Aujourd'hui, Isabelle Sorente nous parle du livre de l'invité Rebekka Endler : Le Patriarcat des objets.
Retrouvez toutes les chroniques d'Isabelle Sorente dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-d-isabelle-sorente
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Art et designTranscription
00:00 Isabelle Sorante a lu votre essai.
00:02 Lui est adoré.
00:03 « L'histoire du design patriarcal peut se résumer ainsi.
00:07 L'homme est la mesure de toute chose, littéralement, ce qui entraîne des désagréments pour au
00:11 moins 50% de l'humanité.
00:13 Des désagréments, mais aussi des accidents, des handicaps, des dangers mortels.
00:18 Votre essai, Rebecca Handler, dresse la liste de ces embûches qui guettent les femmes dans
00:23 un monde fonctionnel pour les uns, ceux qui conçoivent ce monde, et dysfonctionnel pour
00:28 les autres, ceux et surtout celles qui doivent s'y adapter.
00:30 Ces corps adaptables, ce sont les corps des femmes, mais aussi les corps de tous ceux
00:34 et toutes celles qui n'ont pas la bonne morphologie, le bon poids, la bonne couleur
00:37 de peau.
00:38 Adaptez-vous donc aux objets inconfortables, dangereux, car les objets ne s'adapteront
00:42 pas à vous.
00:43 Les objets ne sont plus, comme dans les poèmes de Francis Ponge, la source d'une contemplation
00:48 infinie nous rappelant notre fragilité et notre finitude.
00:51 Au XXIe siècle, les objets sont devenus par une étrange distorsion les inertes gardiens
00:56 d'un ordre, un ordre conçu pour ceux qui dominent, produisent, extraient et entendent
01:01 continuer aussi confortablement que possible.
01:03 Confort et inconfort, bordure de trottoir conçue pour les voitures, mais pas pour les
01:07 vieux en déambulateur, ni pour les mères avec des poussettes.
01:10 Tant pis pour les vieux, tant pis pour les mères.
01:12 Urinoir pensé pour les hommes, les femmes n'ont qu'à se retenir, la retenue leur va
01:16 si bien.
01:17 Confort et inconfort, aux garçons, les pantalons à poche pratique, aux autres, aux filles,
01:22 les jeans slim et les leggings aux poches impraticables ou inexistantes.
01:25 Aux uns, l'espace public, aux autres, l'assignation à résidence.
01:29 Voilà ce que signifient ces inconforts subtils.
01:31 Si tu restes chez toi, il ne t'arrivera rien.
01:33 Malheureusement, c'est faux, puisque vous le rappelez, la majorité des agressions contre
01:37 les femmes sont perpétrées au sein de leur foyer.
01:39 Confort et inconfort, vous êtes stressé, madame, vous devriez vous faire soigner.
01:43 Tiens, parlons médecine, parlons masque chirurgical.
01:47 Je me souviens d'avoir cherché pendant le confinement un masque à ma taille.
01:50 En fait, j'ai le visage fin et ça baillait de tous les côtés.
01:53 Il y a bien des masques pour enfants, mais ils sont trop petits pour moi.
01:56 Alors on fait quoi ? Comme d'habitude, on la ferme et on s'adapte.
02:00 On s'adapte à un monde difforme jusqu'à devenir difforme soi-même.
02:03 On s'abîme, on se blesse à force de s'adapter.
02:06 On devient fou aussi.
02:07 Comme Ignace Semmelweis, ce jeune médecin de l'hôpital de Vienne dont vous rappelez
02:11 la tragique histoire.
02:12 Je l'adore cette histoire, Charline.
02:14 Au 19e siècle, Semmelweis comprend que ce sont les pratiques de ses collègues médecins
02:19 qui provoquent la fameuse fièvre puerpérale, la mort brutale par infection de femmes en
02:25 bonne santé juste après leur accouchement.
02:27 Il faut imaginer l'hôpital universitaire de Vienne.
02:33 Les médecins, ils enchaînent la dissection de cadavres le matin et la mise au monde d'enfants
02:38 l'après-midi, sans se laver les mains ni laver leur tablier sanglant.
02:42 Semmelweis taintera de leur imposer des règles d'hygiène.
02:45 Il finira à l'asile.
02:46 Ses tabliers sanglants, virils, c'était la fierté de ses confrères.
02:51 Ils n'allaient quand même pas se laisser faire et renoncer à leur fierté pour des
02:54 histoires de bonnes femmes.
02:55 Médecine encore, les infarctiose des femmes, diagnostiquées trop tard car ne présentant
02:59 pas les mêmes symptômes que ceux des hommes.
03:01 Les livres de gynécologie du 19e siècle, parfois reliés en peau de femme, souvent
03:06 la peau de patiente handicapée.
03:07 Et puis l'informatique, que vous qualifiez de « Goliath du patriarcat », avec ses
03:13 algorithmes et ses bulles cognitives, sa façon de reproduire les discriminations, les personnes
03:18 corpulentes ou noires censurées sur Instagram.
03:20 L'IA qui fonctionne comme un amplificateur du bruit du monde, grondement de haters compris.
03:25 Des objets qui nous forment, des objets qui nous déforment et nous nous adaptons.
03:29 Nous nous adaptons, comme les patientes de l'hôpital de Vienne aux tabliers sanglants.
03:32 J'ai achevé la lecture de votre livre comme un tirage de Yeeking, avec une pensée sombre
03:36 et une pensée mutable.
03:37 Le très sombre, c'est le diagnostic.
03:39 Notre monde crée des handicaps fonctionnels, notre monde crée une impuissance à prise
03:44 aux effets handicapants bien réels.
03:45 Les objets gravent les discriminations dans la chair et la psyché.
03:48 Voilà le très sombre.
03:50 Le très mutable, c'est qu'avec le chaos climatique, avec l'épuisement des ressources,
03:54 il va falloir apprendre à vivre avec moins d'objets que ça.
03:56 Il va falloir se coltiner l'inconfort.
03:58 Le patriarcat, il va les perdre ces objets.
04:01 Il est déjà en train de les perdre.
04:02 Alors, salut ceux qui sont entraînés à l'inconfort, entraînés au manque, entraînés à se
04:07 protéger seuls, à ne pas être pris en compte, ceux que les objets oublient, ceux que les
04:11 objets maltraitent, ce sont elles, ce sont eux les plus adaptés à la révolution qui vient.
04:17 Isabelle Sorente, merci beaucoup chère Isabelle pour cette lecture et analyse de l'essai de
04:23 Rebecca Endler qui s'intitule "Le patriarcat des objets, pourquoi le monde ne convient pas
04:28 aux femmes" paru chez Dalva, il est sorti au mois d'octobre, il est toujours disponible
04:33 bien sûr.