Aujourd'hui, Isabelle Sorente nous parle du roman de Jón Kalman Stefánsson, "Ton absence n'est que ténèbres".
Retrouvez toutes les chroniques d'Isabelle Sorente dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-d-isabelle-sorente
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00:00 Il avait sorti la bouteille de sa ceinture, l'avait balancée d'un geste méprisant
00:04 et s'était allongée sur le dos.
00:06 Celui qui est en quête de l'éternité n'a plus besoin de boire.
00:10 Il n'avait plus qu'à regarder, à dialoguer avec le ciel, à l'écouter.
00:13 La nuit, elle aussi, passerait.
00:16 Puis il rentrerait, prendrait Hulda dans ses bras, embrasserait ses cheveux,
00:20 l'embrasserait dans le cou, sur les paupières, elle lui dirait
00:23 « Réveille-toi, ma chérie, parce que j'ai vu le monde tout entier ».
00:27 Vous venez d'entendre un extrait d'un immense roman islandais.
00:31 Son auteur s'appelle Jan Kalman Stefansson et son titre « Ton absence n'est que ténèbre ».
00:37 Alors s'il vous arrive de choisir un livre rien que pour son titre, moi c'est mon cas,
00:41 c'est comme ça que j'ai acheté celui-ci,
00:42 comme on choisirait quelqu'un rien que pour son nom,
00:45 alors sachez que vous ne serez pas déçus en entrant dans l'univers de Stefansson.
00:49 Chaque page, en fait, chaque phrase est aussi magnifique que ce titre.
00:54 Dans « Ton absence n'est que ténèbre », il est question de l'Islande,
00:56 celle d'aujourd'hui, celle du XXe siècle, celle du XIXe siècle aussi,
01:00 il est question de parents, de grands-parents, d'arrière-grands-parents,
01:03 vous l'aurez compris, il est question de secrets de famille,
01:06 de mort qu'on n'oublie pas, du temps qui n'existe pas et surtout d'amour.
01:10 Stefansson peint des gens ordinaires qui sont bouleversés
01:13 par des émotions aussi brutales que les fjords et la lande.
01:16 Il y a comme un mystère qui entoure cette famille,
01:18 comme une ombre sur le visage des pères qui se transmet au fils.
01:22 Et c'est une peine d'amour qui se transmet comme une malédiction.
01:25 - Ça vous laisse son genre, Guillaume ?
01:28 - Je vois vos paroles.
01:29 - À chaque génération, un homme tombe passionnément amoureux d'une femme mariée,
01:34 elle tombe passionnément amoureuse de lui,
01:36 mais leur bonheur ne dure pas car la femme choisit de préserver son foyer.
01:40 Mais il arrive que les chemins bifurquent, je ne vous en dis pas plus,
01:43 et surtout, la chose qui est complètement magique,
01:48 c'est que celui qui nous raconte cette histoire,
01:50 donc l'histoire de Aldor et de Svana, de Petur et de Groudridur,
01:53 de Ayrigo et de Tove, pardonnez mon accent islandais,
01:57 est un mystérieux romancier amnésique
02:01 qui, en fait, en écrivant leur histoire, cherche à recouvrer la mémoire.
02:05 Et il est en conversation avec un chauffeur de bus
02:07 qui pourrait bien être le diable en personne.
02:10 Il y a un côté roman de Boulgakov dans ce magnifique roman.
02:13 Et ce bus, c'est un peu le véhicule qui permet au narrateur
02:16 de passer d'un siècle à l'autre,
02:18 à moins que ce soit une métaphore de l'écriture elle-même.
02:21 Allez, encore un extrait.
02:22 "Bon anniversaire, Ayrikur, je t'offre ma vie en cadeau d'anniversaire,
02:27 une enfance enveloppée de chaleur humaine, d'amour et de sécurité.
02:31 Pourtant, à 40 ans, Ayrikur habite seul à la ferme d'Odi.
02:35 De loin, il ressemble à un rockeur mélancolique
02:37 quand il porte sa guitare sur le dos.
02:39 Que s'est-il passé ?
02:41 Pourquoi sa vie a-t-elle pris cette direction ?
02:43 Qu'est-il advenu de la sécurité et de la chaleur humaine ?
02:47 Ayrikur, c'est le descendant de notre contemporain,
02:49 celui qui porte malgré lui le poids des secrets,
02:52 celui qui n'arrive plus à avancer, celui dont la vie s'est brusquement figée.
02:56 Son histoire se juxtapose à celle de son père et de son arrière-grand-mère,
03:00 parce que ton absence n'est que ténèbre,
03:02 ne suis pas l'ordre chronologique mais celui des associations,
03:05 un peu comme dans la vie quand une musique nous rappelle un amour perdu."
03:09 La musique joue un grand rôle dans le roman, je sais que ça vous parle Juliette.
03:13 Il y a la musique d'Erik Satie, de Nick Cave, d'Amy Winehouse et de tant d'autres
03:17 qui figurent à la fin du roman dans la compilation de la Camargue,
03:22 de la Camargue.
03:22 La compilation de la Camargue, c'est celle de la mort, la faucheuse,
03:26 une copie du Chauffeur de bus, compilation que les fans du livre
03:29 ont même mis en ligne sur Spotify.
03:31 Elle est très belle et vous pourrez l'écouter pour prolonger l'enchantement.
03:34 Vous l'aurez compris, ton absence n'est que ténèbre,
03:37 c'est partie de ces romans cultes qu'on voudrait ne jamais refermer.
03:40 Je clôt donc cette série de chroniques littéraires par un livre éblouissant,
03:44 par les images du Fjord et par celles de la Lande.
03:47 Voilà, c'est tout, lisez-le.
03:49 - Merci Isabelle Sorante, rappelez-nous les références,
03:51 il est disponible en livre de poche.
03:53 - Il est disponible en folio, ton absence n'est que ténèbre,
03:55 de John Calman Stephenson.