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Nous sommes le 12 juillet 1790. Depuis un an règne une euphorie et un réformisme acharné parmi les députés ayant contraint la monarchie française à s'engouffrer sur la voie du changement. Mais ce jour-là, les Constituants vont commettre une erreur qui va empoisonner la Révolution française pendant plus de dix ans.
En adoptant la Constitution Civile du Clergé, ils abolissent brutalement le fonctionnement traditionnel de l’Église catholique de France. Il ne faut que quelques semaines pour que cette décision divise les croyants à travers tout le pays, et pour que la question religieuse vienne rassembler tous les partisans de la contre-révolution...

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00:00 Nous sommes le 12 juillet 1790.
00:04 Depuis un an règne une euphorie et un réformisme acharné au sein de l'Assemblée Constituante,
00:10 union des députés ayant contraint la monarchie française à s'engouffrer sur la voie du changement.
00:16 Déjà, la plupart des fondations de l'Ancien Régime ont été renversées
00:19 et la société s'est mise en mouvement à une vitesse et dans des proportions jamais vue.
00:24 Mais ce 12 juillet, bien qu'il l'ignore, les Constituants vont commettre une erreur
00:28 qui va empoisonner la Révolution française pendant plus de dix ans.
00:33 Ce jour-là, la Constituante adopte la Constitution civile du clergé
00:38 qui abolit le fonctionnement traditionnel de l'Église catholique de France,
00:42 la détache de l'autorité du pape et fait des prêtres des fonctionnaires de l'État,
00:46 auxquels ils doivent leur salaire et donc leur obéissance.
00:51 Il ne faut que quelques semaines pour que cette décision divise les croyants à travers tout le pays
00:56 et pour que la question religieuse vienne nourrir et rassembler tous les partisans de la contre-révolution.
01:03 Durant la période révolutionnaire, mais aussi longtemps après,
01:06 la question religieuse a largement alimenté les passions.
01:09 Au 19e ou même encore au 20e siècle, pros et anticléricaux
01:13 continuaient de rappeler les outrances des révolutionnaires,
01:15 qui auraient tous été athées ou les ignominies des révolter catholiques, présentées comme des fanatiques.
01:21 Pourtant, l'intention initiale de la Constituante de 1789 n'était pas de mettre fin à la religion chrétienne,
01:27 mais plutôt d'en encadrer la pratique afin de limiter les abus du clergé
01:31 et d'assurer la tolérance sur le sol national.
01:34 Et au début de cette démarche, le Tiers-État a été soutenu par la majorité du clergé
01:38 qui demandait lui-même des réformes.
01:40 C'est pourquoi il faut être prudent en abordant la question,
01:43 afin de ne pas mélanger anticléricalisme et antireligiosité.
01:48 Mais avant cela, il va nous falloir planter le décor de cette longue et complexe période de troubles.
02:14 Avant que Louis XVI ne convoque les États généraux en 1789,
02:18 le Royaume de France compte 26 millions d'habitants, avec une écrasante majorité de catholiques.
02:24 Parmi eux, les 130 000 religieux représentent à peine 0,5% de la population totale.
02:30 Malgré ce poids démographique dérisoire, l'Église de France bénéficie d'une influence et d'une richesse,
02:35 à la fois foncière et financière, considérable.
02:38 Son contrôle sur la société passe évidemment par les prêches et les cérémonies religieuses,
02:42 importantes à la fois pour l'apaisement spirituel qu'elles procurent et pour la sociabilité qu'elles permettent.
02:48 Mais l'Église contrôle aussi pour partie la vie privée des individus,
02:51 en délivrant régulièrement des certificats de bonne mœurs, indispensables pour diverses démarches civiles.
02:57 L'Église de France dispose aussi, selon les provinces, de droits de justice et de taxation plus ou moins étendus,
03:03 l'impôt religieux, la dîme, étant le plus célèbre de ses privilèges.
03:07 Mais l'institution est aussi un important propriétaire foncier, avec près de 10% des terres du royaume.
03:13 Par ailleurs, les membres du clergé ne peuvent être jugés que par des tribunaux ecclésiastiques.
03:17 Ils échappent donc à la justice ordinaire et à la prison, tandis qu'ils sont exemptés de nombreux impôts,
03:22 mais aussi du devoir militaire, de la garde des villes, de l'hébergement des soldats, etc.
03:27 En échange de ces avantages, l'Église assume théoriquement des missions fondamentales.
03:31 Outre le salut des âmes, elle supervise l'enseignement, les soins médicaux, l'entretien des lieux de culte
03:36 et la tenue de l'État civil.
03:38 Le haut clergé catholique dispose enfin d'une influence politique inégalée.
03:42 Le catholicisme est la seule religion d'État, unique à être promue et conférant au souverain
03:47 sa pleine légitimité comme représentant de Dieu sur terre.
03:51 En échange, le roi jure de pourchasser l'hérésie et soutient la censure religieuse.
03:57 Mais malgré cette puissance écrasante, le clergé de France n'est pas exempt de faiblesses.
04:02 À commencer par ses propres divisions.
04:05 Ces membres assument en effet des origines sociales, des missions, des éducations, des trains de vie
04:10 parfois aux antipodes les uns des autres.
04:12 Ce qui donne au clergé une dimension très hétérogène.
04:15 Sur les 130 000 religieux que l'on évoquait tout à l'heure, 70 000 composent le clergé séculier,
04:20 c'est-à-dire les prêtres des villes et des campagnes.
04:23 Les 60 000 autres sont réunis au sein du clergé régulier, vivant plus ou moins isolés dans des monastères.
04:28 Mais parmi les séculiers, seuls 3 000 composent le haut clergé, réunissant les évêques et leur suite,
04:33 c'est-à-dire la direction de l'église.
04:35 Au XVIIIe siècle, ils sont exclusivement recrutés parmi la haute noblesse,
04:39 gloquant toute perspective d'évolution pour les membres du bas clergé.
04:44 Seule une minorité des évêques résidait dans son diocèse.
04:47 La majorité ne prêchait guère, se reposant sur des vicaires nommés pour administrer à sa place.
04:53 Il arrivait parfois que cette responsabilité soit confiée à des roturiers aîlés, comme l'abbé Sieyès.
04:59 Ce haut clergé d'origine noble n'est donc pas des plus assidus dans ses tâches religieuses,
05:04 et plutôt intéressé par les affaires politiques, ou bien par le faste de la vie aristocratique.
05:09 Ainsi, l'évêque d'Aix-en-Provence, Boisgelin, vivant dans son diocèse,
05:13 orchestrant l'activité de sa cathédrale, et reconnu à la fois pour sa piété et pour sa modération en tout,
05:19 fait paradoxalement figure d'exception dans un paysage épiscopal dominé par le désintérêt et le laxisme.
05:26 La majorité du clergé séculier, le bas clergé donc, vit largement dans la misère.
05:31 Lorsqu'un évêque touche environ 100 000 livres de rente annuelle,
05:34 les clercs du bas de l'échelle vivent avec à peine 300, malgré les textes qui leur en assurent prétendument 750.
05:41 Cette pauvreté explique d'ailleurs, pour les historiens, les difficultés de l'église de l'époque
05:45 à recruter de nouveaux prêtres à la fin du XVIIIe siècle.
05:49 Le clergé régulier, de son côté, ne s'en sort guère mieux.
05:52 De vastes campagnes de dénigrement contestent depuis plusieurs décennies son utilité sociale et économique.
05:58 On voit les moines et les moniales comme des parasites inutiles.
06:01 La plupart des abbés, dont certains ne sont même pas des religieux mais des laïcs nommés par le roi,
06:05 ne mettent jamais les pieds dans les monastères et se contentent d'y puiser des revenus considérables.
06:10 Privés de ces moyens, les institutions ecclésiastiques s'effondrent presque sur elles-mêmes.
06:15 Avec cette situation interne, tout est en place pour que les religieux eux-mêmes
06:20 se mettent à réclamer du changement dans leur église.
06:24 Plusieurs années avant les états généraux, le bas clergé et le clergé régulier
06:34 ruent donc déjà dans les brancards pour réclamer de meilleures conditions d'existence
06:38 et la fin du train de vie fastueux des élites épiscopales.
06:42 Un siècle avant, au XVIIe, le moine Richer avait défendu une réorganisation de l'église de France.
06:48 Pour éviter que le haut clergé n'abuse de son pouvoir et de sa richesse,
06:52 il préconisait de soumettre les évêques et leur suite à l'Assemblée des religieux du diocèse.
06:57 Ces religieux eux-mêmes devaient être soumis à leur tour à la communauté locale de leurs fidèles.
07:02 Le bas clergé réclamait ainsi rien de moins qu'une forme interne de démocratie,
07:06 aux antipodes du fonctionnement ecclésiastique traditionnel.
07:10 Pour le XVIIIe siècle, la société civile n'est pas passive et s'investit aussi sur la question religieuse.
07:15 Tout au long de ce « siècle des Lumières », les philosophes combattent les abus de l'église de France.
07:20 Si peu d'entre eux sont vraiment athées, la plupart choisissent malgré tout de dénoncer l'inutilité des monastères,
07:26 l'accumulation de richesse des évêques, le dénuement des petits prêtres,
07:30 la moralité souvent absurde prônée par le dogme officiel.
07:34 En parallèle toutefois, il faut garder en mémoire que ces mêmes philosophes félicitaient l'institution catholique
07:39 lorsqu'elle assurait le soin aux malades ou l'accompagnement des pauvres.
07:42 Il ne faut donc pas, encore une fois, confondre anticléricalisme, c'est-à-dire le combat contre l'institution,
07:48 et antireligiosité, le combat contre la foi.
07:51 Les Lumières dénonçaient les dérives de l'église et pas la religion en elle-même.
07:55 Au XVIIIe siècle, le christianisme avait perdu sur tout le continent de l'Europe une grande partie de sa puissance.
08:02 Mais il était plutôt délaissé que violemment combattu.
08:05 L'irréligion ne pénétrait guère encore dans le sein du peuple.
08:08 Il semblait néanmoins que, pour arriver à attaquer les institutions de l'État,
08:12 il fut nécessaire de détruire celles de l'église, qui leur servaient de fondement.
08:17 Ainsi, les dérives du clergé ont été dénoncées par le biais de plusieurs affaires célèbres,
08:22 dont la plupart ont été décrites par Voltaire.
08:24 La plus significative reste peut-être celle du Chevalier de la Barre.
08:27 Âgé de 20 ans en 1766, accusé de blasphème pour avoir, ivre mort, entaillé un crucifix à l'arme blanche,
08:35 il est torturé malgré son statut de petite noblesse, puis condamné à la décapitation en place publique.
08:41 Bien qu'il ait avoué son crime et demandé pardon, Louis XV lui refuse la grâce royale.
08:46 L'affaire fait grand bruit et entache l'image de l'église et du roi, accusés d'arbitraire et de fanatisme aveugle.
08:53 Pendant ce temps, l'église de France, elle, tente surtout de contenir le flot des critiques.
08:58 Sur l'ensemble du XVIIIe siècle, elle fait publier près de 900 ouvrages contredisant les philosophes
09:04 pour essayer de défendre sa propre cause.
09:07 La censure s'applique aussi furieusement, mais des séries entières d'ouvrages lui échappent,
09:11 comme la célèbre Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, ou bien les Nouvelles Ecclésiastiques,
09:16 un journal janseniste défendant une pratique plupieuse de la religion par les clercs eux-mêmes.
09:21 Entre autres choses, le jansenisme c'est compliqué.
09:24 Mais cette censure est aussi défaillante parce que désorganisée de l'intérieur.
09:28 Le censeur officiel, Malhézherbe, a lui-même soutenu la publication de l'Encyclopédie
09:33 et laissé passer volontairement de nombreux ouvrages entre les mailles de son filet.
09:38 Enfin, le jansenisme dont on parlait à l'instant a filtré au sein d'une grande partie du clergé,
09:43 mais aussi des élites françaises.
09:45 Celles-ci soutiennent donc la sécularisation de l'éducation secondaire en 1763,
09:49 puis la dissolution pure et simple de l'ordre des jésuites en 1764.
09:54 En 1787, les protestants et les juifs gagnent un accès à l'état civil et aux droits fondamentaux
09:59 au nom de l'idéal de tolérance des Lumières.
10:02 Avant la révolution, magistrats et parlementaires mettent ainsi l'église sous pression,
10:06 ce qui incite les prélats à réclamer des états généraux,
10:10 c'est-à-dire la réunion des prêtres, des nobles et des roturiers, autour du roi
10:14 pour régler les grandes problématiques du royaume.
10:17 Entre les tensions internes de l'église et les courants religieux et philosophiques
10:21 appelant à sa réorganisation, ces états généraux, finalement convoqués en 1789,
10:26 s'annoncent donc "On ne peut plus" ou "Le".
10:31 [Musique]
10:35 En 1789 donc, la population catholique, largement majoritaire en France,
10:41 est encore très croyante.
10:43 En témoignent les ventes d'images pieuses par les colporteurs,
10:46 qui illustrent une religiosité familiale régulière.
10:49 Cependant, les églises sont délaissées le dimanche, les vocations se tarissent,
10:53 les donations fondent de 30% en un siècle.
10:56 Et puis, les naissances hors mariage augmentent !
10:58 Ces éléments indiquent une autre distinction importante qu'il nous faut faire,
11:01 celle entre la pratique et la foi.
11:04 De toute évidence, les catholiques de France sont toujours croyants en cette année 1789.
11:09 Cependant, ils délaissent les pratiques traditionnelles,
11:12 probablement sous l'influence des philosophes ou même des religieux locaux
11:15 qui propagent une image écornée de l'église de France.
11:17 A cela, il faut ajouter les rumeurs et bien sûr les dérives
11:20 dont la population est elle-même témoin au quotidien.
11:23 Ainsi, la société civile fait savoir dans ses cahiers de doléances
11:27 ce qu'elle affirme déjà depuis plusieurs décennies.
11:29 Son rejet pur et simple des impôts religieux qui enrichissent honteusement les évêques,
11:33 tandis que les églises et les bonnes œuvres, sont à l'abandon.
11:36 Les doléances adressées aux rois contiennent également une condamnation
11:39 de la moralité économique de l'église qui interdit les prêts à intérêts
11:43 et freine ainsi le développement de la bourgeoisie.
11:45 La présence de nombreux religieux au gouvernement est également condamnée,
11:48 car pour beaucoup de croyants, ce n'est tout simplement pas leur place.
11:52 L'ensemble de ces éléments amènent, dès le début des états généraux,
11:56 des chamboulements significatifs.
11:58 D'une part, la délégation de l'église compte deux tiers de membres du bas clergé,
12:02 pour seulement un tiers de haut clergé.
12:04 Solidaires, ces religieux modestes et réformateurs vont rallier le tiers état
12:08 le 19 juin 1789 et former avec lui la première Assemblée nationale.
12:15 Celle-ci, qui inclut 23 députés protestants, refuse de se séparer
12:19 jusqu'à ce que la France soit réformée et dotée d'une constitution.
12:23 Le serment du jeu de paume du 20 juin consacre cette volonté commune.
12:27 Cinq jours plus tard, le haut clergé est contraint de se rallier à son tour,
12:31 sommé par ses pairs, de se soumettre aux valeurs de la religion
12:34 plutôt qu'à ses intérêts aristocratiques.
12:37 Pour ne pas être isolé, la noblesse rejoint enfin l'Assemblée nationale le 27 juin.
12:42 Après la prise de la Bastille, qui incite Louis XVI à collaborer,
12:46 de nombreuses décisions sont prises par les députés durant l'été et l'automne 1789.
12:51 Parmi elles, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen
12:54 impose la liberté de conscience et la liberté de culte,
12:57 tandis que l'abolition des privilèges dans la nuit du 4 août
13:00 met à l'ordre du jour une refonte des systèmes judiciaires et fiscaux,
13:04 en écartant l'éclair de toute responsabilité sur ces sujets.
13:07 De plus, des textes annexes assurent l'intégration pleine et entière
13:11 des protestants à la communauté nationale.
13:13 Les Juifs, eux, doivent attendre le 27 septembre 1791
13:17 pour se voir accorder la liberté de culte et la nationalité française.
13:21 Mais c'est le 2 novembre 1789 qu'est prise la principale décision
13:26 concernant l'Église catholique.
13:28 Subitement, l'Assemblée constituante s'emballe.
13:30 Convaincue de pouvoir réorganiser l'Église de France au service de l'État
13:34 et de moraliser ses prêtres, elle vote la nationalisation des biens du clergé,
13:39 sur proposition de l'évêque d'Autin, un certain Talleyrand.
13:43 Ce faisant, elle confond les élans réformateurs des philosophes
13:47 et les attentes réelles d'une population française bien moins ambitieuse à cette époque.
13:52 Mais il est désormais trop tard pour faire machinariel.
13:55 La question religieuse vient d'être happée par le tourbillon révolutionnaire.
14:01 Ce qui précipite la constituante vers des décisions fortes en matière religieuse,
14:11 c'est avant tout la crise financière.
14:13 Celle qui avait décidé Louis XVI à mobiliser les États généraux n'a pas disparu.
14:17 Et en août 1789, la constituante autorise le ministre des Finances Necker
14:22 à lever des emprunts nationaux, au résultat peu probant.
14:26 Alors, le 29 septembre, les députés font saisir les trésors de l'Église,
14:30 avec l'approbation des prêtres eux-mêmes,
14:32 avant que l'impératif financier ne conduise finalement Talleyrand
14:35 à proposer la vente des biens du clergé.
14:37 Mais cela ne suffit toujours pas à remplir les caisses.
14:40 D'autant qu'en nationalisant puis en revendant les terres et bâtiments églésiastiques,
14:44 la constituante se voit forcée de prendre en charge les religieux eux-mêmes,
14:47 qui ont besoin d'un bâtiment et d'un matériel de cérémonie pour exercer.
14:51 Les prêtres catholiques, et exclusivement eux, deviennent donc des fonctionnaires d'État.
14:57 Pour les députés, dont certains sont des religieux eux-mêmes,
15:00 cette situation inédite est une formidable occasion de réorganiser l'Église de France.
15:05 Le 13 février 1790, les ordres monastiques, jugés inutiles,
15:09 sont dissous dans l'indifférence générale,
15:12 hormis ceux assurant des activités enseignantes ou hospitalières.
15:15 Le 12 juillet, après de longues délibérations,
15:18 la constituante adopte finalement la Constitution civile du clergé,
15:22 qui affranchit l'Église de France de l'organisation habituelle de la chrétienté.
15:26 « Nous n'avons pas touché au dogme », affirme le député du tiers-État Armand Camus.
15:31 « Nous n'avons fait que changer la géographie. »
15:33 En effet, il y a désormais un évêque pour chaque nouveau département,
15:36 et les paroisses sont réduites.
15:38 Dans l'ensemble, ce texte répond parfaitement aux attentes du bac clergé.
15:42 La démocratie interne y est assurée,
15:44 l'avancement est possible sans regard pour la naissance du candidat.
15:47 Le galicanisme, c'est-à-dire la priorité nationale sur la volonté papale,
15:51 est mis en avant, avec un rejet de toute autorité cléricale non française.
15:55 Les revenus des religieux sont assurés et plafonnés.
15:58 L'obligation de résidence est imposée dans l'évêché ou sur la commune.
16:01 En contrepartie de toutes ces évolutions,
16:03 la constituante attend des ministres du culte
16:05 qui diffusent les législations de l'Assemblée lors des messes.
16:08 Qu'ils nourrissent, en fait, la cohésion nationale
16:11 autour de l'Église de France constitutionnelle.
16:14 Toutefois, afin de ne pas rompre avec le reste du monde catholique,
16:17 la constituante demande tout de même au pape
16:19 de valider la constitution civile du clergé.
16:22 Après tout, s'ils doivent obéissance au gouvernement,
16:24 les prêtres catholiques devront toujours se référer à lui à propos du dogme.
16:28 Et puis, si certaines des dispositions du texte sont très audacieuses,
16:31 d'autres monarques ont déjà pris le contrôle de leur propre église nationale à cette époque,
16:35 notamment en Autriche.
16:37 La chose, si elle est vexante pour la papauté,
16:39 n'est donc pas si nouvelle que cela.
16:42 Mais le souverain pontife est également contrarié
16:44 par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
16:46 qui permet selon lui toutes les impiétés,
16:48 ainsi que par la ville d'Avignon.
16:50 Dans cette cité, qui appartient aux états de l'église depuis plusieurs siècles,
16:54 la population s'est révoltée pour demander rien de moins que son rattachement à la France.
16:58 Aussi, le pape Pie VI laisse-t-il les choses traîner,
17:01 avant de finalement condamner violemment la constitution civile du clergé
17:05 et la révolution religieuse menée par la France.
17:09 Ce refus pontifical a l'effet d'une bombe.
17:12 Nombreux sont les religieux, mais aussi les fidèles,
17:15 qui commencent à douter du bien-fondé de la constitution civile du clergé.
17:18 Louis XVI lui-même n'affirme la valider que par nécessité, presque par contrainte.
17:23 Agacés, la majorité des constituants adoptent tout de même le texte sans validation du pape,
17:28 le 27 novembre 1790.
17:31 Mais dans la foulée, ils exigent aussi que tous les religieux prêtent serment de fidélité au texte.
17:36 Pour les croyants et les ministres du culte, il s'agit d'un viol de conscience.
17:40 Les clercs se divisent entre jureurs, environ la moitié du bas clergé, et réfractaires,
17:45 l'autre moitié du bas et presque l'intégralité du haut clergé.
17:49 Tandis que les révolutionnaires les plus anticléricaux n'ont plus peur de se dévoiler.
17:53 Le divorce est consommé entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires.
17:58 C'est le début de dix années de division.
18:02 Ce serment qui pose problème change plusieurs fois de forme jusqu'en 1792.
18:14 Cette année-là, après la fuite ratée du roi et sa capture à Varennes,
18:18 un quatrième serment est demandé aux religieux.
18:21 Mais la rumeur se répand que, cette fois, des mesures sévères seront prises contre les réfractaires,
18:26 le bannissement et peut-être même la mise à mort.
18:29 Les tensions vont donc en s'aggravant entre révolutionnaires et conservateurs.
18:33 Le 12 août 1792, le maire de Paris, Chaumette,
18:37 fait interdire le port de la tenue religieuse en dehors des églises.
18:40 Quelques jours plus tard, il interdit les célébrations publiques à caractère religieux.
18:45 Le 18 août, un décret national rend obligatoire le serment,
18:48 sous peine pour les prêtres réfractaires d'être renvoyés de la fonction publique.
18:52 Les émotions et les décisions s'emballent rapidement.
18:55 Le 26, l'ensemble du clergé français réfractaire est finalement condamné à l'exil hors du territoire national.
19:01 Nombreux sont ceux qui se réfugient alors en Italie, voire à Rome même.
19:06 Mais ils y sont placés sous surveillance parce que Français, et donc porteurs d'idées dangereuses.
19:11 En parallèle, les guerres révolutionnaires ont éclaté.
19:14 La France est au combat contre l'essentiel des grandes nations d'Europe.
19:17 Dans ce contexte de chaos vaguement organisé, les rumeurs naissent et se déploient à grande vitesse.
19:23 L'une d'entre elles, insistante et paniquée, prétend que 20 000 aristocrates émigrés vont bientôt revenir en France,
19:29 à la tête de soldats mercenaires et accompagnés des armées de Prusse et d'Autriche.
19:34 La psychose s'installe, reglayée par les journaux comme l'ami du peuple de Marat.
19:38 Verdun tombe le 2 septembre.
19:41 La nouvelle arrive à Paris et déclenche une panique qui mène, pendant 3 jours,
19:45 au massacre de 1000 à 1300 prisonniers, que l'on accuse de soutenir l'envahisseur et les contre-révolutionnaires,
19:51 voire de les avoir renseignés.
19:54 Nombre de ces victimes sont des prêtres réfractaires, précisément considérés,
19:58 avec les nobles non-émigrés, comme des traîtres de premier ordre.
20:02 En février 1793, la situation est catastrophique.
20:07 La France est toujours en guerre, mais la nouvelle assemblée, la Convention Nationale,
20:11 voit désormais la Vendée se révolter d'un seul tenant.
20:14 Et la question religieuse n'y est pas pour rien.
20:17 Par-dessus le marché, les assassinats se multiplient contre les figures de tous bords politiques.
20:22 Sous pression politiquement, économiquement, socialement, militairement et religieusement,
20:27 la République toute neuve se radicalise dans tous les domaines.
20:33 Le mariage des prêtres
20:37 Le 19 juillet 1793, la loi autorise le mariage des prêtres.
20:43 L'église constitutionnelle est trop désorganisée pour y opposer la moindre résistance.
20:47 Entre les morts, les réfractaires et les émigrés,
20:50 elle ne compte plus que le quart des effectifs religieux de 1789.
20:54 Et puis, se marier, c'est montrer que l'on est pour la révolution.
20:58 Et cela devient indispensable, car l'image du vicaire prétend le serment du jeu de paume,
21:02 s'est déjà évanouie dans l'opinion publique, remplacée par celle du prêtre réfractaire,
21:07 complotant pour restaurer l'ancien régime.
21:10 Dans ce contexte tendu, quelques envoyés en mission trop zélés
21:13 vont initier un large mouvement de déchristianisation.
21:16 Au grand dam du gouvernement, qui réalise bien vite que cela va dresser le peuple contre lui.
21:21 Parmi ces fonctionnaires anticléricaux virulents, il y a Joseph Fouché, futur ministre de la police.
21:27 Dans la Nièvre, il prend des mesures radicales.
21:29 Mariage des prêtres obligatoire, interdiction des manifestations ou signe religieux hors des églises,
21:34 ou encore laïcisation forcée des cimetières et des convois funéraires.
21:38 Mais s'il dénonce cette déchristianisation locale,
21:41 le gouvernement aussi a pris des décisions anticléricales cette même année 1793.
21:46 La plus forte peut-être consiste à laïciser le temps.
21:51 Le 24 octobre, les députés votent l'abolition du calendrier grégorien,
21:55 remplacé par un calendrier révolutionnaire.
21:58 L'année débute le 22 septembre, premier jour de la République qui remplace la naissance du Christ.
22:03 La célébration des saints est évacuée, tout comme la semaine de 7 jours, qui passe à 10.
22:08 La situation désespère de nombreux fidèles, mais aussi et surtout les prêtres eux-mêmes, soumis à d'intenses pressions.
22:15 Le 6 novembre 1793, l'archevêque constitutionnel de Paris, Mgr Gobel, démissionne
22:21 et retourne à la vie civile dans le cadre d'une cérémonie organisée devant l'Assemblée.
22:26 Les vagues d'anticléricalisme ont profondément choqué l'un des meneurs de la Révolution en 1793-1794.
22:33 Cela peut sembler assez inattendu, mais il s'agit de Robespierre.
22:38 Les historiens ont longtemps donné de lui des images très extrêmes,
22:41 mais s'accordent sur le fait qu'il était déiste.
22:43 Il croyait en un être suprême, unique, ordonnateur de l'univers.
22:47 Outre qu'elle heurtait sa foi, les vagues de déchristianisation lui ont donc semblé tout à fait contre-productives et génératrices de divisions.
22:55 A l'été 1794, il décide donc de prendre lui-même les choses en main.
23:00 C'est une convention soulagée, mais perplexe qui, sur le rapport de Robespierre,
23:05 vota le décret du 18 floreal en 2, 7 mai 1794.
23:10 Ferme condamnation de l'athéisme.
23:13 En outre, l'État, censé galvaniser les sentiments républicains,
23:17 avait en charge l'encadrement pédagogique d'un culte nouveau de l'être suprême, déiste, civique et national.
23:25 Cette religion nouvelle connaît son apogée lors de la fête de l'être suprême, le 20 frérial en 2, c'est-à-dire le 8 juin 1794.
23:34 Mais derrière l'unité affichée, le bilan de la journée est en fait déplorisible.
23:38 Une part importante des députés sont dépités de ce rituel qu'ils jugent ridicule,
23:42 soit qu'ils regrettent le catholicisme, soit qu'ils défendent l'athéisme.
23:46 La population chrétienne y voit le lancement d'une religion nouvelle, fausse,
23:50 et venant concurrencer le message du Christ, tout en ressuscitant les oripeaux des religions de l'antiquité.
23:56 La population, dans l'ensemble, n'adhère pas à cette cérémonie improvisée, très intellectuelle,
24:00 et à laquelle manque une réelle profondeur.
24:03 La chute de Robespierre, le 9 thermidor en 2, le 27 juillet 1794,
24:08 marque la fin d'un culte éphémère et le début d'une persécution brutale
24:12 des quelques utopistes qui avaient voulu la mettre en place.
24:16 Après Robespierre et ses montagnards, la convention est désormais conduite par les thermidoriens.
24:28 Et leur année et demie de pouvoir, grosso modo, se caractérise par...
24:33 des mouvements de balancier permanents.
24:36 Le 5 août 1794, ils décident de mettre fin au statut de fonctionnaire des prêtres catholiques.
24:42 De fait, cela revient à enterrer purement et simplement la constitution civile du clergé.
24:47 Ce symbole ravit les prêtres réfractaires et terrifie les jureurs.
24:52 Mais la liberté de culte n'est pas pour autant rétablie.
24:55 Figure de proue des thermidoriens sur la question religieuse,
24:58 Cambon affiche une anti-religiosité farouche,
25:00 uniquement réfrénée par la peur d'un embrasement général du pays.
25:05 En effet, des flots de prêtres réfractaires repassent en France depuis l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne.
25:10 Nombreux sont ceux qui organisent des messes noires officieuses
25:13 ou qui rejoignent les divers mouvements de révolte qui éclosent à travers la France,
25:17 notamment la Chouannerie Vendéenne.
25:19 En parallèle, et avec l'appui de certaines autorités de la République,
25:22 les anciens prêtres jureurs s'organisent à leur tour pour faire capturer ces réfractaires.
25:27 Leur répond une terreur blanche,
25:29 non donnée aux descentes vengeresses des catholiques contre les athées ou les prêtres constitutionnels.
25:34 Quatre ans après le schisme, l'église de France apparaît toujours aussi divisée.
25:39 Par-dessus le marché, la déchristianisation n'a pas autant faibli que ce que les termidoriens espéraient.
25:44 Les persécutions continuent contre les religieux ou contre les croyants trop zélés,
25:48 notamment en Côte d'Or, en Haute-Garonne, en Ardèche ou dans l'Orne.
25:51 Les temples protestants et les synagogues juives n'échappent pas à cet élan chaotique.
25:56 Ainsi, le gouvernement termidorien se retrouve pris entre le marteau et l'enclume,
26:00 incapable d'adopter une position cohérente.
26:02 Il faut dire qu'il n'est pas aidé par sa propre chasse aux robespierristes,
26:05 qui lui a conduit à démanteler une partie importante de l'appareil d'État,
26:08 le privant des moyens et du soutien populaire indispensables à l'application des décisions qu'il prend.
26:13 Nombre de celles-ci sont donc proclamées sans le moindre effet.
26:17 A l'Ouest, ce sont des représentants en mission, livrés à eux-mêmes,
26:21 qui prennent les choses en main face au bourbier que constitue la révolte vendéenne.
26:25 Le 13 janvier 1795, Guesneau et Germer promulguent ainsi un décret
26:30 rétablissant la liberté de culte pour les jureurs comme pour les réfractaires,
26:34 condition indispensable pour calmer les esprits des chouans.
26:38 Sous l'impulsion du député Boissy d'Anglasse,
26:40 la convention termidorienne va alors adopter un projet de loi novateur
26:44 pour essayer de calmer les esprits au niveau national.
26:47 Le 21 février 1795, le décret de Ventôse sépare l'Église de l'État.
26:53 La liberté de culte est proclamée. Ce culte doit être organisé et pratiqué en privé.
26:57 La sécurité des cérémonies est théoriquement garantie par l'État.
27:01 Ce décret de Boissy d'Anglasse, souvent oublié,
27:04 est pourtant la première pierre de la laïcité à la française.
27:08 Le texte apaise un temps la situation, mais soulève deux problèmes.
27:12 D'une part, sa portée n'est pas bien comprise, et beaucoup n'y voient qu'une autorisation des cultes.
27:16 D'autre part, il profite surtout aux prêtres réfractaires,
27:19 qui se réorganisent et croissent rapidement en nombre,
27:22 jusqu'au succès retentissant des fêtes de Pâques 1795,
27:26 quelques semaines seulement après la publication du décret.
27:29 Alors, comme il l'avait fait plus tôt, les termidoriens paniquent,
27:32 et rebasculent dans l'excès inverse.
27:35 Les cérémonies religieuses sont à nouveau surveillées,
27:37 la propagande associe ouvertement catholicisme, royalisme et contre-révolution,
27:41 tandis que les prêtres rentrés d'exil sont forcés de repartir sous peine d'exécution.
27:46 Un nouveau serment est exigé, mais pratiquement vidé de toute contrainte,
27:50 dans un grand écart intenable entre répression et accommodation.
27:54 Lorsque les élections se tiennent finalement en octobre 1795,
27:58 les termidoriens se retirent, en laissant au nouveau gouvernement, le directoire,
28:03 une situation cauchemardesque.
28:06 Le 5 brumaire en 4, ou le 25 octobre 1795,
28:17 les cinq directeurs prennent les rênes du pouvoir exécutif,
28:20 tandis que le conseil des 500 et celui des anciens
28:23 se partage le pouvoir législatif.
28:25 Pour le moment, toutes ces instances sont aux mains des révolutionnaires,
28:29 mais la situation demeure extrêmement tendue,
28:31 puisque l'État maintient la surveillance sur les prêtres et les monarchistes,
28:35 quoiqu'avec une certaine mollesse,
28:37 afin d'éviter de nouvelles révoltes trop difficiles à réprimer.
28:40 De plus, le complot de Baboeuf, en 1796,
28:44 fait désormais craindre une prise de pouvoir par des révolutionnaires extrémistes.
28:47 Les directeurs, représentants d'une révolution bourgeoise,
28:50 choisissent donc à contre-coeur de lâcher du lest envers les royalistes et les catholiques.
28:55 Le 4 décembre 1796,
28:57 toutes les lois anticléricales passées depuis 1792 sont donc abrogées.
29:03 En parallèle, la religion civile achève de disparaître,
29:06 tandis que le clergé constitutionnel s'efface définitivement
29:09 face au retour du culte catholique traditionnel.
29:12 Quelques mois plus tard, en mai 1797,
29:15 les conservateurs remportent une large victoire aux élections.
29:18 Si le directoire demeure républicain et anticlérical,
29:21 les deux conseils passent quasiment aux mains des monarchistes et des prêtres réfractaires.
29:26 Dans la panique, c'est un bras de fer politique qui s'engage,
29:29 gouvernement et parlement saisissant la moindre occasion pour raviver les tensions,
29:34 jusqu'à alimenter de joyeux projets, deux coups d'état.
29:38 Alertés d'une machination monarchiste pour les faire enlever,
29:41 trois des cinq directeurs prennent les devants
29:44 et font arrêter les conseillers comploteurs, le 18 fructidor en cinq.
29:48 C'est-à-dire le 4 septembre 1797.
29:50 On est toujours sur le calendrier révolutionnaire ?
29:53 Eh...
29:54 Les conseils sont immédiatement épurés de leurs membres monarchistes et pro-catholiques.
29:58 Les lois anticléricales sont immédiatement rétablies.
30:01 La presse est étroitement surveillée,
30:03 une loi des otages est promulguée,
30:06 promettant une récompense à quiconque dénoncerait des contre-révolutionnaires.
30:11 Jusqu'en 1799, ce second directoire né d'un coup de force
30:15 va faire régner une seconde terreur,
30:18 appuyée sur de nouveaux conseils, lui étant à nouveau favorable après épuration.
30:23 Mais tout n'est pas rose pour autant,
30:25 car pour assurer ce contrôle sur le pays,
30:27 le directoire devient progressivement dépendant de l'armée,
30:30 à la fois pour assurer la sécurité intérieure
30:32 et pour défendre la république contre la deuxième coalition des monarchies européennes
30:37 qui menace ses frontières.
30:39 Les militaires disposent de tant d'influence
30:41 que certains négocient d'eux-mêmes les trêves et les traités de paix avec l'ennemi.
30:46 Le gouvernement devient inutile.
30:49 Ainsi, le directoire s'avère incapable de gérer la guerre,
30:52 la crise économique qui dure et l'instabilité politique.
30:55 Il est finalement renversé le 9 novembre 1799,
30:59 un jour plus connu comme le 18 brumaire en 8,
31:02 avec à la manœuvre un directeur,
31:05 mais surtout un certain général, Bonaparte.
31:09 Lorsque Bonaparte abroge le directoire pour instaurer le consulat,
31:19 les temps sont à l'apaisement après 10 années de conflits ininterrompus.
31:24 Dès 1800, il entend réhabiliter l'ancienne tradition du concordat,
31:28 c'est-à-dire un traité censé régler les relations entre l'église d'un côté et l'État de l'autre.
31:33 Le dernier obtenu par la France, sous François 1er en 1516,
31:37 avait permis au roi d'obtenir un grand contrôle sur la vie religieuse du pays.
31:40 Si l'urgence est avant tout à la réunion des catholiques qui se déchirent depuis 1790,
31:45 Bonaparte ne veut pas obtenir moins.
31:48 Pour amadouer les catholiques, il met fin aux déportations des prêtres,
31:52 autorise la réouverture des églises et rend hommage au récemment défunt pape Piscis.
31:56 Il demande néanmoins à son ministre de la police, l'ancienne anticléricale Fouché,
32:01 de maintenir un contrôle étroit sur les cultes.
32:04 Bonaparte parie ainsi sur deux choses pour s'assurer la coopération du nouveau pape Piscet.
32:09 La volonté du souverain pontife d'en finir avec cette crise française interminable,
32:13 et la présence en Italie des armées républicaines
32:16 qui mettent une pression énorme sur les états pontificaux.
32:19 Ça peut toujours aider.
32:21 Entre novembre 1800 et juillet 1801, la France et la papauté essaient donc de rédiger un concordat
32:27 susceptible de concilier la démocratie et l'évangile.
32:31 La chose n'est pas simple, car les négociations sont menées par Talleyrand,
32:35 l'ancien évêque des missionnaires qui avait proposé la nationalisation des biens du clergé.
32:39 Ça vous laisse imaginer l'ambiance.
32:42 Au bout de longues tractations, un compromis est finalement trouvé.
32:46 Pour mettre fin à la division entre jureurs et réfractaires,
32:49 le pape exige la démission de tous les évêques.
32:52 Bonaparte, comme les rois de France en leur temps, pourra en nommer de nouveaux.
32:57 Ne pouvant être religion d'état sous le régime de la république,
33:00 le catholicisme est déclaré religion de la majorité des français,
33:03 une expression un peu bancale mais qui convient à peu près aux catholiques.
33:07 Les prêtres doivent également prêter serment de fidélité à la constitution républicaine,
33:11 ce à quoi, cette fois-ci, le pape donne son accord.
33:15 Des articles additionnels, jamais validés par Rome cependant,
33:19 viennent compléter le concordat après coup.
33:21 Ils réorganisent les archevêchés, refont des religieux des fonctionnaires,
33:25 définissent leurs salaires, bref, remettent en place un équilibre délicat
33:29 hérité de la constitution civile du clergé,
33:31 mêlé au respect de la pratique religieuse catholique traditionnelle.
33:35 Tous les acteurs de la crise étant épuisés, ils finissent par accepter en 1802
33:40 ce qui les avait divisés en 1790.
33:44 De son côté, l'église protestante est soumise à des principes similaires,
33:47 globalement bien acceptés puisqu'ils permettent l'intégration définitive des protestants dans la république.
33:53 Pour leur part, les juifs sont soumis à leur tour au concordat en 1808
33:57 qu'ils accueillent tout aussi chaleureusement.
33:59 Le texte du concordat, qui a longtemps été présenté par les historiens comme un succès populaire,
34:04 connaît toutefois des opposants.
34:06 Le ministre Fouché est à la tête d'une faction qui grogne à l'idée que les croyants
34:10 puissent revenir influencer la politique, en bonne anticléricale qu'il est.
34:14 Les anciens prêtres jureurs se sentent trahis après dix ans de républicanisme militant.
34:19 Les catholiques modérés, comme Lafayette, critiquent la mainmise du consulat sur l'église de France.
34:24 Enfin, les parlementaires aussi s'insurgent.
34:27 Mais Bonaparte fait purger les assemblées, comme le directoire avant lui,
34:30 et le texte est finalement adopté sans autre débat le 8 avril 1802.
34:35 Bonaparte choisit de faire célébrer l'événement à Notre-Dame de Paris, le dimanche de Pâques,
34:43 et d'y faire prononcer le sermon par bois gelin,
34:45 symbole des parcours cléricaux troublés des dix années passées.
34:49 Évêque modèle d'Ancien Régime, il avait poussé Louis XVI à accepter la constitution civile du clergé.
34:55 Puis, à la suite de la condamnation du texte par le Saint-Siège, il avait émigré en Angleterre.
35:00 En 1801, sur demande du pape, le même bois gelin avait présenté sa démission.
35:05 De retour en France, nommé évêque de Tour, il symbolisait ce mêlimélo de jureur devenu réfractaire,
35:11 reflétant le sentiment de nombre de prêtres vite inquiétés par la tournure que prirent les événements.
35:17 Dès le XIXe siècle, les contemporains essaient de porter un regard posé et critique
35:30 sur l'ensemble du tourbillon événementiel qu'a été la Révolution française.
35:34 Parmi eux, Alexis de Tocqueville a été l'un des plus influents,
35:38 en publiant son analyse "L'Ancien Régime et la Révolution" en 1856.
35:43 Il est facile aujourd'hui de se convaincre que la guerre aux religions n'était qu'un incident de cette grande Révolution.
35:50 C'était bien moins comme doctrine religieuse que comme institution politique que le christianisme avait allumé les haines,
35:56 parce que les prêtres étaient propriétaires, seigneurs, administrateurs,
36:01 et occupaient la place la plus privilégiée et la plus forte dans cette vieille société qu'il s'agissait de réduire en poudre.
36:08 Mais à mesure que l'œuvre politique de la Révolution s'est consolidée,
36:12 on a vu graduellement la puissance de l'Église se relever dans les esprits et s'y raffermir.
36:17 S'il adopte un regard partisan de conservateur, Tocqueville n'en a pas moins raison sur un point.
36:22 Avec le temps, les institutions nouvelles se sont affermies,
36:25 et la vie religieuse, désormais largement séparée de la vie politique, a pu reprendre son cours.
36:30 Ainsi, en 1809, l'emprisonnement du pape par Napoléon Ier, devenu empereur,
36:35 constitue un tremblement de terre politique et religieux, mais qui n'émeuglèrent les évêques français.
36:40 D'une part parce qu'ils étaient nommés par leur nouveau souverain,
36:43 et d'autre part parce qu'ils étaient peu désireux de déclencher de nouvelles violences au sein d'une Église de France désormais apaisée.
36:49 À l'issue de la Révolution, les dissensions religieuses avec les protestants sont presque inexistantes.
36:54 Elles n'émergent que dans les États qui finissent par composer les républics sœurs, puis les vassaux de la France.
36:59 En Germanie notamment, la sécularisation pose problème à la fois aux catholiques et aux protestants.
37:04 Mais ces tensions, nouvelles pour les allemands, tiennent surtout au fait qu'ils ne partagent pas l'expérience et la fatigue résignée de leurs homologues français.
37:12 Dans tous ces territoires, en revanche, l'administration consulaire puis impériale défend mordicus les droits des juifs,
37:18 dans une série de décrets visant leur intégration progressive, mais définitive, à la nation.
37:24 Au final, et de façon assez ironique, le Concordat de Bonaparte confirme l'esprit et les intentions de la Constitution civile du clergé,
37:32 mais s'avère bien plus autoritaire que le texte initial.
37:35 La mainmise du pouvoir consulaire sur cette nouvelle Église de France lui assure ainsi l'assurance de la tenir en respect,
37:42 mais aussi de pouvoir, après 1804, instaurer un catéchisme impérial, tout à la gloire de Napoléon Ier.
37:50 Inacceptable en 1790, la sécularisation, c'est-à-dire la mise en retrait du religieux au profit du politique,
37:57 est devenue acceptable en 1802, parce que les temps, les mentalités, les cadres sociaux et politiques ont évolué,
38:04 largement encouragés en cela par l'épuisement moral absolu de tous les belligérants,
38:09 dans cette lutte acharnée pour le salut de l'âme des français catholiques.
38:14 Merci à tous d'avoir regardé cette vidéo, j'espère qu'elle vous a plu.
38:19 Si c'est le cas, n'hésitez pas à mettre un pouce bleu ainsi qu'à la partager, notamment sur les réseaux sociaux.
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38:28 ou bien pour me suggérer une amélioration de la chaîne, et pourquoi pas même un futur sujet à traiter.
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38:42 [Musique]

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