L'hommage du dernier compagnon de Jane Birkin, l'écrivain Olivier Rolin, lors de ses obsèques

  • l’année dernière
Ce lundi 24 juillet marque le jour des obsèques de la chanteuse et actrice Jane Birkin dans
le 1er arrondissement de Paris. Les proches de la chanteuse sont les seuls à pouvoir mais un écran géant permet aux fans d’assister aux obsèques et de lui dire une dernière fois au revoir.

Category

🗞
News
Transcript
00:00 qui disait qu'on s'était connu dans un tank,
00:02 et c'était vrai,
00:04 même si ce n'était pas exactement un tank,
00:06 mais un transport blindé,
00:08 sur les chemins menant
00:10 à Sarajevo en 1995.
00:12 On s'était quand même aperçu,
00:16 avant le départ,
00:18 que l'ami qui nous venait là-bas, Francis Webb,
00:20 nous avait réunis
00:22 au bar de Lutetia.
00:24 Elle me dira plus tard
00:26 qu'elle avait pensé ce type
00:28 d'être un intellectuel mondain,
00:30 et n'ira pas.
00:32 Et moi, de mon côté, je m'étais dit
00:34 qu'elle était une star, probablement un peu futile,
00:36 qu'elle renoncerait
00:38 au dernier moment.
00:40 Mais si,
00:42 elle était partie, ce n'était pas son genre
00:44 de s'engager à moitié,
00:46 mais je ne le savais pas encore.
00:48 Et là-bas, dans la ville assiégée,
00:50 bombardée,
00:52 j'ai été tout de suite ébloui,
00:56 par sa beauté si évidente et simple,
00:58 bien sûr, si éclatante
01:00 et sans après.
01:02 Je n'étais pas le seul,
01:04 tous les soldats français étaient amoureux d'elle,
01:06 mais aussi par son esprit,
01:08 par l'intention passionnée
01:10 qu'elle portait aux gens,
01:12 par le calme avec lequel
01:14 elle affrontait les situations d'une vie en guerre,
01:16 comme si elle avait toujours
01:18 vécu dans le danger.
01:20 Avec cette vertu qu'on prête
01:22 à juste titre
01:24 à l'Angleterre du blitz.
01:26 C'était la nuit, sur une colline,
01:30 on devine vaguement
01:32 la ville en dessous,
01:34 tout feu éteint dans une demi-brume.
01:36 On enterre un homme
01:38 tué par un éclat d'ouvlu,
01:40 on enterre la nuit par peur des snipers.
01:42 L'imam
01:44 s'almodie dans l'ombre,
01:46 des petites lumières volent
01:48 entre les tombes, ce sont des lucioles
01:50 ou des âmes.
01:52 Le mort est descendu dans la fosse
01:54 couvert d'un simple sueur très blanc
01:56 dans cette obscurité.
01:58 Soudain, elle se joint
02:00 aux hommes qui l'enterrent, qui ne la connaissent pas.
02:02 À genoux,
02:04 elle pousse avec eux la terre de ses mains.
02:06 Un geste d'une beauté parfaite,
02:10 absolument simple
02:12 et absolument audacieux à son image.
02:14 Un geste comme issu de la tragédie antique.
02:20 Je me souviens de jouer Andromaque
02:22 dans les Troyennes de Ripide,
02:24 au National Theatre à Londres.
02:26 Telle je la vois pour toujours,
02:30 tranquillement belle,
02:32 attentive au malheur,
02:34 intrépide.
02:36 Je cherche des anecdotes,
02:40 je n'en trouve pas que je n'ai déjà dites,
02:42 ou bien alors trop insignifiantes ou trop personnelles.
02:44 Je cherche une anecdote
02:46 pour faire sourire.
02:48 Je cherche à laisser l'usage dans ces cérémonies d'adieu,
02:50 ce sourire à travers les larmes
02:52 qui est justement celui d'Andromaque.
02:54 Et je n'en trouve pas, si,
02:58 celle-ci peut-être.
03:00 On est à Sanaa, au Yémen,
03:02 en 1996,
03:04 où un autre ami nous a menés
03:06 sur les traces de Rimbaud.
03:08 On est à l'hôtel.
03:10 Sans y prendre garde,
03:12 elle se change devant une grande fenêtre
03:14 qui donne sur une rue populeuse de Sanaa.
03:16 Horrifiée, je la pose au fond de la chambre.
03:18 Elle se moque de moi,
03:20 me trouve poltron et puis dit "bon,
03:22 elle n'a peut-être pas tort,
03:24 mais pour une fois, je crois avoir un peu raison quand même.
03:26 Le Yémen
03:28 n'est pas le genre de pays
03:30 où on est tellement fan des deux souchics.
03:32 Mais au fond, ce ne sont pas des anecdotes
03:36 que je veux égraner aujourd'hui,
03:38 nous ressentons tous, chacun à sa façon,
03:40 ou bien son absence va nous appauvrir.
03:44 Je voudrais dire que ces jours derniers seulement,
03:46 j'ai pu nommer un sentiment
03:48 que j'éprouvais pour Jane.
03:50 Au-delà
03:52 de l'immense affection qu'il y avait doucement,
03:54 pas toujours doucement,
03:56 succédée aux amours anciennes,
04:00 et ce sentiment,
04:02 c'est l'admiration.
04:04 C'est peut-être un peu solennel,
04:06 c'est sûrement en tout cas
04:08 ce qu'elle aurait pensé,
04:10 elle qui détestait tant les grands mots,
04:12 les grands airs,
04:14 mais c'est comme ça,
04:16 et moi je trouve que je suis bien bête
04:18 d'avoir mis si longtemps à m'en apercevoir.
04:20 Nous venions d'histoires complètement différentes
04:24 et presque opposées,
04:26 et pourtant toutes les qualités que j'avais toujours respectées,
04:30 sans les cultiver assez moi-même,
04:32 je les découvrais en elle.
04:34 Le courage, je l'ai déjà dit,
04:38 dans le danger, mais aussi plus tard,
04:40 dans le deuil et la maladie.
04:42 Avec le courage, il n'y a qu'une autre vertu cardinale,
04:46 qui est la bonté, ce mot qui fait rire les sous.
04:50 Et la bonté, la petite bonté
04:54 dont parlent les grands écrivains russes,
04:56 elle l'avait si inaltérable en elle
05:00 que même les gens qui ne la connaissaient pas
05:02 ou ne la connaissaient que de loin
05:04 la sentaient, et c'est cela, je crois,
05:08 qui explique l'énorme émotion
05:10 qui s'est manifestée depuis une semaine.
05:12 Lorsque je l'ai connue, je me souviens qu'elle passait des heures,
05:18 des journées, à s'occuper d'une vieille femme
05:20 quelque peu acariâtre
05:22 qui la tyrannisait,
05:24 moi qui ne fus pas aussi généreux qu'elle,
05:26 je trouvais qu'elle chariait,
05:28 et qu'elle a mise en scène, bien des années plus tard,
05:30 avec humour et compassion
05:32 et la touche d'extravagance qu'elle avait
05:36 dans son film "Boxing".
05:38 C'est Annie Gérardot qui l'incarne.
05:40 Gabriel me raconte
05:44 qu'une femme de ménage à l'hôpital lui a dit
05:46 "Ne mourrez pas, madame,
05:48 la France a besoin de vous."
05:50 Comme elle avait raison, cette femme,
05:54 nous avons,
05:56 je ne parle même pas de la France,
05:58 nous avons besoin de sa générosité.
06:00 Je n'ai jamais connu
06:02 quelqu'un d'aussi généreux que Jane.
06:04 Dans tous les sens qu'a ce mot,
06:06 depuis les plus simples,
06:08 les plus triviaux,
06:10 le fric et tout ça,
06:12 jusqu'au plus raffiné,
06:14 elle a disposition
06:16 à se passionner pour les autres,
06:18 à se réjouir de leur succès,
06:20 à être indulgent
06:22 à leurs défauts,
06:24 et elle en a eu bien besoin avec moi.
06:26 Une femme, une fois,
06:30 une fois chez les amis,
06:32 parce que j'avais dû le mériter,
06:34 elle m'a quand même balancé un verre de vin au visage,
06:36 ajoutant en riant
06:38 qu'elle regrettait de ne pas m'avoir envoyé
06:40 tout le contenu de la bouteille.
06:42 Comme je voudrais
06:44 le reprendre encore dans la gueule,
06:46 ce verre,
06:48 elle était irrésistible,
06:50 même dans la colère.
06:52 Car il n'y avait en elle
06:56 rien qui pèse ou qui pose,
06:58 elle n'était, Dieu sait,
07:00 ni Joan of Arc,
07:02 ni Florence Nightingale.
07:04 Tout en elle, au contraire,
07:08 était léger, élégant,
07:10 gracieux, musical,
07:12 mais alors plutôt érexatique que Wagner.
07:14 Il y avait son merveilleux humour
07:18 et même ses talents de clown,
07:20 son anticonformisme
07:22 spontané, sa vivacité,
07:24 sa constante
07:26 curiosité intellectuelle et sa passion
07:28 pour la littérature.
07:30 A l'hôpital, elle lisait la recherche
07:34 et se délectait de la façon
07:36 dont Proust se moque du snobisme
07:38 de Le Grandin.
07:40 Le snobisme,
07:42 voilà bien un sentiment, si on peut
07:44 appeler ça un sentiment,
07:46 qui lui était plus complètement étranger
07:48 qu'à aucune autre personne que j'ai
07:50 connue, moi y compris.
07:52 C'est à elle que je dois d'avoir lu
07:56 Franklin et Dickens, qu'ils trouvaient
07:58 si drôles,
08:00 et je ne la croyais pas, mais elle avait raison.
08:02 C'est avec elle et Judy,
08:06 la reine mère, que j'ai
08:08 connu à Rome la maison de
08:10 Keith Echelet.
08:12 Sa gaieté
08:14 était teintée de mélancolie
08:16 et je m'en voudrais
08:18 le temps qui me reste à vivre
08:20 d'avoir été parfois
08:22 celui par qui la mélancolie est venue.
08:24 Nous avions le même âge
08:26 et il nous était arrivé de nous dire
08:28 qu'un jour,
08:30 nous reprendrions la route
08:32 commencée il y a 28 ans à Sarajevo
08:34 et nous vieillirons ensemble.
08:36 Je serai seulement pour elle
08:40 la combattante,
08:42 la valeureuse,
08:44 cet homme
08:46 qui évoque les mots du grand poète
08:48 César Baillejo,
08:52 "Al fin de la bataille,
08:54 y muerta la combattiente,
08:56 vino hacia ella un hombre
08:58 que le dijo
09:00 "No mueras,
09:02 te amo tanto."
09:04 A la fin de la bataille
09:06 est morte
09:08 la combattante,
09:10 un homme vint à elle
09:12 et lui dit
09:14 "Ne meurs pas,
09:16 je t'aime tant."
09:18 Je t'aime tant.
09:20 (Applaudissements)
09:22 (Applaudissements)
09:24 (Applaudissements)
09:26 (Applaudissements)
09:28 (Applaudissements)

Recommandée