Alors même qu'on réalise l'exploit de donner la vie, que l'accouchement est parfois accompagné de séquelles, que le corps est chamboulé, il arrive que certaines maternités n'autorisent pas le co-parent à dormir sur place. Laissant la mère accueillir un nouveau-né, souvent en demande, gérer la fameuse nuit de Java, seule. C'est ce que dénonce la journaliste et autrice Renée Greusard, à travers une enquête qu'elle a réalisé dont elle nous parle aujourd'hui.
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00:00 Après, j'ai eu des récits complètement fous
00:02 de pères qui racontent qu'ils se cachent dans les toilettes.
00:04 Ça, ça ne finira jamais de me faire rire.
00:07 Franchement, les gens sont géniaux.
00:08 C'est-à-dire qu'on leur dit non, ils disent "d'accord".
00:10 Et après, ils font quoi ? Ils se cachent dans les toilettes.
00:13 Et après, du coup, ce qui est bizarre, c'est le moment du matin.
00:16 Le moment...
00:17 Le moment où le mec est censé être rentré chez lui,
00:21 il a l'air genre "Salut !"
00:22 Bonjour, je m'appelle Renée Grezard, je suis journaliste à L'Obs,
00:28 et je suis l'autrice d'un livre qui s'appelle "Choisir d'être mère",
00:31 et qui parle des tabous de la parentalité.
00:33 Alors aujourd'hui, on est là pour parler de la place des coparents,
00:35 des parents dans les maternités,
00:37 puisque actuellement, il y a plein de maternités.
00:40 Quand on accouche, ce n'est pas possible, en fait,
00:42 d'avoir la personne qui a conçu l'enfant avec soi,
00:45 et donc on se retrouve toute seule,
00:46 alors même qu'on vient de produire l'exploit de sortir quelqu'un de soi,
00:50 et que c'est souvent comparé à un marathon.
00:52 Je suis ce sujet par intérêt personnel,
00:54 aussi parce que je suis enceinte, en disant-le,
00:57 et que de toute manière, ça m'intéresse en tant que féministe mater-féministe,
01:01 comme on dit, je crois, aujourd'hui.
01:02 Et en fait, il y a quelques semaines,
01:04 il y a une femme qui a reposté mon livre
01:06 en parlant d'un sujet précis, qui est la nuit de Java,
01:09 et surtout le fait que les coparents ne sont souvent pas autorisés
01:12 à dormir à la maternité.
01:14 C'est comme si elle avait appuyé sur un bouton
01:16 quand elle a dit qu'elle-même, en fait,
01:17 elle n'avait pas le droit d'être accompagnée.
01:20 Ça m'a rendue ouf.
01:21 Moi, j'ai accouché il y a 7 ans d'un petit garçon
01:23 qui est génial et merveilleux,
01:24 et j'ai déjà eu à subir cette situation.
01:26 Il va d'abord commencer par se reposer,
01:28 se remettre de l'exploit qu'il a produit,
01:31 et puis ensuite, au bout d'un moment, il va se réveiller.
01:35 Et le problème, c'est que le moment où il se réveille,
01:36 c'est le moment où nous, on a besoin de faire un gros dodo.
01:39 C'est plutôt ce croisement des courbes.
01:41 On est toute seule, si on est toute seule,
01:44 avec un bébé qui pleure toute la nuit,
01:45 alors même qu'on vient d'accoucher et qu'on est potentiellement abîmés.
01:49 Ça dépend, on n'a pas toutes les mêmes joies dans l'accouchement,
01:51 mais moi, dans mon cas, j'avais eu une épisiotomie,
01:54 j'avais des hémorroïdes de post-accouchement, c'est horrible,
01:56 et c'était pire que l'épisiotomie, et c'était vraiment cauchemardesque.
02:00 C'est-à-dire que j'ai cru, cette nuit-là, que j'allais mourir, en fait.
02:03 Je sais que ça paraît bizarre, mais c'est juste qu'on accumule de la fatigue.
02:06 Donc quand elle m'a dit ça, petit bouton, je me suis dit...
02:09 "Ah, c'est pas possible qu'en 2022, ça existe encore."
02:12 Du coup, j'ai commencé à partager des témoignages
02:14 et qui racontaient, elle aussi,
02:16 comment elle s'était retrouvée toute seule dans des situations,
02:17 parfois encore pire que la mienne,
02:19 parce que j'ai bien conscience que c'est pas la pire des situations.
02:22 C'est des césariennes où on peut même pas se lever,
02:24 on a un bébé qui pleure toute la nuit et on doit s'en occuper.
02:26 Donc ça, c'est juste inadmissible.
02:28 Pire encore, des situations horribles de gens qui ont perdu leur bébé,
02:33 dans une situation où non seulement on n'a pas son enfant,
02:36 mais en plus, on est dans une détresse psychologique toute seule.
02:39 Donc j'ai partagé tous ces témoignages jusqu'à ce qu'une de mes followers
02:43 me dise "Ce serait trop bien qu'on ait une carte
02:46 où on sache les maternités qui autorisent les coparents, les parents à être présents,
02:50 et celles qui ne l'autorisent pas."
02:52 Et je me suis lancée dans une carte, une petite carte Google Maps.
02:55 J'ai demandé aux gens de m'envoyer leurs expériences.
02:58 J'ai listé dans une carte les endroits où c'était possible,
03:00 les endroits où c'est pas possible,
03:02 et les endroits où c'est un peu...
03:05 Selon la situation.
03:07 On ne sait trop selon quels critères, c'est un peu particulier.
03:10 Parfois c'est oui, parfois c'est non, on sait pas.
03:12 Là, je ris, mais derrière tout ça,
03:13 il y a quand même une conception de la maternité qui est assez hallucinante.
03:18 Et ce que ça raconte, c'est qu'on considère que l'accueil d'un bébé
03:20 est réservé à la mère.
03:21 Sauf que c'est pas parce qu'elle fait sortir l'enfant de son corps
03:25 qu'elle en est la seule responsable.
03:27 La moindre des choses, c'est que la personne avec qui elle a fait l'enfant,
03:30 si cette personne existe, c'est quand même important qu'elle soit là.
03:34 C'est pas normal de laisser une femme qui vient d'accoucher toute seule.
03:36 Ni même pour le personnel soignant,
03:38 qui se retrouve probablement à faire des choses en plus,
03:41 qui pourraient probablement revenir aux parents s'il était présent.
03:44 Je pense qu'en fait, tout ça témoigne quand même d'une crise hospitalière
03:48 qui est vécue à plein d'autres endroits, pas que pour les maternités.
03:50 Il faut savoir que depuis les années 70,
03:52 le nombre de maternités a été divisé par trois
03:54 et que le nombre d'accouchements, lui, n'a pas trop baissé.
03:57 Donc on est toujours à 700 000 par an.
03:58 On a un personnel qui est sursollicité,
04:01 et les maternités où les coparents ne sont pas autorisés,
04:04 la logique en place de ce que je comprends, des témoignages...
04:07 Il y a une peur de devoir gérer quelqu'un en plus,
04:10 là où en fait, c'est contre-productif,
04:12 parce qu'en fait, cette personne en plus, elle pourrait soulager le personnel.
04:15 On accueille nos enfants mal, pour des raisons financières notamment.
04:19 C'est comme la mort, en fait.
04:20 C'est des moments qui demandent une présence, une connexion.
04:24 Les bébés, c'est des personnes, en fait.
04:26 Donc quand on les accueille mal, c'est pas ouf.
04:29 En fait, je sais pas, quand quelqu'un arrive chez moi, je l'accueille bien,
04:31 bah un bébé, il faudrait qu'il soit bien accueilli, quoi.
04:34 Là, dans la carte que j'ai actuellement,
04:36 il y a 200 maternités, et j'ai compté, il y en a une soixantaine
04:38 où c'est pas possible que le coparent dorme sur place.
04:42 Si c'est politique, c'est que cette situation, elle crée des inégalités
04:44 et que derrière, ça va se répercuter sur la gestion qu'on va avoir de l'enfant,
04:48 qui s'occupe de quoi, qui sait faire, qui est compétent, en fait.
04:51 Ça a créé dès le début un problème de compétence.
04:53 C'est-à-dire que si on considère que la mère est compétente à la maternité,
04:56 pourquoi ne le serait-elle pas plus tard ?
04:58 C'est des dominos, cette histoire.
05:00 C'est-à-dire qu'il y a un premier domino qui tombe,
05:01 et puis ensuite, ça s'arrête pas.
05:02 Par ailleurs, c'est aussi une façon de considérer
05:05 à qui revient la charge d'un enfant.
05:07 Si on fait un enfant à deux, on est à deux responsables de cet enfant.
05:09 C'est très simple.
05:10 Ce qu'on peut faire pour que les choses changent,
05:12 c'est des choix politiques.
05:14 Ce qu'il faudrait, c'est surtout revitaliser l'hôpital public.
05:17 Par exemple, moi, pour moi, je lis souvent ce sujet
05:20 à la question des maisons de retraite.
05:22 Ça pose la même problématique qui est que fait-on dans une société
05:26 de personnes qui ne sont pas productives ?
05:28 Parce qu'un bébé ou une vieille personne,
05:30 ce sont des gens qui ne sont pas productifs.
05:32 Or, moi, dans ma perception des choses,
05:35 on les considère comme des êtres humains
05:37 et on s'en occupe par solidarité, parce qu'on est bien,
05:39 parce qu'on est des gens gentils, et des êtres humains, tout simplement.
05:43 Pour réfléchir cette question des solidarités collectivement,
05:46 sur l'hôpital, il faudrait redonner du pouvoir aux sages-femmes aussi,
05:50 leur redonner aussi des conditions de travail
05:52 qui soient dignes de ce nom.
05:54 Un conseil aux futurs parents,
05:56 si on vous dit que la maternité n'accepte pas les coparents,
06:01 vous ne vous laissez pas faire.
06:04 Vous squattez, en fait, tout simplement.
06:06 C'est très simple. Cachez-vous dans les toilettes.
06:08 Puisque visiblement, c'est une option qui marche.
06:12 Ne laissez personne vous dire que c'est pas un problème,
06:15 parce que c'est pas vrai.
06:17 Après, il y a des gens qui choisissent, en conscience,
06:19 et ça, il faut l'entendre aussi, de se séparer cette nuit-là,
06:23 parce qu'il y a déjà un enfant qui est grand
06:25 et qu'on a peut-être l'assurance aussi
06:27 d'être avec un bébé qui vient de naître.
06:28 Quand c'est choisi, évidemment, j'ai pas de jugement là-dessus.
06:31 C'est même pas un sujet,
06:32 c'est-à-dire que les gens font bien ce qu'ils veulent.
06:33 Moi, si je vois qu'il y a quelque chose de systémique
06:35 et que les femmes, en fait, sont maltraitées,
06:38 parce que c'est une forme de maltraitance,
06:40 forcément, je suis pas contente !
06:42 (rire)
06:43 ...