Lundi 19 juin 2023, SMART IMPACT reçoit Karim Mokkadem (Vice-président en charge de l'électrification des avions, Airbus)
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00:00 [Musique]
00:06 Bonjour Karim Mokadem, bienvenue.
00:08 Bonjour, heureux d'être avec vous.
00:10 Vous êtes le vice-président d'Airbus en charge de l'électrification des avions.
00:14 On va regarder ensemble précisément ce que ça veut dire.
00:16 Mais d'abord ce 54e salon du Bourget qui ouvre ce lundi 19 juin avec deux enjeux majeurs qui sont identifiés.
00:24 La décarbonation, on va beaucoup en parler, et puis l'emploi.
00:27 Avant de parler de l'avenir, je voudrais qu'on jette un tout petit coup d'œil dans le rétroviseur,
00:31 même si les avions n'en ont pas, à une époque où certains disent qu'il faut définir un quota de vol autorisé par habitant
00:37 pour tenir le réchauffement climatique à un niveau acceptable.
00:39 On en est là dans les enjeux de décarbonation de l'aérien.
00:43 Je voudrais qu'on parle des progrès faits depuis ces dernières années.
00:46 Vos avions, ils consomment, je ne sais pas si on remonte à peut-être 20 ans,
00:49 je ne sais pas quelle est votre année de référence, mais à quel point ils consomment moins ?
00:53 Il y a eu effectivement beaucoup de progrès qui ont été faits ces dernières années.
00:57 Depuis 1990, on a réduit la consommation de la flotte par 2, de 50 %, donc c'est énorme.
01:05 Aujourd'hui, nos avions les plus modernes consomment environ 2 litres au 100 par passager.
01:11 Et tout ce progrès-là a été un progrès continu qui a été fait grâce à beaucoup d'innovations.
01:16 Et on arrive aujourd'hui à une situation dans laquelle on se dit, ce progrès, il ne va pas être suffisant
01:21 parce qu'on a en face de nous un challenge qui est 2050 avec la neutralité carbone.
01:25 Et il va falloir un peu revoir tout ça, aller plus loin.
01:29 Et c'est l'un des grands enjeux énergétiques de demain pour le secteur.
01:32 Ça veut dire que si on continuait dans la même ligne, c'est-à-dire qu'on pourrait encore faire des progrès aux avions,
01:37 c'est qu'on les rende encore plus légers, avoir des moteurs qui consomment encore moins.
01:41 Il y a de la marge de progression, mais ça ne suffira pas, c'est ça ce que je comprends.
01:44 Exactement, il y a de la marge de progrès.
01:45 Si on regarde dans le rétroviseur, comme vous disiez,
01:47 un rétroviseur qui n'existe pas, mais en fait on a eu...
01:51 L'aviation s'est améliorée petit à petit en jouant d'abord sur l'aérodynamique.
01:55 Donc vous voyez, si vous prenez une feuille de papier, vous en faites une boule, vous la lancez, elle tombe.
01:59 Si vous en faites un petit avion, un peu décollier, ça vole un certain temps.
02:02 Et ça, c'est l'aérodynamique.
02:03 Donc ça, c'est extrêmement important.
02:05 Et on a fait évoluer nos avions dans ce sens-là petit à petit dans ces dernières dizaines d'années.
02:10 Le deuxième élément qui est important, c'est le moteur.
02:12 Et on a énormément progressé sur le moteur.
02:14 La 320 Néo, il consomme 20% de moins que son prédécesseur.
02:17 Et donc ça, c'est lié au fait qu'on améliore la manière dont on brûle le carburant dans les moteurs petit à petit.
02:23 Et donc ça fait un axe d'évolution extrêmement important.
02:26 Le troisième élément, c'est la masse.
02:27 Si vous faites voler un avion au carton, c'est pas la même chose que faire voler un avion avec une petite feuille très fine.
02:32 Donc la masse, on l'a diminuée.
02:34 On a réduit de 50% la masse...
02:36 On a utilisé 50% de composites dans notre A350.
02:40 Et donc ça, c'est extrêmement important.
02:42 Et puis, comment on a fait tout ça ?
02:44 Il y a un deuxième élément qui est très important.
02:45 Parce qu'on peut avoir fait tout ça et le poser quelque part dans un garage.
02:47 Ça ne sert à rien. Il faut le déployer.
02:49 Et donc quand on change et on renouvelle les flottes,
02:51 cet impact-là, il se voit en termes d'émissions dans la flotte globale.
02:54 Et ça, c'est extrêmement important.
02:56 Aujourd'hui, il y a encore 70-40% de la flotte qui n'est pas encore renouvelée.
02:59 Donc ça, c'est un axe majeur qui va permettre encore de continuer.
03:02 Et puis, il y a un troisième élément qui est comment on optimise les trajectoires aériennes.
03:07 En fait, plus on vole haut, moins on consomme,
03:10 puisque la densité de l'air est plus faible.
03:12 Il y a une certaine limite à ça.
03:13 Et donc, ces optimisations-là, petit à petit, nous ont amené à réduire la consommation.
03:17 Ça va continuer.
03:18 Les moteurs vont continuer à s'améliorer.
03:20 On va continuer à réduire la masse.
03:21 On va continuer à améliorer l'aérodynamique.
03:23 Mais ça ne va pas suffire.
03:24 Il va falloir, à un certain moment, qu'on rentre dans le cœur d'un nouveau sujet,
03:27 d'un nouveau paramètre dans cette équation globale de l'aéronautique,
03:30 qui est l'énergie.
03:31 Il va falloir qu'on s'attaque à quelque chose qui s'appelle le fuel.
03:33 Alors, effectivement, ce passé de kérosène, que les choses soient claires.
03:37 Vous êtes en charge de l'électrification des avions.
03:40 Alors moi, j'avais compris que sur des avions qui permettent de transporter
03:44 beaucoup de passagers sur des distances importantes,
03:46 l'avion électrique, c'était un leurre.
03:48 Il faut soit de l'hydrogène, soit des carburants de synthèse.
03:51 Quand on parle d'électrification, ça veut dire quoi ?
03:53 Alors, c'est tout à fait vrai.
03:54 Ce que vous venez de mentionner est vrai.
03:56 Si je reviens à ce que je disais précédemment,
03:58 s'attaquer au fuel, ça veut dire s'attaquer au fuel
04:01 dans le sens où il faut réduire, enlever la partie carbone de ce fuel,
04:05 qui est la source du réchauffement climatique.
04:08 Et on a deux chemins, pour être extrêmement simple et très factuel.
04:13 On a un premier chemin qui dit je supprime complètement le carbone.
04:16 Et donc là, c'est aller vers de l'électrification.
04:19 Cette électrification, elle peut venir de batterie
04:21 ou elle peut venir d'hydrogène avec des piles.
04:23 Et on a un deuxième axe qui est de dire ce carbone, je vais le maintenir,
04:27 mais je vais utiliser un carbone que je peux recycler.
04:29 Ça, c'est les carburants synthétiques.
04:31 Quand on parle d'électrification, on se dit,
04:34 bon là, on a le choix entre utiliser des batteries,
04:37 et là, vous avez tout à fait raison, on va être limité en termes de taille d'avion
04:41 et en termes d'autonomie.
04:45 Et ça, c'est vrai, on ne fera jamais un A320 complètement électrique
04:48 parce que tout simplement, si vous mettez à l'intérieur
04:51 les batteries les plus up to date qui arriveront dans 50 ans,
04:53 l'avion ne pourra pas décoller.
04:55 Donc voilà, ça c'est réglé, il n'y a plus besoin de se fatiguer là-dessus.
04:58 C'est une certitude, il y a au moins une certitude dans ce marché,
05:01 même si on explore beaucoup de choses.
05:03 Donc les batteries pour des petits avions,
05:05 on pourra peut-être à terme faire des petits avions de moins de 10 places
05:08 qui auront une autonomie d'une centaine de kilomètres.
05:10 Les taxis volants pourront utiliser des batteries.
05:12 Quand on voudra augmenter l'autonomie de ces applications-là,
05:16 il faudra aller soit vers de l'hybridation,
05:18 et là on va combiner l'électricité avec un fuel propre.
05:22 Et donc ça, c'est un peu ce que fait aussi l'automobile aujourd'hui,
05:25 qui a commencé à faire l'automobile il y a 15 ans et qui s'est standardisé aujourd'hui.
05:28 Ça veut dire par exemple l'électrique, ça servira sur le tarmac ?
05:30 L'avion sur le tarmac sera électrique ?
05:33 Exactement, ça veut dire que toutes les opérations
05:35 sur lesquelles on prélève de l'énergie sur le moteur
05:39 et donc en consommant du fuel, on va les faire grâce à une batterie.
05:42 Donc par exemple la partie taxi, on va la faire sur le tarmac grâce à une batterie.
05:46 On va pouvoir utiliser cette batterie pour aider le moteur dans certaines situations,
05:50 comme le stop and start des voitures, même chose, on va pouvoir l'aider.
05:53 Et donc ça, ça va nous permettre de gagner en consommation,
05:55 améliorer le rendement des moteurs,
05:57 mais il va falloir le coupler à un carburant qui sera un carburant synthétique.
06:00 Et enfin, il y a l'hydrogène qu'on peut soit faire brûler,
06:04 soit utiliser avec une pile à combustible,
06:06 qui sera un moyen d'aller vers des avions régionaux complètement propres.
06:12 Donc là, c'est pas des énormes...
06:14 C'est pareil, c'est des avions, quoi, une cinquantaine de passagers, 100 passagers ?
06:19 Une centaine de passagers, oui.
06:21 Donc il y a une multitude de technologies.
06:23 Je pense que ce qu'il faut garder en tête, c'est qu'il n'y a pas une voie.
06:25 On est en train d'explorer plusieurs voies, et en fonction des usages, on s'adaptera.
06:29 D'accord, et donc il faut développer les...
06:31 Il faut suivre ses voies en même temps, c'est ce que je comprends,
06:33 pour que chaque type d'aviation ait son usage.
06:35 Je garde la main parce qu'il y a quand même le Président de la République
06:38 qui annonce un plan de soutien à la filière, à la recherche,
06:42 pour la décarbonation, 300 millions d'euros par an à partir de 2024.
06:46 Et avec cette ambition d'avoir un A320 propre, biocarburant, dans 10 ans.
06:52 Voilà ce qu'on attend du secteur au sein de l'exécutif.
06:58 Est-ce que c'est tenable, ça ?
07:00 Un A320 qui vole à 100% de biocarburant dans 10 ans.
07:03 Oui, c'est tenable.
07:04 Je pense que notre Président Guillaume Fauré l'a dit clairement dernièrement.
07:06 Oui, c'est tenable, c'est notre objectif, c'est notre ambition.
07:09 On est en train d'explorer toutes ces voies-là,
07:11 incluant un avion qui réduirait sa consommation de 30%,
07:14 et qui pourrait être compatible à 100% de carburant synthétique.
07:17 Et ça c'est extrêmement important.
07:19 Et je pense qu'il n'y a pas de point d'interrogation.
07:21 On va devoir le faire.
07:23 Parce que sinon, on ne prendra plus l'avion.
07:25 Parce que sinon, déjà...
07:27 Il y a déjà un mouvement qui est assez fort.
07:29 Jean-Marc Jancovici, qui est un ingénieur,
07:31 qui est quelqu'un de sérieux,
07:33 qui n'est pas un ayatollah de l'environnement,
07:36 il envisage qu'il y ait des quotas de vols aériens,
07:41 par humain et par vie.
07:43 Vous voyez ce que je veux dire ?
07:45 On en est là de la réflexion.
07:47 Je pense que toutes les réflexions sont légitimes.
07:49 La seule chose qu'il faut garder en tête, moi je suis un ingénieur.
07:51 Donc en fait, depuis le premier vol de Clément Hadder,
07:54 où il s'est élevé de 1 mètre,
07:56 il a fait une dizaine de mètres à 130 ans,
07:58 aujourd'hui on fait voler des avions à 10 000 mètres,
08:00 et on les fait voler pendant 12 heures.
08:02 Donc le progrès technologique, il va arriver,
08:05 il a déjà existé, il va continuer à exister,
08:08 et ça c'est extrêmement important.
08:10 La deuxième chose, c'est qu'il faut faire confiance à l'innovation.
08:13 Je ne crois pas qu'on soit passé de l'âge de pierre à l'âge de bronze
08:17 en disant aux hommes préhistoriques qu'ils ne devaient plus utiliser la pierre.
08:20 Il faut qu'il y ait des innovations qui permettent de nouveaux usages,
08:23 et qui permettent aux gens, comme mes enfants aujourd'hui,
08:25 qui ont envie de voyager, de continuer à voyager.
08:27 Oui, parce que sinon il y a une forme d'injustice de notre génération
08:29 qui a profité de cette démocratisation du voyage
08:32 pour découvrir la planète, et de le refuser à la génération suivante.
08:36 Un dernier mot, ça a filé trop vite, il nous reste une minute trente,
08:39 sur ces biocarburants,
08:41 parce qu'aujourd'hui je crois qu'un avion peut utiliser jusqu'à 50% de biocarburants.
08:47 50% aujourd'hui, et notre objectif est d'arriver à 100% à l'horizon 2030.
08:50 Donc technologiquement ça marche, sauf qu'on n'arrive pas à les produire aujourd'hui.
08:53 Exactement.
08:54 On en manque.
08:55 Oui, c'est exactement ça.
08:57 La technologie elle va être prête,
08:59 la disponibilité des carburants n'est pas aujourd'hui au rendez-vous,
09:05 et c'est ça qu'il faut qu'on pousse absolument.
09:07 Et on va être dans un système d'offres et de demandes.
09:09 Plus la technologie va être poussée,
09:11 plus on va faire voler des avions qui sont compatibles avec ces carburants-là,
09:14 plus l'offre va se structurer.
09:16 Et je pense que c'est extrêmement important.
09:18 Dernière question, est-ce que c'est, et ça rejoint tout ce qu'on a dit,
09:23 est-ce que c'est cohérent de garder, moi je voyais les projections du secteur,
09:28 de passer à, de doubler le nombre de passagers d'ici 2040 pour atteindre les 10 milliards.
09:33 Il y a un problème de temporalité,
09:35 c'est-à-dire qu'on n'est pas tout à fait prêt à faire voler des avions propres,
09:38 mais on continue de se dire il faut faire voler 10 milliards de passagers.
09:41 En fait, c'est un peu le, c'est l'objectif de l'exercice.
09:48 C'est-à-dire qu'il faut qu'on développe ces technologies
09:50 pour qu'on soit capable de faire voler tous ces gens-là.
09:53 Et je pense qu'il n'y a pas d'autre solution,
09:55 on peut toujours tourner autour du pot, il n'y a pas d'autre solution.
09:58 Il faut, et le rôle des ingénieurs, le rôle de l'ARD,
10:01 le rôle d'Emmanuel Macron au travers des annonces qu'il vient de faire,
10:04 c'est de dire les gars, on y va, faites ce que vous voulez,
10:07 on va vous aider et on va y arriver.
10:08 Il n'y a pas de raison de ne pas y arriver.
10:10 On reste sur ce message. Merci beaucoup, Kadem.
10:12 Bon salon du Bourget.
10:13 On passe à notre débat tout de suite quand Diversité et VivaTech s'associent.