Endettement, suicides, sabotages et désastre environnemental... Nicolas Legendre, journaliste, a enquêté pendant 7 ans sur l'agro-business en Bretagne. Il témoigne avec Pascal Bougeard, ancien producteur de lait, sur les dérives d'un système qui court à sa perte.
Retrouvez son livre "Silence dans les champs" aux Éditions Arthaud
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00:00 La Bretagne produit tout, elle produit de la viande, elle produit du lait, elle produit des produits laitiers transformés.
00:04 Et ça va nous coûter cher, ça va nous coûter très cher.
00:06 Depuis des décennies, on sent aux manettes des gens qui sont tous issus de l'agro-industrie.
00:10 Le ministre actuel sort des chambres d'agriculture.
00:13 La Bretagne est devenue un lieu du productivisme agro-industriel et le premier territoire agricole de France parce qu'on en a décidé ainsi.
00:20 Le Big Bang survient au tout début des années 60, on a un alignement de planètes entre des banques qui sont prêtes à suivre,
00:26 un état qui accompagne très largement tout ça, des capitaines d'industrie, on a un moule de pensée qui se met en place vraiment à cette époque-là.
00:33 L'idée du progrès, elle est très forte en fait, à l'époque, tout le monde tire dans le même sens.
00:36 Il y avait une sorte de fascination pour le progrès technique, j'étais une des personnes fascinées.
00:44 Je suis un pur produit des lycées agricoles, quand je suis arrivé sur l'exploitation,
00:47 j'ai pensé que la technique allait nous sauver et nous permettre d'abattre tous les barrages qu'il y avait devant nous.
00:52 Et la technique, elle a d'abord servi à m'endetter et à créer des problèmes sur l'exploitation.
00:57 Les temps bénis, ils durent à peu près 20 ans.
01:00 Et puis il y a les premiers cas difficiles, c'est des paysans qui ne s'en sortent plus déjà,
01:04 parce que concurrence exacerbée, parce qu'ils ont des énormes investissements et en fait ça ne rapporte pas autant que prévu.
01:09 J'ai été ce qu'on appelle un cas difficile et très rapidement sur l'exploitation, on a eu des difficultés financières.
01:15 Nous, on a eu une installation qui a été, dès le départ, endettée à 90%.
01:19 Et on a également les premières conséquences environnementales de ces pratiques.
01:24 Lorsque vous installez un robot dans vos exploitations laitières, les vaches ne sortent plus.
01:28 Il y a donc un effet sur l'environnement et sur la déstructuration du paysage agricole.
01:33 C'est de la maltraitance animale.
01:34 Sur des exploitations du type de celles qui m'a fait vivre pendant toute ma carrière de paysan,
01:37 la robotique n'a pas de justification particulière.
01:40 D'une certaine façon, on en a tous profité collectivement.
01:43 Et en même temps, il a bénéficié plus à certains qu'à d'autres.
01:46 On a des milliardaires qui se sont enrichis en Bretagne et on a des gros paysans ou des très gros paysans
01:51 qui ont acquis des patrimoines fonciers importants.
01:55 Il n'y a pas de parrain. Il n'y a pas d'espèce de groupe mafieux qui tirerait des ficelles.
02:00 C'est davantage un ordre social, en fait, breton.
02:02 On a tous un cousin, on a tous un frère, une sœur ou un copain qui bossent dans l'agro en Bretagne.
02:08 Quand ce n'est pas nous-mêmes, directement ou indirectement.
02:10 Quand je dis l'agro, ça peut être les usines, mais ça peut être une banque aussi, qui finance.
02:13 Donc on peut tous être amenés finalement à défendre ce système.
02:16 Ça peut être dans un repas de famille ou ça peut être de façon plus, comment dire, officieuse
02:21 et parfois de façon plus délictuelle, en allant torpiller son voisin.
02:25 Mais au fond, sur la longue durée, d'une certaine façon, il ne profite à personne
02:29 parce qu'il n'est pas soutenable, tout simplement.
02:30 Et ça va nous coûter cher. Ça va nous coûter très cher.
02:33 Il ne s'agit pas de revenir en arrière. Il s'agit d'inventer le futur.
02:35 Inventer une agroécologie qui protège ou qui régénère les milieux naturels
02:39 et qui, dans le même temps, rémunère correctement les paysans,
02:42 ça c'est un défi colossal et ce n'est pas du tout revenir à la charrette à bœuf.
02:46 Une des conséquences du modèle agro-industriel, c'est la monoculture.
02:49 Monoculture en séral, mais monoculture en porc, en volaille, en vache laitière maintenant.
02:53 La simplification pour pouvoir mécaniser les choses.
02:56 Et cette simplification et cette monoculture, elle a détruit les savoir-faires paysans.
03:00 A terme, on pense qu'il faut 10% de la population à la production
03:04 pour pouvoir nourrir correctement la population.
03:06 On fait face à une série d'impasses aujourd'hui.
03:08 L'agriculture, c'est la profession la plus suicidogène en France.
03:12 La moyenne d'âge est de 50 ans et un pass environnemental.
03:15 Depuis les années 80, on a perdu 50% d'oiseaux dans les zones agricoles.
03:19 Véran nous expliquait que le mal-être des paysans était un problème de santé mentale.
03:25 Donc de la responsabilité propre du paysan, il fallait qu'il se fasse soigner.
03:29 Et de Normandie, il nous expliquait que si les paysans n'avaient pas de revenus,
03:33 il fallait quand même que les consommateurs fassent chauffer un peu la carte bleue
03:36 pour pouvoir donner du revenu.
03:38 Et ça, c'est une manière très explicite d'exonérer le complexe agro-industriel,
03:43 de ses responsabilités dans la situation des paysans.
03:45 On sait bien que les perspectives qui nous sont offertes
03:49 par le plan de développement de Macron sur la robotique, la génétique et le numérique,
03:55 elles nous emmènent vers là.
03:57 La disparition des paysans et la dégradation de l'environnement.
04:00 Il faudra un choc important pour qu'effectivement on arrive à cette bascule.
04:05 Aujourd'hui, dans la situation dans laquelle on est,
04:07 c'est forcément des décisions radicales qu'il faut prendre.
04:11 [Musique]