• il y a 3 ans
Pendant la période de confinement et de restriction sanitaire, de nombreuses personnes ont connu un drame : celui de ne pas avoir pu accompagner comme elles l'auraient souhaité un proche mourant. Sylvaine témoigne du départ douloureux de sa mère. La psychologue Marie de Hennezel explique comment faire son deuil malgré tout.

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Transcription
00:00 La visite d'un proche, c'est ce qui maintient en vie et c'est ce qui peut donner justement l'énergie vitale, le courage de revenir à la vie.
00:22 Les lettres que je reçois, c'est évidemment beaucoup de plaintes de personnes qui souffrent beaucoup. J'ai reçu récemment la lettre d'une femme qui me dit qu'elle est en dépression profonde.
00:35 Il y a une incompréhension, elle a vécu une humiliation aussi. Ce sont des sentiments de colère, humiliation, incompréhension, culpabilité énorme de ne pas avoir.
00:51 Comme dit cette femme, je n'osais pas forcer la porte, je n'osais pas demander plus parce que j'avais peur que cela se retourne contre ma mère.
01:02 Quelques heures après, le planning était établi et c'était la psychologue de l'hôpital qui m'avait rencontrée déjà bien des fois parce que dans ce type de situation, on est rencontré par des psychologues.
01:19 C'est elle qui a eu la corvée de m'annoncer que j'avais le droit à trois visites par semaine. En gros, il fallait que je le conçoive comme un cadeau qu'on me faisait. Trois visites, c'était formidable.
01:40 Je devais me satisfaire de ça et du coup, je me suis convaincue de cela. Ma soeur a fait 650 km par exemple pour voir sa mère une heure parce qu'elle n'a pas eu le droit à plus d'une heure.
01:51 C'était la dernière fois que ma soeur par exemple voyait notre maman. Mais tout ça, ce qui est fou dans cette situation, c'est qu'on l'a tous accepté.
02:00 On se résignait en fait et c'est dans ce sens-là qu'aujourd'hui j'ai envie de témoigner parce que ce n'est pas logique de s'être résigné autant.
02:18 Des familles m'ont dit quand j'imagine que mon mari, que ma femme, mon père, ma mère sont partis seuls, ils auraient voulu dire quelque chose. Ils n'ont pas pu.
02:30 Ils savaient aussi que nous ne pourrions pas nous réunir autour du cercueil. Quand on pense à cette détresse qu'ont dû éprouver les mourants, ils s'identifient et se disent « mais c'est terrible ».
02:46 Et nous n'avons rien fait. Donc il y a en plus une culpabilité, celle d'avoir été docile, celle de ne pas avoir osé forcer la porte, osé dire « vous ne m'empêcherez pas, personne ne peut m'empêcher ».
02:59 Là, ce qui s'est rajouté, c'est le sentiment de ne peut-être avoir été trop docile. Beaucoup de gens se reprochent leur docilité.
03:09 Et là je me suis dit « mais normalement dans la vraie vie, je ne suis pas docile. Je suis quelqu'un qui réagit aux injustices. Je suis quelqu'un qui en général ne mâche pas ses mots, ça me joue quelques fois des tours. »
03:23 Et bien là, je n'ai rien fait. J'ai été docile devant un système qui est pourtant inhumain.
03:35 Je suis retournée à l'hôpital le 4 janvier pour m'apercevoir qu'il y avait eu un grand changement. En 15 jours, on voit la différence chez une malade d'Alzheimer en fin de vie.
03:46 Le premier jour, ça s'est bien passé. Ma mère était en état de me reconnaître et elle était très contente de me voir.
03:54 Puis le mercredi, là ça s'est aggravé. Elle était vraiment dans une situation de faiblesse extrême.
04:00 Le vendredi, pareil. La dernière heure où j'ai vu ma mère, elle réclamait sans cesse à boire.
04:10 J'ai passé une heure à essayer de la soulager, à demander de l'aide aux infirmières parce qu'il fallait la seconder à ce moment-là.
04:20 Je ne voulais pas prendre le risque qu'il y ait un étouffement, donc il fallait appeler les aides-soignants.
04:27 Ça a été une heure à me déplacer dans le couloir, à appeler un petit peu secours.
04:34 Mais c'était un moment où la fin de ma mère n'était pas évidente.
04:39 Le médecin le matin même m'avait dit que c'était peut-être encore une question de jours, voire de semaines, voire plus.
04:46 Rien n'était prévisible à ce moment-là. Je n'ai pas de colère en soi par rapport au corps médical parce que je suis certaine qu'on ne pouvait pas prévoir son décès.
04:56 Mais en revanche, ce jour-là, si j'avais eu plus de 60 minutes, c'est certain que je serais restée parce qu'elle avait besoin d'être apaisée,
05:05 elle avait besoin de nouveau de m'entendre et pas simplement de me voir gigoter dans la salle à courir à demander de l'aide.
05:12 Donc, on m'annonce sa mort la nuit même.
05:17 Et là encore, je me dis après coup, j'ai eu la chance parce que si on me l'avait annoncé dans la nuit de dimanche à lundi,
05:25 c'est-à-dire après un week-end où je n'aurais pas eu le droit de la voir, je me serais encore fait tout un cinéma.
05:30 Parce que quand on ne peut pas voir son proche, on imagine 20 000 choses.
05:36 Pendant les périodes où l'hôpital était fermé, je les appelais, mais je leur disais, je vous appelle pour avoir bonne conscience.
05:45 Parce que finalement, tout ce que vous me dites quand vous me dites qu'elle va bien, je suis obligée de vous croire.
05:52 Je l'ai compris en fait deux jours après le décès de ma mère.
06:02 Je l'ai compris et c'est là que ça va être fou.
06:06 Quand je suis allée récupérer ses affaires et que l'infirmière qui me connaissait bien me demande mes nouvelles.
06:13 Pour une fois, elle ne me voyait pas en pleurs, ça a changé.
06:16 Et je lui réponds, mais le plus sincèrement du monde, je lui dis, mais je vais très bien, car maintenant je peux aller voir ma mère quand je le veux.
06:24 Sauf que j'allais au funérarium pour la voir.
06:27 On peut toujours faire un rituel, un rituel de deuil.
06:37 Même longtemps après, c'est-à-dire un rituel.
06:42 Un rituel, il y a un temps pour ça, il faut consacrer un temps pour ça, un lieu, une organisation de symboles.
06:53 Et puis il y a une intention.
06:56 Alors, ce que je préconise, c'est de choisir un moment, un jour où on consacre vraiment du temps à ce rituel.
07:10 De pouvoir par exemple écrire sur une feuille de papier tout ce que l'on a sur le cœur.
07:16 Vraiment.
07:18 Et puis tout ce qu'on aurait aimé dire, tout ce qu'on aurait aimé faire et de s'adresser à la personne.
07:23 Alors on peut aussi le faire oralement.
07:26 Mais quand on écrit, ça fait beaucoup de bien en fait.
07:29 Et puis moi je conseillais, j'ai beaucoup fait ça en psychothérapie aussi, de rouler la feuille de papier comme un cigare.
07:41 Et puis d'allumer une flamme qui soit d'une bougie, soit on peut faire ça dans un feu.
07:48 Et de brûler cette lettre avec cette intention, parce que c'est un symbole, le feu aussi,
07:55 c'est un symbole de transformation, avec aussi cette intention de "je souhaite me libérer de cette culpabilité, de ce chagrin,
08:05 et je souhaite être en paix et que tu sois aussi en paix".
08:09 Parce qu'on peut s'adresser à la personne.
08:11 Moi j'aime beaucoup cette phrase qui dit que "la mort met fin à la vie mais pas à la relation".
08:16 Comment avez-vous pu faire ça ?
08:21 Maintenant ma parole est libérée.
08:23 Je vous l'ai dit, pendant cinq mois j'ai été dans un état psychologique effrayant, incapable d'exprimer tout ça, tous ces sentiments.
08:32 J'arrive enfin à le faire, donc je me dis qu'en effet d'autres sont peut-être dans la même situation que moi,
08:37 et que plus on sera entendus, peut-être que le directeur de l'hôpital me recevra, comme je lui ai proposé,
08:43 et je l'ai écrit à la fin de ma lettre. Il n'y a pas de rancune, il y a juste un désir de faire mieux maintenant.
08:51 [Musique]

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