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00:00 France Culture, les matins d'été, Quentin Laffey.
00:05 7h13 sur France Culture, l'heure de la question du jour.
00:08 Et alors que ce week-end, le journal du dimanche n'est pas paru pour la cinquième semaine
00:12 d'affilée, hier, le groupe a acté la fin des négociations avec les représentants
00:17 des journalistes.
00:18 La direction du groupe Lagardère, propriétaire du journal, a ainsi annoncé l'arrivée
00:21 de Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction dès le 1er août.
00:25 A partir de là, quels sont les droits des actionnaires sur la ligne éditoriale des
00:29 médias qu'ils possèdent ? Quel cadre juridique garantit aujourd'hui l'indépendance des
00:34 rédactions ? Pour en parler, je reçois ce matin Benoît Huet.
00:36 Bonjour.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes avocat au barreau de Paris, spécialiste des droits des médias, coauteur aussi de
00:43 l'information est un bien public.
00:45 C'est paru aux éditions du Seuil en 2021.
00:47 Et tout d'abord, pour commencer, il faut rappeler que la presse écrite ne répond
00:51 pas aux mêmes règles que l'audiovisuel.
00:53 Est-ce que vous pouvez nous expliquer la distinction ? Quelles règles prévaut en matière audiovisuelle
00:58 à la différence de la presse écrite, Benoît Huet ?
01:01 Oui, tout à fait.
01:02 L'audiovisuel, c'est-à-dire les télévisions et les radios, répond à un régime qui est
01:08 particulier puisqu'il y a des sociétés qui exploitent des radios et des télévisions
01:11 qui obtiennent une fréquence gratuitement, d'ailleurs, auprès des autorités publiques
01:15 via l'ARCOM.
01:16 Ces sociétés signent une convention par laquelle elles prennent un certain nombre
01:19 d'engagements, obligation de respecter notamment le pluralisme des courants d'expression,
01:24 qui est une des conditions de la démocratie d'après le Conseil constitutionnel.
01:27 C'est-à-dire que chaque chaîne de télévision, chaque chaîne de radio qui fait de l'information
01:31 est obligée d'assurer un équilibre politique et de donner la parole aux uns et aux autres.
01:35 Alors, ce n'est pas forcément respecté de manière optimale, c'est un autre débat
01:40 et on pourrait s'interroger sur la façon dont l'ARCOM régule cela auprès de CNews,
01:43 auprès de C8, auprès d'autres.
01:45 En tout cas, c'est la règle générale.
01:46 Mais en tout cas, c'est la règle.
01:47 Et en matière de presse écrite, il n'y a pas vraiment de cadre légal, il n'y a pas
01:51 d'obligation d'avoir du pluralisme dans un journal donné.
01:54 Il y a des journaux dits d'opinion, il y a des journaux de droite, il y a des journaux
01:57 de gauche et il n'y a pas de contrainte là-dessus.
02:01 Après, ce qui est complètement nouveau avec ce qui se passe aujourd'hui avec Vincent
02:07 Bolloré, c'est cette idée de rentrer dans le cercle de la rédaction et de rentrer dans
02:17 la fabrication de l'information, ce qui n'est pas normalement le rôle de l'actionnaire.
02:19 Alors, on va y venir, Benoît Huem.
02:21 Avant ça, je voudrais qu'on revienne à la genèse, à l'histoire du journal du
02:25 dimanche, qui est justement en lien avec l'histoire même de la concentration des médias.
02:31 Comment apparaît ce journal qui paraît de façon hebdomadaire et quels en sont jusqu'à
02:35 aujourd'hui les propriétaires ?
02:37 Alors, quand on voit le journal du dimanche, ce qui est assez surprenant, c'est que c'est
02:41 un hebdomadaire.
02:42 Il paraît tous les dimanches, mais il n'a pas du tout la forme d'un hebdomadaire.
02:46 C'est-à-dire qu'on voit bien que c'est un format quotidien classique.
02:49 Pourquoi ?
02:50 Parce que le journal du dimanche n'était que le supplément dominical de François.
02:53 Alors, ce n'est pas le François d'aujourd'hui.
02:55 On parle du François de l'après-guerre, celui dans lequel écrivait Joseph Kessel,
02:59 un journal très prestigieux qui tirait à plus de un million d'exemplaires.
03:02 Et ils avaient choisi d'avoir ce supplément le dimanche.
03:05 Et progressivement, ce supplément du dimanche s'est autonomisé, a eu sa rédaction propre.
03:09 Et en 1976, quand Hachette, qui possédait François, l'a revendu à Robert Hersant,
03:14 qui était un grand accueilleur de médias à l'époque, Robert Hersant n'a pas repris
03:19 le journal du dimanche, qui est resté dans le giron de Hachette, puis de Lagardère.
03:23 Et aujourd'hui, c'est Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré, qui va acquérir Lagardère.
03:28 Donc on voit bien que l'histoire du JDD s'inscrit dans ce mouvement de concentration
03:33 des médias en France.
03:34 Et ce qui est intéressant, fascinant à la fois, c'est justement que face à la concentration
03:39 des médias de Robert Hersant, qui a introduit la loi sur la concentration des médias,
03:43 une loi qui date de 1986, est-ce que vous pouvez nous en rappeler le contenu ?
03:47 Oui, à l'époque, Robert Hersant avait acheté François en 1976, mais il avait également
03:52 acheté le Figaro l'année d'avant, ce qui était fait dans de très mauvaises conditions.
03:55 Même le rachat de François s'était très mal passé.
03:57 Presque la moitié de la rédaction était partie.
03:59 Donc déjà, à l'époque, c'était extrêmement tendu.
04:01 Et la gauche en 1984, puis la droite en 1986 ont voulu faire passer une loi qui a été
04:06 appelée la loi anti-Hersant, et qui visait à réguler la concentration des médias.
04:11 Et ce qui est assez paradoxal, c'est qu'on est encore tenu par les règles qui ont été
04:15 instituées à cette époque.
04:16 Il y a eu des révisions de cette loi, mais les grands principes sont restés, alors même
04:20 que les médias ont complètement changé de physionomie avec l'arrivée du numérique.
04:24 Alors, comment étaient régulés les médias en 1986 et comment est-ce qu'ils le sont
04:28 encore ? Il y a un double contrôle.
04:29 Il y a un contrôle dit de droit commun, c'est-à-dire que l'autorité de la concurrence ou la Commission
04:34 européenne va apprécier s'il y a un risque de position dominante sur un secteur.
04:38 Par exemple, la Commission européenne vient de le faire dans le cas de Bolloré, en disant
04:41 que sur le marché de la presse people, Bolloré ne pouvait pas avoir à la fois Gala et Paris
04:46 Match et qu'il allait devoir céder l'un des deux titres.
04:48 Il a choisi de céder Gala.
04:49 Donc ça, c'est un prisme strictement économique lié à des enjeux de concurrence ?
04:52 Tout à fait.
04:53 C'est par exemple le risque que quelqu'un possède tous les titres dans un même sous-secteur,
04:57 en l'occurrence la presse people, et par exemple risque d'augmenter les prix tout
05:00 simplement.
05:01 C'est vraiment une lecture purement économique.
05:02 On n'est pas dans le domaine éditorial ?
05:03 Non.
05:04 Et là-dessus se rajoutent des règles spécifiques au secteur des médias qui consistent à dire
05:09 qu'une même personne ne peut pas posséder plus de 7 fréquences de télévision, plus
05:12 d'un certain nombre de radios et plus de 30% du secteur de la presse.
05:16 Ce sont des règles qui sont totalement désuètes puisqu'elles ne fonctionnent pas du tout.
05:20 On a vu que par exemple dans le cas de la fusion TF1M6, le fait que les deux opérateurs
05:23 possèdent 10 chaînes, ils allaient en vendre 3 mineures et ça n'empêchait pas en tant
05:26 que tel la concentration.
05:28 Et c'est la même chose pour la presse puisque le stock a été fixé à 30%, qui a été
05:33 fixé du temps de R100 et ne correspond plus à rien aujourd'hui.
05:36 Il y a également la fameuse règle des deux sur trois.
05:39 Est-ce que vous pouvez nous la rappeler ?
05:40 Nous rappeler aussi comment Vincent Bolloré réussit, parvient à la contourner ?
05:44 Oui, alors cette règle instruite en 86 consiste à dire qu'on ne peut pas posséder à la
05:49 fois des chaînes de télévision, des radios et des journaux.
05:51 Or, quand on regarde aujourd'hui, on se dit mais c'est exactement ce que fait Vincent
05:54 Bolloré.
05:55 Et comment a-t-il fait ?
05:56 C'est simplement que dans la loi de 86, dans cette règle des deux sur trois, il y a écrit
06:00 que ça ne s'applique qu'à la presse quotidienne nationale.
06:03 Donc ça ne s'applique pas à la presse hebdomadaire, donc ça ne s'applique pas à Paris Match
06:07 et aux journaux du dimanche.
06:08 Ce qui explique pourquoi est-ce que le groupe Yves Indi et Vincent Bolloré étaient tant
06:12 intéressés par le rachat du JDD de Paris Match.
06:15 Qu'est-ce qui garantit aujourd'hui Benoît Huet, dans le cadre fixé par la loi, l'indépendance
06:20 des rédactions ?
06:21 Alors, aujourd'hui, l'indépendance des rédactions n'est absolument pas garantie
06:26 par la loi.
06:27 C'est-à-dire qu'un propriétaire de médias peut faire à peu près ce qu'il veut dans
06:31 son journal.
06:32 Il peut intervenir sans problème sur la ligne éditoriale ?
06:34 Alors, certains journaux ont négocié de manière amiable, entre les rédactions et
06:39 la direction, des chartes éditoriales avec des règles claires.
06:42 C'est ce qui se passe au monde, c'est ce qui se passe à Libération, c'est ce qui
06:44 se passe même aux échos, même s'il y a eu des problèmes récemment.
06:47 Et certaines rédactions ont notamment négocié le fait que la désignation du directeur de
06:53 la rédaction ne pouvait se faire qu'avec l'assentiment, c'est-à-dire qu'avec un
06:56 vote favorable de la rédaction.
06:58 Mais ça, c'est quelque chose qui a été négocié à l'amiable dans certains médias
07:01 et ça ne s'applique absolument pas à l'ensemble des médias.
07:04 Et par exemple, ce n'est pas le cas au Figaro et ce n'est évidemment pas le cas au JDD
07:07 aujourd'hui.
07:08 Le JDD aujourd'hui, quelle est la règle ? Est-ce qu'on peut supposer que Vincent Bolloré
07:13 interviendra directement sur la ligne éditoriale du journal ?
07:15 Alors, la brutalité avec laquelle se passe le rachat du JDD rappelle ce qui a pu se passer
07:21 au moment du rachat de ITL, au moment du rachat de Canal+, au moment du rachat de Paris Match,
07:25 on l'a dit, au moment du rachat d'Europe 1.
07:27 Et laisse penser que le même scénario va se dérouler, à savoir qu'il n'y aura pas
07:32 de barrière entre l'actionnaire et la rédaction, qu'il y aura une ingérence dans la rédaction,
07:36 une décision de dicter les choix de la rédaction et surtout un abandon, je dirais, des principes
07:41 du journalisme, des principes d'équilibre des points de vue, du contradictoire, de vérification
07:46 de l'information et c'est extrêmement inquiétant.
07:47 Alors, on a parlé, Benoît Huet, de la loi de 1986, il faut en évoquer une autre, la
07:52 loi de 2016, la loi Bloch qui porte sur ce qui est surnommé le droit d'opposition.
07:57 Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
07:59 Alors, en 2016, on était dans le contexte de la prise de contrôle par Vincent Bolloré
08:03 de ITL et déjà d'une grève très longue de plus d'un mois de la rédaction d'ITL.
08:07 Et dans ce contexte-là, une loi était passée au Parlement qui était portée par un député
08:14 qui s'appelait Bloch et il avait été rendu obligatoire d'y avoir des comités d'éthique
08:19 dans les chaînes de télévision et d'avoir des chartes déontologiques dans les médias.
08:23 Toutefois, la loi n'a pas déterminé quel devait être le contenu de ces chartes déontologiques
08:27 ni quelle devait être la composition de ces comités d'éthique et à la fin, ça n'a
08:31 pas eu beaucoup d'impact dans la pratique quotidienne des journalistes.
08:34 Donc, ça n'est pas du tout suffisant selon les journalistes, selon les sociétés de
08:37 rédacteurs aujourd'hui ?
08:38 Non, et on en paye un peu le prix aujourd'hui.
08:40 Ce qui n'a pas été fait en 2016, en fait, se manifeste aujourd'hui dans des dérives
08:45 qui sont assez graves et c'est pourquoi dans notre livre "L'information est un
08:48 bien public" avec Julia Cagé, on avait proposé dès 2021 la mise en place d'un
08:53 certain nombre de mécanismes pour protéger l'indépendance des rédactions et je me
08:56 réjouis qu'aujourd'hui, ça soit repris dans une proposition de loi qui vient d'être
09:00 déposée au Parlement.
09:01 Face à ce qui se passe actuellement au journal du dimanche, un certain nombre d'initiatives
09:05 parlementaires ont été prises.
09:07 Quel constat vous en faites ? Qu'est-ce qui est proposé aujourd'hui ? Qu'est-ce
09:11 qui vous paraît intéressant dans les propositions avancées par les députés ?
09:14 Alors, ce qui est intéressant et ce qui est complètement nouveau par rapport à
09:17 ce qui a pu être proposé par le passé, c'est qu'aujourd'hui, il y a une démarche
09:20 qui est transpartisane, c'est-à-dire que la proposition de loi qui a été déposée
09:22 la semaine dernière a été déposée par l'ensemble des groupes politiques à l'exclusion
09:28 des Républicains et du Rassemblement National.
09:30 Ce qui veut dire que le parti au pouvoir, Renaissance, a adhéré à ce texte.
09:35 Ce texte propose de soumettre l'attribution des aides publiques à la presse au fait
09:40 qu'on garantisse l'indépendance électorale en donnant ce fameux droit de veto à la
09:44 rédaction sur la dédication du directeur de la rédaction.
09:46 C'est une proposition qu'on avait faite dans notre livre en 2021, je suis très content
09:48 qu'elle soit reprise.
09:49 Et il y a un deuxième article qui dit que ce serait la même chose pour les fréquences
09:53 audiovisuelles, c'est-à-dire que pour avoir une chaîne de télévision, une chaîne de
09:55 radio, il faudrait également respecter cette règle.
09:57 Donc, je me réjouis que ce soit mis en place et que ce soit transpartisan.
10:03 Après, on peut se demander pourquoi est-ce que le gouvernement n'intervient pas dès
10:05 maintenant puisque sur la presse, ça pourrait être fait directement par décret, à mon
10:10 sens, et la ministre de la Culture pourrait le faire.
10:12 On n'est pas contraints de passer par la loi ?
10:13 Pour réformer les critères d'attribution des aides publiques à la presse, il n'est
10:18 pas nécessaire de passer par la loi.
10:19 Ça s'est déjà fait, notamment au moment de la crise de Science et Vie, il y a deux
10:23 ans.
10:24 Science et Vie avait été rachetée par le groupe Reward Media, avait vidé tous les
10:27 journalistes de la rédaction et un décret avait été pris pour dire que si un journal
10:32 n'embauchait pas un certain nombre de journalistes dans sa rédaction, il ne pouvait plus avoir
10:35 d'aide publique.
10:36 Ça avait été fait directement par un décret de la ministre.
10:38 Est-ce que cette proposition de loi, Benoît Huet, cette proposition de loi transpartisane
10:41 a une chance d'être votée à l'Assemblée Nationale, puis au Sénat dans les semaines
10:45 qui viennent ?
10:46 J'espère qu'elle pourra être mise à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale,
10:52 c'est mon espoir.
10:53 Il y a vraiment une urgence.
10:54 Je tiens à saluer le courage de la rédaction du JDD qui est en grève depuis maintenant
10:57 cinq dimanches.
10:58 C'est grâce à eux aussi qu'on parle de ça aujourd'hui et qu'on s'intéresse
11:02 à ce sujet qui est essentiel pour la démocratie, c'est de dire, même si une personne est
11:06 très très riche et qu'elle achète un média, elle ne peut pas en faire n'importe quoi.
11:09 C'est un petit peu comme si quelqu'un achetait la moitié d'un arrondissement de Paris
11:12 et disait "je vais tout raser et je vais construire des tours à la place".
11:15 Dans ce cas-là, on appliquerait des règles d'urbanisme et cette personne devrait se
11:18 soumettre à l'intérêt général.
11:19 C'est la même chose, on ne peut pas racheter comme ça des tas de médias, les détruire
11:24 intégralement parce que ça cause du mal à la démocratie et que l'information est
11:28 un bien public.
11:29 Merci beaucoup Benoît Huet.
11:30 Je rappelle que vous êtes avocat au barreau de Paris, spécialiste des droits des médias,
11:34 co-auteur de "L'information est un bien public", c'est paru au Seuil en 2021.
11:39 Vous écoutez France Culture, il est 7h24.