L'interview d'actualité - Julien Pelletier

  • l’année dernière
C'est en ce moment à Paris, la 22ème édition de la Japan expo, un rendez vous incontournable qui met à l'honneur la pop culture japonaise. Nous recevons Julien Pelletier fondateur des librairies spécialisées dans les mangas « japanim » pour nous en parler. 
Transcript
00:00 Bonjour, Julien Pelletier, Japan Expo, pour situer pour tous les spectateurs qui nous regardent,
00:04 c'est un peu le festival de Cannes de la culture japonaise, on est d'accord ?
00:08 C'est le plus grand festival du monde de l'animation japonaise en Europe.
00:12 250 000 visiteurs sont attendus, notamment fans de manga.
00:16 Et c'est pour ça qu'on vous fait venir, parce que vous êtes libraire spécialisé dans les mangas.
00:21 Vous avez combien de librairies ?
00:23 J'ai 10 librairies actuellement et une centrale d'achat qui gère les approvisionnements.
00:27 Partout en France ?
00:28 Plutôt dans le Grand Ouest.
00:29 Plutôt dans le Grand Ouest, c'est là où vous êtes situé.
00:32 On va essayer, pour tous les gens qui nous regardent et qui ne connaissent pas forcément les mangas,
00:37 de leur expliquer ce que c'est, c'est quoi un manga,
00:40 quelle est votre définition de ce phénomène mondial auquel la France n'échappe pas.
00:44 Un manga, c'est une BD japonaise, tout simplement.
00:47 Il va juste avoir des codes graphiques un peu différents de la BD classique.
00:52 C'est Osamu Tezuka, qu'on surnomme le "papa du manga",
00:55 qui a créé ce style, qui a donné les codes de ce style.
00:58 Il était fan des Walt Disney, des dessins animés de Disney aux Etats-Unis.
01:02 Et en fait, il a créé un manga à mi-chemin entre un storyboard et un livre.
01:06 Ça donne un style extrêmement dynamique, avec des expressions exacerbées au niveau des personnages.
01:11 Et c'est très agréable à lire.
01:13 C'est agréable à lire, mais moi quand je prends un manga dans les mains,
01:16 et que je le prends comme un livre normal, ça commence par la fin.
01:19 Donc ça se lit de droite à gauche ?
01:22 Ça se lit de droite à gauche, exactement.
01:24 Je montre aux gens, regardez.
01:26 Ça c'est le devant du manga, et on commence comme ceci.
01:29 Quand les éditeurs français ont commencé à les traduire,
01:31 certains les ont inversés de sens, mais c'était assez compliqué.
01:34 Et puis ils se sont rendus compte que ce côté un petit peu original faisait parler du manga.
01:37 Donc finalement, ils ont gardé le sens de lecture traditionnel.
01:41 Ça a une signification, "manga" ? C'est un mot japonais, ça veut dire quoi ?
01:43 Alors littéralement, ça peut se traduire par "image dérisoire" ou "dessin libre".
01:46 Il y a plusieurs traductions possibles.
01:48 Quelle est celle qui a vos faveurs ?
01:49 "Image dérisoire", c'est bien celle qu'on utilise d'habitude.
01:51 Pourquoi ? Pourquoi vous aimez cette traduction-là ?
01:55 C'est celle que j'ai entendue depuis le début, donc je me suis habitué.
01:58 L'histoire du manga commence dans les années 50, c'est ça à peu près ?
02:02 Ou avant ?
02:03 Alors la définition du manga comme on le connaît actuellement,
02:05 on commence en 1947 par justement Osamu Tezuka qui a créé le style.
02:09 La BD japonaise existait avant, mais un petit peu comme la BD européenne,
02:12 avec des scènes un petit peu plus figées,
02:14 un petit peu moins de découpage au niveau de l'action.
02:16 Et puis ensuite, c'est Osamu Tezuka qui a lancé ça en 1947.
02:19 Si je vous pose cette question temporelle, c'est parce qu'on est extrêmement nombreux
02:22 à avoir grandi en France avec une dame qui s'appelle Dorothée,
02:26 qui fêtait d'ailleurs hier ses 70 ans, c'est l'occasion de lui souhaiter un bon anniversaire.
02:30 Le club Dorothée dans les années 90, vous avez forcément déjà entendu ce générique-là.
02:36 C'est à ce moment-là que les mangas arrivent en France dans les années 90.
02:47 Grâce au club Dorothée.
02:48 Oui, les mangas sont arrivés un tout petit peu avant avec Akira, notamment chez Glenna.
02:52 Mais c'est le club Dorothée qui les a diffusés d'une manière extrêmement large.
02:56 Je suis moi-même un produit du club Dorothée,
02:58 puisque je passais mes mercredis matin à attendre Dragon Ball, L'écheveil du Zodiac, Nicky Larson.
03:03 D'ailleurs, l'auteur de Nicky Larson est en dédicace au Japan Expo, Tsukasa Hojo.
03:07 C'est l'invité phare du salon.
03:09 Le premier manga qui arrive en France, c'est Akira.
03:11 C'est Akira. Techniquement, il y a Genndy Hiroshima qui est arrivé 20 ans avant,
03:15 et c'était une BD un petit peu spécifique sur la Seconde Guerre mondiale.
03:19 Ça n'a pas trop marché.
03:21 Le vrai manga, comme on le connaît maintenant, c'est Akira.
03:23 Je reviens sur Dragon Ball Z, qu'on est nombreux, ados, plus ou moins jeunes,
03:28 à avoir découvert avec le club Dorothée.
03:31 Je me souviens qu'à l'époque, il y avait quand même des polémiques énormes
03:35 sur ce genre de dessin animé et sur cette imagerie-là,
03:38 considérée comme violente, sexiste, sexualisée.
03:42 Il y a même des personnalités politiques, Ségolène Royal notamment,
03:45 qui était ministre à l'époque, qui fustigeait le manga.
03:48 Est-ce que, dans votre librairie, puisque vous êtes au contact du public,
03:52 vous avez ce genre de commentaire encore aujourd'hui ?
03:54 Non, on ne l'a plus depuis 2015 à peu près.
03:57 Ça s'est arrêté, mais on l'a eu pendant très longtemps, effectivement.
04:00 Et on a eu, heureusement, des grands dessins animés,
04:03 comme les Miyazaki qui sont sortis au cinéma,
04:05 qui ont fait que le public a commencé à comprendre que ce n'était justement pas ça.
04:09 Après, le dessin animé qui nous a fait le plus de mal, c'était Ken le survivant,
04:12 qui passait au Club Dorothée et qui n'était pas destiné aux enfants.
04:15 Donc forcément…
04:16 Oui, il y a parfois une confusion, et on va en parler.
04:18 Il y a des mangas qui sont destinés à des ados, des jeunes adultes,
04:21 à des filles, à des garçons.
04:23 Vous avez combien de mangas dans votre librairie ?
04:25 On a à peu près 20 000 titres différents.
04:27 20 000 ?
04:28 C'est énorme, et je vais vous donner quelques chiffres
04:30 qui montrent à quel point ce succès est considérable,
04:32 au-delà du nombre de titres conséquents que vous avez.
04:34 48 millions d'exemplaires vendus en 2022 en France.
04:37 48 millions d'exemplaires de mangas.
04:39 381 millions de chiffres d'affaires.
04:42 Un livre sur sept vendu dans notre pays est un manga.
04:45 Quel est le type de lecteur de mangas que vous croisez chez vous ?
04:49 Maintenant, il y a tout le monde.
04:51 Quand j'ai ouvert en 1999, c'était principalement des adolescents et garçons,
04:54 puisque l'offre était aussi liée à cette cible.
04:56 Et maintenant, on est sur vraiment tous les publics.
04:59 On a d'ailleurs les premiers clients qui sont maintenant devenus parents
05:01 et qui reviennent, continuent leur série,
05:03 puis qui ramènent leurs enfants pour leur passer le virus.
05:05 Vous êtes venu avec pas mal de mangas différents.
05:08 On ne va pas tous les montrer, mais peut-être si on devait en choisir quelques-uns.
05:11 Déjà, celui-ci attire mon attention.
05:13 Ça s'appelle One Piece.
05:15 C'est peut-être la référence la plus vendue dans le monde en termes de mangas.
05:19 C'est le manga le plus vendu, effectivement.
05:21 On a passé la barre des 500 millions d'exemplaires en août 2022.
05:24 Donc, c'est phénoménal.
05:25 On est quasiment sur le quatrième livre le plus vendu,
05:27 tous livres confondus.
05:28 Et oui, c'est un phénomène mondial, effectivement.
05:30 Il y a le One Piece Day, d'ailleurs, la semaine prochaine.
05:32 Donc, la journée mondiale de One Piece.
05:34 Complètement, voilà.
05:35 Donc, les Japonais sont très, très forts pour faire du marketing,
05:37 des choses comme ça, et pour faire monter en puissance leur série.
05:39 Et One Piece en est l'exemple.
05:41 C'est un manga shonen.
05:42 Ça veut dire quoi, shonen ?
05:43 Shonen, c'est que la cible, c'est les adolescents garçons.
05:45 Donc, on est sur des histoires d'action, aventure,
05:47 avec des valeurs, les valeurs universelles de courage, d'abnégation, de déplacement de soi.
05:52 Ce n'est pas des valeurs un peu archaïques, ce que vous êtes en train de me décrire.
05:55 Vous dites garçons, donc égal courage, égal abnégation.
05:58 Il y a des mangas pour les jeunes filles, il y a des mangas pour les jeunes adultes.
06:01 C'est très genré, et ce n'est pas spécialement dans l'ère du temps.
06:05 Alors, c'est très genré, mais ça ne veut pas dire que les garçons vont se contenter de lire du shonen.
06:09 En fait, ils vont aller aussi vers le shoujo, donc pour les filles, et inversement.
06:12 C'est vraiment très libre.
06:13 Mais par contre, au Japon, il y a des magazines de pré-publication,
06:16 et ce genre, enfin, le fait de les classer comme ça,
06:19 permet de bien définir quel magazine fait quoi.
06:21 Alors, on va essayer de montrer quelques autres références que vous conseillez.
06:25 Il y a celle-ci, Le Quartier, lointain, c'est chez Casterman.
06:29 Qu'est-ce qu'il a de particulier, ce manga-là ?
06:32 Alors, ça, pour démarrer le manga, quand vous êtes adulte, vous connaissez un petit peu la BD,
06:35 mais pas le manga, vous voulez démarrer, celui-là, il est absolument parfait.
06:38 Mais alors, celui-ci, il se lie à l'européenne, dans le sens des aiguilles d'une menthe, j'ai envie de dire.
06:42 Pour la première lecture, c'est très bien, l'éditeur a fait un travail assez fort,
06:46 il a remis ça dans le sens européen pour enlever ce frein.
06:49 Le graphisme est assez européen, il a d'ailleurs fait des œuvres avec Morvan,
06:53 en partenariat avec le dessinateur Morvan.
06:55 Et là, on est sur un thème universel, on est sur un père de famille de 48 ans
06:59 qui a un petit peu délaissé sa famille pour le travail,
07:01 qui va se retrouver dans un train vers sa ville natale, il ne sait pas trop qu'est-ce qu'il fait là.
07:05 Et puis, une fois là-bas, il va retourner sur la tombe de sa mère,
07:08 il va s'évanouir et il va se réveiller à l'âge de ses 14 ans.
07:11 Il va pouvoir revivre sa vie de 14 ans avec sa maturité de 48 ans,
07:15 donc il en profite un petit peu, et puis il va se rappeler qu'il y a eu un événement tragique
07:19 dans sa jeunesse, notamment la disparition de son père,
07:21 et il va essayer de comprendre pourquoi il est parti,
07:23 et de l'empêcher.
07:25 - Rapidement, un autre manga, celui-ci est particulièrement occidental, on l'a compris.
07:28 Et là, j'ai La chasseuse de cartes, qui s'appelle Sakura.
07:31 Très vite, pourquoi celui-ci est intéressant ?
07:34 - Ça c'est très bien pour les premières lectures, c'est un monument,
07:36 il est un petit peu ancien, mais il a été remis au goût du jour.
07:38 On est sur 10-12 ans pour les filles, avec une petite fille qui va ouvrir un livre
07:42 qu'elle n'aurait pas dû ouvrir, des cartes qui vont s'échapper,
07:45 et elle devient la gardienne des cartes, enfin la chasseuse de cartes,
07:47 pour les récupérer et les remettre dans le livre.
07:49 - Merci beaucoup, Julien Pelletier.
07:51 Figurez-vous que je n'avais jamais lu de manga jusqu'à maintenant.
07:53 A vous entendre, j'ai très envie de m'y plonger.
07:56 N'hésitez donc pas à laisser quelques-uns de ces ouvrages sur la table.
07:59 - Je vais vous en laisser, effectivement, avec plaisir.
08:00 Merci à vous.
08:01 - Merci beaucoup d'être venu sur le plateau de Télématin.
08:03 Je rappelle, Japan Expo, c'est ce week-end, c'est à Villepeinte,
08:05 et on vous retrouve évidemment dans vos librairies,
08:08 pour tous les amateurs, ou les futurs amateurs de manga. Merci.

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