonjour.
01:12 Vous êtes journaliste au Huffington Post, vous avez titré votre critique du film, on
01:16 n'en pouvait plus de la promo, et pourtant on a adoré le film, vous nous direz pourquoi.
01:21 Et puis en ligne avec nous également Laurent Delmas, notre monsieur cinéma, bonjour Laurent.
01:25 Bonjour Jérôme, bonjour à tous.
01:27 Je renvoie à l'excellent podcast, la bébelle époque, consacré à Jean-Paul Belmondo,
01:31 dans lequel il est aussi parfois question de féminisme.
01:33 C'est passionnant, c'est sur franceinter.fr et tous les samedis à 10h.
01:37 J'attends vos appels, auditeurs, auditrices de France Inter, vos témoignages, vos questions
01:42 sur ce film, bien sûr, 01 45 24 7000 ou sur franceinter.fr.
01:48 Albane Guichard, ouvrez le débat, vous avez aimé le film, vous avez des réserves je
01:52 crois, mais vous dites au fond qu'il fait avancer la cause des femmes auprès du grand
01:56 public, c'est peut-être le mot à retenir.
01:58 Oui, c'est vraiment la cible moi qui m'a intéressée, parce que je pense que pour un
02:01 public qui est très sensibilisé aux questions de féminisme, on ne va pas apprendre grand-chose,
02:06 ce n'est pas un exposé en profondeur sur pourquoi le patriarcat est un système nocif,
02:11 mais ça a le mérite d'expliquer de façon très drôle, très légère, et donc à un
02:16 très large public, vous l'avez rappelé, près de 4 millions en tout cas en France,
02:20 que c'est la système d'inversion, de montrer le patriarcat à l'inverse, à Barbilande,
02:28 à quel point c'est absurde, à quel point c'est nocif, et pour les hommes et pour les
02:31 femmes, fonctionne bien, on rigole, moi dans la salle, quand j'ai fait l'avant-première,
02:36 la veille de la sortie, les gens étaient tous morts de rire, hommes comme femmes, et
02:41 pour moi c'est un peu ça le gros du sujet, c'est à travers un divertissement, on parle
02:45 d'une question importante, de manière un peu superficielle, un petit peu légère,
02:49 mais ça fonctionne.
02:50 - Victoria Touillon, est-ce que c'est pas au contraire une satire du féminisme ? Est-ce
02:53 qu'on peut pas le voir comme ça, avec ces barbies qui au début du film se distribuent
02:57 des prix qui reposent sur pas grand-chose et qui méprisent ces kens qui au fond sont
03:01 des bons à rien ?
03:02 - Alors, je sais pas du tout, non je crois pas que ce soit une satire du féminisme,
03:06 puisqu'en fait ces barbies sont très gentilles les unes avec les autres, pas forcément à
03:10 l'excès, par contre sur l'humour misandre, oui c'est vrai.
03:14 - Ça veut dire quoi l'humour misandre ?
03:15 - C'est l'humour qui se moque des hommes, l'humour, vous disiez que c'est un film peut-être
03:20 un peu méprisant pour les hommes, je ne crois pas, je crois que par contre c'est vraiment
03:24 une satire de la masculinité et une critique qui porte juste, c'est-à-dire que quand les
03:28 kens, sans vouloir divulgacher quoi que ce soit du film, mais quand ils prennent le pouvoir,
03:35 quand ils essaient d'inverser les valeurs, ils ne peuvent pas s'empêcher d'essayer
03:38 de dominer, de mépriser, de se moquer des femmes, de se faire servir par elles, ce que
03:43 les barbies ne font pas du tout, en réalité les barbies elles vivent dans un monde où
03:46 les kens n'ont aucune importance, voilà, elles ne les soumettent pas, elles ne les
03:50 forcent pas à travailler pour elles, elles ne les violentent pas.
03:54 - On reviendra sur ce qui peut apparaître tout de même et ce qui a pu apparaître pour
03:58 beaucoup de critiques comme des caricatures des hommes et des femmes, je voudrais qu'on
04:01 donne la parole à Laurent Delmas, comment est-ce que vous percevez ce féminisme dégagé,
04:08 porté par le film, même si je crois que la réalisatrice s'en défend ?
04:10 - Il y a plusieurs féminismes, on le sait bien, depuis l'invention de la notion et
04:17 depuis l'importance de ces batailles, il y a vraiment beaucoup de chapels, même dans
04:23 le monde féministe, je ne suis pas certain que cette chapelle-là soit la plus pertinente,
04:28 la plus intéressante, en effet, moi ce qui me frappe quand même c'est que les hommes
04:32 sont des crétins décérébrés dans le film, vraiment, c'est-à-dire qu'il n'y en a pas
04:36 un pour sauver l'autre et que la vision masculine est celle-là, or je crains hélas que le virilisme
04:43 américain, par exemple, soit beaucoup plus dangereux que ça.
04:47 Quand on voit ce qu'a donné le procès de Johnny Depp au détriment d'Amber Heard sur
04:54 la pression incroyable des masculinistes virilistes américains, c'est un véritable danger de
05:00 type fasciste ce qu'ils font.
05:03 Or la vision vraiment de crétins idiots que véhicule le film, on peut certes l'entourer
05:10 de toute l'ironie, l'humour, tout ce qu'on veut, mais je crois que ça ne correspond absolument
05:15 pas à la réalité du moment et sur laquelle il faudrait beaucoup plus appuyer.
05:19 Au fond, je crois que là-dessus on sera, j'imagine, tous d'accord, le film manque incroyablement
05:25 d'acidité par rapport au sujet traité, il aurait fallu être beaucoup plus percutant,
05:31 or c'est impossible puisque le film est un film coproduit par Mattel, c'est un peu comme
05:37 si on avait demandé à McDo de faire… ou c'est comme si McDo avait fait un film sur
05:42 le bien manger tout d'un coup.
05:44 On imagine bien ce que ça peut donner, c'est-à-dire c'est une critique pour le moins rose-bonbon,
05:52 va-t-on dire.
05:53 On reviendra sur est-ce que Mattel peut se critiquer en quelque sorte et délivrer sa
05:59 propre critique, mais sur ce que dit Laurent Delmas, Victoire Toyon, les hommes vus comme
06:02 des crétins finissent, c'est quand même le propos au début du film.
06:05 Oui, c'est assez divertissant, c'est aussi pour ça qu'on est toutes mordes de rire,
06:10 dans la salle, ça fait plaisir, cet humour, encore une fois, misandre au premier degré.
06:14 Non, en fait, je suis d'accord avec Laurent sur ce point-là, c'est que, bien sûr que
06:18 ça ne montre pas la réalité du patriarcat, parce que pour la montrer, il aurait fallu
06:22 par exemple montrer l'ampleur des violences que subissent les femmes.
06:25 Dans le film, quand les barbies deviennent soumises, on a l'impression qu'elles le
06:29 font quasi volontairement.
06:30 En fait, si les femmes sont soumises dans le monde, c'est parce que les hommes les
06:34 violentent.
06:35 Et ça, c'est une réalité, j'imagine, qui était impossible à montrer dans un film
06:39 co-produit par Mattel, et même un film très grand public.
06:41 Il y a quand même cette scène où on voit le bureau exécutif de Mattel, il n'y a que
06:46 des hommes, et le patron bredouille et dit « oui, mais en fait il n'y a que des hommes,
06:50 mais il y a quelques années il y a eu une femme, moi-même j'en connais, voilà, ça
06:54 c'est très drôle, et ça fonctionne plutôt bien ».
06:56 Oui, et quand Barbie arrive et voit tout ce monde, le monde réel en fait, et elle s'aperçoit
07:01 à quel point il est encore dominé par les hommes.
07:03 Donc, il y a une partie de la critique féministe dedans, mais après on est bien d'accord
07:06 que ce n'est pas la plus radicale.
07:08 N'empêche qu'on part quand même de très loin.
07:09 Je rappelle que la moitié des films ne passent pas le test de Bechdel, donc le test qui vise
07:14 à se demander s'il y a des personnages féminins dans le film, s'ils ont un prénom, et si
07:20 ces deux personnages féminins parlent entre elles d'autre chose que d'un homme.
07:23 Il y a la moitié des films qui ne passent pas ce test.
07:25 Là, le film de Barbie le passe allégrément.
07:28 Encore, le monde du cinéma est très très dominé par les hommes.
07:32 Il est rare que les réalisatrices aient autant de budget, autant de pouvoir.
07:38 C'est la première à dépasser un milliard d'euros de recettes au box-office.
07:42 Donc moi j'essaie de me réjouir quand même de petites victoires.
07:44 Alben-Guichard sur la place des hommes justement, soit bon à rien au début du film, ou alors
07:49 je ne vais pas tout dire, mais il y a un moment où ils prennent le pouvoir, ils sont omnubilés
07:53 par les chevaux et la bière.
07:55 Il y a que ça qui les intéresse.
07:56 Oui, moi j'ai trouvé ça vraiment hilarant dans la façon de montrer les stéréotypes
08:00 de la virilité.
08:01 Pour moi, ce n'était pas une représentation exacte de ce qui se passe aujourd'hui dans
08:05 notre vrai monde.
08:06 C'était plus une caricature et ça fonctionne dans plein d'œuvres cinématographiques
08:11 ou littéraires.
08:12 L'exagération, la parodie, sert souvent à faire passer un message politique à un
08:19 plus large public.
08:20 Alors voilà, on peut être d'accord ou pas d'accord avec ça, mais au moins c'est
08:22 clair, c'est très exagéré, ça va être des gros sabots, ce n'est pas forcément
08:25 toujours très subtil, mais ça fonctionne et ça fait rire.
08:28 Victoire Twayon, Mattel qui produit sa propre critique, c'est aussi un but, peut-être
08:35 d'abord, c'est peut-être le film qui recherche une ambition commerciale ?
08:39 Mais à l'évidence, c'est ça.
08:41 Et on sait bien que le capitalisme, pour employer un gros mot, est tout à fait capable
08:47 d'intégrer toutes les critiques qui lui sont faites pour en faire du profit.
08:50 Donc là, ce qui se passe, c'est que le féminisme, ce sont des idées qui sont de
08:55 plus en plus populaires.
08:56 Évidemment qu'il y a une récupération commerciale de ces idées-là.
09:00 Je fais partie de celles qui pensent que c'est quasi inévitable et qu'à partir de là,
09:06 il faut ensuite construire des critiques beaucoup plus radicales.
09:09 Mais Barbie en apôtre du féminisme, même commercial, ça passe pour vous ?
09:12 En tout cas, pour certaines valeurs.
09:15 Je rejoins Alban sur ce point.
09:17 Le fait qu'il y ait des millions de filles qui soient exposées à ce discours génial,
09:22 cette grande diatribe au milieu du film d'un des personnages qui explique qu'être une
09:25 femme c'est impossible parce qu'on vous demande à la fois d'être mince mais de
09:28 pas faire exprès, de travailler comme si vous n'aviez pas d'enfant, de vous occuper
09:31 de vos enfants comme si vous n'aviez pas de travail, en plus d'être sexuellement
09:35 attirante et toujours gentille et de plaire à tout le monde.
09:38 En fait, c'est encore une charge subversive qui est assez importante.
09:41 Je me réjouis qu'on puisse être exposé à ce type de discours très largement, ce
09:45 qui encore une fois aurait été impossible il y a encore quelques années.
09:47 Laurent Delmas sur ce point peut-être ?
09:50 Je suis un peu étonné parce que la féminité affichée comme féminisme, à ce point-là,
09:59 c'est un peu curieux.
10:00 Moi j'ai en tête ce que disait François Giroud de ce point de vue-là.
10:03 La féminité n'est ni une compétence ni une incompétence.
10:06 Or on a bien l'impression que jusqu'au bout, jusqu'à tenez-vous bien la visite
10:11 finale à un gynécologue, les personnages féminins qui se ressemblent tous, qui sont
10:16 toutes séduisantes incroyablement, sont réduits à cette féminité de vitrine, de façade.
10:23 Donc ça c'est quand même un vrai souci à mon sens.
10:26 C'est une façon quand même de faire du féminisme qui réduit les femmes à une sorte
10:32 de rôle, quoi qu'il en soit, qui est du côté du rose de la séduction.
10:36 Il faut bien voir ce qui se passe quand même.
10:39 En termes commerciaux, on a une vague de produits dérivés lancés par Mattel qui sont les
10:44 personnages du film et qui reproduisent ce genre de schéma et de clichés.
10:48 Il y a même une enseigne de McDo, une enseigne de burger qui vend des burgers rose bonbons.
10:54 Enfin, ça devient une folie, comme le disait très bien tout à l'heure l'une de vos
10:59 collègues, c'est le capitalisme qui marche à fond.
11:02 Alors est-ce qu'il faut accepter ça ? Je n'en suis pas certain.
11:07 Je ne suis pas certain que ça soit si malin que ça.
11:10 Et Dieu sait pourtant si Greta Gerwig est une bonne et belle réalisatrice de films,
11:17 effectivement, dans lesquels elle réalise ou dans lesquels elle joue féminin et féministe,
11:22 c'est sûr.
11:23 Mais là, je crois qu'il y a une façon de se placer presque sur le terrain de l'ennemi
11:28 qui n'est pas tenable globalement.
11:30 Alors si je puis me permettre, puisque chacun y est allé de son petit souvenir de projection,
11:34 moi je l'ai vu dans une petite ville du Gard qui s'appelle Usès, organisée par le cinéma
11:39 Le Capitole, en plein air.
11:40 C'était une projection merveilleuse, en plein été.
11:43 Le public était ultra familial, ultra populaire.
11:49 Et je vous assure que les rires n'étaient pas là.
11:51 Je vous assure que rien ne se passait, que l'impublic, a priori conquis d'avant, dont
11:55 vous voyez bien qu'ils étaient même un peu déguisés à la Barbie, ça fait pchit
11:59 vraiment pour moi ce film, ce soir-là, à montrer ses limites.
12:03 Réaction Albaine Guichard ? Vous voulez réagir à ce que vient de dire Laurent Delmas ?
12:08 Oui, pour moi c'est tout autant réducteur de dire que les femmes ne peuvent pas être
12:11 féminines et féministes que de dire l'inverse en fait.
12:16 Barbie, en tout cas le film, montre qu'on peut s'habiller en rose, aimer les paillettes
12:21 et être de manière caricaturale, astronaute, présidente.
12:24 C'est un message qui est très gros, qui est aussi promu par Mattel pour des raisons
12:29 capitalistes mais qui au moins donne un message de foi.
12:32 Mais on peut faire dire à un personnage porté par Margot Robbie, c'est pas grave d'être
12:36 belle dans la vie finalement ? Oui, d'ailleurs le film se moque du fait
12:41 que Margot Robbie correspond à 100% aux critères de beauté occidentaux.
12:45 Le film en joue.
12:46 Et c'est là qu'il devient intéressant, c'est que Greta Gerwig assume les paradoxes
12:50 de son casting de son film, de la poupée Barbie elle-même.
12:53 Message d'Agnès sur France Inter.fr et puis on prendra des auditeurs au standard
12:58 0.145.24.7000.
12:59 Elle nous dit "Barbie est un film léger, comique et divertissant avec un message féministe
13:04 mais détruit en 5 minutes à la fin du film.
13:08 Que penser de cette chute ultra régressiste ?
13:11 On l'a déjà un peu fait.
13:13 Déjà, juste sur cette critique féminine, est-ce qu'on peut être féministe ou pas,
13:19 en fait précisément les nouveaux mouvements féministes montrent bien, et ça a toujours
13:23 été présent dans les mouvements féministes, qu'en fait on a un corps, on a le droit
13:26 au plaisir.
13:27 Les Barbies, elles ne sont pas du tout dans la séduction d'un monde de Barbie, elles
13:29 s'en foutent des ken, les Barbies ce qu'elles font dans le film c'est danser, rigoler
13:34 entre copines, et oui on peut aimer les beaux vêtements etc.
13:37 C'est très consumériste par contre comme vision, on ne peut pas dire que ce soit un
13:41 film spécialement écolo ou spécialement engagé.
13:44 Bien sûr que ça pousse à la consommation, c'est un film très commercial et très capitaliste.
13:48 Maintenant sur la fin de ce film, où en fait, en gros les Ken ont pris le pouvoir, c'était
13:53 un désastre bien sûr, parce que c'est un pouvoir très patriarcal et donc violent,
13:57 même si ce n'est pas explicite, et finalement les Barbies parviennent à s'entendre et
14:01 à reprendre le pouvoir.
14:02 Moi je ne trouve pas que la fin gâche des choses, parce qu'on s'aperçoit que le Ken
14:06 là en fait, il n'était pas très heureux à dominer.
14:09 Et donc c'est mieux qu'il soit dominé ? Alors moi je ne pense pas qu'il soit dominé
14:14 à la fin, en fait ce qui se passe c'est qu'il y a quelque chose d'égalitaire à la fin
14:17 - Le pouvoir est assuré à 100% à la fin par le collège de Barbies en quelque sorte ?
14:22 - Oui mais alors c'est un pouvoir, et c'est là que ça, à mon avis, ça va plus loin
14:25 que ce qu'on pense, c'est qu'en fait, au fond de ce film, il y a une critique du pouvoir
14:30 et de la façon dont il est exercé, encore une fois, de façon très dominante et écrasante
14:35 par les hommes, et une vision de ce qu'est le pouvoir féministe.
14:39 C'est pas le refus du pouvoir, c'est pas l'égalité, c'est pas la soumission des hommes,
14:44 c'est le fait qu'elles sont à égalité, elles prennent les décisions de façon collégiale
14:48 et les hommes là-dedans trouvent leur place, mais on ne les laissera pas dominer les femmes.
14:51 Et on n'a aucune envie de les soumettre non plus d'ailleurs.
14:54 - Question de Joël sur France Inter.fr, Albane Guichard, je vous la soumets Joël, O-E-L,
15:01 à propos du film Barbies, le marketing a marché pour moi hélas, à part les deux
15:04 premières minutes, rien ne fonctionne, ça ne décolle jamais, meringue sur ce gâteau
15:08 indigeste, un pseudo-message féministe affligeant, je m'en veux de m'être fait piéger à
15:14 ce point.
15:15 Le marketing aussi derrière tout ça ou simplement une réponse à ce message ?
15:19 - Oui, le marketing était faramineux et moi je trouve que c'est vraiment le débat autour
15:24 de ce film, c'est sur le budget, le marketing qui est accordé et le financement par Mattel
15:29 qui est bien plus paradoxal que la question "le film est-il féministe ?" Je suis désolée
15:34 pour Joël que le film ne vous ait pas plu.
15:36 Après, là où on peut se réjouir sur ce marketing démesuré, c'est qu'il a du coup
15:43 poussé beaucoup de gens à aller voir ce film, des gens qui peut-être n'auraient
15:47 jamais mis un pied dans une salle pour aller voir Barbies et donc ce message féministe,
15:52 qu'il soit plus ou moins bien reçu, au moins touche un large public.
15:55 - Et vous voyez un débat que suscite, alors on l'a ce matin ici sur France Inter, Victoire
16:01 Tuyon, mais vous sentez que ce débat est relancé ou qu'il prend autour de ce film ?
16:06 - Oui, on le voit notamment aux réactions des masculinistes aux Etats-Unis, de ces
16:11 hommes qui considèrent que nous vivons dans un système matriarcal et qui sont dominés
16:16 par des valeurs féminines, etc. qui sont furieux et donc qui sont vraiment offensés,
16:23 outrés par toutes ces plaisanteries sur la masculinité.
16:25 Et puis je le vois dans le fait qu'il y ait cette discussion sur la masculinité qui existe
16:31 parce que c'est ça qui est assez nouveau dans le film au niveau grand public, qu'on
16:35 se moque aussi ouvertement des valeurs masculines et de ces caines qui, en plus, quand ils ont
16:41 le pouvoir, ne savent même pas très bien quoi en faire.
16:44 - Au 01.45.24.7000, Marie-Jo Bonnet nous a appelé.
16:48 Bonjour à vous.
16:49 - Bonjour.
16:50 - Historienne du féminisme, merci d'être avec nous sur France Inter.
16:54 Je crois que le débat qu'on a ouvert il y a quelques minutes vous fait réagir.
16:57 - Oui, je le trouve complètement affligeant.
17:01 Et ce qui est incroyable, c'est que c'est un homme qui porte la critique de ce film
17:08 avec des arguments complètement recevables.
17:12 Alors moi, je suis vraiment affligée du succès incroyable de ce film parce que pour moi,
17:21 c'est le signe d'une véritable régression du féminisme, une régression de la pensée
17:27 et une régression de l'image de soi.
17:31 Parce que quand même, Barbie, c'est une poupée qui n'a pas de sexe.
17:36 Donc vous faites un film sur les hommes et les femmes où la question de la sexualité
17:43 n'intervient pas.
17:44 Donc on sait très bien que les rosses, la violence sexuelle, les féminicides, tout
17:54 ça, c'est généré également par la question de la sexualité et de l'appartenance.
17:59 Donc vous avez des femmes, une image de la féminité qui est complètement stéréotypée
18:06 et c'est de ça dont souffrent les filles aujourd'hui.
18:09 Parce que vous avez sur les réseaux internet que des images de filles "féminines"
18:16 avec des hauts talons.
18:17 Je veux dire tout le passage sur les hauts talons.
18:20 Une féministe, c'est une femme qui ne porte plus de hauts talons.
18:26 C'est à mourir d'ennui.
18:30 C'est lamentable.
18:33 Les filles n'ont plus d'image de femmes fortes, c'est-à-dire de femmes viriles.
18:39 Excusez-moi d'employer ce mot complètement déçu.
18:42 C'est-à-dire des images de femmes masculines.
18:46 Et aujourd'hui, on se rend compte que vous avez énormément de femmes qui veulent changer
18:52 de genre, des jeunes, parce qu'elles ne se reconnaissent plus dans ces images complètement
18:58 dessuètes de la féminité.
19:00 Merci à vous Marie-Jo Bonnet pour cette contribution.
19:02 Victoire Toyon ou Albane Guichard peut-être ?
19:05 Marie-Jo Bonnet, je respecte votre engagement et l'histoire à laquelle vous avez pris
19:12 part dans le MLF.
19:14 Mais je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vous êtes en train de dire.
19:17 À mon avis, on est en train de tout mélanger sur cette question.
19:21 Au contraire, le nombre de personnages féminins est très varié.
19:25 Dans ce film, je pense à ce personnage d'adolescente qui est quand même assez extraordinaire.
19:29 Il ne me semble pas que ce soit le parangon de la féminité caricaturale.
19:32 Cette adolescente qui est en sweatshirt, qui traite Barbie de fasciste et qui porte justement
19:36 cette critique féministe.
19:37 C'est une question de la sexualité ?
19:40 Mais évidemment.
19:41 Mais en fait, tout comme la violence est absente du film, c'est ce qu'on a dit.
19:46 Donc à ce moment-là, on est d'accord.
19:48 Bien sûr que le film ne montre pas la réalité de la violence patriarcale.
19:52 Ce ne serait pas montrable dans un gros blockbuster à partir d'un jouet.
19:58 Il faudrait montrer l'ampleur des viols, l'ampleur de l'exploitation, l'ampleur
20:01 du harcèlement sexuel.
20:02 Ce n'est pas ce propos-là du film.
20:05 Mais quant à la fin du film, Barbie va chez le gynécologue.
20:08 C'est bien le retour de la sexuation de Barbie.
20:12 Il y a des blagues explicites dessus, sur le fait que Ken n'a pas de sexe.
20:15 Je ne suis pas du tout d'accord avec cette critique.
20:17 - Yvanne Guichard, un mot ?
20:18 - Oui, moi je réagirais sur le propos comme quoi on va vers une régression.
20:22 Pas du tout.
20:23 Je rejoins Victor Tuayon sur le personnage de l'adolescente.
20:25 Ça montre justement une évolution.
20:27 Ça montre que la génération future ne trouve plus juste Barbie ringarde parce que les petites
20:32 filles grandissent et que c'est un jouet.
20:34 Mais elle la trouve ringarde parce qu'elle connaît toute l'industrie capitaliste et
20:38 ses stéréotypes sexistes autour.
20:40 Et ça montre bien une évolution de la pensée considérable.
20:43 - Laurent Delmas, un dernier mot ?
20:44 - On assiste à ce que je disais tout à l'heure au début, c'est-à-dire effectivement à
20:49 un débat aussi à l'intérieur du féminisme.
20:51 J'avoue que je serais plutôt du côté d'une sorte de ringard s'il le faut, mais je ne
20:57 crois pas que ce soit une vision ringarde.
20:58 Je crois que c'est le film qui véhicule cette vision absolument ringarde.
21:04 Et vraiment, on ferait bien de se méfier de l'idée que parce que le féminisme est
21:08 au centre d'un mauvais film et d'un mauvais coup capitaliste, il faut absolument en faire
21:13 un objet de débat de ce point de vue-là.
21:14 - Merci à vous Laurent Delmas, Alban Guichard, on vous lit sur le Huffington Post.
21:21 Victoire Toyon, je renvoie à votre podcast.
21:23 Merci à Marie-Jo Bonnet de nous avoir appelés également.
21:26 Il fallait ouvrir ce débat.
21:27 Voilà, il est riche, allez voir le film.
21:28 Et faites-vous donc votre opinion.