Le sociologue, Michel Maffesoli, était l’invité de Laurence Ferrari dans #LaMatinale sur CNEWS.
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00:00 Michel Mavesoli, bonjour.
00:02 Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:03 Vous êtes auteur du "Temps des peurs".
00:05 C'est aux éditions du CERF.
00:08 Alors, je le disais,
00:11 l'actualité, une nouvelle fois marquée
00:13 par une conséquence dramatique,
00:16 la mort de deux personnes percutées par une voiture
00:18 après un refus de contrôle.
00:19 La CRS 8 envoyée à Limoges.
00:22 Est-ce que le climat en France, même en ce début août,
00:25 il reste toujours explosif, selon vous ?
00:29 -Moi, je pense,
00:30 parce que vous venez aimablement de citer mon livre,
00:32 "Le temps des peurs".
00:34 Précédemment, quelques mois avant,
00:35 j'avais fait un livre qui s'appelait "L'ère des soulèvements".
00:39 Moi, je crois qu'actuellement,
00:41 ce que vous venez d'indiquer,
00:42 incivilité, émeute,
00:45 que l'on a vu les quelques semaines,
00:47 les diverses violences vont se développer.
00:50 Excusez-moi de dire quelque chose
00:52 qui n'est pas agréable à entendre,
00:54 mais je crois que c'est un élément indéniable.
00:58 Et il faut... Si vous me donnez une minute,
01:00 permettez-moi de le mettre en perspective,
01:03 parce qu'on n'ose pas le dire, on ne veut pas le dire.
01:06 Ce qui crève les yeux, actuellement,
01:08 comme dit la sagesse populaire,
01:10 c'est qu'on est dans un changement d'époque.
01:12 Une époque, ça signifie parenthèse, en grec.
01:15 Une parenthèse est en train de se fermer.
01:18 C'est la parenthèse moderne,
01:19 c'est-à-dire ce qui reposait sur l'individualisme, Descartes,
01:23 ce qui reposait sur le rationalisme,
01:25 la philosophie des Lumières,
01:27 ce qui reposait sur le progressisme du XIXe siècle.
01:30 C'est fini. Et d'une certaine manière,
01:32 les élites, c'est-à-dire les politiques,
01:35 les journalistes, les experts de tous ordres,
01:38 restent sur ces valeurs-là, un peu désuètes,
01:40 de mon point de vue,
01:42 et ne voient pas que ce qui est en jeu,
01:44 actuellement, je l'avais dit à l'époque,
01:46 c'est le temps des tribus,
01:48 les communautés, de diverses manières,
01:51 le "nous", si je puis dire.
01:53 C'est plus simplement le rationalisme,
01:55 l'émotionnel, ce n'est plus simplement
01:57 demain le progressisme, mais le présent.
02:00 Et donc, il y a un décalage entre les élites et le peuple,
02:04 les jeunes générations en particulier,
02:06 qui ne se reconnaissent pas dans ces valeurs de ces élites.
02:10 Et du coup, ben voilà, comment cela s'exprime-t-il
02:14 quand, justement, on ne se sent plus représenté
02:17 par ceux qui sont censés être les représentants,
02:20 eh bien, cela s'exprime par tout ce que vous venez d'indiquer,
02:24 ce que l'on voit quotidiennement,
02:26 ce qui, à mon avis, va continuer à se développer.
02:28 -Emmanuel Macron a livré son diagnostic,
02:31 on en a beaucoup parlé, il y a quelques jours.
02:33 Le président réfute, lui, un tout lien
02:36 entre immigration et émeute.
02:37 Il estime, néanmoins, qu'il y a un problème d'intégration.
02:41 Quel est votre regard sur le diagnostic
02:43 du chef de l'Etat ?
02:44 -Tout d'abord, je vous prie de m'en excuser.
02:47 Je ne considère pas que le chef des toits
02:49 soit vraiment représentatif de ce qu'est le peuple.
02:52 N'oublions pas qu'une fois l'abstentionnisme reconnu,
02:57 les non-inscrits sur les listes électorales,
02:59 le chef d'Etat, comme d'ailleurs beaucoup de députés,
03:02 représente 10 à 12 % de la population.
03:05 Ce n'est plus une représentation.
03:07 Alors, cela dit,
03:08 ces diagnostics sont quand même des diagnostics successifs
03:13 où, disons-le tout net,
03:15 et cela est reconnu de plus en plus,
03:17 il est en train de se tromper, il s'est trompé régulièrement.
03:20 C'est encore une fois la réalité.
03:22 J'ai bien dit tout à l'heure ceux qui crèvent les yeux.
03:25 Il est évident qu'actuellement, le vrai problème,
03:28 c'est ce problème de l'immigration.
03:30 Comment une population des jeunes générations,
03:34 parfois même troisième génération en France,
03:37 ne se reconnaisse plus dans ce que j'ai dit tout à l'heure,
03:40 les grandes valeurs ?
03:41 C'est là-dessus qu'il faut réfléchir.
03:43 Voir comment il convient, à bien des égards,
03:46 d'arriver à intégrer ces jeunes générations
03:49 dans les valeurs qui ont marqué la France.
03:51 Ce n'est pas le cas actuellement.
03:53 Il peut y avoir, comme le fait le chef de l'Etat,
03:56 et je l'ai dit, son habitude, une dénégation.
03:58 Vous savez ce que ça veut dire, dénégation ?
04:01 Freud nous l'a indiqué, c'est qu'on nie ce qui est là.
04:04 On veut pas voir ce qui est là.
04:06 -Alors, il y a eu aussi le diagnostic
04:09 fait par le rappeur Booba.
04:11 Lui aussi s'est exprimé après les émeutes.
04:14 Je ne sais pas si vous connaissez Booba.
04:16 En tout cas, lui, il regrette
04:18 que les jeunes n'aient pas peur de la police
04:21 et il parle d'un Etat qui est beaucoup trop mou,
04:24 beaucoup trop faible.
04:25 Est-ce que, finalement, ce rappeur pose un meilleur diagnostic
04:29 que le chef de l'Etat ? Qu'est-ce que ça révèle ?
04:31 -Je suis à tout à fait en accord avec lui.
04:34 Ca révèle, tout simplement,
04:36 que ces jeunes générations ne se reconnaissent plus,
04:39 j'ai bien dit tout à l'heure, dans les abstents,
04:41 dans ce que représentent les institutions.
04:44 En étant une, bien évidemment.
04:46 Rappelez-vous l'expression classique
04:49 que l'on oublie trop souvent,
04:50 la police, c'est la violence légitime de l'Etat.
04:54 C'est une institution qui est chargée, à bien des égards,
04:58 de maintenir, justement, cet ordre
05:00 au travers des différences qui peuvent exister
05:03 entre les individus, les communautés et les tribus.
05:06 Alors oui, de ce fait,
05:07 le constat de Booba me paraît beaucoup plus pertinent,
05:10 peut-être parce qu'il est bien plus enraciné,
05:13 parce qu'il connaît, en quelque sorte,
05:15 ce qu'est cette vie quotidienne,
05:17 ce qui fait que... ce qui est tout à fait le contraire,
05:20 disons, de la classe politique.
05:22 Et soyons clairs, même des journalistes,
05:25 qui très souvent restent sûrs, en quelque sorte,
05:28 ne font que répéter ce qu'est censé dire le chef de l'Etat,
05:31 les députés et les divers ministres.
05:33 Donc, de ce point de vue,
05:35 je pense qu'il faut revenir, je dirais, à la réalité.
05:38 Booba, lui, constate.
05:40 Je dis, il faut d'abord constater des choses,
05:43 c'est ça, le vrai diagnostic.
05:44 Et c'est quand on sait faire un diagnostic pertinent,
05:47 si on reste dans la science médicale,
05:49 qu'on peut faire un pronostic,
05:51 c'est-à-dire qu'on peut bien évidemment trouver les éléments
05:54 pour corriger ce qui est actuellement en défaut.
05:57 -Vincent Roy, qui est également autour de ce plateau,
05:59 souhaite vous interpeller, Michel Maffesoli.
06:02 -Oui, bonjour, Michel Maffesoli.
06:03 Le temps des tribus que vous prophétisez,
06:07 est-il compatible avec la démocratie ?
06:10 Je voudrais vous faire commenter cette phrase de Brecht.
06:13 "Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie,
06:16 "c'est son évolution par temps de crise."
06:19 -Ecoutez, "prophétiser", c'est bien dire,
06:22 c'était en 88 que je rendais attentif au fait
06:25 qu'on n'était plus dans une République une et indivisible,
06:28 mais qu'on retrouvait la "res publica",
06:30 la "chaude publique" à partir de la diversité.
06:33 Il est des moments où on sait s'accorder à cette diversité.
06:37 Les élites actuellement françaises,
06:39 pour les raisons que j'ai dites,
06:41 ne savent pas s'accorder à ce qui est, pour moi, la fin,
06:45 excusez-moi de le dire ainsi, je sais que c'est choquant,
06:48 la fin de l'idéal démocratique,
06:50 qui avait été prophétisé, elle, par cette grande dame,
06:53 qui était à Naharent.
06:55 Actuellement, voilà la proposition que je fais.
06:58 Ce qui est en gestation, c'est un idéal communautaire
07:01 en gestation, c'est-à-dire "coincidentia oppositorum".
07:04 Comment vont s'ajuster, tant bien que mal,
07:07 les uns par rapport aux autres ?
07:09 C'est ce que nous vivons dans la crainte et le tremblement,
07:12 comme tout changement d'époque.
07:14 Ce n'est plus l'idéal démocratique qui va prévaloir,
07:18 c'est une harmonie à partir de la différence,
07:21 la mosaïque, si je puis dire,
07:23 où chaque pièce garde sa configuration,
07:25 sa structure, sa couleur, et pourtant, ça tient.
07:28 Et c'est cet apprentissage,
07:30 je le dis bien, comme tout apprentissage,
07:32 c'est dur, il y a des épreuves
07:34 que nous vivons actuellement,
07:36 mais rester d'une manière tétanique
07:38 sur ce qui a très bien marché,
07:40 ce qui était très beau, l'idéal démocratique,
07:42 j'ai bien dit, c'est au XIXe siècle
07:45 que cela s'élabore,
07:46 du coup, ça ne permet pas de faire un vrai pronostic
07:49 sur le fait que, qu'on le veuille ou non,
07:51 pour le meilleur et pour le pire,
07:53 il y a des communautés, des tribus,
07:55 des groupes, appelons-le comme on veut,
07:58 peu importe, moi, j'ai pas le fétichisme des mots.
08:01 C'est ça qui me paraît important d'avoir à l'esprit,
08:04 et il me semble que c'est ce que, justement,
08:06 les élites diverses ne savent pas voir,
08:09 ne veulent pas voir.
08:10 -Vous parliez de tribus, effectivement,
08:12 on a cette jeunesse des émeutes,
08:14 et dans le même temps, on a cette jeunesse
08:17 qui était au JMJ,
08:18 45 000 Français.
08:19 C'est-à-dire que ce que vous nous dites,
08:21 c'est que ces deux jeunesses, ces deux Frances,
08:24 vont vivre désormais côte à côte,
08:26 et non plus ensemble,
08:28 c'est ça, très concrètement, cette notion de tribu ?
08:31 -Oui, je dis bien, comment vont s'ajuster des éléments ?
08:34 Je vais me remettre à ce titre de citer ce qui se passe à Lisbonne.
08:38 J'ai rappelé qu'il y a pas quelques semaines,
08:40 à Pentecôte, c'était 16 000 jeunes
08:42 qui faisaient le pèlerinage de Chartres,
08:45 grand rassemblement du scoutisme traditionnel.
08:48 Il y a en effet quelque chose, là,
08:49 qui sont ces tribus, à bien des égards violentes,
08:52 qui ne se reconnaissent pas dans les grandes valeurs
08:55 qui furent la grandeur de la République française.
08:58 Et à côté de cela, un besoin spirituel, soyons clairs.
09:02 C'est le socialisme qui va dominer,
09:03 c'est une tendance socialisante ou marxisante,
09:06 mais au contraire, il y a un retour du spirituel.
09:09 Souvenez-vous de ce que disait Péguy,
09:11 "Tout commence en mystique et s'achève en politique."
09:14 Quand la politique s'achève, la mystique revient.
09:17 Voilà ce qui me paraît être en jeu chez ces jeunes générations.
09:21 Il y a une vitalité, un vitalisme,
09:23 et à bien des égards, à continuer à rester
09:25 sur une conception purement économique,
09:27 économiciste même, du monde,
09:29 et ne pas s'ajuster entre ces groupes.
09:31 Oui, il va y avoir un ajustement difficile à faire,
09:34 mais pourquoi pas ? -Vincent Roux.
09:36 Par conséquent, vous pensez,
09:38 pour reprendre le mot du président de la République,
09:41 que la tribu des enfants, des ados ou des jeunes de Nanterre
09:45 et la tribu des jeunes des JMJ vont pouvoir faire nation ?
09:50 -Oui, il me semble.
09:51 Mais attention, "nation", pas l'étanation fermée,
09:55 pas la réduction ad unum.
09:57 C'était la formule d'Auguste Comte quand il définissait l'étanation.
10:01 Non, j'ai bien dit, je redis ce mot, excusez-moi de le dire en latin,
10:05 "res publica".
10:06 -Oui, la chose publique.
10:08 -A partir de la diversité.
10:10 Et c'est un peu, je dis bien,
10:12 cette coïncidence des choses opposées
10:14 qui a marqué...
10:15 Je rappelle qu'entre le Moyen Âge
10:19 et ce qu'on appelle les temps modernes,
10:21 c'est-à-dire le XVIIe siècle,
10:23 il y avait des moments crispés, des moments durs,
10:26 des moments où la violence était partie prenante de la société.
10:29 C'est ce que nous vivons.
10:31 Il me paraît important, je n'ai rien à dire
10:33 au président de la République,
10:35 que ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire,
10:38 c'est-à-dire les politiques, les journalistes,
10:41 les experts de tous ordres,
10:42 aient la lucidité de reconnaître qu'il y a une mutation de fond.
10:46 Et c'est cette mutation de fond,
10:48 cette mutation en termes soutenus,
10:51 on dit une transmutation épocale, une transmutation d'époque,
10:54 qui n'est pas prise en compte, encore une fois,
10:57 par ces élites totalement déconnectées.
10:59 -Un grand merci, Michel Maffesoli,
11:01 d'avoir accepté notre invitation ce matin.
11:04 C'était passionnant.
11:05 Sociologue, je rappelle votre ouvrage,
11:08 votre dernier ouvrage,
11:10 "Auteurs du temps des peurs", donc,
11:12 aux éditions du CERF. Merci, Michel Maffesoli.
11:16 il a...
11:17 [Musique]
11:19 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org