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Intervention de Marie Rabatel dans le cadre de la conférence "les bonheurs de ma vie d’autiste" du 17 juin 2023.
Transcription
00:00 Donc parler du bonheur, je ne vous cache pas que c'est quelque chose qui a été quand même compliqué pour moi.
00:12 Je vais quand même vous rappeler en quelques minutes mon parcours.
00:21 J'ai été une enfant qui a été mise dans une école pour apprendre à parler avec la langue des signes et les codes de couleurs,
00:30 puisque je ne savais pas positionner ma langue dans ma bouche et je n'arrivais pas à parler.
00:36 Et suite à ça, je suis allée, vous savez quand vous devenez élève, vous allez à l'éducation nationale.
00:45 Et donc là, j'ai intégré l'éducation nationale où j'ai vécu de l'harcèlement scolaire et j'ai réussi à me sortir de l'harcèlement scolaire grâce au sport.
00:59 Et puis le sport, par exemple, vous voyez, vous avez une photo tout en haut. Je ne sais pas si tout le monde sait ce que c'est.
01:10 C'est un lancer de disques. D'ailleurs à Lyon, on a quand même la déchampionne du monde, Elina Robernichon, qui lance le disque.
01:23 Et en fait, pourquoi je vous ai mis une photo du disque ? Parce que le disque, comme je vous le dis, le fait de pratiquer du sport,
01:33 m'a permis de sortir de ce harcèlement scolaire, c'est une chose. Mais surtout, le sport m'a permis d'être en relation avec des gens qui m'ont accepté tel que j'étais.
01:49 Qui n'ont jamais fait cas de l'autisme ou du handicap. Et comme j'ai l'honneur, je n'ai pas fait du sport pour avoir des médailles.
02:04 Je faisais du sport pour être bien. Et ça, c'est le bonheur pour moi, c'est d'être bien dans un lieu où on est accepté tel qu'on est.
02:20 Qu'on n'est pas obligé de jouer un rôle et de faire semblant, mais d'être soi-même. Et donc, dans le sport, quand on fait de l'athlétisme,
02:33 si on veut faire le plus de compétitions possible, il faut quand même lancer un peu loin. Si on ne lance pas trop loin, on est vite éliminé.
02:43 Du coup, moi ce que j'avais compris, c'est que plus je lançais loin, plus j'avais la chance de faire d'autres compétitions pour être davantage avec les gens avec qui j'étais bien.
02:54 Bien sûr qu'être sur un stade d'athlétisme, il y a beaucoup de bruit, il y a beaucoup de gens, il y a beaucoup de stimulation. Ce n'est pas impossible.
03:06 Mais finalement, c'était plus bénéfique pour moi d'accepter ces petites souffrances et puis de pouvoir avoir des moments de bonheur avec tous ces gens
03:22 qui permettaient d'être bien, mais aussi finalement d'évoluer et de grandir et d'arrêter de se focaliser sur ce qu'on ne sait pas faire et toutes ces difficultés qu'on peut rencontrer.
03:40 Puisque souvent, on rejette un peu quand même la faute sur l'autre. On dit "ouais, non, on n'a pas accès au bonheur, maintenant c'est la faute des autres, c'est la faute de l'environnement, c'est la faute de ci, c'est la faute de là".
03:56 Mais il faut savoir que le bonheur il vient de soi et plus on attend des choses des autres, on peut croire après qu'en fait on n'y arrivera pas.
04:07 Ce que je pourrais rajouter, c'est que ce sport c'est une chose, mais au début il y a une petite peluche.
04:23 Donc cette petite peluche c'est mon compagne en route qui est constamment avec moi. Donc pour moi c'est le bonheur absolu.
04:31 Je peux lui gratter les oreilles, je peux lui tenir la main, je peux faire ce que je veux.
04:38 Ça me permet surtout de canaliser le stress et l'angoisse, c'est comme ma petite boîte que j'ai toujours dans ma main.
04:47 Et ça me permet surtout d'accéder à des moments qui malgré l'environnement pourraient me provoquer des stress extrêmes,
05:05 ça me permet aussi de profiter du moment présent et de ne pas être envahi par cet environnement qui oblige qu'on peut aussi avoir accès au bonheur,
05:18 même si quelque chose nous fait souffrir. Et puis il y a un bonheur qui est peut-être un peu surprenant,
05:31 donc c'est la troisième image. Cette troisième image en fait c'est un lieu. Moi je dors, j'adore, j'adore.
05:42 Ce que je préfère finalement de toute mon existence c'est dormir dans des placards.
05:50 C'est un lieu où je me sens complètement libre, libre et pas prisonnière de cet environnement qui des fois me paraît agressif ou est agressif.
06:04 Et donc d'être dans ce placard, eh ben, ouais, me permet d'accéder à des moments qui durent d'ailleurs, puisque plus j'y reste plus je suis bien,
06:26 à des moments où l'autisme c'est comme si ça n'existait plus. Et c'est vrai que dans notre société c'est pas simple d'être autiste.
06:40 Moi j'ai été diagnostiqué à l'âge de 14 ans, donc ça fait plus de 35 ans à peu près, et c'est pas facile tous les jours.
06:52 Voilà, c'est possible. D'ailleurs, est-ce que vous pouvez lever la main à des personnes qui sont autistes ?
07:12 Donc vous voyez par exemple là dans cette salle, il y a plus d'autistes que de non-autistes. Et finalement on est majoritaire.
07:24 Et du coup vous avez toutes et tous des bonheurs, des choses qui ne correspondent pas au nombre de notre société.
07:37 Et c'est pas parce que ça ne correspond pas au nombre de la société que vous ne pouvez pas prendre plaisir à vivre votre bonheur.
07:46 C'est vrai que dans la société le bonheur c'est avoir une belle voiture, le bonheur c'est avoir une grosse maison, le bonheur c'est je ne sais quoi.
07:58 Et en tout cas pour ma part, tout ce genre dit de bonheur chez les personnes non-autistes me semble complètement aberrant.
08:12 Puisque c'est juste du paraître, et en fait c'est des gens qui s'enferment dans une prison pour accéder à des bonheurs qui sont juste dans le paraître.
08:22 Et le bonheur c'est pas paraître, le bonheur c'est être. Et surtout le bonheur c'est être libre, être libre de penser, être libre d'aimer et libre de libre.
08:41 Parce que il y a plein de gens ici ou ailleurs qui du fait de leur difficulté d'intégration dans le monde de notre société ont quand même des pensées très sombres.
08:58 Et bien pour vous dire que rien que le fait de se lever le matin c'est aussi un bonheur, c'est aussi un bonheur de pouvoir se dire ouais chouette encore une journée supplémentaire.
09:11 Et pas se dire putain fais chier quoi encore une journée supplémentaire.
09:17 Pendant très longtemps moi j'ai pensé aussi que se lever le matin et se dire encore une journée à souffrir.
09:27 J'ai été 5 ans en hôpital dans une clinique psychiatrique pour soigner des traumatismes.
09:34 Et moi je peux vous dire quand même qu'aujourd'hui c'est que j'aurais été bien bête de pas résister à cette envie de vivre et de se dire ouais putain c'est super bien de se lever le matin pour vivre des choses extraordinaires dans la journée.
09:54 Et les choses extraordinaires elles sont justement de bon sens.
09:58 Et il n'y a pas besoin d'aller faire le tour du monde.
10:02 Déjà quand on fait le tour du monde je pense qu'il nous faut une vie pour faire le tour du monde.
10:06 Mais surtout c'est que, par exemple des fois on est dans des périodes où on n'arrive pas à aller jusqu'à sa boîte aux lettres.
10:19 Et bien avec le fait d'aller prendre ses petites clés et d'aller ouvrir la boîte aux lettres, ça peut être aussi un bonheur.
10:26 Le fait d'être en difficulté pour prendre sa douche et de prendre l'initiative de prendre sa douche tout seul, ça peut être aussi un bonheur.
10:38 Voilà le bonheur c'est des petites choses, finalement des petites choses du quotidien, c'est pas des grandes choses.
10:44 Et puis pour continuer ces histoires des placards, il y a quelque chose qui est hyper agréable, c'est qu'en fait c'est tout ce niveau de la sensorialité
10:59 où mon dos est posé contre une paroi et du coup il n'y a pas d'espace entre la paroi et mon dos.
11:10 Et du coup ça me sécurise énormément. Et puis surtout c'est que, comme je disais, je peux être libre dans ma tête et ne plus être happé par des choses qui m'ennuient,
11:29 qu'on peut retrouver dans notre vie sociale. Et pourtant parallèlement à ça, ça ne m'empêche pas d'être régulièrement à Paris pour défendre une cause,
11:51 une cause qui finalement est un peu, on va dire, je pense, mon intérêt spécifique, qui me permet de sortir de la zone de confort.
12:05 Bien sûr c'est plus agréable de rester dans un placard que d'être dans une gare.
12:12 Mais finalement utiliser en fait cet intérêt spécifique pour aller au-delà de ce qu'on aurait pu imaginer, être capable de faire,
12:27 et bien quand on y arrive c'est quand même un sacré bonheur. Et c'est pas facile pour moi de vous parler de cette notion quand même.
12:43 Mais je pense aussi qu'il faut qu'on arrête de se tracasser avec les choses qui viennent de l'extérieur de soi,
12:51 où du coup on se prend la tête sur des choses, où de toute façon on n'a aucun pouvoir dessus,
13:01 et du coup on va s'enfermer dans quelque chose de négatif.
13:10 Et le fait de voir par exemple dans cette salle qu'il y a plus de personnes autistes que de personnes non autistes,
13:26 ces conférences qu'on réalise depuis 2015, on s'aperçoit, voilà, au début, en 2015 par exemple,
13:35 il y avait plus de professionnels et de parents que de personnes autistes.
13:40 Et aujourd'hui il y a plus de personnes autistes que de professionnels ou de parents,
13:45 et ça aussi ça fait partie du bonheur en fait. C'est-à-dire que de réaliser des choses pour que d'autres puissent prendre plaisir
13:54 à vivre des petits instants de bonheur à eux, et voilà, je ne sais pas trop quoi dire en fait.
14:05 Mais peut-être qu'en conclusion je pourrais vous dire que la fille du bonheur elle est en vous.
14:12 Voilà, et qu'il ne faut pas la chercher, il ne faut pas qu'on l'aire après, elle est juste en soi, et puis ne dédiez que ce qui dépend de vous.
14:26 Voilà, c'est tout. Voilà, je vous remercie.
14:30 (Applaudissements)

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