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Yves Thréard reçoit le journaliste Antoine Glaser.
Grand connaisseur de l'Afrique, Antoine Glaser retrace ici la politique africaine de la France, depuis la période des indépendances jusqu'à la chute du mur de Berlin, une époque marquée par la figure centrale de l'homme politique Jacques Foccart. Par méconnaissance et anachronisme la France se serait depuis cette époque, selon lui, endormie dans son ancien pré carré, manquant dès lors la mondialisation de l'Afrique ainsi que les évolutions et spécificités de sa diaspora. Les conséquences de la chute de Mouammar Kadhafi, la fin de l'opération Barkhane, une jeunesse africaine qui n'en a pas fini avec la période postcoloniale, la réussite du modèle chinois sur le continent contrastant avec un business français inadapté, autant de sujets sur lesquels Antoine Glaser nous livre ici son regard de spécialiste.

Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».

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Transcription
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:25 -Antoine Glazer, on dit souvent
00:28 la politique africaine de la France n'existe plus.
00:31 Il n'y a plus de politique africaine,
00:33 mais c'était quoi, la politique africaine ?
00:35 -Il y a eu une politique africaine de la France
00:38 des indépendances de 1960
00:40 jusqu'à la chute du mur de Berlin.
00:42 Il y a eu une politique africaine,
00:44 qui était une période historique,
00:46 avec un système intégré, politique, militaire, financier,
00:50 qu'on a appelé la France-Afrique,
00:52 mais qui était vraiment une politique
00:54 qui correspondait à une période historique.
00:57 C'était la période de la guerre froide,
00:59 les propres alliés de la France
01:01 lui laissaient gérer l'ensemble de ses anciennes colonies
01:05 à sa guise, en particulier toutes les prébandes de l'uranium.
01:08 Il faut se rappeler qu'en 62, la France a été faite virer
01:11 de l'Algérie, donc a retrouvé des ressources pétrolières
01:15 dans ce golfe de Guinée, du Gabon et du Congo.
01:17 Le Gabon, on l'appelait le pays "pum",
01:20 pétrole, uranium et manganèse.
01:22 Il y a eu une pile atomique pour l'uranium.
01:24 Donc, pour moi, il y a eu vraiment une période historique.
01:28 Le reste n'existe pas.
01:30 -La figure centrale de tout ça, c'était un petit bonhomme
01:34 qui s'appelait Jacques Foucault, un gaulliste de la première heure.
01:37 -Il ne faut pas oublier que, finalement,
01:40 c'est quand même l'Afrique qui a en partie aidé
01:43 ou qui a libéré la France du nazisme.
01:46 Donc, c'était certain que ce petit bonhomme
01:48 qui avait géré pendant très longtemps
01:50 les services secrets français
01:52 à travers un organisme appelé le BCRA,
01:54 à partir de Londres,
01:56 ce qui restait de la France libre était en Afrique.
02:00 Finalement, Foucault a repris ses pantoufles
02:03 à partir du moment où, finalement,
02:05 l'Afrique a libéré la France.
02:08 Donc, il a repris, dans les années 60,
02:11 il a repris tous ces réseaux.
02:13 C'est pour ça qu'il y a eu ce côté mystérieux,
02:15 parce que c'est vrai que c'était d'abord...
02:18 Il s'est appuyé sur les services secrets français.
02:21 -C'était vraiment du néocolonialisme,
02:23 à cette époque-là ? -Oui, parce que Foucault...
02:26 -On parlait du précaré, d'ailleurs.
02:28 -Oui, mais précaré, et encore une fois,
02:30 pour moi, je vois ça, une période historique.
02:33 Jacques Foucault, on avait été l'interviewer
02:35 avec Stephen Smith, à l'époque, à l'USAR, chez lui.
02:38 Il était déjà très âgé. -Pour la région parisienne.
02:41 -Et lui, quand on lui demandait, "Mais alors, pour vous,
02:45 "la France, Afrique ?"
02:46 Il dit oui, avec une espèce de bonhomie.
02:50 Il disait, "Ce qui est bon pour la France,
02:52 "c'est bon pour l'Afrique."
02:54 A l'époque, c'était vraiment les gens qui ont cru
02:56 à une communauté de destin entre la France et l'Afrique.
03:00 Et lui, voilà, il verrouillait tout.
03:02 Il fallait vraiment que tous ces pays votent
03:04 comme un seul homme aux Nations unies,
03:07 et c'était vraiment une sorte d'assimilationnisme
03:10 entre la France et l'Afrique.
03:11 C'était vraiment une période où on considérait
03:15 que c'était une petite France en Afrique.
03:18 -Petite France en Afrique, c'est-à-dire que les gouvernements,
03:21 bien qu'après l'indépendance, étaient étroitement assujettis,
03:25 finalement, à ce que voulait Paris ?
03:29 -Il faut quand même pas oublier
03:30 qu'avant les indépendances, un certain nombre
03:33 de présidents africains, comme le président Oufouette-Boigny
03:37 de Côte d'Ivoire, le président Léopold Sédar Senghor
03:40 du Sénégal, avaient été ministre dans les gouvernements français.
03:43 On oublie comment le général Eyadéma, du Togo,
03:46 il a crapahuté avec l'armée française,
03:48 non seulement en Adouchine, mais en Algérie.
03:51 Celui qui est devenu l'empereur Bokassa en Centrafrique
03:54 avait également été dans l'armée française.
03:57 Il était adjudant-chef.
03:58 Ces types-là étaient avec l'armée française en train de tirer
04:02 sur les Algériens ou en Adouchine, etc.
04:04 Donc on oublie à quel point il y avait quand même
04:07 cette communauté de l'histoire africaine
04:09 qui était intégrée dans un dispositif français.
04:12 -Et alors après, vous dites, à la chute du mur de Berlin,
04:15 là, ça commence à changer, il y a le discours de La Baule,
04:18 aspiré ou écrit plus ou moins par Éric Orsenna, d'ailleurs,
04:23 en 1991, et là, ça commence à changer,
04:25 et là, il n'y a plus de politique africaine, c'est ça ?
04:28 -Non, moi, je pense qu'Éric Orsenna, franchement,
04:31 il a écrit ça sur un coin de table, mais c'est pas ça.
04:34 C'est simplement qu'à un certain moment donné,
04:36 à la chute du mur de Berlin, tout le monde regardait
04:39 la réunification de l'Allemagne, mais la France ne voyait pas
04:43 l'Afrique se mondialiser, c'est ça, le fond de l'affaire.
04:46 C'est que finalement, cette période historique,
04:49 on va pas refaire l'histoire, mais on aurait pu imaginer
04:52 que le président français, avec ses pairs africains
04:55 de cet ancien précaré, fasse une grande réunion
04:57 en disant, pas un petit texte de La Baule,
05:00 mais un grand réunion en disant, voilà, l'Afrique se mondialise,
05:03 ils font pas ça autre chose, etc. En fait, la France
05:06 s'est un peu endormie sur sa ronde politique, économique,
05:10 dans cette région, et n'a pas vu l'Afrique se mondialiser.
05:13 -La France s'est réveillée récemment en disant,
05:16 "Qu'est-ce qui se passe en Afrique ?"
05:18 Mais l'Afrique s'est mondialisée.
05:20 Dans les années 2000, ce sont d'abord les Chinois
05:22 qui ont réactivé et réanimé l'Afrique.
05:25 -On parle de la Chine-Afrique. -On a parlé de la Chine-Afrique.
05:28 Et ensuite, les propres partenaires européens de la France.
05:32 Je veux dire, on n'a pas vu non plus que l'Allemagne
05:35 est devenue le premier exportateur européen vers l'Afrique.
05:38 On n'a pas vu que les Italiens, ils reprenaient la langue
05:41 avec la Libye, avec toutes les anciennes colonies,
05:45 les Espagnols, avec aussi,
05:47 vous avez vu comment ils reconnaissent
05:49 le Sahara occidental, la Marocanité sur le Sahara occidental.
05:53 On est dans des périodes historiques,
05:55 et la France est vraiment endormie dans son ancien précaré,
05:58 n'a pas vu la mondialisation de l'Afrique.
06:00 -Quand il y a eu le coup d'Etat, par exemple, en 1999,
06:04 en Côte d'Ivoire, il y avait la cohabitation en France,
06:07 Jospin n'a rien dit,
06:09 et Chirac, président de la République,
06:11 n'a rien dit non plus.
06:12 On a laissé faire, et là, il y a eu une dérive
06:15 de la Côte d'Ivoire. -C'est pas vraiment passé comme ça.
06:18 L'ancien conseiller afrique, Michel Dupuche,
06:20 a essayé de faire réagir, même en cas de cohabitation.
06:24 C'était le coup d'Etat du Père Noël en Côte d'Ivoire,
06:27 et Dupuche a essayé de réagir.
06:28 À un moment donné, les conseillers afriques,
06:31 que ce soit autant l'Elysée,
06:33 enfin, l'Elysée, c'était Dupuche,
06:35 mais la cohabitation du Premier ministre de Lyon et de Jospin,
06:39 ils sont tous partis en vacances,
06:40 et ils ont éteint leur portable et ils ont dit à Dupuche
06:43 "Si vous arrivez à faire bouger la CDEAO,
06:46 "la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest,
06:48 "si vous avez un certain nombre de chefs d'Etat africains
06:52 "qui veulent réagir, on verra."
06:53 Sinon, ils ont laissé tomber
06:55 parce que c'était une période de cohabitation.
06:58 Il y a eu des retours,
06:59 que ce soit au moment aussi de la chute
07:01 de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, en 2011,
07:04 on voit bien qu'il y a eu des périodes
07:07 où il y a eu des retours,
07:08 ça veut dire où la France s'est imposée militairement.
07:11 -Militairement. -Mais, je veux dire,
07:14 globalement, cette fin de période
07:16 était quand même une fin de période historique.
07:19 -Et donc, en 2007, donc on est au mois de juillet,
07:22 juste après l'élection de Nicolas Sarkozy,
07:25 il va à Dakar, reçu par le président Abdoulaye Wad,
07:28 et il fait un discours dans lequel il dit
07:30 "L'homme africain n'est pas rentré dans l'histoire",
07:33 un discours qui aurait été écrit,
07:35 et il l'a été, en partie, par Henri Guaino.
07:38 Et là, c'est évidemment,
07:40 il y a la grande polémique,
07:42 rupture, même, quasiment,
07:44 les Africains n'ont pas compris.
07:45 -C'est vrai que c'est affligeant,
07:47 parce que c'est une méconnaissance de l'Afrique.
07:50 J'ai jamais entendu, jusqu'à ce jour,
07:53 un président français dire "il faut apprendre de l'Afrique",
07:56 ce continent qui est absolument incroyable
07:58 à tous les points de vue,
08:00 pas simplement pour ses matières premières,
08:02 mais même au niveau sociologique,
08:05 pour apprendre de l'Afrique.
08:06 On voit bien qu'il y a une telle méconnaissance,
08:09 qu'on a toujours l'impression,
08:11 qu'il y a la métropole et le continent africain.
08:13 Ca veut dire que c'est encore une pensée ancienne,
08:17 pas du tout une pensée moderne.
08:20 Ca veut dire que c'est une méconnaissance de l'Afrique,
08:23 il faut que l'Afrique apprenne de la France.
08:26 Donc, ils sont pas assez rentrés dans l'histoire,
08:28 il faut qu'ils revoient leur histoire de France.
08:31 -En 2011, cette fois,
08:33 il y a les printemps arabes qui commencent en Tunisie,
08:37 mais il y a aussi un événement
08:40 qui va être fondamental pour l'avenir de l'Afrique,
08:42 c'est la chute de Kadhafi.
08:44 Ce pays, qui n'était pas vraiment un Etat constitué,
08:47 qui tenait par un homme, va se déliter,
08:50 et là, ça va changer toute la face de l'Afrique de l'Ouest.
08:54 Vous êtes d'accord avec ça pour dire que ça a été
08:57 un élément capital de l'histoire de l'Afrique moderne,
09:00 la contemporaine ?
09:02 -Absolument. Je veux dire, quand on voit,
09:04 parce qu'il faut s'appuyer,
09:06 si je dis que c'était une erreur fondamentale,
09:09 on dit "OK, il connaît pas",
09:10 mais quand on voit Barack Obama,
09:13 qui considère, dans le livre qu'il a écrit,
09:15 dans ses mémoires,
09:17 qu'il considère que c'est sa principale erreur
09:20 dans sa politique des affaires étrangères,
09:23 c'est pas... Voilà.
09:24 -Il était en back-office, lui, les Américains.
09:27 -Il dit carrément qu'ils se font entraîner
09:30 par un peu les Français.
09:33 Je vais dire, c'est certain que...
09:35 Même les Anglais ont reconnu que c'était une erreur fondamentale.
09:39 Joe Biden, à l'époque vice-président des Etats-Unis,
09:43 avait dit... Il était contre cette intervention.
09:46 Il avait dit qu'il ne fallait pas y aller
09:48 si on ne voit pas à 10 ans, ensuite,
09:51 ce qui va se passer après.
09:52 Pour ceux qui connaissent la région,
09:54 on savait qu'il y avait un équilibre précaire.
09:57 C'est vrai que Qadhafi faisait les fanatiques
10:00 des chefs d'Etat de la région.
10:01 Le grand frère algérien, c'était la sécurité.
10:04 Ca allait mal entre Algérie et Libye
10:06 quand les Libyens installaient un consulat à Kidal,
10:09 au nord du Mali.
10:10 Les Algériens étaient pas contents,
10:12 mais il y avait un équilibre précaire.
10:15 On peut raconter, effectivement, sur le roi des rois,
10:18 sur tout ce qu'elle est,
10:19 on peut pas dire que Qadhafi, c'était pas un dictateur.
10:22 Mais, encore une fois, c'était pas l'affaire des Occidentaux
10:25 d'intervenir sur ce continent alors que l'Union africaine était contre.
10:30 C'est pour ça que, là,
10:31 il y a vraiment... C'était quelque chose qui est fondamental.
10:34 C'était une armurerie.
10:36 La Libye, encore aujourd'hui,
10:38 c'est une armurerie à ciel ouvert.
10:40 On voit qu'à un certain nombre d'armements,
10:42 en particulier, on a vu comment les Touaregs,
10:45 qui étaient la légion islamique de Qadhafi,
10:47 sont rentrés avec armes et bagages au nord du Mali.
10:50 Au Niger, les Nigériens ont su mieux gérer
10:53 le retour des Touaregs armés,
10:54 car ils ont plus intégré dans l'appareil d'Etat,
10:57 mais, très franchement, ça a quand même déstabilisé
11:00 toute cette région. Et les djihadistes du GIA,
11:03 du groupe islamique algérien,
11:05 ceux qui étaient en Algérie,
11:07 en ont profité pour faire des alliances
11:09 avec les Touaregs qui rentraient de Libye.
11:11 C'est là où tout a commencé, en fait.
11:13 -Toute l'affaire du Sahel,
11:15 d'avant, c'est là, hein. -Absolument.
11:17 -Ca commence là. Et là, c'est là où, bon,
11:20 ben, on est confrontés
11:22 à ce qu'on a appelé, eh bien,
11:25 une espèce de tentative de constitution,
11:29 de califat, ce qui n'est pas tout à fait vrai non plus,
11:32 parce que ce sont des groupes
11:34 qui, les uns et les autres, se combattent,
11:36 qui n'ont pas tous les mêmes objectifs,
11:39 qui, pour beaucoup, relèvent plus, je dirais,
11:42 de la grande délinquance
11:44 que de la volonté de créer un Etat islamique,
11:48 mais tout ça fait que la France intervient, en 2013,
11:51 avec François Hollande,
11:53 ça deviendra la force barcane, et finalement,
11:55 ça sera un échec, ça. -Oui, alors,
11:58 pour ne pas refaire l'histoire, mais c'est vrai
12:00 que quand on parle de djihadisme, c'est d'abord, avant tout,
12:04 des groupes armés qui ont des territoires,
12:06 c'est vraiment les grandes caravanes,
12:08 et c'est d'abord des trafics en tout genre,
12:11 c'est une économie qui est informelle.
12:13 C'est vraiment une période historique
12:15 qui se termine, c'est-à-dire, pour moi,
12:17 une période postcoloniale,
12:19 c'est-à-dire, depuis la Mauritanie
12:22 jusqu'au Soudan, on voit que toute cette période,
12:24 ils ont fait fuir, il n'y a plus d'Occidentaux
12:27 dans toute cette région, il suffit de regarder
12:29 une carte du Cadorcec pour se rendre compte
12:32 que tout est en rouge, y compris jusqu'au Capitale.
12:35 -On n'a pas intérêt à y aller. -Exactement.
12:37 Et donc, c'est vrai que l'opération,
12:39 il y a une sorte de consensus en disant
12:41 que d'intervenir avec l'opération Serval,
12:44 ça avait peut-être un sens, mais il aurait fallu,
12:47 une fois que les villes du Nord aient été libérées,
12:50 il y avait l'opération Barkhane,
12:52 qui était une opération extérieure à l'ancienne.
12:54 En fait, c'est vrai que, un peu,
12:56 ça sert, cette opération Barkhane,
12:59 cette présence de l'armée française
13:01 un peu à l'ancienne, servait déjà de cache-misère
13:04 à une présence française globalement en déshérence
13:07 au rensemble du continent.
13:08 Il y avait de moins en moins de Français
13:11 dans les capitales. Et puis, dans la période
13:13 postcoloniale, où la France avait une rande politique
13:16 dans toute cette région, avec des chefs d'Etat amis,
13:20 dans tout le dispositif de la France en Afrique,
13:22 je passe du coq à l'âne, mais quand vous allez
13:25 au muséum de Bruxelles,
13:28 de Terre-Vurène, quand vous entrez,
13:31 il y a écrit, en gros, c'est un socialiste,
13:34 un sociologue belge, il y a écrit
13:37 "le passé, tout passe, sauf le passé".
13:39 C'est le passé qui passe pas.
13:41 Et là, la France n'a pas tiré les leçons
13:44 de ce passé qui ne passait pas.
13:46 -Il y en a beaucoup qui disent,
13:48 pour que la France garde une bonne image,
13:50 pour qu'elle soit acceptée là où elle est rejetée,
13:53 il faut le dire, dans certains pays d'Afrique,
13:56 il faut démilitariser et puis il faut revenir
13:59 à une espèce de partenariat ou de coopération
14:03 qui soit, justement, dénuée de tout aspect militaire.
14:09 Est-ce que ça, c'est effectivement une solution ?
14:12 -Ce qui est évident, c'est qu'à partir du moment
14:14 où c'est vrai que le fait que cette présence militaire
14:18 à ce niveau-là, ça servait du cache-misère
14:20 à une présence française déshérente,
14:22 c'est vrai que la France doit faire profil bas.
14:25 On entend le président Macron dire
14:27 qu'on doit être en deuxième rideau, etc.,
14:29 mais très franchement, pour l'instant,
14:32 ce qui était proposé, ça veut dire avoir
14:34 un peu des sortes d'académies militaires,
14:37 c'est-à-dire que sur les anciennes bases françaises,
14:40 avoir à côté les académies, on voit pas trop ce partenariat,
14:43 on comprend simplement qu'il faut vraiment faire profil bas.
14:47 Je veux dire, c'est une période historique
14:49 qui s'est terminée. La France n'a pas vu l'Afrique
14:52 se mondialiser, elle a pas vu pas simplement
14:55 les Chinois, les Russes, mais même ses propres partenaires
14:58 européens à la plus son précarité.
15:00 Il faut passer à autre chose,
15:02 et la meilleure façon de passer à autre chose,
15:04 c'est de faire profil bas pendant plusieurs années.
15:07 -Vous avez écrit un livre avec Pascal Hérault,
15:11 qui est un journaliste français,
15:13 qui écrit dans "L'Opinion",
15:15 qui s'appelle "Le piège africain de Macron",
15:17 chez Fayard,
15:19 et dans ce livre, vous rechancez,
15:22 vous présentez et vous décryptez
15:25 la politique africaine de Macron.
15:27 Macron, il est comme beaucoup de présidents
15:30 qui l'ont précédé, il a dit qu'il voulait tourner une page.
15:33 Est-ce qu'il a vraiment tourné cette page
15:35 de la politique française en Afrique ?
15:38 -C'est-à-dire, lui, Emmanuel Macron, il est arrivé,
15:41 il est allé voir les jeunes Burkina Faso...
15:43 -Fameux discours de Ouagadougou. -Fameux discours de Ouagadougou,
15:47 où franchement, il a voulu tirer l'ardoise magique
15:50 en disant "je suis jeune comme vous,
15:52 "on va pas s'occuper de le passé, on replie les rétroviseurs,
15:55 "on regarde devant",
15:57 sauf que le passé ne passe pas. -C'est ce que vous disiez.
16:00 -Il y a un peu le retour de l'inconscient,
16:02 le retour de ressentiment, le retour d'une période historique.
16:06 À un certain moment donné, Emmanuel Macron a compris
16:09 qu'il fallait faire quelque chose.
16:11 Il y a eu les rapports mémoriels sur le Rwanda,
16:14 il y a eu le rapport sur l'Algérie,
16:16 il y a le rapport sur le Cameroun.
16:18 Il a compris que...
16:19 Il dit "je confie le passé aux historiens",
16:22 mais simplement, ça fonctionne pas comme ça.
16:24 -C'est pas comme ça. -La politique est toujours
16:27 au coeur, je veux dire, de cette présence française en Afrique.
16:31 Et les jeunes, ils ont envie de parler de cette période.
16:34 Ils ont envie de parler, pas forcément de la colonisation,
16:38 mais de cette période postcoloniale,
16:40 quand vous avez un certain nombre de chefs d'Etat
16:43 qui sont encore au pouvoir et qui ont été au pouvoir depuis
16:46 et installés souvent par la France depuis ces années...
16:49 -Sa longue gaisse au... -Justement,
16:51 depuis 30, 40 ans, etc. -Et les fils d'eux aussi.
16:54 -Et les fils d'eux, absolument. -Il y a des mâles,
16:57 des mongos. -Les dynasties.
16:59 À partir de ce moment-là, ils ont envie
17:01 qu'on parle de cette période.
17:03 "Les présidents qui sont là, ce sont les fils des gens
17:06 "que vous avez installés il y a 30 ans.
17:08 "Parlons-en, pourquoi ils sont là ?
17:10 "Vous continuez à les soutenir ?
17:12 "Votre attitude ?" Ils ont envie de parler de ça.
17:15 On ne peut pas dire qu'on va s'occuper que de digital,
17:18 que de com, de culture, etc.
17:21 Ils ont envie de parler politique, les relations.
17:24 Sauf que l'Afrique est totalement mondialisée,
17:28 et du coup, la position de la France,
17:30 qui fait plus que 4 % de part de marché
17:32 par rapport à la Chine, qui fait 18 %,
17:34 et les propres partenaires, maintenant,
17:37 on parle peu de la Turquie,
17:39 mais qui est active et présente,
17:41 à partir de ce moment-là,
17:43 même Emmanuel Macron, on l'a bien vu,
17:45 quand il fait ses voyages, il va à Canossa,
17:48 quand il va au Cameroun,
17:50 tous les pays d'Afrique centrale qu'il avait boudés
17:53 au cours de son premier mandat,
17:55 il va à Canossa, je veux dire,
17:57 voir Paul Biya, voir Denis Sassou-Nguisso au Congo,
18:00 voir Ali Bongo au Gabon,
18:02 il va comme ça, parce qu'il les avait boudés,
18:05 tous ces pays en disant "sortons de la France-Afrique,
18:08 "on va aller que dans les pays anglophones et lusophones",
18:12 sauf que ça fonctionne pas, ils nous attendent pas.
18:14 -Justement, il est allé, et ça, c'est pas une première,
18:18 mais il a beaucoup souligné ça,
18:19 alors il est allé au Nigeria, il est allé au Kenya,
18:22 comme s'il se tournait, d'ailleurs,
18:25 vers les pays qui, économiquement, en Afrique, sont forts,
18:28 en se disant que la relation que la France doit entretenir
18:31 avec l'Afrique doit passer par le commerce,
18:34 parce que, sur le reste, on est un peu...
18:37 On est un peu marginalisés.
18:39 Est-ce que ça marche, ça ?
18:41 -Non, parce qu'on peut pas faire les fameuses phrases
18:44 sur la proie et l'ombre et autres,
18:46 mais on voit bien que...
18:47 C'est vrai qu'Emmanuel Macron a dit, pour sortir du précaré,
18:51 "On va entraîner les entreprises françaises,
18:53 "tout le business français, vers les pays anglophones
18:56 "et lusophones", sauf que, bien évidemment...
18:59 -Lusophones, c'est Mozambique et Angola.
19:01 -Mozambique, oui, de langue portugaise.
19:04 Personne ne connaît la portugaise,
19:06 mais quand vous avez vécu dans une ronde politique,
19:09 même pour le business français,
19:10 vous étiez chez vous, en Afrique, pendant des années,
19:13 les entreprises, très souvent, les contrats,
19:16 ça se faisait en téléphonant au président et autres.
19:19 Vous passez pas comme ça d'un business français
19:22 qui a ce problème de responsabilité,
19:25 aussi de RES ou autres,
19:27 au niveau responsabilité sociale et autres.
19:30 C'est vrai que les jeunes cadres,
19:33 quand il faut vous affronter à des pays
19:35 comme la Chine, la Turquie,
19:37 ils sont pas trop regardants sur tout ce qui peut être
19:40 la corruption dans les pays.
19:42 C'est vrai que maintenant,
19:43 le business français en Afrique
19:46 est pas forcément adapté
19:48 aux situations, aux nouvelles situations,
19:50 pour se battre.
19:51 -Antoine Glazer, c'est quoi le modèle chinois,
19:54 par exemple, en Afrique ?
19:56 -Les modèles chinois, c'est très simple.
19:58 J'ai vu ça, à un moment donné,
20:00 dans une construction au Gabon.
20:02 Ca veut dire, ils disent d'abord,
20:04 "Oui, on va prendre des employés gabonais."
20:07 Un ministre gabonais me dit,
20:08 "Vous savez, on a essayé de mettre
20:10 "un certain nombre d'employés gabonais le matin,
20:13 "mais ils ont pas fait la journée."
20:15 Et puis, vous voyez, ils font tout de A à Z.
20:18 Et en plus, ils le financent.
20:19 -Les Chinois font tout de A à Z.
20:21 -Ils font tout de A à Z.
20:23 -Ils font finir la main-d'oeuvre.
20:25 -Ils font finir la main-d'oeuvre aussi.
20:27 Et ils disent aux dirigeants africains,
20:30 "Si vous avez pas l'argent, vous inquiétez pas,
20:32 "on s'arrangera."
20:34 La plupart du temps, ils se payent en matière première,
20:37 ou ils se payent différemment, mais ils endettent les pays.
20:40 Il y a un endettement de l'Afrique, de la Chine,
20:43 qui est exorbitant. Et comme les Chinois
20:45 se sont fait titiller sur cette affaire-là,
20:48 ils ont commencé à annuler une partie des dettes.
20:50 Mais globalement, ils sont maintenant hyperpuissants
20:53 dans énormément de pays.
20:55 -Et est-ce qu'ils ont une bonne image ?
20:57 Est-ce que les populations locales
20:59 les acceptent ? Ou est-ce que ça commence à tourner ?
21:02 Est-ce qu'ils s'exposent à des critiques,
21:04 en raison de ces pratiques ?
21:06 -Ils s'exposent à des critiques,
21:08 mais il faut surtout pas que ce soit des Français
21:11 qui le disent aux Africains.
21:12 Mes copains africains se disent toujours,
21:15 "C'est pas à vous, les Français, de nous faire la leçon."
21:18 "Attention, Chinois, attention, Russes."
21:20 "On s'en débrouillera, comme on se débrouillera des Français."
21:24 On est mal placés pour ça.
21:25 Bien évidemment que les Chinois...
21:28 Ils vous mettent des routes comme ci, des routes comme ça.
21:31 Ils disent, "C'est pas à vous."
21:33 Il faut arrêter l'infantilisation de l'Afrique.
21:35 Ils se démerdent.
21:37 C'est dur à dire, mais c'est...
21:39 "Démerdez-vous."
21:40 Ils se débrouilleront. C'est leur problème.
21:43 C'est pas le problème de la France.
21:45 Il faut arrêter avec ça.
21:46 -Elles sont où, les forces de l'Afrique ?
21:49 C'est sa démographie ?
21:50 -C'est la démographie.
21:52 Il y a une énergie, qui suit, en plus, ancien,
21:54 parce que c'est africain, ils sont sympas,
21:57 les vieux, mais moi, qui suis un ancien,
21:59 vous rentrez ici, il manque...
22:01 Quand vous rentrez en France,
22:03 on sent le manque d'énergie.
22:04 -Le changement. -Vous sortez d'un continent,
22:07 c'est le grand marché de l'Inde,
22:09 où j'ai failli mourir étouffé.
22:11 Il y a une pression.
22:12 Il y a un million d'habitants dans un quartier d'habitants,
22:15 c'est presque autant que l'ensemble du Gabon.
22:18 Vous avez une pression démographique importante,
22:21 mais c'est leur problème.
22:23 Ils se débrouillent,
22:25 mais il y a une énergie faramineuse.
22:28 -Néanmoins, il y a un truc qui est terrible pour eux,
22:31 c'est cet exil, ces migrations,
22:33 qui ne touchent pas les plus pauvres,
22:35 qui ont souvent les moyens de partir.
22:38 L'Afrique se vide de ces forces vives.
22:40 -Oui, ça se fasse, bien sûr,
22:42 mais encore une fois, on ne peut pas amalgamer.
22:44 Ça m'a toujours fait rire.
22:46 Par exemple, on dit toujours
22:48 qu'on va faire les leçons au Niger en disant
22:50 qu'il y a sept enfants par femme,
22:52 sauf qu'il n'y a pas de Nigériens en France.
22:55 J'ai appelé un copain à l'ambassade,
22:57 il m'a dit qu'il n'y avait pas plus de 14 000,
23:00 mais de Nigériens, du Niger,
23:01 de Niamey, de la francophonie,
23:03 et il n'y en a pas.
23:05 Par contre, vous avez peut-être 300 000 maliens,
23:08 mais pas de Nigériens.
23:09 Selon les pays, il ne faut pas tout amalgamer,
23:12 ça n'a rien à voir.
23:13 Beaucoup de Nigériens, vous les retrouvez
23:16 en train de faire un certain nombre de travaux
23:18 d'utilité publique, comme on dit,
23:20 dans des pays comme le Gabon,
23:22 le Gouffre de Guinée... -Il y a une grosse migration
23:25 interne à l'Afrique. -Bien évidemment.
23:27 Les gens ne s'imaginent pas que l'Ego,
23:29 c'est 20 millions d'habitants.
23:31 Il y a des dynamismes et des trucs qu'on ne maîtrise pas
23:35 et on fait toujours des clichés à partir de Paris.
23:38 -Et il y a aussi la culture africaine
23:41 qui commence aujourd'hui à avoir un rayonnement énorme
23:44 dans des domaines, d'ailleurs, qui sont très diverses,
23:48 parce que dans "Continent de l'oralité et moralité",
23:51 il y a plein d'écrivains.
23:52 La mode, aussi.
23:54 La mode, la cuisine, enfin, ça infuse.
23:58 Je dirais que l'africanité, d'une certaine façon,
24:01 infuse toute la culture internationale.
24:03 C'est la mondialisation. -C'est ça.
24:05 Et c'est ce que je dis, apprendre de l'Afrique.
24:08 On parle toujours des peintres, on voit bien maintenant
24:11 comment dans tous les domaines de la culture,
24:13 il y a vraiment à apprendre énormément de l'Afrique.
24:16 Vous allez la voir, même si c'est aux Etats-Unis
24:19 où vous avez Basquiat avec Varol,
24:21 qui vont faire une expo à Paris, etc.,
24:23 mais c'est l'Afrique, et à ce moment-là,
24:26 c'est là où il faut apprendre de l'Afrique.
24:28 Et cette culture-là est extrêmement importante,
24:31 c'est ça qui peut aussi revivifier
24:33 à travers un certain nombre de diasporas ici
24:35 qui ont, la plupart du temps, considèrent
24:38 que dans les postes de responsabilité en France,
24:41 dans les entreprises, il y a encore un plafond de verre pour eux,
24:44 mais pour un certain nombre d'entre eux,
24:47 il y en a sur la culture, sur la musique.
24:49 Il ne faut pas que ça soit un prétexte
24:51 pour cantonner l'Afrique toujours à la sport et à la musique.
24:54 -Exactement. -Donc, il ne faut pas oublier
24:57 ce plafond de verre pour l'ensemble d'un certain nombre de gens
25:00 qui sont français comme nous, mais qui n'ont pas accès
25:03 à un certain nombre de postes de responsabilité.
25:06 -Si il y avait une figure que vous retiendriez,
25:08 qui symbolise, qui incarne l'Afrique,
25:11 pour vous, ce serait laquelle ? -Il y en a deux.
25:13 Pour les jeunes, c'est Thomas Sankara.
25:16 -Le président du Burkina Faso,
25:18 qui a requalifié le Burkina Faso. -Il est complètement inévitable,
25:21 parce que ce n'était pas simplement la révolution.
25:24 Il y avait une volonté de se réafricaniser,
25:26 que ce soit les vêtements, la nourriture, etc.
25:29 -Pays des hommes intègres, ça veut dire.
25:32 -Pays des hommes intègres,
25:33 mais surtout valoriser absolument le continent africain.
25:36 Et puis, il y a Oufoéde-Boigny,
25:38 qui est pour moi le vieux président africain.
25:41 Pourquoi ? Parce que, contrairement à ce qu'on pense,
25:44 il gérait son Afrique de jour
25:46 avec un certain nombre de gouverneurs,
25:48 qui étaient plutôt des Antillais,
25:50 c'est-à-dire qu'il gérait la "modernité"
25:53 avec la France,
25:54 mais il mangeait africain, il gérait la nuit,
25:57 il avait son Afrique de jour avec les Français,
25:59 il avait son Afrique de nuit avec les Africains.
26:02 C'est une image très forte.
26:04 J'ai connu comme ça un de ses conseillers,
26:07 qui m'avait dit, il m'envoyait au Burkina Faso,
26:10 qui était l'ancien Louvolta,
26:11 apporter de l'argent et des monnaies au Moro Naba,
26:15 qui est le chef d'Emossi du coin,
26:16 et je rentrais avec des poulets,
26:18 avec lesquels il califiait les sacrifices.
26:21 C'est l'Afrique de jour et de nuit.
26:23 -Merci, Antoine Gazert.
26:24 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:27 ...

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