Les chroniqueurs du Cercle débattent autour d'un film sortant en salles ou en diffusion sur CANAL+
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00:00 La Palme d'or du 76e Festival de Cannes a donc été attribuée
00:04 à "Anatomie d'une chute" de Justine Trier,
00:06 coécrit avec Arthur Araï, son compagnon à la ville.
00:10 L'allemande Sandra Hüller joue une romancière
00:13 accusée du meurtre de son mari.
00:15 Le film raconte à la fois le procès et l'histoire du couple.
00:19 C'était votre Palme, Marie.
00:20 Qu'est-ce qui a séduit le jury de Ruben Eslund dans ce film ?
00:24 -Le film est à la fois très profond, très maîtrisé
00:28 et assez vertigineux, parce que, comme vous le dites,
00:31 c'est à la fois un immense film sur le couple...
00:33 Justine Trier en parle en disant que c'est un film
00:36 sur l'utopie égalitaire au sein du couple,
00:40 puisque c'est l'histoire de deux écrivains,
00:42 une écrivaine pour qui ça marche bien,
00:44 le film s'ouvre sur elle interviewée par une universitaire,
00:47 et son mari, qui voudrait aussi être auteur,
00:50 mais qui lui est bloqué, il n'arrive pas,
00:52 et c'est donc un auteur frustré.
00:54 C'est aussi un film de procès absolument passionnant.
00:58 Le film dure deux heures et demie, il m'a agrippée de bout en bout.
01:01 Je n'ai pas scié pendant le film.
01:03 Qui vient questionner sans cesse
01:06 cette question de "qu'est-ce que la vérité ?"
01:09 Voilà. De qui...
01:11 A qui appartient la vérité qui s'exprime dans un tribunal ?
01:15 Et on va suivre l'enquête extrêmement détaillée,
01:18 c'est-à-dire du moment où le mari de cette écrivaine
01:21 est retrouvé mort, la question qui se pose,
01:23 évidemment, c'est "a-t-il chuté tout seul ou l'a-t-on aidé ?"
01:27 Suicide ou crime,
01:29 la justice va faire un procès à cette femme
01:32 en estimant qu'elle est responsable,
01:34 voire coupable du meurtre de son mari,
01:37 et donc toute la question, c'est...
01:39 On va disséquer ce couple.
01:40 Je vous ai apporté un petit extrait
01:42 sur lequel je ne vais pas parler, ça vous fera des vacances,
01:46 mais surtout, les dialogues sont remarquables.
01:48 Soinarlot, qui joue un ami et l'avocat du personnage,
01:51 Sandra Huller, immense actrice,
01:54 et la dernière phrase de l'extrait est une clé du film.
01:58 Comme vous pouvez le voir,
01:59 une coupure accidentelle sera difficile à défendre,
02:02 vu la hauteur du sable.
02:05 C'est pourquoi il y a une enquête
02:08 pour un suspect,
02:10 une mort plus susceptible,
02:14 et un témoin assisté, car vous étiez l'unique.
02:17 OK.
02:19 Et bien sûr, vous étiez son mari.
02:21 En cherchant un étranger,
02:24 le fait qu'il soit mort pendant que vous dormiez,
02:27 et que Daniel soit là pour le travail, c'est une stratégie.
02:31 Samir n'avait pas d'ennemis...
02:33 Arrêtez.
02:34 Je ne l'ai pas tué.
02:36 Ce n'est pas le point.
02:42 "Je ne l'ai pas tué", c'est pas la question.
02:45 Et tout le film va raconter ça.
02:47 C'est absolument passionnant, de bout en bout.
02:50 Bruno, c'était une bonne surprise,
02:52 cette Palme d'or, deux ans après la Palme à Juillet-Douronc.
02:55 D'autant que le film explore un territoire de cinéma
02:59 que Justine Trier n'avait jamais exploré jusque-là.
03:01 Pour moi, il y a vraiment une progression
03:04 dans l'extrême maîtrise de ces films.
03:06 Ce que j'ai aussi beaucoup aimé,
03:09 c'est que le film dit quelque chose de la santé du cinéma français.
03:12 On a beaucoup parlé des réalisatrices.
03:15 Il y a eu Audrey Diwan, Claire Denis,
03:17 Juliet Ducournau.
03:18 Ce que j'ai aimé dans ce discours,
03:20 c'est qu'elle a parlé... Son film est extrêmement féministe,
03:23 mais elle n'a pas parlé au nom des femmes.
03:26 Elle a parlé au nom du cinéma français,
03:28 au nom d'une cause sociale,
03:30 et le fait qu'elle porte quelque chose
03:32 au-delà de sa condition de femme,
03:34 ça ouvre aussi une porte.
03:35 Et ces réalisatrices, pour moi,
03:37 représentent le cinéma français de façon absolument...
03:41 -Elles touchent vraiment là où ça fait mal.
03:43 Je vois que ça gringe de ce côté,
03:45 que ça a un petit peu envie de pousser.
03:48 -Oui, parce que je vais bien
03:49 dire que "Palmarès", si on était jury,
03:51 on aurait donné la palme à quelqu'un d'autre.
03:54 Je vais dire à Bellecue.
03:56 Mais c'est un très bon film.
03:57 C'est notamment très bien écrit, très bien joué.
04:00 Et évidemment, on pense à "Preminger".
04:02 Autopsie d'un meurtre, "Anatomy of a Murder".
04:05 Et ce qui est intéressant dans les deux films,
04:08 c'est que la vérité judiciaire
04:10 va être liée à la vérité d'un couple.
04:12 Et en fait, nous, spectateurs,
04:14 on débarque dans une affaire
04:16 et on est comme les jurés.
04:17 On sait pas, en fait.
04:19 Ce qui est intéressant,
04:20 c'est autant le couple que le procès.
04:22 -Et puis elle a écrit avec son compagnon à la ville.
04:25 -Et donc, c'est elle-même...
04:27 Et eux-mêmes sont deux cinéastes,
04:29 deux cinéastes-écrivains,
04:31 et donc il y a évidemment un effet de miroir très intéressant.
04:34 -C'est ce qui est le plus intéressant dans le film.
04:37 En tout cas, tout ce qui concerne le couple me passionne.
04:40 Je trouve que c'est vraiment assez vertigineux.
04:43 C'est un film qui questionne comment un couple fonctionne,
04:46 sur quel équilibre.
04:48 S'il y a une chute qui va être questionnée,
04:50 anatomisée par le film, c'est la chute du couple.
04:53 Un moment donné, quelque chose te fissure, on tombe.
04:56 Comment on fait ?
04:57 C'est ça, la question interrogée par le film.
04:59 -Est-ce que ça pose pas une question sur le cinéma ?
05:02 Qu'est-ce qu'on vient voir, qu'est-ce qu'on veut savoir ?
05:05 -C'est un peu le problème du film.
05:07 Il est brillant, passionnant à plein d'aspects,
05:10 mais il est à beaucoup de moments très théorique.
05:13 Et finalement, c'est vraiment dans la dernière partie du film,
05:16 dans certains personnages, comme celui qui avait comme leur enfant,
05:20 qui est absolument passionnant.
05:22 -Et qui est très bien joué.
05:23 -On va sortir de ce dispositif intellectuellement brillant,
05:27 mais un peu glacial, des fois,
05:29 qui a un peu un glaci d'intelligence sur ce procès,
05:31 qui est une mise en abyme du couple.
05:34 Et tout d'un coup, quand on en revient
05:36 à des questions très concrètes, morales,
05:38 est-ce que je dois être convaincu ou je dois croire ?
05:41 A quel moment je dois arrêter ma décision ?
05:44 -Tout d'un coup, le film redevient humain,
05:46 admirablement mis en scène, et il a un coeur qui bat.
05:49 -Je trouve que le film n'a jamais cessé d'être humain.
05:52 Cette femme ne peut pas être plus humaine.
05:54 "Khan", cette année, c'est le grand "Khan"
05:57 des personnages féminins, passionnants, complexes, antipathiques.
06:00 Et cette femme-là, c'est du chaud et du froid en permanent.
06:04 C'est-à-dire, par plein d'aspects,
06:06 on la trouve hallucinante d'égoïsme,
06:10 et en même temps, sa relation avec son enfant, etc.
06:13 Tout ça, c'est très humain.
06:15 Moi, j'ai pas du tout vu un glaci intellectuel.
06:18 En revanche, j'ai vu beaucoup d'intelligence, mais pas moi.
06:21 -Parfois, j'ai l'impression d'entendre le souffle du scénariste
06:24 derrière moi. -C'est le fan de Gélane qui dit ça.
06:27 -C'est le souffle... On y revient.
06:29 Rires
06:30 -On peut comparer les deux mises en scène.
06:34 -La jugulaire. Je vais direct.
06:36 -Il y a une scène qui est incroyable dans le film,
06:39 une scène de dispute au milieu du film,
06:42 qui est extraordinaire.
06:43 Le Bergman m'a rappelé ce genre de cinéaste,
06:46 où, en termes d'écriture, de jeu,
06:49 la fin de la scène est extrêmement étonnante.
06:51 Par contre, il y a des moments dans le film
06:54 où j'ai des sensations... Je sais pas encore où ça se joue.
06:58 On reverra le film quand il sortira.
07:00 J'ai l'impression de voir le souffle du scénariste,
07:03 ou quelque chose de volontariste
07:05 qui me dit comment penser par moments.
07:07 -Elle employait le mot "jugulaire".
07:10 -Oui, mais tu vois, Marie, à un moment,
07:12 on aperçoit dans le film une reconstitution,
07:15 la reconstitution de la mort de cet époux.
07:17 C'est un plan qui est glaçant.
07:19 En une seconde, il y a une idée de cinéma,
07:21 de dramaturgie, qui est surpuissante.
07:24 Quelques minutes après, on découvre l'avocat général,
07:27 caractérisé comme Satan descendant sur la cour.
07:30 Le film devient mécanique pendant quelques minutes.
07:33 Là-dessus, il est chaud et froid.
07:35 -Je trouve que ce personnage extrêmement drôle
07:38 et inquiétant, qui est joué par Antoine Reynard,
07:40 celui qui représente la victime, et la loi et l'Etat,
07:44 je trouve que ce qu'il arrive à créer dans le tribunal,
07:48 c'est à la fois extrêmement divertissant...
07:51 -C'est comique.
07:52 -Il y a une dimension de comédie
07:55 et quelque chose d'un peu surplombant,
07:57 très surprenant.
07:58 Le film m'étonne sans arrêt, il me retourne sans arrêt.
08:02 -Je ne suis pas étonné sans arrêt,
08:04 je suis captivé par connaître la solution,
08:07 mais on ne peut pas dire que je sois surpris.
08:10 On est dans un truc très programmatique.
08:12 -Pas du tout. Par exemple, le fils malvoyant,
08:15 qui va être la clé du revoir.
08:17 -Tu ne t'y attendais pas.
08:19 -On ne dit pas pourquoi.
08:20 Tout à coup, le travail sur le son dans ce film,
08:23 et on reviendra sur le travail sur le son pour le glazer,
08:26 il est absolument passionnant.
08:28 Il y a une séquence extraordinaire
08:31 de superpositions de voix et d'images.
08:33 -On pouvait se dispenser des images.
08:36 -On pouvait regarder le film,
08:37 le cinéma, les amis.
08:39 -Y compris ceux qui n'existent pas encore.
08:41 On ne peut pas discuter.
08:43 [SILENCE]