Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach récite les mots de l’immense Victor Hugo (1802-1885), qui fit le récit de sa dernière entrevue avec Honoré de Balzac (1799-1850), alors mourant. Le 29 août 1850, il prononce l’éloge funèbre de l’auteur de La Comédie humaine.
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00:00 dans l'intimité de l'histoire.
00:02 - Aujourd'hui Clémentine, puisqu'on met Balzac à l'honneur,
00:04 cet après-midi vous nous racontez un autre grand écrivain
00:07 qui l'a honoré jusqu'à la fin, Victor Hugo.
00:10 - Que je cite par conséquent.
00:12 Le 18 août 1850, ma femme,
00:15 qui y avait été dans la journée pour voir Madame de Balzac,
00:18 me dit que Monsieur de Balzac se mourait, j'y courus.
00:22 Hugo prend un fiacre, il le mène chez Balzac,
00:25 qui habite à l'époque 14 Avenue Fortuné dans le quartier Beaujon,
00:28 et il frappa la porte, une servante en larmes lui ouvre la porte.
00:32 Une autre femme vient, qui pleure également,
00:35 et qui lui dit "il se meurt".
00:37 Les médecins l'ont abandonné depuis hier,
00:39 il a une plaie à la jambe gauche, la gangrène y est.
00:43 Alors ils ont dit "il est perdu" et ils ne sont plus revenus.
00:46 Ce matin, à 9h, Monsieur ne parlait plus.
00:50 Madame a fait chercher un prêtre qui a donné à Monsieur l'extrême onction.
00:54 Monsieur a fait signe qu'il comprenait.
00:57 Depuis 11h, il râle et ne voit plus rien, il ne passera pas la nuit.
01:02 Hugo poursuit "je demandais à voir Monsieur de Balzac,
01:05 nous traversâmes un corridor, nous montâmes un escalier couvert d'un tapis rouge
01:11 et encombré d'objets d'art, vases, statues, tableaux, crédences, portant des émeaux,
01:17 oui on est bien chez Balzac, puis un autre corridor,
01:21 et j'aperçus une porte ouverte, j'entendis un râlement haut et sinistre,
01:26 j'étais dans la chambre de Balzac.
01:29 Monsieur de Balzac avait la face violette, presque noire, inclinée à droite,
01:34 la barbe non faite, les cheveux gris et coupés courts, l'œil ouvert et fixe,
01:39 je le voyais de profil et il ressemblait ainsi à l'empereur."
01:43 Vittorio, même aux cheveux de Balzac, il reste quand même fidèle à lui-même.
01:49 Il poursuit "une odeur insupportable s'exhalait du lit,
01:52 je soulevais la couverture et je pris la main de Balzac,
01:56 elle était couverte de sueur, je la pressais, il ne répondit pas à la pression.
02:02 "C'était cette même chambre où je l'étais venu voir un mois auparavant,
02:05 il était gai, plein d'espoir, ne doutant pas de sa guérison,
02:08 montrant son enflure à la jambe en riant, nous avions beaucoup causé et discuté politique."
02:14 Tout ça, vous voyez, le récit est extrêmement complet et détaillé de Vittorio,
02:19 je n'en cite là que quelques extraits et à ce moment-là, la garde malade dit à Vittorio,
02:24 "il mourra au point du jour. Rentré chez moi, c'était un dimanche, poursuit Vittorio,
02:30 je trouvais plusieurs personnes qui m'attendaient, je leur dis,
02:33 "Messieurs, l'Europe va perdre un grand esprit."
02:37 Il mourut dans la nuit, il avait 51 ans.
02:41 Et c'est Vittorio, dans la foulée de cette visite aux cheveux de Balzac sur son lit de mort,
02:46 qui va prononcer le 29 août 1850 l'éloge funèbre de Balzac, dont je vous cite à présent un extrait,
02:53 "L'homme qui vient de descendre dans cette tombe, était de ceux auxquels la douleur publique fait cortège.
02:59 Dans les temps où nous sommes, toutes les fictions sont évanouies,
03:03 les regards se fixent désormais non sur les têtes qui règnent, mais sur les têtes qui pensent,
03:10 et le pays tout entier tressaille lorsqu'une de ces têtes disparaît.
03:15 Aujourd'hui, le deuil populaire, c'est la mort de l'homme de talent,
03:19 le deuil national, c'est la mort de l'homme de génie."
03:23 Ah qu'on ait bien servi quand c'est Victor Hugo qui fait votre éloge funèbre !
03:26 Et en plus, tout ça reste tellement vrai,
03:29 ces considérations sur les têtes qui pensent, et le pays tout entier qui tressaille
03:34 lorsque l'une de ces têtes disparaît.
03:36 Plus loin, tous ces livres, alors là ça résume tellement magnifiquement l'œuvre de Balzac,
03:41 et par Victor Hugo, tous ces livres ne forment qu'un livre,
03:44 livre vivant, lumineux, profond, où l'on voit aller et venir, et marcher,
03:49 et se mouvoir avec je ne sais quoi, des farées de terrible,
03:52 mêlée au réel, toute notre civilisation contemporaine.
03:56 Livre merveilleux, que le poète a intitulé "Comédie",
04:00 et qu'il aurait pu intituler "Histoire",
04:02 qui prend toutes les formes et tous les styles,
04:05 qui dépasse Tacite et qui va jusqu'à Suétone,
04:07 qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'à Rabelais.
04:10 Livre qui est l'observation et qui est l'imagination,
04:13 qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matériel,
04:17 et qui par moments, à travers toutes les réalités,
04:19 brusquement et largement déchirée,
04:21 laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.
04:25 Il poursuit plus loin, sa vie a été courte mais pleine,
04:28 plus remplie d'œuvres que de jours,
04:31 et l'on se dit qu'il est impossible que ceux qui ont été des génies pendant leur vie
04:35 ne soient pas des âmes après leur mort.
04:39 Balzac et Hugo, deux grands génies,
04:42 deux grandes âmes qui s'admiraient, ce le sont dits,
04:46 et qui depuis leur paradis doivent avoir plaisir
04:49 à converser de la comédie humaine.
04:52 - Et on dut avoir beaucoup de plaisir à vous écouter Clémentine.
04:55 - Je pense que Hugo aimait beaucoup s'écouter.
04:59 - Vous l'avez beaucoup cité.
05:01 - Oui, mais c'est grisant de se mettre dans les pas.
05:05 Vous savez bien, Stéphane, c'est votre métier aussi.
05:08 Qu'est-ce que c'est beau !