Emmanuel : "J'ai souffert de troubles bipolaires."

  • l’année dernière
Voici le témoignage d'Emmanuel Urbu, patient rétabli de troubles bipolaires.
Transcription
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00:09 Bonjour, Emmanuel Urbu, je suis un patient rétabli de troubles bipolaires.
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00:16 Une alternance de haut et de bas, de crise maniaque, c'est le haut, et de dépression, le bas.
00:23 On pourrait dire que la crise maniaque, c'est une euphorie qui s'installe et qui continue
00:29 alors qu'il n'y a plus de raison d'être euphorique.
00:31 On pense très vite, on a un sentiment de toute puissance, on a peur de rien, on se met à moins dormir.
00:38 Imaginez pour moi, dans une crise maniaque, ça m'est arrivé de ne pas dormir pendant une semaine, sans drogue.
00:43 Le corps, le mental, finit au bout d'un, deux ou trois mois de crise, épuisé.
00:49 La réponse logique du corps, c'est la dépression.
00:53 On a un cerveau qui carbure très très vite, on passe du coca-l'âne, on a aussi une augmentation de la libido.
00:58 Donc je sortais, je ne rentrais pas chez moi, je commençais à dépenser de l'argent que je n'avais pas.
01:04 Ensuite on peut s'endetter, parce qu'on est sur un rythme qu'on a envie aussi de satisfaire.
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01:14 Les conséquences d'une crise maniaque, ce n'est pas juste l'épuisement.
01:17 C'est, étant donné qu'on a peur de rien, on prend d'énormes risques.
01:21 J'ai un accident qui m'a amené un an et demi à l'hôpital.
01:24 J'ai eu beaucoup d'accidents de voiture, 5-6 accidents de voiture.
01:29 J'ai eu des dettes colossales, parce qu'on ne se rend pas compte, on a des achats très souvent compulsifs.
01:35 Tout ce que je vous raconte, imaginez le résultat dans les relations sociales, amicales, et surtout amoureuses.
01:43 Je le résume ainsi, c'est qu'on a un problème pour apprivoiser nos émotions.
01:48 Moi j'étais dans l'errance, on appelle ça une errance médicale.
01:52 Moi j'étais dans l'errance de ma vie.
01:56 C'est comme si j'avais commencé, créé des débuts de vie, 4 fois, et que je suis retombé tout en bas.
02:03 Je suis descendu tout en bas de...
02:05 J'étais quasiment...
02:08 J'ai envie de dire, un être humain qui avait encore un jean et un t-shirt.
02:14 Et c'est tout ce que j'avais, et plus d'amis, plus rien.
02:17 Heureusement, une famille m'a permis à chaque fois de trouver un refuge, et de relancer ma vie.
02:26 Et je recommençais, je retrouvais un métier, je retrouvais une femme dans ma vie, et tout se passait bien.
02:32 Et dès que ça se passait un peu trop bien, j'explosais et je remettais tout à terre.
02:41 Il y a un terrain génétique, une fragilité, qui fait que des gens vont déclarer des troubles.
02:48 Quand ce rapport que vous avez au monde est bancal, et moi le mien était particulièrement bancal, sans que je m'en rende compte.
02:57 Je vivais à Londres, je travaillais dans la publicité,
03:00 des lieux qui sont assez difficiles au niveau du travail, où aussi il y a de l'alcool, il peut y avoir de la drogue,
03:07 où on vous met beaucoup de pression.
03:09 Cet environnement-là, sur cette construction de personnalité qui était bancale, avec sans doute du génétique,
03:17 a créé un terrain favorable à l'émergence des troubles.
03:22 Et là-dessus, il y a eu un choc émotionnel dans ma vie, au cours d'une rupture amoureuse,
03:27 qui a fait exploser un peu mon modèle de vie, et ma manière de rentrer en relation au monde.
03:33 Et c'est ça qui a directement causé le début de mes troubles.
03:39 Donc c'est un choc émotionnel sur un terrain personnel très bancal, dans un environnement instable.
03:47 Ce choc émotionnel a lieu à 26 ans, je serai diagnostiqué à 36.
03:52 Et pourtant, dès l'âge de 26 ans, je commence à alterner des crises maniaques,
03:58 que je vous ai décrites, avec tous ces symptômes, et des dépressions, même une tentative de suicide.
04:04 C'est des mois entiers sous une couette à ne pas bouger,
04:07 et à être terrorisé avec une sorte de boule au ventre extrêmement douloureuse.
04:13 Je pense qu'à un moment, mon cerveau en a eu ras-le-bol.
04:19 Ce ras-le-bol, pour moi, c'est la principale cause du déclic pour changer.
04:26 On peut en arrêter tout.
04:27 Moi, je me suis posé la question, et j'ai même essayé de tout arrêter.
04:32 Soit, si on a de l'espoir et encore un peu de la force,
04:37 on se dit "Ok, je vais continuer, mais il faut changer quelque chose".
04:41 À 36 ans, je rencontre un psychiatre qui s'était spécialisé dans le suivi des troubles bipolaires.
04:47 Je suis allé le voir, il m'a dit "Écoutez Emmanuel, je pense vraiment que je peux vous aider".
04:53 Il me dit "Je crois que je comprends ce qui vous arrive.
04:55 On peut faire équipe".
04:57 Quand on a eu 10 ans de non-vie, ça m'a vraiment marqué.
05:01 Aujourd'hui, je dis que je ne suis plus bipolaire, parce que je n'ai plus de crise.
05:09 Évidemment, je suis toujours fragile, et je suis potentiellement bipolaire, peut-être.
05:14 Mais ça fait quand même 4 ans que je n'ai plus de troubles.
05:17 Pendant 15 ans, donc de 36 à 48 ans,
05:22 je suis stabilisé grâce à un traitement médicamenteux, en partie,
05:27 qu'on appelle un timorégulateur.
05:30 Ce traitement m'a aidé certainement à avoir moins de crise,
05:34 mais il n'a rien guéri, il n'a rien solutionné.
05:39 Pour aller vraiment mieux, je suis allé frapper à toutes les portes.
05:44 J'ai fait une thérapie.
05:45 Pour moi, ça a été la psychanalyse.
05:47 La thérapie, elle vous aide à vous comprendre vous-même.
05:50 J'ai intéressé à la philosophie, à la religion à un moment,
05:54 à la spiritualité au sens large.
05:57 Tout ça pour chercher à comprendre ce qui m'arrive.
06:00 Mais pour moi, j'avais oublié la moitié du travail.
06:04 La moitié du travail, c'est d'arrêter de chercher à comprendre.
06:08 C'est d'accepter, de vivre avec, de lâcher prise.
06:13 Et pour ça, on a plein de disciplines qui peuvent nous aider.
06:19 D'ailleurs, elles sont toutes autour de la respiration, en nageant.
06:23 Je nage une fois par semaine, en méditant tous les matins.
06:26 Ce que je veux faire, c'est déjà donner de l'espoir.
06:34 Aujourd'hui, je vais bien depuis plusieurs années.
06:38 Il y a un après.
06:40 Je ne dis pas que je ne suis plus malade, que je suis rétabli.
06:44 Je ne dis pas que je ne rechuterai jamais.
06:47 En tout cas, moi, j'y crois.
06:48 Mais il est vrai qu'aujourd'hui, je ne prends plus de traitement.
06:52 Cependant, je tiens à dire que c'est très important pour tous les autres patients.
06:57 L'objectif n'est pas l'arrêt du traitement.
07:01 L'objectif, c'est d'aller bien.
07:02 Je veux vous dire que si dans quelques années, je me sens de plus en plus fragile
07:06 et qu'il faut reprendre un thymorégulateur, je reprendrai un thymorégulateur.
07:11 Je ne vais pas mettre ces quatre ans de bonheur après 25 ans de chaos
07:15 à la poubelle sous le prétexte que je ne veux pas de chimie dans mon corps.
07:20 Il y a des militants pour penser à des choses comme ça.
07:23 Moi, je ne suis pas militant, je suis militant de mon bien-être.
07:26 C'est aussi simple que ça.
07:27 Je prie soin de moi.
07:30 Donc ça, l'espoir, c'est quelque chose de très important.
07:33 Et cet espoir, il n'est possible qu'avec beaucoup de persévérance.
07:40 Mon livre s'appelle "S'apprivoiser, confession d'un ex-bipolaire en consultation".
07:47 C'est aussi pour que les mentalités évoluent,
07:50 qu'aujourd'hui encore, les étudiants en médecine,
07:54 ils apprennent que c'est une maladie chronique,
07:57 c'est une maladie à vie, les troubles bipolaires.
08:01 Je suis désolé, moi, depuis quatre ans, je n'en souffre plus du tout.
08:06 Au fond de moi-même, je suis toujours sur mes gardes,
08:09 même si je n'ai plus d'épée de Damoclès.
08:12 Mais au fond de moi-même, j'ai aussi un gros espoir,
08:16 c'est qu'on pourra dire que je suis guéri le jour où je serai mort,
08:21 parce que je n'aurai pas rechuté.
08:24 Sous-titrage FR : VNero14
08:28 © Damoclès, 2017
08:31 Merci.
08:32 [SILENCE]

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