Le journaliste Jérôme Lefilliâtre a enquêté sur les terres de son enfance et revient sur l'arrivée du nucléaire en Normandie. Il publie "Les Falaises de Flamanville" (Seuil).
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00:00 Bonjour Jérôme Le Filiatre. Les falaises de Flamanville paraît au seuil.
00:07 Je voudrais savoir à quoi ressemble Flamanville en 1975 ?
00:11 C'est un village perdu au bout du monde, au bout de la presqu'île du Cotentin.
00:17 Donc il faut imaginer ce bout de la Manche, le nord du département de la Manche et la Hague.
00:23 Et Flamanville c'est vraiment le bout du bout.
00:26 Il y a une côte très sauvage avec des grandes falaises, hautes de plusieurs dizaines de mètres.
00:31 Et c'est un village essentiellement de pêcheurs, d'agriculteurs et aussi d'ouvriers.
00:37 Parce qu'à l'époque il y a une ancienne mine de fer sous-marine qui a fermé un peu dix ans auparavant.
00:44 En 1962. Et ça, ça a été un désastre.
00:47 Et ça a été un désastre. Alors c'était des conditions de travail complètement dantesques
00:51 où les ouvriers devaient entrer dans la falaise,
00:55 longer des galeries de plusieurs centaines de mètres qui allaient sous la mer.
00:59 Et c'est là qu'ils allaient creuser pour trouver du fer,
01:02 avec les risques d'effondrement des galeries, avec la puissance de l'eau qui tapait dessus.
01:08 Quant à la Hague, lieu de retraitement des déchets nucléaires,
01:12 eh bien on a implanté ce site sans demander leur avis aux habitants,
01:17 il y a quelques années auparavant, mais dans une grande période de reconstruction de la France
01:23 où au fond les consultations locales ne sont pas vraiment à l'ordre du jour.
01:28 Alors pas du tout, pas de consultation.
01:30 Le centre de retraitement des déchets de la Hague, effectivement,
01:33 il a été imposé au tout début des années 60.
01:36 Un matin d'août 1960, les gens de la Hague ouvrent le journal local
01:40 et découvrent qu'on envisage d'implanter une centrale nucléaire chez eux.
01:44 Pas une centrale nucléaire, pardon, une usine de retraitement des déchets.
01:47 Et à ce moment-là, personne ne bouge.
01:49 C'est-à-dire que c'est la décision du général de Gaulle, en gros,
01:52 et on ne la conteste pas, c'est une telle figure.
01:56 On fait confiance à l'État, on fait confiance aux autorités.
01:59 À l'époque, c'est assez marrant, même les maires ne sont pas prévenus
02:03 et l'apprennent au débeuté, la veille de l'annonce dans le journal.
02:07 Il y a une camionnette de la gendarmerie qui va ramasser tous les maires de la Hague
02:12 et qui les amène dans une salle des fêtes à Beaumont-Hague.
02:16 Et là, le préfet annonce aux maires qu'on va construire cette usine.
02:20 Je vous fais écouter la voix de Pierre Messmer,
02:23 Premier ministre de Georges Pompidou, entre 1972 et 1974.
02:28 Notre grande chance, c'est l'énergie électrique de régime nucléaire.
02:32 Et nous avons pris, aujourd'hui même, une décision très importante.
02:36 Réaliser en 1974 et 1975 le lancement de 13 centrales nucléaires de 1000 mégawatts chacune
02:45 qui coûtent environ 1 milliard de francs actuels chacune.
02:49 Aucun pays au monde, sauf les États-Unis, ne fait un effort comparable.
02:53 Et il y a là, véritablement, une des grandes œuvres que nous allons réaliser au cours des prochaines années.
03:00 C'était il y a presque 50 ans, Jérôme Le Filiatre.
03:04 Et beaucoup des nœuds qui traversent votre roman sont d'une actualité brûlante.
03:10 L'État français, le pouvoir central, Paris, l'Elysée et Matignon décident d'une implantation nucléaire à Flamanville.
03:20 Et bien le maire de Flamanville, lui aussi, va la prendre dans le journal un samedi de 1975 en lisant l'éclair du Cotentin.
03:27 Oui absolument. Alors c'est en novembre 1974, pour être précis, même chose qu'un peu plus de 10 ans auparavant pour l'usine de retraitement des déchets de la Hague,
03:37 pour la centrale nucléaire de Flamanville, même chose.
03:39 Un matin de novembre 1974, on se réveille à Flamanville, on ouvre le journal local, l'éclair du Cotentin dans le roman.
03:46 Et à ce moment-là, on découvre effectivement qu'on envisage d'implanter une centrale à Flamanville.
03:51 Et là, ça ne se passe pas du tout comme 10 ans auparavant.
03:53 C'est-à-dire que le village se fracture en deux camps. D'un côté, ceux qui sont pour.
03:58 Alors il y a plutôt la communauté ouvrière de Flamanville, celle qui a perdu la mine de fer et donc tous les bienfaits économiques qui vont avec.
04:05 Avec les commerçants, également les artisans qui imaginent que ça va faire de l'activité pour le village et que c'est une bonne chose.
04:11 Et puis de l'autre côté, il y a les néo-écologistes, parce que c'est le début des mouvements écologistes en France,
04:16 qui sont emmenés plutôt par les enseignants et qui vont être rejoints assez vite par les pêcheurs et les agriculteurs qui craignent pour l'environnement.
04:24 Et ce débat va se poser dans des termes très durs entre deux camps, avec d'un côté la question de l'emploi, de l'autre la question de la préservation des paysages.
04:34 Et une grande interrogation qui va parcourir tout ce débat, c'est qu'est-ce que le progrès ?
04:39 Alors certains vont dire que c'est plutôt le progrès économique et le fait de créer de l'activité.
04:44 D'autres vont dire non, le progrès c'est d'arrêter cette civilisation industrielle qui nous emmène toujours plus loin et qui va créer des problèmes.
04:50 Écoutez le commandant Cousteau, parce que le commandant Cousteau, et vous citez cet archi dans le roman, il était l'invité de Jacques Chancel.
04:57 On était en 1974 et je pense que toute la journée vous direz vous aussi "rigolade".
05:03 L'océan c'est la vie. C'est ça pour moi la seule chose qui compte. Tout le reste est secondaire.
05:11 Tirer du pétrole, des trucs, pour quoi faire ? Pour augmenter de 5% la production ? Rigolade !
05:16 Il faut maintenant parler de choses sérieuses, c'est-à-dire la vie de nos enfants, de nos petits-enfants, le bonheur de vivre, la qualité de la vie, la joie, le rire, les chansons, les fleurs, les oiseaux.
05:27 Voilà ce qui compte. Tout le reste, la production industrielle, on s'en fout.
05:30 Mais comment vous concevez la qualité de la vie ?
05:32 La qualité de la vie c'est ça, c'est le bonheur des gens, c'est-à-dire le sourire.
05:35 La disponibilité.
05:36 Mais promenez-vous à Paris et ouvrez les yeux. Vous n'avez que des gueules fermées. Vous croyez que c'est ça le bonheur ? C'est ça que nous a apporté la civilisation d'aujourd'hui.
05:43 Il faut changer les raisons d'être. Au lieu de chercher toujours à produire plus en quantité, il faut produire plus en qualité.
05:51 Voilà le commandant Cousteau au micro de Jacques Chancel. Mais prenez-vous à Paris, ouvrez les yeux.
05:58 Qu'on a choisi Flamanville, Jérôme Le Filiatre. D'abord, dites-vous, parce que Flamanville n'avait aucun avenir touristique.
06:06 Oui, dans cette région du Cotentin, effectivement, Flamanville, ce n'est pas l'endroit où on pense aller pour passer l'été.
06:15 C'est-à-dire qu'il y a d'autres sites un peu plus beaux, ou en tout cas plus faits pour ça, comme Barneville-Carteret, que les gens connaissent ceux qui sont allés là-bas.
06:23 Et effectivement, Flamanville, ce n'est pas un endroit où il y a des plages, justement, puisqu'il y a des falaises de granit assez abrutes.
06:29 Et donc, ce n'est pas un endroit où on va se promener, ou un lieu de villégiature.
06:33 Et on choisit le Cotentin parce que les Bretons, pense-t-on à Paris, n'accepteront jamais une implantation nucléaire dans leur région.
06:41 Or, la Bretagne a besoin d'électricité.
06:44 Alors, la Bretagne a besoin d'électricité. Et en fait, quand on découvre cette carte en novembre 1974,
06:49 parce qu'au départ, c'est une carte qui est publiée, une carte de la France, un peu partout en France, d'ailleurs, il y a des points qui sont imaginés pour les centrales nucléaires.
06:55 C'est une sorte de galop d'essai, comme on fait souvent en politique, c'est-à-dire qu'on teste un peu les idées, et puis on voit comment ça réagit.
07:02 Et c'est vrai qu'immédiatement, en Bretagne, à ce moment-là, quand ils découvrent, pareil, en novembre 1974, qu'on envisage de créer une centrale nucléaire ici, ici ou là,
07:12 notamment par exemple à Plogueuf, qui est une histoire célèbre, tout le village se lève et dit "non, il n'y aura jamais de centrale nucléaire ici".
07:18 Et ça crée une résistance très forte. À d'autres endroits en Basse-Normandie, comme à Gatteville ou à Manvieux, il y a aussi une résistance.
07:26 - On a dit non. - On a dit non. Mais à Flamanville, on n'a pas dit non tout de suite. Au contraire, on a dit oui d'abord.
07:31 Parce que l'histoire commence par un conseil municipal un mois plus tard après cette décision, où le conseil municipal, emmené par le maire de l'époque de Flamanville,
07:39 vote à 13 voix sur 15 pour l'installation d'une centrale nucléaire à Flamanville.
07:46 Et c'est à partir de là qu'une partie du village va dire "non, c'est pas possible, c'est pas l'avenir qu'on se représente, c'est pas le destin qu'on veut pour Flamanville".
07:55 - Et alors la politique locale, elle est intéressante dans votre roman, qui est, on va dire, presque intégralement tiré de faits réels.
08:02 Après, vous avez romancé, imaginé les interactions entre les personnages et surtout vous vous êtes autorisé à pénétrer leur conscience et parfois leur mauvaise conscience.
08:12 C'est-à-dire, le maire de Flamanville, d'un seul coup, découvre qu'il a signé un pacte pour faire exploser les falaises de Flamanville.
08:20 Or, s'il y a bien quelque chose qui caractérise Flamanville, ce sont ces falaises, il va falloir les déroqueter ?
08:25 - Oui, c'est ça. C'est vrai que c'est des travaux absolument colossaux, prodigieux, inimaginables.
08:31 C'est-à-dire qu'il faut faire sauter la falaise sur un kilomètre de long.
08:35 Le granit qu'on va creuser de cette façon va servir à terrasser après la centrale nucléaire.
08:42 Et donc, c'est une destruction du paysage qu'on accepte à ce moment-là et sur laquelle les habitants sont appelés à se prononcer via un référendum.
08:49 Et c'est vrai que c'est complètement extraordinaire d'imaginer qu'à ce moment-là, les gens se sont dit "Bon, est-ce que c'est ça qu'on veut ?"
08:55 Et qu'à la fin, ils vont dire "Oui", parce que c'est l'identité de Flamanville qu'on va, d'une certaine façon, faire changer de voie et pour toujours.
09:08 Et ce qui est assez drôle à l'époque, c'est qu'un des arguments de l'EDF, à ce moment-là, pour faire accepter la centrale,
09:16 c'est de dire "Mais si on creuse à l'intérieur des falaises sur un kilomètre et qu'on se sert du granit pour faire les fondations pour cette centrale,
09:23 en fait, on va réussir à mettre la centrale à l'intérieur des falaises et quand on se promènera au-dessus des falaises, on la verra pas.
09:29 Donc, tout ira bien, vous ne la verrez pas quand vous vous promènerez sur le sentier des douaniers qui passe au-dessus de la mer."
09:35 - Alors, le maire veut préserver les habitants et voilà, il veut plus de clients pour la boucherie, plus de clients pour la boulangerie,
09:41 il veut pouvoir construire une piscine municipale et éventuellement un deuxième port.
09:46 Et puis, il y a toutes sortes de notables locaux. Donc, vous avez imaginé dans votre roman un producteur de cinéma, un Parisien,
09:54 qui a produit un film érotique qui a fait un succès considérable, bien que le pouvoir des années 70 ait tenté de le censurer.
10:03 Vous avez appelé ce film "Sylviane". On peut imaginer que c'est Emmanuel ?
10:07 - On peut l'imaginer raisonnablement. Effectivement, ça fait partie de la fabuleuse histoire de Flamanville à cette époque-là.
10:14 Il y avait une galerie de portraits. J'ai choisi d'aller vers le roman à ce moment-là,
10:17 parce que quand je me suis documenté sur cette histoire que j'ai découverte, avant de me lancer dans l'écriture,
10:23 je me suis rendu compte qu'il y avait une galerie de portraits absolument incroyable, avec des types et des fonctions bien précises.
10:29 - Donc, il y avait bien le producteur d'Emmanuel à Flamanville ?
10:31 - Il y avait le Parisien qui avait sa résidence secondaire à Flamanville.
10:34 - Chiquissime !
10:35 - C'était plutôt une petite bicoque, en l'occurrence, à Flamanville.
10:39 Mais un producteur de cinéma qui avait fait fortune à Paris grâce à un film érotique très connu qu'il avait sorti quelques mois auparavant.
10:46 Et donc, qui lui, se retrouve dans cette histoire très locale de crispations autour du village.
10:52 Donc, il a une position un peu curieuse, parce qu'il a évidemment...
10:56 C'est un homme plutôt de droite, qui envisage de faire de la politique, qui est lié au pouvoir en place à l'époque,
11:01 donc le pouvoir giscardien, et donc qui est plutôt favorable à l'énergie nucléaire,
11:05 mais qui va se retrouver avec une centrale à 200 mètres de chez lui.
11:08 Donc, il ne sait pas comment se positionner.
11:11 Sa femme, à l'époque, est plutôt contre.
11:13 Elle voudrait préserver la beauté des paysages, donc il est un peu entre deux feux.
11:17 Et donc, il va traverser cette histoire en se demandant comment essayer de faire le mieux pour lui et pour Flamanville.
11:24 - Il est 9h20, vous écoutez France Inter.
11:27 Jérôme Le Filiatre est mon invité.
11:30 Évidemment, on va pénétrer avec vous les Antilles.
11:33 Les Antilles qui ont bercé d'ailleurs toute votre enfance.
11:35 Parce que c'est votre enfance, cette histoire.
11:39 Qui rêve encore de l'Amérique
11:43 Ce shopping mall pas démocratique
11:47 Tout est si différent maintenant
11:56 Mais qui peut encore rêver tout court
12:00 Quand tout est flippant aux alentours
12:04 Tout est si différent maintenant
12:10 En attendant bien patiemment la fin du monde
12:18 Quelle liberté d'être condamné
12:26 Après ces années de culpabilité
12:30 Agissons enfin sans conséquence
12:34 Salut patron, on se verra en vacances
12:38 Tout est si différent maintenant
12:44 En attendant bien patiemment la fin du monde
12:52 Tout est si différent maintenant
13:07 En attendant bien patiemment la fin du monde
13:14 La fin de nous
13:18 C'est nous les nouveaux dinosaures
13:23 On finira au musée dans un décor
13:27 Et sur la plancarte en gros caractère
13:31 Hommes en terrasse buvant un verre
13:35 Et qui attend bien patiemment la fin de son ère
13:44 2, 3, 4
13:48 Séverin chante "Les nouveaux dinosaures"
13:58 J'aime beaucoup le titre de cette chanson "Nouveaux dinosaures"
14:01 Est-ce que c'est exact que vous auriez reçu
14:11 un paquet contenant un cercueil et une balle de revolver ?
14:14 C'est exact, oui.
14:16 C'est-à-dire que ça a commencé d'abord par des lettres anonymes,
14:19 certaines menaces écrites,
14:21 ensuite des fées,
14:23 des jets de pierre dans ma salle à manger,
14:26 un pavé dans ma cuisine.
14:28 Ensuite, le 19 janvier, j'ai reçu un petit colis
14:31 qui avait été posté à Agis le 13 à 12 heures.
14:34 Un petit colis, c'est-à-dire un petit cercueil piéturé,
14:37 en contreplaqué, très bien fait d'ailleurs,
14:40 à l'intérieur duquel il y avait une balle de mitraillette ou revolver,
14:43 je ne suis pas holistique d'herbeurier, je ne sais pas exactement.
14:46 Voilà, on est en 1975, vous écoutez France Inter Actualité.
14:51 Le maire de Flamanville, Henri Varin,
14:54 est interviewé chez nous par téléphone,
14:57 et il raconte les menaces de mort à quelques encablures du référendum
15:02 qui fracturent son village pour ou contre l'implantation d'une centrale nucléaire.
15:07 C'est le sujet de votre roman Jérôme le filiatre,
15:10 "Les falaises de Flamanville", qui paraît au seuil.
15:13 Henri Varin, vous avez travesti son nom,
15:16 il s'appelle André Ruxel dans votre roman,
15:19 mais pour le coup c'est bien vrai, c'est-à-dire que le village s'est réellement fracturé,
15:24 il y a eu des affiches, il y a eu des manifs, il y a eu des sittings,
15:27 il y a eu des journées de discussion, des débats publics, des colocs, etc.
15:32 Il y a eu aussi les menaces de mort ?
15:34 Il y a eu une ambiance très très tendue.
15:36 On a du mal même à imaginer ce que ça a été à l'époque,
15:40 c'est-à-dire qu'on retrouve aussi dans la presse de l'époque,
15:43 des photos de gens se tapant dessus lors des réunions publiques.
15:46 C'est-à-dire qu'on a eu une atmosphère très très...
15:49 très très... oui oui, très très dure à ce moment-là.
15:52 C'est-à-dire que la cristallisation a été très forte,
15:55 et notamment à partir du moment où le maire a décidé de faire un référendum,
15:58 où vraiment les gens...
16:01 - Parce que c'est une initiative locale. - C'est une initiative locale.
16:04 Et en fait c'était tellement tendu que le maire a décidé de convoquer un référendum
16:08 dans l'espoir que ça apaise un peu les esprits,
16:11 mais ça a encore envenimé les choses, parce que là les gens se sont dit
16:14 "bon c'est vraiment maintenant qu'il faut décider de notre sort,
16:18 et selon le résultat ça va vraiment changer la vie, ou pas,
16:21 d'une façon plus écologique, ou d'une façon plus économique".
16:25 Donc ça a été très très dur,
16:28 mais c'était aussi un moment assez intense
16:31 d'un point de vue démocratique pour ce village,
16:34 parce que c'était des gens à qui on n'avait jamais demandé leur avis,
16:37 et on n'avait même jamais demandé d'avoir une opinion,
16:40 d'une façon générale.
16:43 Et là tout d'un coup on leur a dit "bon alors, pour ou contre le nucléaire ?
16:46 Pour ou contre une centrale chez vous ?"
16:49 Et les gens ont dû se saisir de questions quand même difficiles,
16:52 et apporter eux-mêmes une réponse.
16:55 Il y a eu un grand moment de respiration démocratique
16:58 aussi à Flamanville, d'innovation démocratique.
17:00 C'était le premier référendum nucléaire en France.
17:03 - Alors je vous fais écouter la voix de contestataires,
17:07 une petite manif devenue grande,
17:10 et c'est intéressant de retracer aussi la genèse de cette contestation
17:14 qui sont, vous l'avez dit tout à l'heure, les prémices de l'écologie contemporaine.
17:17 - Nous sommes toujours ici de garde, en quelque sorte.
17:21 Les agriculteurs sont prêts à se mobiliser quand il le faut.
17:24 Nous avons reçu le soutien des paysans-travailleurs,
17:27 le soutien du centre départemental des jeunes agriculteurs,
17:31 et également ce matin la FFA.
17:34 Beaucoup de membres de la fédération départementale
17:37 des syndicats d'exploitants agricoles sont parmi nous.
17:39 Il est évident que la centrale nucléaire semble toucher énormément
17:43 le monde agricole du nord-cotentin.
17:45 C'est la sauvegarde des intérêts des agriculteurs
17:48 qui est en jeu avec la nucléarisation de notre région.
17:51 - En toile de fond de votre roman Jérôme Le Filiatre,
17:54 il y a les ouvriers contre les agriculteurs.
17:56 Mais au cœur, dans les forces agissantes,
17:59 il y a ces néo-ruraux, néo-écolo, donc un couple de profs
18:03 qui existent pour de vrai à Flamanville,
18:05 qui a été vraiment la tête de pont de ce mouvement, formés,
18:10 et c'est intéressant, dans le Larzac.
18:12 - Oui absolument.
18:13 Alors c'est des gens qui ne sont pas vraiment du coin,
18:16 mais qui sont de la région, c'est des bannormands,
18:18 et qui arrivent à Flamanville.
18:20 Et effectivement, ils participent à toute cette agitation,
18:23 cette naissance d'une pensée alternative à l'époque.
18:26 - Je vous interromps, mais c'est quand même très drôle
18:29 de savoir qu'on est du coin, mais pas de Flamanville.
18:31 On est des bannormands, mais quand même, on n'est pas de chez nous.
18:34 - Non mais ça compte beaucoup dans l'histoire,
18:35 parce que eux sont vus comme des étrangers,
18:37 des hors-saints, comme on dit chez nous,
18:39 alors qu'ils sont nés à 60 kilomètres.
18:42 - Voilà.
18:43 - Ils sont de là-bas.
18:45 Mais pour le village, c'est pas du tout.
18:47 Et donc ça va alimenter d'ailleurs une fronde contre eux.
18:51 C'est-à-dire en disant que c'est des étrangers
18:53 qui essaient d'imposer notre mode de vie.
18:54 C'est des choses d'ailleurs qu'on peut voir,
18:56 qu'on désécho encore aujourd'hui.
18:58 Et alors ce qui est intéressant, c'est qu'eux sont formés vraiment
19:01 à toute cette pensée alternative nouvelle,
19:04 qui passe beaucoup par l'écologie,
19:06 le Larzac vous l'avez cité, mais aussi le courant philosophique,
19:09 Cornelius Castoriadis, des gens comme ça.
19:12 Ils vont réussir à agréger autour d'eux des pêcheurs et des agriculteurs
19:15 qui ne sont pas programmés normalement pour rejoindre
19:17 une contestation écologiste antinucléaire.
19:19 Parce que les agriculteurs de l'époque à Flamanville,
19:22 c'est des gens qui ont été élevés plutôt dans la foi catholique
19:25 et qui sont plutôt conservateurs.
19:26 Mais là, il va se passer un truc assez étonnant,
19:30 c'est qu'il va y avoir des alliances de circonstances
19:32 autour de cette question pour ou contre la centrale nucléaire.
19:35 On va avoir effectivement les enseignants,
19:37 avec les agriculteurs, les pêcheurs.
19:39 On a aussi la propriétaire du château de Flamanville,
19:41 qui est plutôt une écologiste réactionnaire,
19:43 mais qui va se joindre au mouvement face à, de l'autre côté,
19:47 ceux qui incarnent plutôt les ouvriers,
19:51 donc la condition pour le caire.
19:52 - Et vous l'avez dit, les catholiques incarnent la volonté
19:55 de conservation de la société telle qu'elle est.
19:58 Et vous avez le curé de Flamanville, l'abbé je ne sais plus quoi,
20:03 qui est carrément surnommé l'abbé Latome, c'est ça ?
20:06 - C'est le curé nucléaire.
20:07 Il est déjà très célèbre.
20:09 D'ailleurs, il est croqué par Charlie Hebdo à l'époque,
20:12 dans ce costume.
20:13 Et effectivement, lui, il a un argument imparable,
20:16 c'est qu'il dit "Latome fait partie de la création".
20:18 Donc on doit soutenir le nucléaire.
20:20 Et ça a beaucoup compté aussi à l'époque
20:22 dans l'acceptation sociale de ce projet de centrale à Flamanville.
20:25 - Les falaises de Flamanville paraissent chez...
20:28 aux éditions du Seuil.
20:30 Merci beaucoup Jérôme Le Filiatre,
20:32 par ailleurs journaliste à Libération.